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COMTE DE SAINT-GERMAIN

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LA MARQUISE

DE POMPADOUR

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J

 

IMPRIMERIE DE A. HENRY ,

rue G»t-le'Lc®ur , n. 8.

 

Numérisé par Goog

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



COMTE DE SAINT-GERMAIN

4      »                                                                                              J

KT

LA MARQUISE

DE POMPADOUR,

PAR M*' D*** ,

/

AUTEUR DES MEMOIRES DUMB FEMME DK QUA LITE .

ET• I)E LA DUCHESSE DK FONTANCE •

TOME PREMIER.

PARIS,

LECOINTE ET POUGIN , f CORBET , aîné, libraire , quai libraires, quai de6 Augustins, ^ des Augustins . n°6i.

4o*                                            V P1GOREAC , libraire , place

LEQU1KN , fils, libraire , quai i Saint-Germain - l’Auxerrois , des Augustins , n° 47.                          É no 20. ‘


 

Numérisé par Google



 

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I

I

V

CHAPITRE PREMIER.

Caixa de texto: Numérisé par Google

«

Les crimes politiques sont presque tou­jours la conséquence du fanatisme.

Recueil de maximes.

.... Ut quïsque fortunâ utitur ,

Ita prœcellit , atque cxindè sapere eum omnes dicimus.

..... stultum autem qui vertit male.

Plaute , le Pseudote , acte \ , scène 3.

Il arrive souvent qu’on homme ne l’em­porte sur les autres que parce que la for­tune le favorise ; on attribue les succès à son mérite ; si elle lui eftt été contraire nous l’eussions traité de sot.


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LOUIS XV ET D AMIENS.

La nuit s’avançait rapidement, la jour­née avait été froide, la neige couvrait la terre, un ciel aux teintes grises et mélanco­liques ajoutait à la rigueur de la saison : c’était le 4 janvier 1757-

Les vastes et magnifiques jardins de Ver­sailles restaient presque déserts, à peine si quelques habitués les traversaient d’un pas hâtif ; chaque passant, enveloppé dans un manteau, ou dans une cape , cherchait à sc

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défendre du souille aigu de la bise qui frap­pait avec âpreté.

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Caixa de texto: P
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Ln seul homme se promenait lentement sur la terrasse de l'orangerie, quelquefois même, adossé contre la balustrade , il sem­blait prendre plaisir à délier la rigueur de la saison ; on aurait dit, si on l’eût examiné de près, qu’elle était nécessaire à amortir le feu extérieur dont celui-là brûlait en ce mo­ment; il brillait dans ses yeux grands et bien fendus, hardis et étincelans , il les rem­plissait d'une expression farouche et sinistre. Ce personnage était de haute taille, sa tour­nure sans grâce , ses manières communes annonçaient que son rang était peu élevé; il avait le nez crochu de l'aigle et la bouche enfoncée, les lèvres minces et pâles, il les re­muait fréquemment par suite de l’habitude qu’il avait contracté de parler seul. Vêtu d'un gros habit de drap autrefois orné d’un galon de livrée, couvert d'un manteau brun, il tenait de la main gauche un couteau à deux lames, et fermant à ressort, l’une avait la forme ordinaire à ces sortes d’instrumens, la seconde , plus étroite , longue d’envi-


 


 


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ron quatre pouces, ressemblait a un canif.

Cet homme examinait avec soin ce cou­teau , le tournant, le retournant de diverses manières, cherchant à s’assurer si les ressorts

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ne faibliraient pas, et faisant ce manège avec une tranquillité tellement complète, qu’on aurait cru qu’il s’agissait de toute autre cho­se, que de tuer un roi de France. C’élait là pourtant l’intention de Robert-François Da­miens. Lorsqu’il se fut convaincu de la bonté de son arme, il jeta un regard vers le châ­teau, tira sa montre, vérifia l’heure, et puis revenant à la balustrade dont il s’était éloi­gné momentanément, s’y appuya de nou­veau, et prenant un petit livre qu’il avait dans sa poche, se mit à lire. C’était un ou­vrage de piété : Les Instructions et Prières Chrétiennes.

Caixa de texto: par Goc

La lecture l’attachait lorsqu’un second personnage qui, depuis l’arrivée de Damiens, ne l’avait pas perdu de vue, bien qu’il se tînt à une très-grande distance, s’en rap­procha d’une course précipitée, le froissa

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presque, si près il passa de lui, et d’une voix déguisée par la prudence ou l’émotion, lui dit :

« L’heure est prête à sonner, va gagner le paradis. »

Damiens tressaillit comme si une appari­tion soudaine l’eût étonné, il ne chercha pas à suivre le mystérieux individu, mais le re­garda descendre les grands escaliers qui mè­nent vers la pièce d’eau des Suisses, et de­meura dans cette posture jusqu’à ce qu’il eût disparu derrière la grille du jardin ; alors, lui renferma son livre et marcha non moins vite vers le château.

Six heures allaient sonner, une foule de curieux attirés par l’aspect du carosse de Sa Majesté, et par la masse du détachement des gardes-du-corps déjà montés à cheval, se pressait au bas du grand escalier : on aimait à voir ce mouvement occasioné par la pré­sence du souverain, et le public manquait peu d’assister au départ ou au retour de Louis XV. Ce prince habitait alors à Tria-
non, il était venu dans la journée à Ver­sailles,* voir l’une de ses filles, sdh altesse royale madame Victoite, qui souffrait d’üiie légère maladie.

Six heures tintèrent à l'horloge dë la cha­pelle, soudain Un exempt, d’urie voix forte, annonça le roi; il y eut un instant de tu­multe, püis un silence profond s’établit......................................................

Damiens parvint à s’avàhcer aü premier rang, il cachait sous Une indifférence calcu­lée, la noirceur de son projet fanatique. Dé­voué à une cause coupable, il croyait servir Dieu lorsqu’il restait Tinstrumefit d’tine eotn- pagnie ambitieuse, accoutumée à faire servir la religion à son intérêt particulier.

Au nom du roi, chacun se découvrit, hors Damiens, trop occupé de son rôle terrible. Louis XV descendit l’escalier de marbre pré­cédé du marquis de Montrhiyel, capitaine colonel des cent-suisses, ayant à sa droite le

V


comte de Brionne, grand-écuyer, à sa gauche le maréchal duc de Richelieu, premier gen­tilhomme de la chambre, de service, en


avant M. de Doudeauville, écuyer de quar­tier, le duc d’Ayen, capitaine des gardes en fonctions, monseigneur le Dauphin accompa­gnait le roi et causait avec lui. Ce prince était alors âgé de vingt-huit ans.

Le roi s’arrêta un instant auprès de la nouvelle salle des gardes, élevée de plusieurs marches au-dessus de la cour; il parla à M. de Brionne, puis continua de cheminer, il atteignait le bas du degré lorsque Damiens placé contre lui de façon à le toucher sans qu’on put le voir, fit un geste prompt....

« On m’a donné un grand coup de coude, dit Sa Majesté.

» — Est-ce que tu ne vois pas le roi, dit monseigneur le Dauphin en s’adressant à Damiens, demeuré là immobile comme en­chanté, et ayant seul son chapeau sur la tête, que déjà un garde du corps jetait par terre, tandis que M. de Doudauville, écuyer du roi, poussait le régicide par les épaules, pour le-

çarter du groupe royal....... mais le roi avait,

en même tems qu’il s’étail plaint, porté sa


 

 

 


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main à l’endroit où il s’était senti heurté, entre la quatrième et la cinquième côte, du côté droit, il la retira pleine de sang.

» — Je suis blessé, dit-il, c’est cet homme qui m’a frappé, qu’on l’arrête, qu’on ne le tue pas. »

Ce fut une confusion inexprimable parmi tous ceux qui étaient là; l’effroi, la terreur s’emparèrent des esprits, nul n’osait se re­muer dans la crainte de passer pour complice de ce grand crime, tous versaient des larmes ou proféraient des imprécations contre le meurtrier. Les gardes du corps, les cent- suisses, les gardes de la porte, ceux de la pré­vôté de l’hôtel, s’emparèrent de toutes les is­sues, et ne permirent à qui que ce soit de se retirer, qu’après avoir fait subir à chacun un examen sévère. Le coupable aurait pu fuir au milieu de la consternation générale, il n’y pensa pas, persuadé qu’il était, qu’ayant combattu pour la cause de Dieu, les anges du ciel accouraient à sa défense. On s’empara de sa personne, le duc d’Aven prit lui-même

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ce soin, on l’entraîna dans la nouvelle salle des gardes, où l’on mit une précipitation ex­trême à lui faire sabir une première torture. Les premières paroles qu’il prononça furent :

« Qu’on veille à M. le Dauphin, qu’on ne le laisse pas sortir de toute la soirée.

Cette révélation augmenta l’épouvante, on crut à un vaste complot dirigé contre toute la famille royale ; des précautions extraordi­naires furent prises, le château et Versailles se maintinrent dans un état d’horreur in­quiète qui se prolongea fort avant dans le lendemain. Damiens ajouta que son acte était le résultat des plaintes continuelles de l’Ar- chevèque de Paris, le refus des sacremens, la clameur du peuple, la disgrâce du parlement'

il finit par s’écrier : la religion seule m’a por,

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lé à cet attentat, j’ai cru faire une oeuvre mé­ritoire pour le ciel.

» —Mais as-tu des complices? lui de­manda-t-on.


» — Si j’en ai, on ne les trouvera plus.. ..


Us sont bien loin d’iciet si je les déclarais, tout serait fini....»

Qui était-ce donc que de pareilles com­plices ? On s’étonna d’un tel propos, on se livra à des conjectures étranges; et tour-à- tour, ceux qui entendirent parler Damiens , s’interrogèrent et se répondirent, mais par de seuls regards : il n’en fut pas un assez hardi pour exprimer librement sa pensée.

Le roi perdait beaucoup de sang. Il con­serva dans ce moment une force d’âme qu’il tarda peu à perdre. On le vit remonter l’es­calier sans être soutenu , suivi de son fils qui se livrait à un désespoir morne et concentré , dans la crainte de causer trop de saisisse­ment à son père. Les courtisans étaient là muets , épouvantés, tous déplorant le crime^ tout en envisageant les conséquences possi­bles; et déjà, par une prévoyance digne d’eux, se pressant autant autour du jeune prince qu’autour de Sa Majesté.

Le roi devant coucher à Trianon, ne trouva aucune partie de son service à Versailles , ni


linge pour lui, ni draps dans son lit, ni do­mestiques pour le servir et pour le panser ; les uns, libres, avaient pris leur course, les autres attendaient à Trianon, où déjà s’était rendu Lamartinière, premier chirurgien de Sa Majesté. Il fut d’abord remplacé par Hévin , chirurgien de mademoiselle la Dauphine : on coucha le roi sur des matelas où il fut saigné à cause d’un étouffement qui le saisit.

Ceci occasiona une plus grande confusion. On ne douta pas que Louis XV ne touchât à son heure dernière. La cour grossit auprès du Dauphin, et plus d’un s’éloigna du mo­narque que l’on jugeait expirant. Cette in­certitude dura jusqu’à l’ai rivée de Lamarti- nièré. Il sonda la plaie; sa sonde entra jus­qu’à la côte, il fit voir au roi que l’ouver­ture ne prenait pas dans le bas , mais seule­ment un peu en haut, quoiqu’elle fût de la longueur de quatre pouces : il n’y avait donc pas de danger.

Mais, quoique pût dire l’habile anato­miste, la stupeur du roi ne se dissipa pasfaci-


lement ; il se crut perdu, et ne voulant, dit-il, songer qu’à son salut, dit qu’il déclarait M. le Dauphin son lieutenant, pour résoudre tous les cas et décider souverainement. Ce soin rempli, il appela les ministres de la religion, se confessa d’abord au prêtre qu’on trouva le premier., l’abbé Soldini, aumônier du grand- commuri: ,• et puis au père Desmarets, son confesseur ordinaire ; il voulait même rece­voir les saintes huiles, le viatique, la frayeur du Diable ne le quittant jamais.

A part les princes de la famille et du sang, on vit accourir les ministres auprès du roi ; deux, surtout, possédaient une supériorité que le public leur reconnaissait à divers t itres. Le premier était M. de Machault, homme froid et sévère, probe et rude, ennemi des ri­chesses du clergé, non moins que de la vie relâchée des dignitaires de l’église, aspirant à une réforme dans cet ordre de l’État, et par là se rendant odieux à ceux qui vivaient de tant d’abus. Revêtu de la charge de garde-des­sceaux , chef suprême à ce titre de la ma-


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gistrature, il en possédait l'estime et l’aflèe- lion ; c’était une manière de Romain au mi­lieu dune cour voluptueuse. L’austérité de ses mœurs, en en faisant la satire perpé­tuelle^ le rendait insupportable à tous les habitans de Versailles ; il pesait même à son souverain qui lui aurait voulu des faibles­ses , afin de n’avoir pas à rougir des siennes devant lui.                                ,

Le comte d’Argenson, ministre secrétaire d’État au département de la guerre, avait autant de mérite que de manège. Avide de la faveur du roi, il la disputait à quiconque y tendait; et, depuis long-tems, il se montrait opposé à la marquise de Pompadour. La for­tune de cette femme lui causait un chagrin qu’il ne pouvait vaincre , et sans s’embarras­ser des suites d’une lutte dangereuse, il s’at­tachait à lui déplaire avec autant de soin qu’un autre en aurait mis à la contenter. PeuLêtre qu’à l’instant où il reçut la nou­velle que le roi venait d’être assassiné, se montra-t-il moins touché de ce grand crime,

que charmé des chances de chute qui en ré­sulteraient pour son ennemie, il se promit de ne rien négliger de ce qui la déciderait ; et s’il se hâta d’accourir vers le roi, ce fut afin de mieux arriver au but de sa pensée fa­vorite.

Une alliance entre lui qui avait, disait-on, de la peine à croire en Dieu, et les jésuites (lui ne tendaient qn’à leur propre grandeur, s’était déjà formée dans le but unique de se débarrasser de la Marquise.

C’était par ce titre seul que madame de l’ompadour fut connue pendant toute sa vie. Les enfans de Loyola lui portaient, eux aussi, une haine particulière ; ils l’accusaient de philosophie , lui reprochaient ses liaisons avec Voltaire, et déjà, par un instinct de prévoyance , craignaient celle avec le comte de Stainville, depuis duc deChoiseuil, et qui devait ébranler et renverser à son tour cette société dominatrice.

La mort du roi aurait amené des combi­naisons nouvelles. Le Dauphin appartenait


dame et de corps aux jésuites ; s’il montait sur le trône, ce seraient eux qui régneraient, et cette espérance avait peut-être armé la main parricide de Damiens. Il est certain qu'aussitôt qu’au noviciat des jésuites, à Paris, la nouvelle du forfait eut été apportée, il y eut un de ces bons pères qui se mit à dire :

« La marquise a reçu plus profondément encore le coup de couteau que le roi. »

Celui-là avait raison.

Madame de Pompadour, ce même soir, était dans son salon, accommodé en manière de cabinet de travail; deux individus étaient avec elle, l’abbé de Bernis et son propre frère , M. de Marigny. On sait qui était la

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marquise ; elle était venue de loin à la place qu’elle occupait. Fille d’un ancien boucher, ses charmes, son esprit, son manège avaient fait sa fortune. Mariée à M. Lenormand d’Étioles, elle était toute finance des pieds à la tête, et s’efforçait de dissimuler cette ori­gine par la hauteur de ses manières et par


son despotisme sans égal. Le roi l’avait pro­digieusement aimée. Puis , l’habitude ayant remplacé la tendresse, il la subissait comme une des conséquences qu’il s’était faite de la royauté. Une maîtresse lui semblait néces­saire à l’étiquette du palais , non moins que les grands-officiers de la couronne, et dès ,lors autant valait celle-là qu’une autre.

• La marquise lui plaisait, d’ailleurs, en ce qu’elle le dispensait de se charger d’aucun des soins de la royauté, gérait pour lui, di­rigeait les affaires du dedans et du dehors, dictait les mesures d’administration , con­cluait des traités d’alliance, faisait la guerre et la paix ; le roi s’informait curieusement où en étaient Les choses, la marquise le lui apprenait, et cela suffisait. Louis XVassistait à son règne et presqu’avec indifférence. Lassé de tout, convaincu de la bassesse de presque tous ceux qui l’approchaient, trop homme d’es­prit pour n’être pas désenchanté des illu­sions de ce monde, il n’y en avait plus pour lui; aussi se réfugiait-il dans le positif du i.            2 [1]


plaisir parce qu’il ne voyait rien de vrai dans • le reste.

La marquise, en ceci, le servait, à son gré; elle avait fait un arrangement entre son amour, ^on amour-propre et les exigences de sa place, savait s’effacer à propos et sup­porter une rivalité passagère , qui, sans rien enlever à son influence, contentait la fan-* taisie de son royal amant. Tour à tour maî­tresse et confidente, elle jouait ce double rôle de son mieux ; c’était pour elle un tra­vail que de procurer au roi des plaisirs d’une et d’autre manière ; elle s’y attachait comme à une affaire d’État, et avait ce portefeuille à tenir non moins que les autres. C’était une époque bizarre et des mœurs bien singu­lières.

Le jeune Poisson, frère de la marquise, a été connu sous le nom de marquis de Van- dière, avant de porter le nom de Marigny. Il quitta le premier à cause d’un jeu de mots

des courtisans qui, en arrière, s’amusaient

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Caixa de texto: Numérisé pa

à l’appeler le marquis d’Avant-Hier ; liberté [2]


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grande, qu’en face ils expiaient par une foule de basses flatteries ; c’était un homme d’esprit, frotté de sottise, tant gourmé, tant rempli de soi-même et de frayeur qu’on se moquait de lui. Il ne se faisait pas illusion sur la cause de sa fortune, et, néanmoins1, prétendait que les autres s’y laissassent trom­per. Un regard, un sourire suffisaient à l’in­quiéter au milieu de sa gloire ; sa position était superbe, bien vu du roi qui daignait parfois le nommer le Petit-Frère : très en crédit et en passe de succès, il n’en était que plus acces­sible aux lardons et à. la raillerie!. C’était dans un supplice perpétuel que le maintenait cette susceptibilité peu commune ; elle éclatait de tant de manières, que chacun la reconnais^ sait. Aussi le duc d’Ayen, en passe de dau­ber tant de monde, disait de lui :

« On voit bien que M. le marquis dé Vandière est d’avant-hier à la cour : s’il v

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datait de loin, il saurait comment on y ac­commode ce genre de honte , de manière à


 

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s’en faire un manteau de vanité, et voire même d’honneur. »

C’était un homme doux, agréable, point méchant', très-serviable, amateur des beaux arts , moins par ostentation que par sen­timent, meilleur mille fois que la mar­quise , ce qu’il exprimait en disant : elle se charge de mordre pour nous deux. Le roi lui avait donné la charge de directeur et or­donnateur général des bàtimens , jardins , arts , académies et manufactures. Servi à souhait., il se plaisait dans ce ministère sous un autre nom > et les savans, les littérateurs', les artistes, les gens de commerce s’applau­dissaient de l’avoir à leur tête; ce n’était pas une sinécure d’alors qu’il remplissait à la ma-’ nière d’aujourd’hui, mais une place occupée avec autant de conscience que d’affection. La charge de secrétaire commandeur des or­dres du Saint-Esprit et de Saint-Michel, lui permettait de porter le cordon bleu; il ai­mait à s’en parer, à se faire prendre pour un

Caixa de texto: Grisé par Googlo

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chevalier de l’ordre : les badauds en étaient la dupe; mais lorsque d’autres regardaient d’un air riant cette décoration , alors si le marquis de Mârigny s’en apercevait, il se mettait à rougir, souffrait outre mesure, se rappelant sans cesse cet autre mot sanglant du duc d’Ayen, calembourg véritable : « Voilà un bien petit poisson pour être mis au bleu. »

A la cour on se fait une arme terrible d’une phrase malicieuse, le eceùr est là si sensible ! Un souffle le blesse ; on sait que la moindre piqûre peut être mortelle ; aussi est-ce à qui la fera ou tâchera de l’éviter.

L’abbé de Bernis, né en Languedoc, en 1715, parut dans le monde aussi bien accom­modé des dons de la nature qu’il l’était mal de cetix de la fortune ; beau garçion, poète fleuri, chanoine, comte de Brioude et de Lyon, il ne disait pas la messe, mais, en revanche, rimait des Vers musqués, préten­tieux, quelque peu libertins, sous le voile d’une gaze légère ; les dames en étaient char-


 


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!

 

 

 

 


 



mées, les gens de lettres applaudissaient, dans la conviction que M. l’abbé ne les éclip­serait pas ; Voltaire, tout en louangeant ce frivole ecclésiastique, l’appelait Babetla bou­quetière , et le sobriquet en resta à la Babet en petit collet. On sait le mot qui fit con­naître l’abbé de Bernis ; il sollicitait un bon bénéfice, une abbaye, un évêché, peut-être ; et le malinBoyer, ancien évêque de Mirepoix, ministre de la feuille, cuistre parfait ; haïs­sant la noblesse et les belles façons, rencontrant un jour celui-là dans la salle d’audience, fut à lui, plein de mauvaise humeur, et lui dit :

» — Vos démarches sont inutiles, vous ne parviendrez à rien tant que je serai mi­nistre.

Caixa de texto: *>, — Monseigneur, j’attendrai, repartit l’abbé de Bernis , en faisant une révérence profonde, et l’assistance de rire, et le roi de rire également lorsqu’on lui conta l’attaque et la riposte, et l’abbé fut mieux en cour en raison d’un cas qui aurait perdu tout autre.

Caixa de texto: I > U I I

Il se lia avec la marquise de Pompadour,


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«le bonne amitié, ou plus tendrement encore. L’attachement qu’elle lui voua la porta à croire que ce serait un homme d’état ; nous autres femmes avons toujours la fantaisie d’attribuer à notre amant, en raison de ses qualités positives, celles ressortant unique­ment de la supériorité d’esprit. Le génie nous semble inhérent aux bonnes façons. Si Junon s’était éprise d’un Titan, elle en aurait fait le premier ministre de Jupiter. La quantité , presque toujours, nous semble synonyme de la qualité, même à celles qui, dans leurs étu­des, ont le mieux approfondi les difficultés de la langue française.

L’abbé de Bernis était aimable, il plaisait, et la marquise travaillait à lui faire remplacer M. de Rouillé, ministre secrétaire d’état au département des affaires étrangères, déjà même, il avait pris part au traité de Vienne, conclu en 1756, à son retour de l’ambassade de Venise : on voyait où il allait parvenir et à son tour, il recevait les hommages des ha­bitués du château.


Le comte d’Argenson le détestait à l’égal de la marquise; il combattait de son mieux cette influence naissante, tournait l’abbé en ridicule et l’abbé le lui rendait bien. Leur ri­valité amusait le roi, bien qu’elle pût nuire aux affaires; mais en France il faut mieux savoir divertir que savoir travailler : on va loin, avec l’art de plaire; on reste en chemin lorsqu’on ne sait qu’agir.

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A quelque distance du trio, dont je viens d’esquisser le portrait, une jeune fille, ravis­sante de grâces et de beauté, assise sur un ta­bouret, jouait avec un superbe épagrïeul, posé devant elle. Nymphe terrestre, sylphide de l’air, elle unissait le charme des anges à ce­lui que la divinité prodigue à notre sexe. Son • front était si doux et si pur, ses yeux remplis de tant d’expression et de bonheur, sa bou - che si riante et si fraîche; on admirait la ron­deur de ses bras, la flexibilité aérienne de sa taille, et cette blancheur éblouissante, et cette peau de satin rose, et cette chevelure si soyeuse, si ondoyante, enfin, lin ensemble


tel que rarement oh en trouve de pareil, et où la nature s’est complue à rassembler ce qu’elle départ entre plusieurs femmes. C’était Alexandrine, la fille unique de la marquise, l’objet de toute son ambition, pour qui elle formait les projets les moins raisonnables, le seul être qu’elle aimait peut-être au fond de son âme, et qui était digne de toutes façons de cette tendresse fanatique.

Alexandrine avait quinze ans et conservait encore la naïveté de l’enfance. Rieuse, gaie, étourdie ; enchantant quiconque l’appro­chait, ne se doutant pas qu’elle fut aussi belle, ni que l’avenir pût jamais lui manquer. Elle était vêtue, ce jour-là, d’une fourrure bleu céleste, garnie de dentelle et de martre^ Un simple ruban de velours bleu ceignait sa tête, et semblait le diadème convenable à tant de beauté.                        .      ,                 1

Lisca, son chien favori, assis sur les deux pattes de derrière, écoutait, d’un air attentif, l’allocution que lui adressait la charmante Alexandrine; il s’agissait du crime de vaga-

bondage, de course avanturière dans tous les corridors du château ; Lisca s’égarait souvent, entraîné par son cœur. Un chien aime à sa façon, et celui-là outrepassait la galanterie de ceux de son espèce ; on venait de le ramener après deux heures d’absence. Alexandrine l’a­vait déjà pleuré, et maintenant se revanchait en lui faisant une querelle sentimentale; le chien baillait, Alexandrine étouffait son en­vie de rire. La marquise interrompit une dis­cussion politique pour faire remarquer au comte de Lyon et au marquis de Marigny, ce sujet d’un tableau gracieux.... La porte du sa­lon fut plutôt enfoncée qu’ouverte, un jeune homme entra précipitamment, et s’adressant à la marquise, sans s’excuser de sa venue si brusque :

« Le roi, dit-il— le roi....

» — Eh bien ! qu’est-ce Géréon ?

» — Le roi vient d’être assassiné !


 


 


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CHAPITRE II.

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La reputation est une denrée dont on- trafique à la cour au prix le plus avanta­geux possible.

Recueil de maximes.

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H est ¿es âmes fortement trempées dont la vie d’homme commence meme avant leur adolescence) ceux-là bravent la for- \ tune contraire , luttent avec elle , et s’ils succombent c’est du moins avec honneur.

Recueil de Maximes.


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QUELQUES ACTEURS ENTRENT EN SCÈNE.

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Un cri aigu prolongé échappa à la mar­quise : il .y fut répondu par la double excla­mation du marquis de Marigny et de l’abbé de Bernis; tous les deux levèrent les mains vers le ciel en signe de stupéfaction pénible, tandis que madame de Pompadour > retom­bant sur l’ottomane où elle était assise, de-

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meura pendant quelques secondes comme profondément évanouie ; elle ne l’était pas cependant, et honteuse de se trouver tant de force en un moment pareil, elle cherchait à feindre cette sensibilité, tant en dehors de son âme sèche et racornie. Faisant mieux, elle employa ce tems à réfléchir à ce qu’il fallait tenter, à la conduite à tenir, et aux luttes qui, sans doute, s’établiraient entre son crédit sur le roi et les terreurs religieuses, que , certes , on ne manquerait pas d’ex- ploiter.

M. de Marigny, l abbé de Bernis s’empres­saient autour d’elle; Alexandrine était accou­rue, et serrant sa mère dans ses bras la cou­vrait de tendres baisers et de larmes. Le jeune homme qui avait apporté cette nouvelle si­nistre alla vers la sonnette, agita viyement le cordon.... Madame du Hausset, première fem­me de chambre de la marquise, vint suivie de plusieurs personnes de son service, et de prompts secours, peu nécessaires, furent pro­digués à qui n’en avait pas besoin.

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Dès que le marquis eut vu sa sœur entou­rée de tant de monde, il ne put commander au vif désir d’aller, par lui-même, savoir ce qui était vrai dans le récit que le jeune homme recommençait pour la dixième fois. Il sortit et fut peu après suivi de l’abbé à qui la marquise demanda, comme une grâce ca­pitale , dit-elle, de chercher à pénétrer jus­qu’au roi.

« Peignez-lui mon état, ma consternation, que je me meurs et que j’attends de lui mon retour à la vie. »

L’abbé qui, lui aussi, perdait tout son ave­nir en même tems que la marquise le sien, n’avait pas besoin d’être excité pour remplir cette mission réellement diplomatique. Il s’é­loigna et ne tarda pas à reconnaître que Gé~ réon n’avait rien exagéré. Pendant ce tems, on transporta madame de Pompadour dans sa chambre à coucher; on voulait la mettre au lit, elle s’y opposa afin d’être prête à tout événement, et elle se coucha sur une chaise longue.


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Il v avait du faste dans le désordre de sa douleur,.quelque chose de théâtral qu’on au­rait vu sans peine, si ceux de l’intimité n’a­vaient pas eu des intérêts communs avec les siens; et comme la porte fut interdite aux ennemis, rien ne transpira de ce qui se pas­sait dans cette partie du château de Ver­sailles.

Alexandrine suivit sa mère, lui prodiguant ses soins ; elle ne pouvait se résoudre à s’en détacher, partagée entre le chagrin que lui causait l’état de la marquise et l’attachement sincère qu’elle vouait au roi. Ses pleurs con­tinuaient à couler avec abondance et rien ne la distraisant de son affliction, elle ne faisait aucune attention à Lisca qui s’étant glissé sous la chaise longue , léchait avec amitié une main pendante de sa jeune maîtresse.

Le docteur Quesnay et la maréchale de Mirepoix arrivèrent presque en même tems. Le premier, médecin habile, quoique prati­quant peu, philosophe profond, parce qu’il tournait vers un but utile l’étude de la sa-

»-► 33 <-c

Caixa de texto: /gesse; économiste, chef de secte et si rempli d’abnégation de lui-même, qu’il demeurait indépendant au milieu des servilités ambi­tieuses de la cour. Franc, plus qu’on ne l’é­tait dans ce pays, il ne savait, devant le roi, que parler vrai ou se taire; sincèrement at­taché à la marquise, il l’aimait avec ses dé­fauts, la querellait parfois et en était tou­jours bien accueilli.

La seconde, sœur du prince de Beau veau , mariée en premières noces au prince de Lixen, et en secondes noces au marquis deLevi-Mire- poix, jouissait depuis long-tems à la cour d’un crédit que lui avait valu une conduite opposée à celle du directeur Quesnay. Amie chaleureuse de toutes les maîtresses du roi, non sans soupçon d’un éclair de faveur pour elle-même, on la voyait jouer un rôle autant lucratif que peu digne de sa naissance et de son nom. Elle prétendait que lorsqu’on ne pouvait satisfaire par soi-même à ses fantai­sies, il ne fallait jamais heurter celles des au­tres.

Caixa de texto: Limer i

i.                                     3

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— Dans ce pays, ajoutait-elle, il est rare qu’on ne fasse pas quelques accrocs à l’hon­neur; or, puisqu’il y a certitude de le per­dre, mieux vaut encore le vendre, du moins il en reste le profit.

De madame de Châteauroux elle était passée à la marquise, et cela de plain-pied, sans fausse honte, attendu qu’elle avait l’es­prit bien fait. Le roi, qui l’avait toujours vue, aimait à la voir; son amabilité, sa gaîté par­fois leste, sa haine de l’intrigue politique contentaient Louis XV, aussi, avaii-elle une demi-autorité indépendante de ses complai­sances. Les ministres comptaient avec elle, et la marquise, malgré son orgueil, cherchait à lui être agréable. Ces dames allaient de pair; l’amour du roi faisait la balance pour l’une, avec le rang de l’autre, et la marquise trou­vait du plaisir à charger une cousine de la Sainte - Vierge *, de jeter les noyaux des ce-

* Une des prétentions de la famille de Lévi est d’être de race juive et de la tribu sacerdotale.

Note de fauteur.


rises qu’elle mangeait en voilure; la maré­chale de Mirepoix n’avait pas hésité à rendre ce service honteux en une circonstance où ces dames allaient en la même voiture à la chasse du roi. '

Le prince de Beauveau l’ayant reproché à sa sœur :

« Le beau venez-y voir, dit-elle ;• chaque noyau m’a valu une grosse somme. Fait-on ici autre chose? Le maréchal de Villeroy ne disait-il pas, qu’il faut tenir le pot-de-cham- bre aux ministres en place? Prêter son mou­choir est plus propre et rapporte autant. »

Madame de Mirepoix avait alors cinquante ans, c’est le bel âge pour le conseil et pour commencer à plaider. Elle s’était attachée à sa manière, à la marquise de Pompadour, prétendant que c’était la fable en action , des grenouilles qui demandent un roi.

(( C’est le règne de la cigogne, soit; mais tenons-nous-y crainte de pire. »

Elle avait raison, le pire vint et elle-même ne s’écarta pas de la dernière souveraine. On


sait comment elle se donna le soin de faire à

*

la comtesse Dubarry les honneurs de Ver­sailles.

Cette dame jouait au moment où on lui apprit le crime de Damiens : jouer était son seccfnd élément ; le premier, la vie du châ­teau de Versailles. Elle courut vers la mar­quise, calculant dans son effroi ce que lui rapporterait son empressement.

La marquise l’embrassa et se mit à fondre en larmes.

« Allons, prenez courage, dit-elle, rien n’est désespéré, le roi vit encore. .. D’ailleurs, continua-t-elle en s’approchant un peu plus de la marquise et lui parlant à l’oreille, votre sort est assuré ; il vous restera, en cas de mal­heur, de bonnes bribes. Ma chère amie, quand on a de l’argent on supporte beau­coup mieux les plus grandes douleurs.

» — Je vous reconnais bien là, madame la la maréchale, répondit la marquise avec une aigreur impatiente, si on vous couvrait d’or, vous ne sentiriez aucune perte.


» — Et le moyen, je\ous prie, de la sen­tir, je ne la verrais pas.

» — Quant à moi, c’est le roi que je re­grette. Le roi.... ce cher et digne prince. »

Et des grimaces remplaçaient les larmes qui ne venaient pas, tandis que madame de Mirepoix regardait l’affligée avec une mine impayable.

« Le roi si bon qui me comblait, et avec lui le pouvoir, cette facilité de commander aux autres pour le bien de tous, et cette joie odieuse de mes ennemis, et le triomphe de la cabale.... Ah ! ah ! j’en mourrai à mon tour, certainement.

» — A la bonne heure, voilà ce qui s’appelle parler, repartit la maréchale ; je vous com­prends maintenant; vous étiez, dès le début, si fort montée dans la nue.... Ma belle belle, je suis pour le mctal, vous pour la puis­sance ; ma chimère est solide, souvent il en reste quelque chose , la vôtre finit toujours par se dissiper en fumée. >>

La conversation fut rompue par l’arrivée


38

de plusieurs amis. Le comte de Saint-Flo­rentin, ministre de la maison du roi, depuis duc de la Vrillière, ministre sans talent, sans vertu, sans considération, craint et haï en­semble , friponneau par les mains d’autrui, et qui pillait la France en commandite au moyen de sa maîtresse. Sa faveur ne se dé­mentit pas tant que régna Louis XV ; il lui fallait de tels hommes dont il se servit tout en les méprisant.

M. de Moras, contrôleur-général, person­nage tellement obscur, que l’Amanach royal révèle seul son existence ; il devait sa place à la marquise, et par frayeur de la perdre, il

se montrait reconnaissant.

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M. de Pvouillé aurait pu se dispenser de l’être, puisqu’on travaillait à le renvoyer pour donner son portefeuille à l’abbé de Bernis ; cependant, il fut assidu chez la marquise. Peut-être déjà certain de sa chute, voulait-il , la faire paraître odieuse par le contraste des procédés.

On parla d’un fait unique, de l’attentat


commis sur le roi. M. de Rouillé dit que l’as­sassin était un misérable, né dans l’Artois, valet d’abord des jésuites, puis de quinze à seize maîtres; changeant de nom , hargneux, bavard, entêté, enclin à la colère; on n’en savait pas plus. Ses aveux et les rapports de deux ou trois personnes qu’il avait servies, étaient encore les seules lumières que l’on eût sur son compte ; mais on penchait à croire que derrière lui se dessinait dans l’ombre une vaste conspiration. Chacun en accusa ceux qu’il n’aimait pas. Qui ? le parlement ; qui ? les jésuites. On allait chercher au Roi des ennemis à l’étranger.

La marquise était peu à la conversation. Elle attendait un message de son auguste amant; il ne vint pas.Elle espérait que M. de Machault viendrait la voir ; le garde des sceaux ne se montra ni ne lui fit rien dire. Ainsi la soirée s’écoula. Mais, pendant ce tems, et à l’heure où la conversation était le plus engagée, Alexandrine,, que sa mère avait forcée de quitter sa position au bord du


lit où elle se tenait agenouillée, Alexandrine, dis-je, parut tout à coup saisie d’une pensée pénible, car son teint se colora plus vive­ment , et sa respiration devint embarrassée.

La jeune fille, après un instant d’hésita­tion , se leva doucement du tabouret où elle était assise en arrière du lit de la marquise, et, d’un pas aussi lent qu’incertain, se di­rigea vers le salon, entr’ouvrit à moitié la porte, passa sa jolie tête dans l’ouverture, et, à la vivacité nouvelle de ses émotions , son coeur laissa connaître qu’elle avait aperçu celui quelle cherchait.

Contre la cheminée où brûlait un feu ar­dent , mais par côté et le regard tourné vers la chambre de la marquise, il y avait ce jeune homme qui était venu tantôt annoncer le meurtre du roi ; c’était un adolescent aux formes frêles, aux traits vifs et mobiles, à la parole impétueuse et passionnée, aux regards encore plus expressifs. Tout en lui respirait la flamme, la vivacité , la violence d’un ca­ractère indomptable. Il n’avait pas encore

atteint sa dix-huitième année ; sa taille ché­tive le repoussait vers l’enfance; elle faisait illusion au point que nul n’apercevait une race d’homme dans cette poitrine étroite, ni une force musculaire surprenante avec des membres si grêles, si peu nourris. Géréon n’était pas beau, peut-être, mais que sa pa­role véhémente avait de puissance, et dans ses yeux noirs qu’il y avait de l’entraînement ! La coupe parfaite de sa bouche expressive, toujours mobile soit qu’il parlât ou qu’il se tût, ajoutait un attrait irrésistible au charme répandu dans toute sa personne ; sa peau manquait de blancheur, ses joues étaient pâles, ses mains fortes et nerveuses ; sa voix passait rapidement des tons aigus aux tons graves ; il n’était pas un geste, un regard , une parole qui n’apprit que , dans ce corps mortel, s’agitait un volcan de passions tu­multueuses , de désirs sans frein, de volontés despotiques, et tout ce qui amène le malheur, lorsque surtout à ces présens dangereux de la nature, se joint une sensibilité profonde,


une tendance vers les périls de l’amour, de l’amitié; il y avait là des abîmes de tendresse, de haine, de colère, autant d’orgueil que de modestie , autant de besoin d’aimer et d’être aimé que d’envie de se venger de ceux in­capables d’apprécier ce mélange sans pareil, ce chaos de qualités brillantes et de défauts non moins éclatans.

Si tout cela se fût rencontré dans un prince, l’État et lui auraient eu trop à souffrir; il faut moins d’exaltation dans ceux destinés à commander aux hommes; mais dans un ado­lescent obscur , sans parens et même sans patrie, cosmopolite involontaire, abandonné depuis sa naissance au milieu de l’univers, ses vices, ses vertus portés au plus haut de­gré ne pouvaient être fatals qu’à lui seul. Géréon ne se connaissait pas de parens ; il y avait dix ans environ qu’une lettre énigma­tique fut adressée à l’intendant de la mar- quisë de Pompadour; on lui recommandait un personnage mystérieux qui venait visiter Paris; Colin (c’était le nom de l'intendant) >


crut reconnaître l’écriture et la signature , quoique visiblement contrefaite; il accueillit cet étranger, le logea dans son appartement, lui et un enfant de sept ans, qu’il disait avoir trouvé dans un grand chemin, exposé à la pitié des passans, lorsqu’à peine il venait de naître.

Onze jours après que l’étranger fut à Paris, on le trouva mort, frappé d’une attaque d’a ­poplexie foudroyante ; nuis papiers, nuis ren- seignemens ne purent apprendre qui il était, ni d’où il venait. Colin écrivit à la personne qu’il croyait lui avoir adressé cet inconnu ; il eut en retour une réponse négative : on prétendit ne rien savoir à ce sujet. Mon­sieur Feydeau de Marville, lieutenànt-géné- ral de police d’alors, mit en vain son monde en campagne pour complaire à madame de Pompadour, alors dans le début de sa fa­veur ; ses soins, ses investigations ne parvin­rent pas davantage à percer le mystère qui enveloppa la vie antérieure de celui qui était venu mourir si fatalement à Paris.


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Colin , en cherchant dans le bagage de l’inconnu, afin d’y rencontrer les renseigne- mens dont on avait besoin, mit la main sur une petite boîte de peau de chagrin ; il l’ou­vrit, et, à sa surprise, y vit vingt-cinq dia- nans qui furent estimés 3o,ooo francs cha­cun, au prix de vente; il en instruisit sa maîtresse ; et celle-ci ayant pris l’avis des gens de loi, on décida qu’on céderait ces diamans à l’enchère, et la somme considé­rable qui en provint, fut placée sur la tête de Géréon que l’on soupçonnait être le fils, et, par conséquent, l’héritier naturel de l’é­tranger.

Cependant Colin s’attachant de plus en plus à cet enfant que la Providence parais­sait avoir voulu remettre en ses mains, ne put s’en séparer. La marquise lui permit de l’élever dans la maison d’où le pauvre enfant ne sortit plus. 11 y développa rapidement son caractère fantasque et extraordinaire. Ce con­traste perpétuel d’une sensibilité profonde, et d’une véhémence presque farouche, in-


domptable chaque fois que, pour la réduire, on employait la force. Il cédait toujours à une parole tendre, à un mouvement d’ami­tié. Instruit du secret de sa naissance, par la faute de son premier protecteur, il en avait conçu une mélancolie sourde qui le minait intérieurement. Elle ajoutait une dose plus forte à son humeur farouche et sombre, sans toutefois rien enlever à son impétuosité.

Son second tuteur Colin voulut le mettre dans une pension ; il ne put y rester que deux mois. Il fallut l’en faire sortir, parce que, à l’exemple du célèbre Bertrand - Du- guesclin , il était toujours ou battant ou battu , parce qu’il se refusait à toute obéis­sance sans vouloir non plus étudier.

« Je ne suis pas libre, disait-il, dans son jargon moitié français, moitié italien, et un esclave n’a pas besoin d’apprendre, parce qu’il est condamné à servir. #

Les châtimens le trouvèrent inflexible ; il vainquit la volonté de tous ; il y eut urgence de se soumettre à la sienne. Il revint donc

' chez la marquise; là, il eut des maîtres et se montra avide[3] d’apprendre. C’était surtout dans les arts d’agrément qu’il réussissait le mieux ; nul autre de son âge ne montait comme lui à cheval, ne maniait un fleuret, ne dessinait avec plus de goût. Sa fantaisie le portait en outre vers la chimie, la phy­sique , et les autres branches de l’histoire na­turelle auxquelles il s’attachait avec la cha­leur de son âme si ardente. H aimait son tu­teur, et, par-dessus tout, la jolie, la séduisante Alexandrine. 11 l’avait tant de fois portée dans ses bras pendant l’enfance de la jeune fille, il s’était prêté avec tant de docilité à la divertir, à la faire rire, qu'Alexandrine, également, avait pris Géréon en une vive amitié.

Quand elle pleurait ou qu’elle s’abandon­nait à un de ces caprices si familiers aux en- fans gâtés, quand elle se mettait en muti­nerie contre la volonté maternelle ou de sa gouvernante, il fallait recourir à Géréon qui la faisait obéir facilement; et, par un effet


réciproque, c’était Alexandrine qui comman­dait avec empire au jeune délaissé.

Élevés presqu’ensemble , se voyant sou­vent, ils avaient contractés l’un pour l’autre une affection extrême ; un instinct secret les portait déjà à en déguiser la meilleure par­tie; ils s’aimaient d’amour sans le savoir, et croyant ne ressentir qu’une amitié frater­nelle , la distance entre eux était si grande ! Géréon, ignorant encore quel serait sa for­tune, était chez la marquise, non sur le pied d’un égal aux maîtres, mais sous celui d’un serviteur privilégié traité sans conséquence. On lui faisait remplir certains devoirs de domesticité auxquels il se soumettait, lors­qu’ Alexandrine ou Colin en étaient le but ; mais quand on prétendait l’employer pour tout autre, alors un refus sec devenait sa

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réponse; il relevait fièrement la tête, et re­gardant avec orgueil ceux qui prétendaient l’avilir, leur opposait une résistance muette et dédaigneuse que la marquise elle-même ne surmontait pas. *

Il était le seul à ne pas plier devant la favorite de Louis XV, aussi en était-il dé­testé; cependant elle le souffrait chez elle par habitude, et se dédommageait de son in­dépendance en ne négligeant aucune occa­sion de l’humilier. Il y avait donc en eux une guerre sourde, déclarée ; un éloignement réciproque qui devait finir par un éclat. Mais les choses demeuraient en apparence égales ; Géréon manifestait en public du respect et de la soumission envers la marquise, et celle-ci, quand elle était de bonne humeur, daignait le traiter avec bonté.

Tel était donc le jeune homme qui, le 4 janvier au soir, demeurait appuyé contre la cheminée du salon de l’appartement de la marquise, au château de Versailles, parais­sant réfléchir au crime commis peu d’heures auparavant, et, en réalité, ne s’occupant que de regretter la longue absence d’Alexandrine, qu’il ne pouvait perdre de vue sans en éprou­ver un chagrin amer. Son cœur tressaillir à l’apparition de la tête charmante de la jeune


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fille, entre la porte à demi-ouverte ; ses yeux, qui déjà se remplissaient de larmes, étince­lèrent d’un feu si vif qu’ils allumèrent par leurs éclairs, une flamme presqu’égale dans l’âme d’Alexandrine. Celle-ci s’arrêta un ins­tant dans la position qu’elle avait prise d’a­bord, puis fit deux pas, et Géréon s’avan­çant, arriva tout auprès d’elle.

— Oh! mon Dieu, dit-il, que se passe-t-il donc que je ne puisse pas te voir?

Se tutoyer avait été l’habitude douce, prise dès les premiers instans où ils s’étaient vus, et, plus tard, on l’avait interdit à Géréon, en continuant de le permettre à Alexandrine, mais ni l’un ni l’autre, tïans leurs rapports

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intimes, ne s’étaient soumis à cette restric­tion , et ils continuaient de se traiter comme à l’époque heureuse de leur enfance, et, telle était la force d’esprit de Géréon, que jamais depuis qu’on lui défendit de tutoyer Alexan­drine, il ne l’avait fait devant un tiers. On croyait à son respect pour Alexandrine, et i.                                    4


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on ne se cloutait pas qu’il n’avait pour elle que de l’amour.

A sa question, Alexandrine le regardant avec une expression, moitié chagrine, moitié riante, éleva lentement la main droite, et portant un de ses doigts si déliés, si fins, sur le front de son jeune ami :

« Où donc est le bon sens, dit-elle, que

l’on prétend avoir là-dedans; as-tu donc ou­blié , maître fou, que l’on vient de tuer le roi de France ? n’est-ce pas toi-m*ême qui est venu nous l’apprendre, et penses-tu qu’il n’y ait pas assez d’un tel évènement pour tout déranger autour de nous?

» —Ah! oui, je m’en souviens, dit Gé- réon, en baisant, sans qu’on la retirât, la

main si près de sa bouche.... tuer un roi,

• • *

c’est un acte de courage.

» — C’est un crime, plutôt, reprit Alexan­drine.

» — Non pas au moins une lâcheté, car il y aura pour le meurtrier une rude épreuve


à soutenir... C’est dommage de souffrir pour un fait si exécrable, mais qu’il serait doux de soutenir une torture cruelle s’il s’agissait de servir ce que l’on aime bien.

» — Penses-tu que la violence du mal ne fit pas faiblir le cœur ; oh ! Géréon , que le mal.est pénible! lorsque je me pique avec une aiguille, je pleure.

» — Tu es une femme.

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)) — Et toi tu es un homme ; voyez le beau monsieur, un enfant!

» — Qu’on me mette à l’épreuve, qu’il faille exposer ma vie pour sauver la tienne, et on verra si je suis un enfant.

» — Aussi je t’aime bien, repartit Alexan­drine avec tant d’affection naïve, que ce ne pouvait que être de l’amour.

» — Et moi, répliqua Géréon enchanté d’un aveu répété souvent et qui ne lui était pas moins agréable, je t’aime au-delà de ce qu’un homme peut aimer ; je m’étonne comment je puis contenir en moi toute la tendresse que je te porte. Vois-tu, Alexan-



 

drine, je te voudrais reine de France, et mieux encore, si cela se pouvait.

» —Et toi, qu’aurais-tu envie d’être ?

» — Empereur d’Allemagne.... non.............

mais....

» — Eh bien !

» — Roi de France, dit-il en hésitant.

» — Afin d’être mon père, demanda Alexandrine, sans malice.

» — Tu ne me comprends pas, fut-il ré­pondu avec dépit. »

Madame du Hausset entra en ce moment dans le salon, paraissant chercher quelqu’un, et dès quelle aperçut Géréon, elle vint à lui en faisant toutefois un signe pour qu’il lui épargnât la moitié du chemin. Madame du Hausset était dans les bonnes grâces de l’a­dolescent, en raison de l’obligeance quelle employait à son égard.


« Mon jeune ami, dit-elle, il s’agit de ren­dre un service à Madame ; allez voir au plus vite si le comte de Saint-Germain est à son logement ordinaire, à l’hôtel de Provence;


s’il n’y était pas, vous ferez partir sur-le- champ un courrier pour Paris; il dira au comte que Madame le supplie de venir la voir sans aucun délai. Elle a besoin de son

amitié et de sa présence. Géréon, vous êtes

%

un homme, je n’ai pas besoin de vous recom­mander de la promptitude et de la discré­tion. »

A ces mots : vous êtes un homme, Géréon

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ne put se retenir de jeter un coup d’œil de triomphe sur Alexandrine qui, en comprenant le sens caché, se mit à sourire malicieuse­ment.


Numérisé par Googlo


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◄-■er

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



11 y a dans les cours des apparitions de gens avcuturier9 et hardis... qui se produisent

d’eux-mêmes, protestant qu’ils ont...................

toute riiabilete qui manque aux autres et qui sont crus sur leur parole. Ils pro­fitent cependant de l’erreur publique ou de l’amour que les hommes ont pour la nou­veauté ; ils percent la foule et parvien­nent jusqu’à l’oreille des princes... lis ont cela de commode, pour les grands, qu’ils en sont sans conséquence, et congédies de même. Alors ils disparaissent , tout à la fois , riches et décrédités, et le monde qu’ils viennent de tromper , et encore prêt d’être trompé par d’autreB.

La Bruyère , de la Cour.

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umérisé par Google

ixi/tJ !

* ’ 'fTj' r

Minuit sonnait à l’horloge de Sainl- Étienne-du-Mont. Un silence entier régnait dans tous les quartiers de Paris, situés sur la rive gauche de la Seine, et rapprochés de l’est et du sud; c’était le pays, et ce l’est encore, de l’étude et du travail de l’esprit. Le pays latin, ainsi on le qualifiait, formait un mon­de à part ; rempli de collèges, de maisons re­ligieuses, d’une foule d’étudians de toutes sortes, il ne participait pas aux dissipations nocturnes du reste de la grande cité. Cha-
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Caixa de texto: Zlr ycun de ses habitans se retirait de bonne heure, soit pour se livrer à un repos qui serait interrompu bien avant le retour de l’aube prochaine, soit pour continuer jus­qu’aux approches du jour, des occupations de science dont on se faisait autant un besoin qu’un devoir.

Là, passé un certain teins, on n’entendait rouler aucune voiture; les rues devenaient solitaires, le calme de la nuit n’étant guère interrompu que par les cris des orfraies, des hiboux, et autres oiseaux nocturnes qui han­taient les hauts clochers, les vieilles églises, les hâtimens gigantesques construits en si grand nombre sur les paroisses environnan­tes. A peine si, de tems en tems,. un ivrogne égaré, troublait la paix publique, par des ju- remens coupables et par une chanson licen- cieuse.

Mais si le sol des rues semblait abandon­né, il y avait peu de maisons où, à diverses croisées, on ne vît reluire des lumières, an­nonçant que des érudits, des écoliers, em-


ployaient à la méditation ou à la recherche des vérités utiles, ces momens qu’ailleurs on perdait au milieu de plaisirs sans résultats.

Dans la rue des Fossés-Saint-Victor, dans une belle maison couronnée par des jardins construits en amphithéâtre sur la croupe de la Montagne-Sainte-Geneviève, et au fond d’une galerie dont l’extrémité orientale avait été accommodée au moyen de vitrages, en une sorte de cabinet, un homme se trouvait en cet instant; il se tenait assis sur un fau­teuil d’ébène, aux pieds en forme de colonne torse, et recouvert d’une étoffe de laine, bro­dée en soie de diverses couleurs. Il avait de­vant lui un fourneau allumé, chargé de creu­sets, de cornues, de récépiens, de bouteilles, de conserves de verre, de vases de porcelaine et de cristal, vers lequel toute son attention restait concentrée.

Ce cabinet d’une grandeur médiocre, meu­blé entièrement de curiosités naturelles, était éclairé par une lampe d’un dessin bizarre et allumée de sept mèches. Le reste de la galerie

/

avait également pour illumination d’autres lampes à trois becs, placées de distance en distance et de manière à présenter des trian­gles dans tous les sens.

Sur les murailles, chargées de boiseries de couleur sombre, et richement sculptées en relief, étaient attachés, par des cordons de soie et d’or, plusieurs cadres soigneusement dorés, découpés et travaillés avec une dexté­rité extrême ; chacun renfermait un tableau de prix, et d’une école différente. Des tapis de Turquie couvraient le plancher, leurs cou­leurs étaient si variées, si éclatantes, qu’elles, présentaient, malgré la nuit, l’aspect d’un parterre de fleurs brillantes. Le meuble était pareil au fauteuil du cabinet ; il y avait en­tre chaque siège, des armoires, des tables, des guéridons, des gaines en travail de boule et choisis avec un goût parfait; ils suppor­taient des buffets de marbre, des statues de bronze, des jattes, des coupes de pierre dure, soit antiques, soit modernes ; le tout disposé de façon à ce que les détails ne nuississent


pas à l’ensemble, et que l’ordonnance géné­rale ne fatiguât par l’attention.

Le personnage qui, seul, et à cette heure, cherchait une occupation, lorsque tant d’au­tres ne voulaient que le repos du sommeil, paraissait avoir environ cinquante ans. 11 portait sur son visage une expression de sa­gesse réfléchie et d’habitude de méditation. Ses traits, réguliers et beaux, ne manquaient pas de dignité, il y avait quelque chose de noble et de solemnel dans sa démarche, dans sa tournure et dans toutes les habitudes de

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son corps. Il y aurait eu de la malice dans son regard, et une expression sardonique dans sa bouche, s’il n’eût apporté une atten­tion extrême à dompter ces manifestations de l’état habituel de son âme; sa taille, sans être élevée, était au-dessus de la moyenne ; il ne manquait pas d’embonpoint. Sa peau était aussi remarquable, par sa finesse ex­traordinaire , que par la teinte brune qui la recouvrait ; il avait peu de couleur, mais une belle chevelure bien fournie et qu’il soignait


avec une attention minutieuse, la jambe iine et le mollet musculeux ; un pied d’homme de bonne compagnie ; des mains remarquable­ment belles, achevaient de compléter un en­semble très-agréable et où on retrouvait les manières du grand monde.

Des chausses de velours noir, des bas de soie blanche, des pantoufïles de brocard bro­dées en or, et garnies intérieurement de four­rure , une robe de chambre de même étoffe doublée en hermine, un bonnet de velours noir noué par un ruban couleur de feu, glacé d’or. Ce luxe, alors, était ordinaire, il com­mence à revenir parmi nous. Une chancelière placée sous le fourneau, servait à réchauffer les pieds du comte de Saint-Germain, car c’é­tait lui-même, occupé du soin d’une opéra­tion importante de haute-physique. Le roi lui avait confié un diamant de six mille livres et qui en aurait valu dix, si une tache ne l’eût pas déparé. Le comte de Saint-Germain s’é­tait engagé à la faire disparaître, et à rendre à la pierre toute sa dureté.


=— 65

Caixa de texto: SîQuel était ce comte de Saint-Germain? nul ne le savait positivement. D’où venait-il, quels étaient ses antécédens? aucun n’aurait pu le dire. Lui seul pouvait lever le voile dont il se couvrait et il ne lui plaisait pas de le faire. Certains, parmi les vieillards, pré­tendaient l’avoir connu, dès leur jeunesse, en quelque cour étrangère, et plus de soixante ans en delà, lorsqu’eux en avaient vingt ou vingt-cinq; lui, paraissait en avoir cinquante, sans que, depuis, il eût vieilli. Il demeurait stationnaire au milieu de la vie, tandis que ces adolescens, qui l’avaient vu si âgé, com­parativement à eux,étaient parvenus à une décrépitude complète.

Interroger le comte de Saint-Germain, sur sa patrie, sa famille, son existence, était chose inutile, il ne s’ouvrait pas là dessus, et lors • que des personnes de haut rang le question­naient, un silence opiniâtre ou un refus res­pectueux le maintenait dans sa position. Ce n’est pas que, parfois, il ne lui échappât des pa­roles étranges, qu’il ne tint, à tête reposée,


des propos tellement extraordinaires, que les auditeurs en étaient frappés de stupéfaction. On pouvait croire alors qu’il appartenait à une époque tellement reculée de l’histoire des hommes, qu’il avait assisté aux premiers erremens de la république romaine, suivi Alexandre-le-Grand dans ses conquêtes, con­versé avec Jules-César, et donné des conseils de conduite au sauveur du monde : témoin oculaire des plus grandes catastrophes mo­dernes, il aurait traversé le moyen âge et ob­tenu l’amitié et la confiance des princes et des reines les plus célèbres.

C’étaient des sujets de conversation si bizar­res, qu’on se demandait en l’écontant de quelle illusion on était dupe et d’où provenait ce cauchemar si particulier. Au reste, le comte de Saint-Germain, en s’énonçant ainsi, ne pa­raissait y attacher aucune importance ; c’était du ton de la gaîté , de l’indifférence, ou comme entraîné par la chaleur du débit ; alors il allait jusqu’au moment où une inter­ruption indiscrète, ou une sorte de réveil qui

Caixa de texto: rise Caixa de texto: OOi

/

le surprenait le faisait taire subitement \ quand ceci arrivait , il transportait à la troi­sième personne la phrase commencée à la première, de façon à pouvoir appliquer à une distraction ce qui était au fond le résultat d’un calcul adroit.

De hautes connaissances, une étude ap­profondie de toutes les parties composant l’ensemble de l’histoire naturelle, les scien­ces mathématiques, astronomiques poussées à un haut degré, une mémoire imperturba­ble , la possession des diverses littératures ré­pandues dans les quatre parties du monde, beaucoup d’esprit, de mesure, d’adresse et de véhémence achevaient de faire du comte de Saint-Germain un personnage recommanda­ble. Ses ennemis le gratifiaient de charlatan ; ses amis, ses admirateurs, et ceux-ci formaient le plus grand nombre, voyaient en lui un adepte par excellence, un être supérieur te­nant presque de la divinité.


11 est certain qu’en l’examinant de près on lui voyait faire de véritables prodiges, opérer

»

des guérisons miraculeuses, du moins en ap­parence , tenir un grand état de maison, sans revenus publics, sans ressources du jeu, car il ne jouait pas ; sans escamotage d’empyri- ques, puisqu’il donnait la plupart du tems les remèdes qu’il employait. Avait-il la pierre fondamentale ou le secret de fondre des dia- mans? tenait-il sa fortune d’une cause secrète ? tout cela était avancé, mais sans preuve, sans fondement.

Ce n’est pas que de tems à autre le comte de Saint-Germain ne se montrât sous un jour extraordinaire; que ceux admis dans son in­timité et capables de se taire ne fussent admis

*

à des manifestations étrangères, à voir de près des choses ressortant de l’ordre commun de la nature. Tout en lui avait une empreinte mystérieuse, et s’il avait parlé aux morts lorsqu’ils étaient vivans, il les contraignait par­fois à revêtir de l’apparence de la vie, et à se montrer sous leur figure d’homme tels qu’ils avaient été jadis. Deux ou trois scènes de ce genre avaient établi sa réputation chez


C


certains individus de manière à les rendre fanatiques; tous l’auraient défendu en cas de péril, si en lui-même, il n’eût pas trouvé des secours supérieurs à ceux que des mortels lui pouvaient offrir.

11 y avait déjà quinze ans au moins qu’il était connu de Louis XV et de la marquise de Pompadour; admis dans leur familiarité, bien souvent en tiers avec eux, jamais il ne * s était rendu importun , jamais une indiscré­tion, même légère, n’avait diminué la haute opinion inspirée par son mérite. Ne deman­dant pas, refusant avec habileté cequ’oti lui offrait ; donnant au contraire d’une manière toujours délicate, il se conservait dans une indépendance absolue. Le roi, à diverses re­prises , lui confia des missions délicates, des négociations importantes dont il se tira avec une supériorité peu commune. Ceci avait ajouté à l’affection qu’on lui portait, et ma­dame de Pompadour avait fini en quelque sorte par en faire son confident.

Tel étai t à l’extérieur ce personnage dont on

m’a beaucoup parlé sans trop le connaître, si durèrent de tous ceux qui parcoururent la même carrière: mais à l’extérieur ce n’était plus le même homme. On l’aurait vu, s’il avait été possible de pénétrer jsuqu’à lui pas­ser de longues heures pensif, sombre et même farouche ; il éprouvait les empreintes d’une douleur morale qui finissait par agir sur son corps. Tantôt immobile, sans parole, presque sans pouls, il restait enseveli dans des médi­tations déchirantes sans doute, car la sueur ruisselait de son front, ses membres se con­tractaient, et dans ses yeux passaient des éclairs lugubres, des expressions mélancoli­ques ou désespérées; tantôt il marchait d’un pas précipité, sa bouche proférait des paroles entrecoupées de gémissemens et de sanglots; il portait autour de lui des regards épouvan­tés; on aurait dit qu’il apercevait des visions épouvantables, ou qu’il était tourmenté par l’ennemi du genre humain.

Cependant, quoiqu’il ressentît, quelle que fût la sorte de souflrance qui le dévorât, il


ne souffrait pas que ses domestiques entras­sent dans le lieu où il se tenait habituelle­ment ; c’était cette galerie qui suivait sa

chambre à coucher , c’était un sanctuaire

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inviolable où il n’admettait qu’à de certaines heures encore les adeptes les plus distingués parleur supériorité et leur rang; tous autres en étaient soigneusement exclus, et quand il sortait il fermait à double tour la porte unique de la galerie , et ajoutait encore la sûreté d un cadenas sans clé chargé de caractères arabes et qui ne s’ouvraft qu’au moyen d’une combinaison géométrique.


On sait que le comte de Saint-Germain , quoiqu’il acceptât les invitations à dîner qui lui étaient faites par ses amis, ne mangeait ni ne buvait hors de sa maison. Il s’asseyait à table, refusait les mets qu'on lui proposait et se contentait de causer, ce qu’il faisait avec autant de grâce que de facilité. Un régime particulier, disait-il, lui était nécessaire, il ne se nourrissait que d’élixirs, que de compo­sitions végétales combinées, et jamais d’aucun


aliment dont la chair aurait fait la base. Cette singularité ajoutait encore à ce que son exis­tence avait dépiquant, et persuadait de plus en plus à la société que cette façon de vivre résultait de la nécessité où il était d’agir d’une manière différente des autres hommes

S

pour conserver sa santé et sa longévité.

Minuit sonnait, lorsque le calme habituel de la rue des Fossés-Saint Victor fut troublé soudainement par le pas d’un cheval qui la parcourait au galopv Sa pente rapide présen­tait des dangers à l'imprudent qui s’y enga­geait ainsi ; mais il est un âge auquel on ne connaît aucune prudence, et c’était le cas de ce cavalier étourdi.

Il s’arrêta en face de l’hôtel où demeurait le comte de Saint-Germain, et mettant pied à terre, passa la hride autour de son bras gauche , et de la droite se mit à heurter à la porte d’entrée avec tant de fracas , que non- seulement le suisse , niais encore la plus grande partie des habitans d’alentour furent éveillés en sursaut.

« Ho, hé ! ho , hé ! criait le nouveau venu : allons, vieux père, ouvre vite ; la nuit est finie , le tems presse, ouvre de par tous les diables, si tu ne veux que je ne te rompe le cou en attendant que Lucifer fasse griller ton âme. Ho, hé ! ho, hé ! suisse de malédiction , me feras-tu geler à cette porte ? »

Et de nouveaux coups précipités continue-

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rent d’arracher au repos les gens du voisi­nage , et d’autres paroles ironiques et accen­tuées par l’impatience, accompagnèrent ce vacarme inusité. Le suisse, interpellé pres- qu’avec arrogance, se souleva lentement sur son lit, prêta l’oreille, et convaincu que c’était à lui qu’on en voulait, se vêtit avec plus de lenteur encore, se délectant à punir, par le retard qu’il mettait, celui qui le déran­geait si mal à propos de son premier som­meil; enfin, il sortit de sa loge, s’avança vers la porte, et au travers demanda qui était là.

« C’est moi, damné ivrogne.

a — Qui , moi ?

m — Que t’importe mon nom. Celui de la personne qui m’envoie est suffisant pour te faire trembler. Allons, tire les verroux, si tu veux conserver tes oreilles et ta liberté.

» — Oui dà, Monsir, repartit le suisse qui, honnête Provençal, tâchait de pronon­cer quelques mots allemands pour conserver l’illusion de son costume : moi, avre la usa- che de ne laisser entrer que les meinhers de connaissance. Qui être vous ? qui vous en­voie? >i

Géréon n’aimait guère à décliner son pré­nom qu’il ne pouvait accompagner de celui de sa famille ; aussi, dans cette circonstance, se contenta-t-il de dire :

« Drôle, en me faisant attendre, veux-tu te brouiller avec la marquise de Pompa- dour ?

» — Cher meinher, par le grand saint Lazare, je suis tout dévoué à cette noble dame. Tron de Dioii ! je ne savais pas au nom de qui vous veniez , tneingot, meingot


peccaire, je Suis un pauvre homme, un digne suisse de la Méditerranée, j’espère que vous me pardonnerez un retard de vigilance. »

Et, en s’excusant ainsi, Nicolaon , dit Valther, tirait prestement les verroux, la barre maîtresse, et faisait en même terns tourner la grosse clé dans la serrure , afin d’aller plus vite. Enfin , un des deux battans tourna sur ses gonds, et Géreon entra sous le porche, suivi de son cheval tout trempé de sueur.

« Faquin, tu mériterais.. .. Il faut que je parle au comte.


» — Au comte de Saint-Germain, Mon­sieur ? on ne peut lui parler à cette heure, aucun de ses gens n’oserait entrer chez lui.... Mais, si madame la Marquise le veut. . Et le suisse, portant une lanterne sourde , se di­rigea vers le grand escalier. Géréon le suivit après avoir attaché son cheval à un anneau que son guide lui désigna dans la cour. Tous les deux arrivèrent au premier étage. Il fal­lut, ici, recommencer à sonner; enfin, le


valel de chambre du comte parut; et lui aussi, quoique de très - mauvaise humeur d’être ainsi réveillé, céda au pouvoir du noni delà favorite du roi de France. 11 savait que, qui pour que ce pût être, il ne lui était pas permis d’entrer à cette heure-là dans la ga­lerie; mais le comte prévoyant un cas ur­gent , avait fait poser une sonnette qui, du salon, aboutissait au cabinet, son labora­toire ; par ce moyen, il était prévenu qu’on le demandait, et pouvait, à son gré, répondre ou feindre qu’il était sorti.

Ce signal, donné en ce moment, le retira de sa méditation profonde ; il éprouva une inquiétude soudaine , car, qui le demandait à cette heure 1 Aussi ? quoi qu’il fût distrait d’un travail important, il ne balança pas à l’interrompre et à marcher vers sa chambre ; il prit les précautions ordinaires pour fermer la galerie, et parvint dans le salon où Géréon se réchauffait au feu que le valet de chambre venait de rallumer.

Le comte de Saint-Germain, jusqu’alors,


u

avait peu vu l’adolescent qui ne paraissait jamais par fierté chez la marquise, lorsqu’il y avait des étrangers, à part le roi. Peut-être que deux ou trois fois pendant ce nombre d’années, depuis son intimité avec madame de Pompadour, il l’aperçut traversant une antichambre, un escalier, ou courant dans le jardin ; mais trop de sujets occupaient le comte pour qu’il apportât de l’attention à un enfant qu’il croyait confondu parmi les do­mestiques , et à peine s’il lui en restait un

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souvenir confus.

Ne le reconnaissant même pas, il s’avança, et sa physionomie exprimant sa surprise.

« Que souhaite Monsieur ? demanda-t-il.

» — Je viens, répondit Géréon , de la part de madame la marquise de Pompadour; elle vous prie de venir, sans tarder, à Ver­sailles.

» — A cette heure ! et que peut-elle vou­loir de si puissant ?

» — Madame la Marquise ne m’honore pas de sa confiance, reprit Géréon avec une


teinte d’amertume, mais je pense qu’à la suite de l’assassinat du roi....

» — Le roi assassiné !.. .. prenez garde , jeune homme, à ce que vous dites, s’écria le comte tout éperdu, est-ce un piège qu’on me tend ?. *..

»—Monsieur, repartit Géréon impatiem­ment , ceux qui me connaissent ne me char­geraient pas d’une mission honteuse. Vous ignorez donc qu’hier, à six heures du soir, un homme appelé François-Robert Damiens a porté sur Sa Majesté un coup de cou­teau. »

Le comte écoutait avec une curiosité avide.

u Le roi est - il mort, ou du moins en péril de vie ? Est-ce des secours médicinaux qu’on me demande, je ne peux les promettre; je suis étranger, et une responsabilité ter­rible   Ah ! Monsieur , quelle affreuse

nouvelle !.. .. Un autre régicide... . un Ra­vaillac, ah !.. .. quelle horreur !... C’est à un page de Sa Majesté, que j’ai l’honnéur de parler ?

» — A moi n’appartient pas tant de gloire, répondit Géréon, il faut faire des preuves de noblesse pour entrer aux pages, et moi, on dit que je suis un bâtard. »

Il prononça ce dernier membre de sa phrase, avec une expression si aigre, si dé­pitée, que le comte l’examinant avec plus d’attention , éprouva lui aussi une sensation dont il ne démêla pas bien la cause ; mais il ne s’attacha pas à la définir en raison de la nouvelle sinistre qui lui était apportée ; il de­vina du moins combien un aveu pareil avait dû coûter à la fierté du jeune homme, et avec une politesse consommée, cherchant à lui faire oublier ce texte désagréable, il s’em­pressa de demander des détails sur le crime commis dès la veille à Versailles, Géréon les lui donna aussi complets qu’il les avait re­cueillis, sans pouvoir, toutefois, rien assurer de l’état du roi.

4

Le comte de Saint-Germain écouta ce récit avec une attention extrême, retint en lui les réflexions auxquelles il donnait lieu; ne se

souciant pas de manifester sa pensée devant un subalterne inconnu, il se contenta de le remercier de sa complaisance, le chargea de dire à la marquise, cette même nuit, qu’avant le jour, il serait à Versailles, où il attendrait ses ordres, et finit par proposer à Géréon quelques rafraîchissemens. Géréon accepta deux verres de vin du Rousillon, et puis, prenant congé du comte, alla rejoindre son cheval, auquel le suisse avait prodigué des soins afin de se bien remettre dans l’esprit de l’envoyé de la marquise. Celle-ci était crainte à l’excès; on ne citait aucun trait de sa bonté, et il y en avait trente à rappeler qui inculpaient son caractère.

Géréon repartit d’un tems de galop, et le bruit qui se renouvela prépara les habitans delà rue des Fossés-Saint-Victor, à la con­naissance de l’assassinat commis sur la per­sonne du roi, qui, le lendemain, tomba comme la foudre sur ce quartier paisible.

Le comte, demeuré seul, après avoir don­né les ordres pour qu’on préparât sur-le-


champ sa voiture, s’assit et se remit à mé­diter, non plus, cette fois, sur un point de science occulte, mais sur l’attentat régicide ; il essaya de percer le mystère qui l’environ­nait, et ne pouvant l’expliquer d’une ma­nière favorable, se leva en faisant un geste de colère, fut à la porte de la galerie, l’ou­vrit , la referma sur lui, la parcourut dans toute sa longueur, et, s’arrêtant au dernier meuble de boule placé auprès de son cabi­net , parut hésiter sur ce qu’il avait à faire.

Il porta autour de lui un regard inquiet, écouta comme s’il entendait les pas d’une in­telligence étliérée ou d’un démon de l’abîme, ne vit, n’ouït rien;... il se rapprocha de l’ar­moire toute d’ébène, surchargée d’arabes­ques de cuivre et d’étain, de riches ornemens en bronze, appuya sur le milieu une des ba­gues dont ses mains étaient chargées; un éclair vif brilla... les deux battans s’ouvri­rent avec une facilité extrême, tandis qu’un son plein et prolongé retentit comme si on eût frappé un tam-tam chinois.


Le comte ne s’étonna pas île ce qui lui était familier ; il prit, sur une des tablettes, un petit coffre de nacre, et en tira un mi­roir cabalistique d’environ trois pouces de diamètre, rond parfaitement, et qu’on sou­tenait au moyen d’une poignée d’argent. C’é­tait une surface unie, luisante, mais sur la­quelle aucun objet ne se réfléchissait natu­rellement; il fallait un concours de cérémo­nies auxquelles M. de Saint-Germain se livra.

A mesure qu’il prononçait les paroles irré­sistibles, l’éclat du miroir s’affaiblissait; il devenait semblable à une glace commune, revêtue de son teint, et dans laquelle diverses figures passèrent successivement. Le comte, à mesure qu’il les voyait, manifestait un étonnement inexprimable, et de tems en teins inquiet sur ce qui lui était permis d’ap­prendre, se remettait à regarder à l’entour comme s’il eût craint d’autres yeux ; il ne se lassait pas de cette occupation mystérieuse, lorsque la sonnette d’appel, ayant encore élé mise en jeu, il comprit que sa voiture était

\


Caixa de texto: »

prête et qu’il fallait partir; il renferma le miroir, ramena les battans de l'armoire qu’il scella au moyen d’une autre de ses bagues, puis partit pour Versailles, où il arriva à cinq heures du matin.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


4

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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I


CHAPITRE IV.


C'est avoir une mauvaise opinion des hommes , et néanmoins les bien connaître, que de croire , dans un grand poste , leur en imposer par des carressea étudiées, par de longs et stériles embrassemens.

.La Brutere , des Grands.

Omnia priüs experiri verbis , quant armis sapientem decel.

Jérome VEunuque , acte 4 > scène 7.

Un capitaine prudent tente, avant d'en­tamer les hostilités 9 les voies d'accommode­ment.



 


 

r

LES SOL PÇONS. .

v                                          s *                                 '

• •                                                  » j(î, i

A cinq heures, le cinq janvier ,• il est en­core nuit close à la latitude de Paris j néan-

« W

moins, le comte de Saint-Germain aperçut dans les environs et dans les rues de Ver-

                                                                      11 à                                                            *

sail les un mouvement inusité. La rigueur de la saison ne retenait pas la curieuse impa­tience des habitans au sujet de la santé du roi ; il arrivait,, d’ailleurs, de momens en momens une multitude de noblesse et de

^      .                                      m                                                                                                                                                                                                                      %

gens de toutes, les classes qui venaient faire


 


preuve de dévoûment et de fidélité. Les pos-

9

tes étaient renforcés, un escadron des gar­des du corps bivaquait dans la cour du château; des vedettes, des sentinelles, en plus grand nombre que de coutume, garnis­saient les avenues du palais.

On ne pouvait encore croire à la non-exis­tence d’une vaste conjuration ; les paroles me­naçantes que Damiens avait prononcées dans le premier instant de son arrestation, rem­plissaient les agens de l’autorité de trouble et d’inquiétude. Les ministres, d’ailleurs, cherchaient à faire remarquer leur zèle, le comte d’Argenson surtout; il jouait alors qne dernière partie ; il s’agissait de chasser la marquise afin de n’étre pas, un peu plus tard, la victime de son influence, et, pour cela, il faisait jouer toutes sortes de ressorts. En même tems qu’il se montrait au roi rem­pli de douleur et de zèle, il proposait dans le %

conseil que le Dauphin présidait, que les ministres allassent travailler avec le prince tant qu’il se trouverait investi de la qualité


île lieutenant-général du royaume, il disait

U                                ti

en outre, répandre des bruits injurieux à la marquise, et propres à exaspérer le peuple contre elle; on l’accusait, par son ordre, d’avoir provoqué le meurtre du roi : alléga­tion absurde, et néanmoins adoptée par cette tourbe vulgaire qui agit toujours sans réfté- f cbir. Déjà on se préparait à venir sous les fe­nêtres de la marquise proférer des menaces et des imprécations ; déjà, à la porte de son hô­tel, dans la ville, il avait fallu invoquer le concours de la garde pour dissiper un attrou­pement hostile provoqué en secret par les agens du comte d’Argenson.

D’une autre part, les amis de la reine, ceux du dauphin, ceux des jésuites et du clergé, tous exci tés aussi contre la marquise, environnaient le roi et paralysaient les efforts que faisaient en sa faveur deux seuls person­nages, l'abbé de Bernis et le docteur Quesnay.

Le premier ayant ses entrées, avait tout droit de s’approcher du monarque, et le second étant son premier médecin ordinaire , lui


parlait en liberté à tous momens. L’un et l’autre néanmoins étaient contrariés par la cabale opposée, et surtout par la malveil­lance du maréchal duc de Richelieu.

Madame d’Étioles était arrivée à la cour sous les auspices de ce seigneur, qui, dans cette circonstance, avait rempli le rôle peu honorable de l’ami du prince ; de tels rap­ports réciproques auraient dû former un lien étroit entre le due et la marquise ; le contraire advint. Ces deux personnages, op­posés d’humeur et de caractère, ne tardèrent pas à se séparer, non qu’une brouillerie écla­tante survint jamais , cela ne se pouvait à cause de leur position respective auprès du roi ; mais tout en ayant les apparences de l’intimité et même de l’affection, chacun chercha à rendre à l’autre tous les mauvais services possibles. C’est bien à la cour que l’on vit mettre journellement en action ce vers de Néron quand il parle de Brilannicus, son père :    .        ,

J’embrasse mon rivai, niais c'est pour L’tloufl’er.


 


»-v 89 <—

Il en résulta que, tout en se traitant bien , on se hait pleinement, et l’on se rendit en dehors tous les mauvais offices possibles. La marquise avait une amitié véritable pour le prince de Soubise, et dans chaque occasion c’était lui qu’elle mettait en avant. Cette même année il commanderait une armée plus im­portante que celle confiée au duc de Riche­lieu ; celui-ci en ressentait une vive jalousie j et, certain de se conserver l’amitié du roi, il s’efforçait sourdement d’aider à chasser la fa­vorite.                 »

Caixa de texto: ep

Madame de Pompadour, avant le milieu de la nuit, avait reconnu le péril de sa posi­tion ; on s’était opposé à ce que M. de Ma- rignv arrivât jusqu’auprès du roi, sous pré­texte que la Faculté ordonnait un repos ab­solu ; c’était le duc de Richelieu qui, avec une dextérité parfaite, s’était chargé de ce petit coup d’état, d’accord tacitement avec le comte d’Argenson ; il aurait bien voulu aussi congédier le docteur Quesnay et l’abbé de Remis, mais ec n’était pas possible. Le pre-

90 «-«

• •

mier ne dit qu’un mot en faveur de la mar­quise, il devait attendre que la frayeur de la mort fût passée ; le second parla d’elle, en reparla toujours ; et quoique le roi ne répon­dît pas , il vit que ses paroles ne lui étaient pas déplaisantes : c’était beaucoup.

Des messagers allaient et venaient avec une sorte de mystère, dans la frayeur de se

faire remarquer. Madame de Pompadour au-

*

rait été beaucoup plus rassurée si elle eût vu paraître chez elle le garde des sceaux ; il était attendu avec une impatience extrême, et ne paraissait pas. Cette négligence, de mauvais augure, tourmentait la marquise plus que tout le reste ; M. de Machault, son ami, la délaissant, c’était tracer à la courra roule à suivre, et la marquise, dans son égoïsme, accusait d’ingratitude la conduite du garde des sceaux.

Elle se regardait comme perdue ; elle au­rait souhaité d’avoir pour conseil, pour ap-

I

pui le comte de Stainville(ducdeChoiseuil), alors en ambassade à Vienne. La supériorité


de son esprit, son audace, son humeur aven­tureuse l’auraient rassurée , lorsqu’il ne lui restait pour unique défense qu’un médecin timide , et un abbé délié et non pas hardi. C’était au milieu de cette fluctuation d’idées qu’elle avait souhaite la présence du comte de Saint-Germain. La marquise, ainsi que la majeure partie des philosophes auxquels elle était affiliée, ne manquait ni de faiblesse d’âine, ni de superstition ; elle consultait en secret les devineresses, se faisait tirer les cartes |>ar la maréchale de Mirepoix, et dans vingt occasions s’abandonna à des pratiques dédaignées de la saine raison.

Le comte de Saint-Germain, dont parfois elle plaisantait, n’en avait pas moins sur elle un ascendant dont il ne profitait que de loin en loin ; il savait la conduire à ses lins par la terreur qu’il lui causait au moyen de ré­cits extraordinaires, de présages sinistres qu’il faisait remarquer à propos; alors elle tremblait, se montrait inquiète, embarras­sée, et tout en affectant une grande force'


d'esprit, cédait aux volontés de celui dont naguère la science occulte avait été le but de ses plaisanteries.

L’appeler sans retard était son désir, et Géréon, à qui Alexandrine avait demandé ce service, s’était empressé de le rendre ; il de­vait, à quelle heure qu’il revînt, faire savoir à la marquise s’il avait rencontré le comte. Lui, de retour à trois heures du matin , ap- prit à son tuteur Collin quéM. de Saint-Ger­main arriverait avant le lever du jour. Collin rapporta le message à madame du Hausset, et celle-ci en fit part à sa maîtresse.

La Marquise commanda alors qu’un de ses gens, choisi parmi les plus réservés, s’en fût attendre le comte de Saint-Germain chez le portier de l’hôtel garni du Poitou où il des­cendait à Versailles , afin de le conduire au château aussitôt qu’il paraîtrait. En d’autres tems, cela eût paru extraordinaire, mais cette nuit tout resortait du cours commun , à tel point le régicide à moitié commis dispensait des règles.


Madame de Pompadour n’avait pas voulu se livrer au repos, afin d’être plus tôt prête en cas de nécessité. Mille conjectures terribles l’agitant, tantôt elle s’imaginait que le roi l’enverrait chercher, tantôt que si ce prince expirait de sa blessure, le premier acte d’au­torité du nouveau monarque serait de l’en­voyer elle-même en exil, et peut-être dans une prison d’état, la marquise savait qu’il lui fal­lait tout redouter de la haine que lui portait monseigneur le dauphin, et dorft naguère il lui avait donné une preuve éclatante le jour de sa présentation en qualité de dame du palais de la reine. Le dauphin, lorsqu’elle vint à lui, se­lon l’étiquette, pour faire sa révérence et l'em­brasser , tira la langue et fit la grimace : cet affront sanglant mit la dame au désespoir, et, dès lors, elle dut penser â ce que l’avenir lui préparait si elle survivait au roi.

Monseigneur le dauphin avait dû lui faire des excuses, il en résulta de part et d’autre une aversion réciproque que, pour cette fois, aucun des deux ne prit la peine de cacher.


 


La marquise avait donc de justes motifs de craindre les mesures que le prince adopterait. Elles augmentèrent lorsqu’on lui eût appris que le roi, s’était aussitôt sa blessure reçue, reposé sur lui de tout le soin du gouverne­ment. Messieurs de Bernis et de Marigny ne cherchèrent pas non plus dans leur lit un sommeil qu’ils y auraient trouvé difficilement; ils demeurèrent auprès de la marquise , et la conversation entre eux trois fut péniblement continuée tant que dura la nuit.

Les nouvelles qui venaient de chez le roi donnaient des espérances. Madame de Pom- padour faisant un dernier effort d’autorité, avait envoyé dans l’appartement de Louis XV son écuyer, le chevalier d’iiénin de la maison d’Alsace, qui ne rougissait pas de son état de domesticité chez la femme du financier Le- normand d’Étioles et M. d’Urville, autre no­ble sorti de la Guyenne, et placé auprès d’elle en qualité de gentil-homme à la suite ; ces deux personnages prenaient les bulletins que leur faisait transmettre le docteur Quesnay et


 


les gens de la marquise les recevant de leurs mains, les portaient à celle-ci.

C'était avec une agitation , maintenue par l’incertitude de l’avenir, que les nouvelles rassurantes étaient reçues. Le premier chi­rurgien La Martinière , avait dit que si un

homme du commun eût reçu cette blessure ,

*

il ne s’aliterait pas. Ce propos annonçait le peu d’importance du mal réel, et, néanmoins, la marquise était tellement eiTrayée qu’elle ne le regardait que comme dicté par l’esprit courtisan ; c’était mal connaître La Marti­nière , homme rude, fâcheux et qui répétait . sans cesse :

u Mon métier est de soigner le roi, de lui dire la vérité sur tout ce qui le touche, celui de ces messieurs ( les seigneurs de la cour ) est de le tromper, de le distraire et de lui mentir. »                                                     '

Les heures paraissaient longues à la mar­quise. Cette nuit lugubre s’écoulait pénible­ment ; enfin , on lui apprit que le comte de Saint-Germain arrivait. Aussitôt elle pria le


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\

marquis de Mar igny et l’abbé de Bernis de passer dans une pièce voisine. Elle savait que 1 etranger mystérieux ne causait librement que dans le tête-à-tête. Il tarda peu à paraî­tre et s’approcha du lit de la dame, le visage monté à la solemnité de la circonstance, sa douleur ne devait pas étonner, d’ailleurs, à cause de la bienveillance que le roi lui témoi­gnait. Dès que la marquise feût vu, ses yeux se remplirent de larmes réelles, et portant son mouchoir pour les essuyer, elle tendit l’autre main au thaumaturge qui, charmé de cette marque de faveur, prit et baisa les jolis doigts qu’on lui présentait.

« Oh ! quel malheur ! s’écria-t-il, quel cri­me abominable !

» — Et vous n’en n’avez rien su à l’avance 1 et aucune révélation ne vous a mis en mesure de le prévoir et de le prévenir !

» — Les astres, les intelligences qui les gouvernent , les esprits élémentaires sont muets lorsqu’on ne les interroge pas. Cette race qui nous est supérieure en essence souffre


de la soumission à laquelle certain d’entre- nous la contraignent; ce sont des esclaves qiii portent leurs fers sans jamais s’attacher à leurs maîtres.

» — Vous n’avez pas songé à les question­ner sur les périls que pouvait courir une vie aussi précieuse ?

» — Pas plus que vous à me le demander, repartit M. de Saint-Germain, un peu piqué d’une question faite avec le ton du reproche. Ce qu’il répliqua porta droit au cœur de la marquise. Ce qui déplaît par-dessus tout aux

égoistes, est d’être attaqué dans leur for in-

• •

terne ; ils veulent qu’on se trompe sur ce qu’ils sont, et qu’on leur prête cette sensibilité qu’ils n’ont pas. La marquise interdite se tut

4     

un moment, et puis reprenantla parole.

» —Du moins, dit-elle, vous avez fait, après le crime connu, ce que vous négligeâtes auparavant.

I

» — J’avoue que je n'ai pu me retenir de consulter mon oracle.

x — Que vous a-t-il appris ?

Caixa de texto: 7i.


9H

— Madame, répondit le comte en re­gardant autour de soi, mouvement qu’il ne négligeait jamais quand il avait à traiter un point majeur ; la matière est trop importante pour en faire un simple motif de causerie, je sais  

Il s’arrêta. La marquise avait avancé la tête et l’examinait avec une attention avide ; aussi, quand il eut suspendu sa phrase, elle la reprenant avec vivacité :

» —Eh bien ! Monsieur, que savez-vous ?

Le comte baissant la voix et rapprochant le fauteuil qu’il avait pris.

» — Je sais le passé , le présent, l’avenir ; tout enfin.

» —Tout!... .ah! c’est beaucoup, et si vous êtes sincère.. .. Monsieur, songez que mon sort, celui de la monarchie , sont dans vos mains.... Au nom du ciel, qu’ avez-vous appris ?

» — Des choses sans pareilles ; elles m’é­tonnent, au demeurant, moins qu’elles] ne


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hi’épouvantent , et rien qu’à les révéler il y a un péril de mort.

» — Ah ! »

%

Cette exclamation fut tout ce que put lais­ser échapper la bouche de la marquise, à tel point son esprit, à l’instant d’une révélation si ardemment désirée , éprouva, à son tour un effroi occulte qui lui imposa le silence.

L’un et l’autre des interlocuteurs se main­tinrent en cet état pendant quelque tems; l’un, craignant d’interroger, l’autre de s’ex­pliquer clairement. La situation était trop pénible pour que néanmoins, on ne l’abrégeât pas. Ce fut la dame qui en sortit la première.

« Comte, dit-elle si faiblement qu’à pei­ne M. de Saint-Germain l’entendit, vous pourriez donc faire connaître le nom des coupables ?

» — Oui I

» — Est-ce du côté du parlement qu’il faut les chercher ?

» — Non.

» — Je m’en doutais. Et les philosophes 7


» — Madame , repartit le thaumaturge avec un accent particulier, ces messieurs sont si faibles qu’ils ne sont encore qu’à la théorie. Le moment de la pratique ne viendra pas aussitôt pour eux.

» — Les soupçonneriez-vous de vouloir mettre un jour en pratique les maximes

atroces de l’école de Loyola.

%

» —Je ne soupçonne pas, j’affirme.

» — Dans ce cas mieux vaut les étrangler en même tems que les autres.. .Ainsi ce sont les bons pères qui ont porté le coup par le bras de ce vilain monstre ?

Le comte se tut.

« Qui ne dit mot consent, poursuivit la marquise.

» — Le proverbe est vieux.

» — Manque-t-il pour cela de vérité ?

» — Lui et les autres sont le fruit de l’ex­périence des nations.

» — Fort bien, voilà parler. Nous sau­rons désormais de qui on doit se garantir, de ces demi-moines aujourd’hui, et, plus tard,


de nos amis de l’encyclopédie. Est-il possi­ble! les philosophes deviendront régicides un jour?.... Encore votre silence favori.... Je peux donc renouveler l’application du pro­verbe Eh bien ! cela ne m’étonne pas,

ces messieurs vont trop loin. Je sais qu’en secret ils ricanent de la confiance que le roi m’accorde, qu’il m’accordait, du moins, car, à quoi ne dois-je pas m’attendre depuis qu’il est au pouvoir de mes ennemis?.... En sa­viez-vous quelque chose?.... M’auriez-vous oubliée dans vos travaux cabalistiques?

Caixa de texto: renverser tora-» — Devez-vous le penser?.... Tranquilli­sez-vous, ceux que je consulte vous sont fa­vorables ; et qui espère vous bera lui-même.

» — Ah ! cette prédiction menace le d’Ar- genson, M. de Fier-en-Fat, qui ne peut me souffrir, il est vrai, continua-t-elle en accom­pagnant ce propos du premier sourire qui, depuis la veille au soir, eut paru sur ses lè-

t

Vies ; que c’est bien à charge de revanche !


» — Oui, lui; et le comte hésita. La

marquise s’en aperçut.

%

» — Ne serait-il point seul à sauter le pas?

Quoi, nos chers jésuites aussi ?........ En effet,

puisque ceux-là pareillement sont coupables.

>; — Eux et d’autres aussi.

» — D’autres encore.... leurs noms ?

» — Je dois le taire.

» — Vous ne le pouvez-plus, la destinée du royaume est là. »

Le comte de Saint-Germain laissa voir, à l’expression de sa figure, qu’il était véritable­ment contrarié; néanmoins, trop avancé pour reculer, certain d’ailleurs que la confidence qu’il allait^aire, commanderait impérieuse­ment la discrétion à qui la recevrait, il se pencha vers le lit et la marquise prêtant l’o­reille entendit.... Un cri terrible, d’horreur, de doute, de conviction, tout ensemble, lui échappa; elle se releva en arrière, mit les mains sur ses yeux et demeura ainsi, comme si elle eût vu la fameuse tête de Méduse. Le


 


 


révélateur, au contraire, reprit sa position calme, il attendit l’eifet qu’à l'avance il était certain de produire. iVIais la marquise, de son côté, se livra à des réflexions solennelles ; une sorte de frayeur s’empara de son âme, qui eût payé cher de pouvoir, à volonté, repous­ser ce qu’on lui avait appris, et pour s’en dé­livrer se réfugier dans son ignorance précé­dente. Cela n’était plus possible, ce nom dit tout bas avait pour elle le retentissement du tonnerre ; il causait en son esprit une confu­sion, une épouvante inexprimables. Qu’en fe­rait-elle? comment s’en débarrasser? à qui le dire, surtout? Ce fut l’objet principal de sa méditation profonde.

Le père du mensonge, dans cette circons­tance, avait fasciné la vue du comte de Saint- Germain, et le nom mystérieux que flétrissait l’accusation du crime, en était pur devant Dieu et devant les hommes : mais la scéléra-

tesse de ceux-ci ne parvint que trop à noircir

%

tant de vertu dans l’esprit du roi.

Loi’sque madame de Pompadour rouvrit

les yeux, elle les porta soudainement sur le comte; il était là, impassible, ayant eu le loi­sir de remonter sa physionomie ; on eût dit qu’il avait répété la phrase la plus insigni­fiante, à tel point il était tranquille. Quant à elle il n’en était pas ainsi, l’orage élevé par un mot ne se dissipait pas avec une facilité pareille. Elle avait déjà oublié les jésuites, le ministre d’Argenson ; un nom seul concen­trait toutes ses pensées et la livrait à de si­nistres méditations.

Ni elle, ni lui, n’eurent l’envi de continuer à traiter ce texte; ils en remirent la discus­sion par un accord tacite à une époque plus éloignée. C’est ce qui arrive toujours dans les cas majeurs, il est rare qu’on les épuise d’a­bord : on les expose, on a l’air de les aban­donner, puis on y revient comme par hasard; on les laisse, on les reprend encore, et enfin, lorsqu’on s’est bien familiarisé avec eux, alors on s’en nourrit— C’est presque toujours la marche des mauvaises actions commises, d’a­bord pensée rapide, on arrive par degrés à son

exécution. La marquise, dans le fait présent, occupée d’ailleurs uniquement d’elle-même „ revint à l’espérance que le thaumaturge lui avait montrée, et, sur ce point, le questionna avec persistance. Les réponses du comte n’é­taient jamais claires ni précises, il les enve­loppait toujours d’une opacité propre à four­nir matière aux réflexions, et à maintenir dans l’incertitude. Cependant, en cette cir­constance, il affirma que le triomphe de la cabale serait rapide et sans durée.

« Mais les prêtres, dit la dame, ne renou­velleront-ils pas la scène de Metz? »

La marquise faisait allusion au renvoi de la duchesse de Châteauroux qui eut lieu lors de la grande maladie que le roi eut dans cette ville, renvoi que provoqua la rigueur apostolique de M. de Fitz-James, évêque de Soissons.

Le comte répliqua :

« Est-ce que cette belle personne manqua ' de revenir?                                      '                J*

» —N’importe, faites que je ne parte pas, je périrais en face d’un tel affront.

» — Je suis sans crédit à la cour.

» — Au lieu où vous en avez, on doit , avoir des intelligences avec elle, profitez-en, servez-moi ; et quoique vous demandiez pour vous ou pour autrui....

» — On ne fait pas trafic de l’amitié, madame, repartit sévèrement le comte de Saint-Germain, elle fait défaut chaque fois qu’on la met à l’enchère.

» — Allons, allons, ne vous fachez-pas. Faut-il m’en vouloir de ce que je me laisse égarer par ce qui se passe au lieu où nous sommes, ici tout a son prix ; le dévoûment, la fidélité, l’amitié, et même l’amour? Ce sont des marchandises ayant cours sur la place et qu’on y débite aussi avantageusement qu’on le peut. »                                  *

Cette manière de s’exécuter ne plut point au comte, il garda le silence, la marquise vou­lant le conduire sur un autre terrain.

« Je crois, dit-elle, que, malgré ma faveur,


si le roi me la continue, je ferai bien de m’appuyer par le crédit de quelque grande

maison...... Que penseriez-vous du mariage

d’Alexandrine avec un seigneur choisi parmi les familiers du roi ?

» — Ce serait un moyen bon, je l’ap­prouve.

» — Et sur qui porteriez-vous les yeux ? «

Le comte, ainsi interpellé, passa en revue les jeunes gens à marier, et s’arrêta sur le duc de Fronsac.

« Le fils du maréchal de Richelieu ! s’é­cria la marquise, y pensez-vous? je déteste son père.                                        -

» — Aussi, n’est-ce pas celui-ci que je veux vous faire épouser.

» — Il me hait et je ne saurais comment m’y prendre....

» — N’êtes-vous pas dans un pays où tout a son prix, où le dévoûment, la fidélité et même l’amour, sont des marchandises ayant cours sur la place, et que l’on débite aussi avantageusement que l’on peut? Que le duc


-* 10S <-«

de Richelieu ne vous aime pas, qu’il vous inspire de l’aversion, qu’importe à l’un et à l’autre, ce sentiment haineux est réciproque, si votre intérêt gagne à un rapprochement. L’ambition du maréchal est un véritable in­cendie capable de tout dévorer; il lui faut des alimens, et, certes, je présume que leur qualité ne le tourmente guères; voyez de l’at­tiser à votre avantage.

» — Le duc de Richelieu, dit la marquise avec lenteur, et comme si elle n’eût parlé qu’à elle-même.... lui qui, tantôt, a repoussé mon frère de la chambre du roi, lui que j’ai inscrit en lettres rouges sur mes tablettes, de­viendrait le beau-père de ma fille, et je fe­rais mon fils du sien!.... le coup serait pi­quant;    non, il deviendrait rude; pour

moi..... je préférerais m’allier à une autre

maison, afin d’être libre d’abaisser celle-là.......

Le roi aime le duc,.... c'est l’habitude de toute sa vie, et l’habitude, chez le roi, c’est le sen­timent chez un autre.... Ne serait-ce pas, en outre, désagréable au duc?...- Si ce l’était, oh î


quelle joie!.... Oui, sans doute, cette alliance lui déplaira, sera pour lui une torture, un

supplice réel.... dans ce cas...... oh ! elle aura

lieu.... Il y aura tant de douceur dans cette

vengeance, et puis ma fille sera heureuse :....

s’asseoir chez la reine, au souper du roi...........

oui, c’est le bonheur.

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J*


Numérisé par Googlo

CHAPITRE V


A la cour on se fait une vertu du primo mihi ; chacun se livre au culte de soi-même , et on s’immole en holocauste l’amour et l’a­mitié.

Recueil de Maximes.

Tous les hommes sont clairvoyans sur leurs inte'rêts , et il n’arrive guère qu’on les en de'tache par la ruse.

V JklJVENARGUE.

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Le comte de Saint-Germain, en sortant de chez madame de Pompadour, la laissa plus tranquille qu’elle ne l’était avant sa ve­nue ; il avait employé, pour produire cet ef­fet , un remède certain, celui qui donne un nouveau cours aux idées; la marquise avait désormais à s’occuper de remonter jusqu’aux premiers assassins du roi, de travailler au mariage de sa fille, et, mieux encore, de combattre avec espérance de succès, la ca-

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©—► II4                                 '

baie attachée à lui nuire. Tout cela, quoi-

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qu’elle fut portée à s’alarmer de sa situation présente, la distraisait en divisant le fil de

ses idées.

La conférence avait été longue, et parut telle à MM. de Bernis et de Marigny qui at­tendaient, dans le cabinet de la marquise, le départ du comte de Saint-Germain; ils rentrèrent dès que celui-ci se fut éloigné, et chacun reconnut que sa présence avait pro­duit un bon effet. Madame de Pompadour, au milieu de son inquiétude non encore dis­sipée , paraissait plus calme ; ils allaient lui en demander la cause, lorsqu’elle les pré­vint.

u C’est un homme bien habile et un ami très-dévoué, qüe M. de Saint-Germain ; al­lons , Messieurs, tout fe’awahgertt, espérons» — Què Vôds a-t-il àppris, ma Sortir? de­manda M. dé Marignif.

» — Peu de fchoses, mon frère ; cher abbé, pôursUivit-ellé en se tournant vers M. de Ber­nis, Vos amis sont d’épouvantables canailles.

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—Grand merci, Madame, des amis dont Vous me gratifiez si libéralement; mais que le ciel me confonde si, parmi les hommes de ma connaissance, il en est un seul à qui je voulusse appliquer cette qualification.

» — Ceux que je traite ainsi, ce sont cés infâmes jésuites. »

L’abbé fit une exclamation de surprisé et M. de Marigny en même tems.

« — Prenez-garde, ma sœur à ce que vous dites, nous sommes en un moment où il con­vient de mesurer nos paroles.

» — Ah ! marquis, est-ce à vous à me tracer des règles de conduite ? Je croyais, au con • traire, que c’était à moi à vous conduire par des lisières. Tenez-vous tranquille, je sais, Dieu merci, ce que je dois dire ou taire. Oui, des jésuites ont assassiné le roi. »

Ici, nouvelle manifestation d’étonnement de la part de l’abbé, et geste de mauvaise humeur de M. de Marigny qui, même furieux de la dure réponse de sa sœur, sortit brus­quement de la chambre. La marquise le sui-

vaut des yeux, dit, aussitôt qu’il eut fermé la porte :

« En vérité, cet enfant s’imagine être un homme, et paree que je l’ai fait quelque chose, il s’imagine être tout... cervelle légè­re... Mon ami, je suis malheureuse dans ma famille.

» — Si un tendre attachement pouvait vous dédommager de ces contrariétés pénibles.........

w

» — Je puis tout 6ur vous , j’en ai la preuve, vous ne me manquez pas aujourd’hui, mais M. de Machault, est ce là un ami !

» — Ne vous pressez pas de le juger défa­vorablement , la circonstance est difficile ; savez-vous s’il vous oublie ; il n’est pas venu vous voir, peut-être n’est-ce que pour mieux travailler à vos intérêts.

» — Vous lui prêtez vos sentimens, et moi je vois les siens ; il travaille, non à me ser­vir , mais à me perdre. L’insensé ! comme si ma cause n’est pas la sienne, comme si le clergé lui pardonnera jamais.

. »—Et des jésuites , que savez-vous donc l »


La marquise, en retour de cette question, conta ce que M. de Saint-Germain lui avait appris et qu’elle croyait en manière d’article de foi. L’abbé, dont l’opinion était opposée * à la sienne, n’apporta pas la même crédulité sur ce point, et même essaya de le combat­tre ; ce fut sans succès : il cessa même bien­tôt, reconnaissant qu’il ne parviendrait pas à changer des préventions fortement enraci­nées et augmentées par la frayeur du mo­ment.

La journée s’écoula sans accidens nou­veaux jusque sur les trois heures du soir. Les nouvelles du roi devenaient de plus en plus favorables, lui seul encore croyait au danger; on ne trouvait dans l’arme qui l’avait frappé aucune trace de poison, il n’en paraissait pas non plus dans la blessure. MM.de la Marti- nière et Quesnay regardaient la guérison com­plète comme étant très-prochaine. Le roi, cependant, ne revenait pas de sa stupeur ; il renvoyait tout à son fils, qu alors il ne ja­lousait pas, et, occupé de soi, de pratiques



religieuses, et de conclure une paix momen­tanée avec le ciel, ne faisait rien dire à la marquise, gardant un silence opiniâtre cha­que fois que l’abbé de Bernis prononçait son nom.

Celui-là n’avait garde de dire franchement à la marquise ce qui se passait ; il voyait avec douleur le déclin rapide du crédit de son amie , sans prévoir de quelle manière il se­rait rétabli. Le parti de la reine et du dauphin augmentait de consistance ; et, dans cette sw tuation critique, M. de Bernis, dont le zèle ne se ralentissait pas, crut devoir parler de la marquise au garde des sceaux.

« Ne la verrez vous point? lui dit-il.

» — Avant la nuit je serai chez elle, fut-il répondu; il faut que je lui parle, sa position est fausse, elle doit en sortir. »

L’abbé, à ces mots, se flatta que le garde des sceaux se rappelant le zèle que la mar­quise avait mis à le soutenir chaque fois que son crédit était ébranlé par les attaques du clergé , ne manquerait pas de reconnaissance

en celte occasion , et courut vers madame dp

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Pompadour, afin de lui faire partager son espérance. La marquise, rassurée déjà par une autre conversation avec le comte de Saint-Germain, revenu dans la matinée, se crut au-dessus de la cabale, et se rappelant le service que Géréon lui avait rendu la nuit précédente, le fit appeler.

Alexandrine, présente à l’ordre que don­nait sa mère, sentit son cœur battre et une vive émotion la saisir. Jamais , jusqu’alors, la marquise n’avait demandé Géréon. Que lui voulait-elle ? Si peu disposée en faveur de ce jeune homme sur qui, à peine, on la voyait laisser tomber un regard. Géréon ne tarda pas à paraître.

« Tu m’as servi tantôt avec zèle, mon ami, la nuit était froide , la course longue; ta promptitude a servi mon impatience , je suis contente du service que tu m’as rendu ; prends ceci pour acheter des dragées. C’étaient dix louis enveloppés dans du papier. Géréon rougit, se recula, et, retirant plus encore


la main au lieu de la tendre, dit brièvement qu’il était heureux d’obliger les autres.

», — Prends donc ceci, c’est une récom­pense légitime.

» — Je ne suis pas l’un de vos domestiques, madame, répondit Géréon.

» — Quoi ! tu me refuses, et qui es-tu, lorsqu’à la cour tous acceptent un bienfait ?

» — Ils leur sont nécessaires, sans doute , quant à moi, je n’ai besoin de rien.

», — Tu es le premier..., dit la marquise en pâlissant, et qui, dans ce refus parti de si bas, selon elle, voulait voir un présage de sa dis­grâce prochaine... Crois-moi, sois moins fier, tu n’es pas assez grand pour l’être.

>» — Ni assez madame, pour m’avilir volontairement. »,

Le courroux s’alluma dans les yeux de la marquise.

« Drôle ! dit-elle , sors et ne parais plus

• • .

ICI.

» — Oh! maman, s’écriaAlexandrineem-


portée par un élan involontaire, ce pauvre garçon, pourquoi le maltraiter?

» — Taisez-vous , mademoiselle, ce sont vos bontés, les miennes , qui ont rempli d’or­gueil ce petit monsieur... un enfant de la rue../

» — Ah ! madame, que vous ai-je fait pour me traiter ainsi,... me reprocher ma nais­sance, et si à mon tour...

» —Sortez, Géréon, dit précipitamment Alexandrine ; vous*êtes fou, c’est certain , ne soyez pas ingrat. »

La marquise regarda sa fille avec satisface tion, et se méprit au sens apparent de ce re­proche. Géréon fit un mouvement de dou­leur et s’éloigna en oubliant de faire le salut d’usage, et madame de Pompadour embras­sant sa fille.

(f Tu soutiens ta mère, Ah î mon enfant, peut-être que bientôt il ne lui restera que ton seul appui...


» — Celui-là ne vous manquera jamais, répondit Alexandrine.


» — Quant à ce polisson , il faut que Col­lin m’en délivre, je ne peux le souffrir. »

Le trait pénétra dans le cœur de la jeune fille ; elle sentit qne sa physionomie le laisse-

                                                               I

rait connaître, et, pour l’éviter, détourna sa tête, en même tems que d’une voix douce et caressante, elle dit :

%

« Vous êtes bien bonne de vous amuser à haïr cet enfant ; il est vif, mais il nous ai­me , voyez ce qu’il a fait cette nuit.

» — Son insolence me,fatigue, il a tou­jours le front élevé, il ne craint ni ne respecte personne; qu’il parte, je le veux... il est de­vant moi comme la têle de mort aux festjps des rois d’Égypte. »

Alexandrine ne répondit pas, mais son vi­sage se couvrit de larmes.

« Qu’est-ce? demanda sa mère très-éton­née.

» — J’ai tant joué avec lui; il est si com­plaisant pour moi!... non, maman, ne ren­voyez pas ce pauvre garçon, où irait-il sans fortune ?


La prudence abandonna celte fois la mar­quise; elle céda au désir de combler sa fille qui paraissait regretter le compagnon’de ses jeux.

« Détrompe-toi, dit-elle, Géréon est riche, et beaucoup ; il possède au moins un million, et avec tant d’argent il ne manquera de rien.

« — Un million! dit Alexandrine, et pourquoi, dès lors , en faire une sorte de do­mestique? pourquoi ne pas l’élever en con­formité de son rang?

» — Lui un rang ! cette espèce... ma fille, en vous familiarisant trop avec lui, vous ou­bliez le vôtre, c’est un bâtard.

» —Qu’est-ce? demanda Alexandrine. »

Sa mère se repentit de sa précipitation, mais comme elle avait de l’esprit, elle répon­dit sans hésiter,

« On appelle ainsi l'enfant de peu, orphe' lin , et dont on ignore le lignage. »

Alexandrine allait continuer ses questions, lorsque les deux batlans de la chambre fu-


rent ouverts, et un valet annonça Monsei­gneur le garde des sceaux !

A cê nom, la marquise se leva subitement; elle sentit en même tems sa faiblesse, et re­tomba presqu’aussitôt sur la bergère, où elle était assise, tandis qu’elle faisait signe à sa fille de sortir. Alexandrine s’éloigna lente­ment, moins encore, toutefois, que ne ve­nait M. de Machault. Il parut enfin avec sa mine froide, sévère, immobile, à laquelle prêtait une nouvelle solennité, cette perru­que d’étiquette, cette simarre, vêtement per­pétuel imposé à sa dignité. Il s’avança vers la marquise, debout une seconde fois, mais dont les genoux flageolaient trop pour qu’elle pût venir audevant d’un si éminent person­nage. Le garde des sceaux la salua comme il eut fait envers une cour souveraine, sans adoucir l’austérité de son front par un sou­rire; et lorsqu’on lui eut approché le fauteuil

auquel il avait droit de prétendre, il s’assit

*

posément sans avoir encore dit un mot.

Madame de Pompadour, que ces formes cé-


rémonieuses mettaient au supplice, surtout à une heure où il lui tardait tant d’appren­dre si M. de Machault venait comme ami ou comme ennemi, ne put se maintenir dans une tranquillité pareille à la sienne , et rom­pit le silence qui régnait d’abord.

« Monseigneur, dit-elle, en quel état avez- vous laissé le roi, car je présume que vous venez de chez lui.

» — Aussi bien qu’on peut l’être lorsque lame et le corps sont malades, lorsque l’on souffre ainsi doublement.

» — Ses sujets, tous ceux qui le chéris­sent, partagent ses maux. Ma douleur est immense. Oh ! pourquoi ne me suis-je pas

trouvée entre lui et l’assassin !

#

» — Nous avons chacun formé le même vœu ; Dieu a voulu que le crime eût un com­mencement d’exécution, afin de faire briller mieux le courage héroïque de Sa Majesté.

» — Hélas ! que j’aurais besoin d’en possé­der une partie, moi, plongée dans un déses-


 


poir dont rien n’approche; moi, qui depuis vingt-quatre heures suis livrée à des angoisses inexprimables, et telles qu’on ne peut les apprécier : on m’a laissée seule; mes meil­leurs amis, non moins que les autres; et pourtant je ne leur ai jamais manqué quand ils ont eu besoin de moi.

» — Il en est, madame, reprit le garde des sceaux sans se départir de ses formes gla­cées, qui, depuis l’instant du forfait, n’ont pu disposer d’une minute; moi, par exem­ple, j’avais tant de travail. J’ai néanmoins pensé à vous, et bien compris l’amertume et la difficulté de votre position. Oui, certes> j’en ai eu l’âme brisée. »


M. de Machault acheva de prononcer cette phrase sentimentale, sans détendre un mus­cle de son visage, sans qu’une plus douce inflexion de voix l’animât; et, quand il eut fini, il tira sa tabatière, l’ouvrit, la présenta à la marquise qui fit un geste négatif, prit du tabac et demeura immobile : on aurait cru une statue se mouvant par ressorts. Madame

de Pompadour, entraînée par son dépit, fit une faute car elle repartit :

« Oui, ma position est affreuse.

» — Je vous fais observer , madame, que d’abord j’en suis convenu, et qu’ensuite j’ai ajouté difficile, je dirai même embar­rassée.

» — Je ne vois pas trop comment, répon­dit la marquise en mentant à sa conscience, et en ayant l’jtir de ne pas comprendre une allusion très-facile à saisir.

» — Quoi ! n’apercevez-vous pas ce qui est, voilà le roi blessé dangereusement.

» Son chirurgien et ses médecins affir­ment le contraire.

« —11 a senti dans son cœur se réveiller des préjugés respectables»... des sentimens religieux...

Caixa de texto: »— M. de Machault, dit la marquise en l’interrompant, et avec autant d’aigreur que d’impatience, auriez-vous été, par hasard, frappé de la grâce, en même teins que le roi l’a été du couteau d’un scélérat ?


Il sentit la malignité de la réplique, et , toutefois, sa physionomie n’en laissa rien pa­raître, et ripostant :

. « Il ne s’agit pas de moi, madame, mais du roi de France , de lui uniquement ; il il veut donner un grand exemple à son peu­ple , et recourir aux consolations qu’on trou­ve dans l’observance du cuite ; il va commu­nier : que ferez-vous ici pendant ce tems ?

Caixa de texto: l

» — Mais.... mon devoir de^dame du pa­lais de la reine.... j’ai, je crois un droit bien acquis.... incontestable; des fonctions tra­cées par le cérémonial ; il n’est rien d’équi­voque , rien de scandaleux, en conséquence, dans ma persistance à demeurer dans le châ­teau. Le roi vient me voir, me distingue, c’est vrai ; mais suis-je la seule ! Ne va-t-il pas chez la princesse de Marsan, chez ma­dame de Brionne, chez la maréchale de Mi- repoix. Faudra-t-il que ces dames sortent du château pour que le roi communie ? encore serait-ce mieux que nous déshonorer en masse, plutôt que de s'attaquer à moi en

particulier. Est-ce M. d’Argcnson qui donne ce conseil?

» — C’est mon amitié seule qui le dicte> répliqua M. de Machault, mon amitié pour vous qui prévoit des scènes désagréables, et dont les conséquences.... Croyez-moi, allez passer quelques jours à Paris, vous vous en trouverez bien ; votre présence ici engage à vous combattre : quand vous n’y serez plus, vos amis travailleront à vous y rappeler.

m — J’aime mieux moi, présente, qu’ils me servent d’auxiliaires; j’avais compté sur vous et vous êtes passé dans le camp en­nemi.

„ — Je suis, auprès du roi, à ma place ; la vôtre, madame, au milieu du trouble où nous sommes, serait mieux ailleurs. La reine peut élever la voix, monseigneur le Dauphin l’entendre; il a un plein pouvoir....

» — Le roi est-il mort ?

» — Il est malade !

» — En danger ?

» — De perdre son âme.


» — Monsieur, je croyais qu’entre la si- marre de garde des sceaux et le froc d’un ca­pucin , la distance était longue.

» — Madame 1-

» — Oh ! souffrez la vérité, à l’instant où vous ne la ménagez pas ; ayez, s’il vous plaît, un seul poids et une seule mesure.

» —. Voilà comme nous sommes tous par­tiaux dans notre cause.

— » Vous en faites l’application en bien , à la bonne heure, nous commencerons à nous entendre.

» — C’est ce que je souhaite, madame et chère amie, dit M. de Machault en sortant de sa froideur permanente, en donnant à ses traits une expression qui effraya la mar­quise. Un changement si subit la troubla. Pourquoi m’en vouloir, poursuivit-il, je suis tout à vous : suis-je responsable de ce qui se passe ; suis-je coupable de ce qui agite l’es­prit du roi?Votre aigreur, vos soupçons, vos reproches font un mal à ma sensi­bilité. ....


» — Votre sensibilité ! miséricorde ! s’écria la marquise encore plus épouvantée , en aü- riez-vous, par hasard ? Je vous croyais de bronze.

» — L’apparence est trompeuse , repartit le garde des sceaux avec un sourire qu’il chercha à rendre expressif , et qui, en résul­tat , ne fut qu’une laide grimace j vous n’avez pu jamais lire complètement au fond de mon cœur, parce qu’il a la force de vous taire la meilleure partie de l’amitié ardente qu’il vous porte ; je viens aujourd’hui pour vous le prouver , et vous m’accueillez avec une ri­gueur.. ..

» — Eh ! Monseigneur, comme fait une personne qu’avec beaucoup de révérence on veut précipiter dans la boue ; elle s’accroche et se défend comme elle peut.

» — Pensez-vous que, bénévolement, je vous donnerais un avis désagréable ; que je chercherais à vous faire tomber, vous dont les bons offices me seront nécessaires ? Chan­gez d’opinion, croyez à mon chagrin , à ma


volonté contrainte par la force des circons­tances, à l’inflexibilité des devoirs pénibles de ma charge.

» —Avant d’aller plus loin, Monsieur, permettez une question : est-ce un ami qui vient me consoler dans mon affliction ex­trême ? Est-ce monseigneur le garde des sceaux que j’ai l’honneur de recevoir ?

» — L’homme public, repartît M. de Machault, désirerait ne point paraître, afin de vous laisser la gloire de votre détermi­nation. »

Cette réponse significative atteignit la mar­quise dans son ambition , dans son orgueil, dans son amour-propre; enfin, dans tout ce qui remplissait son cœur. Sa figure pâlit, ses traits se décomposèrent ; elle voulut parler, et d’abord ne le put, à tel point qu’un trem­blement convulsif l’empêcha d’ouvrir la bou­che ; mais aucune larme ne jaillit de ses yeux fixes et allumés ; enfin, faisant un effort qui

la brisa intérieurement :

» *

» — Ainsi, le roi me chasse, et vous a

choisi pour cette mission que vous avez ac­ceptée : eh bien ! Monsieur, elle m’eût été moins affreuse de la part du comte d’Ar- genson.»

Le garde des sceaux fit un geste de re­gret ; la marquise, voyant qu’il se taisait :

« Et en quels termes, poursuivit-elle, le roi vous a-t-il dit de me renvoyer ? Vous de­vez sëntir que je tiens à les connaître dans leur forme sacramentelle.

» — Le roi, répliqua M. de Machault ren­tré déjà dans son impassabilité ordinaire , vous aime toujours, il craint de vous affli­ger; il n’ordonne rien, il désire, voilà tout. Prêt 'à remplir ses devoirs religieux, il re­doute que le clergé ne lui demande compte de votre séjour à Versailles ; que les personnes intéressées à vous perdre ne le forcent à vous congédier avec un éclat d’autant plus fâ­cheux, qu’il serait irrémédiable , et que l’or­dre une fois donné ne pourrait être révo­qué; au lieu qu’un voyage momentané de quelques jours, d’une semaine................................. C’est, là

toutj ma franchise vous doit cet aveu, mon amitié vous convie à en faire un bon usage.

» — Quoi ! vous pouvez me conseiller d© partir ?

» — Oui ! parce qu’en restant, vous com­promettez votre cause.

» — Mais, Monsieur, qui quitte la partie la perd.

» — Madame, un proverbe n’est pas une loi ; vous résistez aujourd’hui à ma prière qui vous laisse la porte ouverte pour revenir, demain peut-être, un ordre intimé la fermera sans retour. J’ai dit, je vous laisse à votre prudence, à vos réflexions. Adieu, madame la Marquise , je demeure votre très-humble serviteur et ami.

» — Adieu, monseigneur le garde des sceaux, je ne serai désormais ni votre ser­vante ni votre amie. »

Il reçut, sans sourciller, cette déclaration de guerre, s’en alla de son pas solennel, tan­dis que la marquise, entraînée par la rigueur de l’étiquette, le suivit jusqu’à la première


pièce de 1appartement; il lui fallut faire un violent effort sur elle-même pour cacher de­vant ses gens rangés en haie, le désespoir qui la consumait; elle dut veiller à ses yeux, à sa figure, à toute sa contenance; aussi son retour fut prompt ; et dès qu’elle eut regagné sa chambre, se jetant sur le premier siège qu’elle rencontra, elle se mit à trembler, à fondre en larmes, et il fallut que madame du Hausset lui donnât de l’eau de fleurs d’o­ranger dans un gobelet d’argent, à tel point ses dents claquaient. L’abbé de Bernis arriva peu après, vint à la marquise, prit ses mains;

et elle, penchant sa tête sur les siennes, lui

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dit en sanglottant :

« Il faut que je m’en aille, mon cher abbé : on le veut, ou me l’a fait dire à mot couvert; mais, enfin, la résolution est prise, et cet homme ( le garde des sceaux ), avec quelle cruauté il est venu me porter cette fatale nouvelle ! M’a-t-il consolée ! non ; défendue ! ah ! moins encore ; il ne veut que mon départ ; ma présence embarrasse son


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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ingratitude ; il a aidé à me perdre............ si je

pouvais me venger ! »

A la suite de ce début, elle raconta mot à mot la scène que je viens de décrire , se plai­gnit de sa mauvaise fortune, s’emporta con­tre le roi, ne ménagea ni sa faiblesse ni son indifférence. Ce que les égoïstes observent le , plus dans les autres, c’est le vice dont ils sont rongés ; ils nous veulent ce besoin d’aimer et d’obliger qui leur manque.

L’abbé parut consterné ; il se fit répéter à diverses fois les paroles du garde des sceaux, et lorsque madame de Pompadour s’attendait à quelque chose de consolant de sa part, il ne savait que lever les épaules et dire :

« Oui, c’est une lettre de cachet verbale , c’est un ordre formel dont l’exécution est confié au chef de la magistrature.

» — Il faut donc que je m’en aille ?

» — Le moyen de résister.

» — Je ne partirai pas que je n’aie vu le

4                                                

roi.


» — L’heure du conseil m’appelle, je 11e reviendrai pas sans avoir été à lui.

» — L’abbé, dit la marquise, si vous pou­viez m’envoyer le duc de Richelieu, ne fût-ce que pour une minute. Dites-lui que je vou­drais lui dire un mot, lui recommander une affaire; que je compte sur sa galanterie, sur son amitié. ... Son amitié ! pourquoi pas, il a bien la mienne.... Oh ! je lui suis très-

altachée........ Oui, l’abbé, répétez-lui tout

cela.»

M. de Bernis regardait la marquise avec compassion ; et, comme si elle eût perdu ses facultés morales, il essaya de la calmer en lui donnant bonne espérance, en l’assurant que, certainement, il tirerait du roi quelques paroles favorables. L’heure pressant, il partit enfin.

Aussitôt après, madame du Hausset alla chercher le chevalier d’Hénin, écuyer de la marquise; il vint devant celle-ci qui lui donna ses ordres pour qu’on fît préparer son hôtel à Paris, pour que les chevaux fussent attelés

à ses voitures. Elle mit de la dignité à ces dé­tails de ménage ; ses femmes, ses gens furent avertis de se tenir prêts, et, en même tems, le suisse reçut la liste des intimes qui devaient être admis s’ils se présentaient. 11 y avait les ministres, le prince de Soubise, le duc de Richelieu, M. de Gontaut, mesdames d’Am- blincourt, d’Esparbès, quelques autres en­core , en petit nombre , toutefois.

On allait et venait dans les appartemens, avec un air affairé qui donnait de l’impa­tience à la marquise. L’empressement de son monde à taire les malles, à remplir les cais­ses , lui perçaient le cœur. Au travers d’une porte ouverte , elle aperçut Géréon les bras croisés et immobile. 11 était le seul en pareille position dans ce lieu-là. Madame de Pompa- dour se mit à dire :

« Ce polisson est le seul raisonnable; je ne suis servie que par des bêtes ou des fous ! »

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Qu’un favori s’observe de près , car s'il me fait moins attendre dans son antichambre qu’à l’ordinaire , s’il a le visage plus ouvert, s’il fronce moins le sourcil, s’il m’écoute plus vo­lontiers y s’il me reconduit un peu plus loin , je penserai qu’il commence à tomber , et je penserai vrai.

La Bruyère , de la Cour.

Jstuc est sapere non quod antè pedes modo est videre , sed etiam ilia quœ futura , sunt prospicere.

Roman , Its Adelphes.

Ce qui s’appelle être sage n’est pas seule­ment de considérer une affaire sous son véri­table point de vue , mais encore de prévoir tout ce qui doit en résulter,


 


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Caixa de texto: LE DUC ET LA MARÉCHALE.
/

Madame de Pompadour , accablée sous le poids de sa douleur et du mal qu’elle se don­nait volontairement depuis la veille, passa dans un petit cabinet voisin de sa chambre, et ajant pris place sur une large ottomane, essaya, non de dormir, ce qui lui aurait été difficile avec le trouble croissant de son esprit, mais de prendre un instant de repos. Ceci ne lui fut guère possible ; trop de motifs de trouble et d’inquiétude venaient l’assaillir

%

— H2

aussitôt quelle rentrait en soi même, et ail lieu de la délasser, la solitude et le silence ajoutaient à sa fatigue et à ses chagrins.

Elle était là, cependant, pensive et mé­ditante , se rappelant les douceurs ineffables

%

du passé, cette couronne qu’elle portait plus que le roi, la France entière à ses pieds , les enivremens d’une position si relevée, et en retour elle voyait pénible, désagréable , si­nistre même son avenir. Une fois partie de la cour, rien ne l’y rappellerait ; aucun être , aucun parent, aucune alliance ; elle n’avait pas, comme la marquise de Montespan, une postérité royale qui lui servît de parachute dans sa disgrâce, ni de famille ayant un rang indépendant de la faveur ; non, elle serait seule, entourée de financiers, de personnes de bas étage ; elle ne commanderait qu’à ses gens.

Ah ! quel supplice pour une âme ambi­tieuse accoutumée aux délices de la domi­nation ! ce ver rongeur la dévorait..................................... Un

bruit léger se fit entendre devant elle.... La marquise leva les yeux : c’était Géréon, une


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lettre à la main. Dans tout autre moment, irritée comme elle Tétait contre ce jeune homme , un mouvement de dépit le lui au­rait rappelé ; mais se ressouvenant que lui seul, parmi tous ceux de sa maison, était demeuré inactif, tandis que tous les autres semblaient prendre plaisir, par leur activité malencontreuse, à hâter l’instant de son dé­part , elle se tut de regard, de geste et de parole, et tendit seulement la main.

« Madame, dit Géréon, je n’aurais pas

/

pris la liberté de venir à vous, lorsque je vous suis un objet désagréable, si le comte de Saint-Germain n’eût envoyé à ma recherche par son valet de chambre pour ne donner qu’à moi ce billet, qu’à mon tour je ne de­vais remettre qu’à vous : j’ai consenti à rem­plir ce rôle de domestique..,..

» — Taisez-vous, enfant ; soyez sage, et il ne vous en arrivera que du bien, ?»

Oh ! comme la marquise était certaine de sa. disgrâce !

Elle rompit précipitamment le cachet, et


sous l’enveloppe trouva ce peu de mots : « Il y a de l’espoir, tout n’est pas perdu. Vous » avez deux bons amis , l’abbé de Bernis est » l’un ; le roi m’a demande , ¡’aurai une » audience à sept heures du soir : je l’em- » ploierai à vous être utile. »

C’était de l’huile versée sur une lampe expirante, pas assez pour lui rendre sa clarté première, et suffisamment néanmoins pour la faire luire d’un éclat incertain.

« Bien obligé, Géréon. »

Ces mots ne furent pas dits avec la fami­liarité cordiale des paroles précédentes. Déjà le diapason de l’orgueil remontait l’âme de la marquise au ton de l’arrogance , son état naturel ; Géréon sentit cette différence. Il se retira, saluant en silence ; un signe de la main presqu’imperceptible fut le signal de sa retraite. La marquise retomba dans sa rê­verie    un nouveau bruit l’en retira : Géréon

ne serait pas parti ?

« Que faites-vous là? dit-elle, n’avez-vous pas compris que je voulais être seule ?

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» — Je l’ignorais, et, certes, je n’aurais pas quitté le roi sur votre invitation expresse , madame, si je n’avais cru être souhaité par vous. »

Ces paroles , le son de la voix, la malice de l'expression, achevèrent de retirer la mar­quise de sa rêverie. Elle leva précipitamment la tête......

C’était le duc de Richelieu , le duc alors âgé de soixante-un ans, ruine de son an­cienne beauté, avantageux encore , se perpé­tuant dans les illusions de la jeunesse quoi­qu’il touchât à la décrépitude ; toujours pré­somptueux , arrogant, rempli d’orgueil et d’insolence, sans aucune sensibilité, malin , persifleur, ne croyant pas à la vertu, parce qiPelle lui était inconnue ; despote avec ses inférieurs , toujours à couteaux tirés avec ses égaux et humble devant les dieux du jour; ja­loux de toutes les gloires , peu satisfait de la sienne, et se délectant à déplaire autant qu’un autre inet de soin à charmer.

Ennemi secret et implacable de la mar- i.     io

quisc de Pompadour, persuadé qu’elle tou-'- cliait au dernier jour de sa faveur, il n’avait pu se refuser la satisfaction de la voir à son agonie, palpiter devant le supplice de sa dis­grâce et s’humilier devant lui-même. Oh ! pour le duc de Richelieu , le tableau d’une pareille situation était le vrai bonheur. La marquise avait tout-â-l’heure souhaité de le voir, sans plan bien arrêté, sans trop savoir pourquoi, cédant à l’impulsion que lui avait donnée le comte de Saint-Germain ; et main­tenant que celui-ci , par son billet, lui avait rendu quelque espérance, ne se souciait plus de se jeter, pour ainsi dire, à la tête de M. de Richelieu , lorsqu’elle pouvait être refusée. Mais il était accouru , il était là, il fallait le refaire, et de sa politesse et de la manidfPfe dont il avait été reçu ; ce fut le premier texte de la réplique de madame de Pompadour.

«Certes, dit-^elle, vous ne pensez pas que ma gronderie vous fût adressée; il y a tant de gens officieux à contre-tems,

» —En trouvez-vous bon nombre aujour-


d’hui? demanda le duc ; si cela est, je me ré­concilie avec l’espèce humaine.

» — Et pourquoi, s’il vous plaît, repartit la marquise avec aigreur, parce qu’elle cofn- prit la méchanceté de la question, l>ien qu’elle affectât de s’v méprendre , n’en trouverais-je pas autant qu’hier ou que demain ?

» —Pourquoi ?__ ah ! madame, vous vous

faites plus innocente que vous ne l’êtes. A la cour on n’est empressé qu’à bonnes ensei­gnes; on sait, à un denier près, ce que rap­portera le zèle, l’affection , et une foule de niaiseries sentimentales de ce genre.

» — Et vous pensez, M. le Maréchal, que je suis en passe de ne pouvoir plus payer ces marques d'intérêt?

t

» — La vie du roi est si chère à tous ses

sujets, qu aucun de nous ne se refuserait à

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lui céder une portion de la nôtre pour pro­longer celle-là ; mais le roi est soumis comme nous à la loi rigoureuse de la nature.


» — Il est certain que s’il venait à mourir, mon seul parti serait la retraite. Nous n’en


 

 

 


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*

sommes pas là, dieu merci ! Le roi a un tem-1 pérament robuste, et il se porte'bien.

» — Blessé d’hier, Madame , et par un fer régicide.

» — Le‘docteur Quesnay et l'habile La- martinière répondent de ses jours , et regar­dent sa plaie comme une égratignure; c’est presque conspirer que présumer possible la mort du roi.

» — On redoute tout à l’égard de ceux que l’on aime; le roi, d’ailleurs, a un grand fonds de piété, et le devoir de ceux qui le servent est de le maintenir dans ces disposi­tions.

»— Avez-vousagi ainsi à Metz, M. le Maré­chal ; ne vous opposâtes-vous pas aux cafar- deries de l’évêque de Soissons ?

» — Je devais tant de reconnaissance, des bontés de madame de Châteauroux , elle s’était si fort montrée mon amie dans toutes les occasions.

Caixa de texto: Numérisé

» — J’entends, c’est me dire d’une façon assez claire que je ne vous ai ni assez témoi-

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gné d’attachement, ni assez fait pour vous , pour qu’à votre tour vous ne soyez contraint à faire preuve de gratitude. Je croyais cepen­dant, M. le duc, que vous n’aviez pas à vous plaindre de moi.

» —Eh! qui se plaint, Madame , qui ma­nifeste du dépit; ce n’est pas au moins votre serviteur très-humble.

» —Mon serviteur, ce n’est pas vous qui

l

l’êtes, et néanmoins j’ai toujours souhaité de vous avoir pour ami.                                                ' i

» — Je suis d’autant plus heureux de vous l’entendre dire, madame, que, jusqu’à ce moment, j’avais cru le contraire. L’appa­rence me trompait donc? Je ne demande pas mieux que de revenir de mon erreur, et le même sentiment de ma part vous suivra dans votre retraite. »

Ce dernier mot piqua -vivement la mar­quise ; aussi, revenant à ce ton sec qui lui était ordinaire et dont elle avait essayé de se dépouiller.

« Je ne suis pas aussi prête à changer de po- si lion que certaines gens veulent le prêtent dre. 11 y a des ressources qu’ils ne soupçon­nent pas , et, Dieu aidant, ma place sera en­core long-lems à Versailles. »

Le duc se prit à rire , puis dit :

« Oh ! si Dieu tient à ce que vous restiez parmi nous, il est certain que les efforts des hommes seront inutiles. Mais êtesvous as­surée du concours d’un tel auxiliaire.

» — Je le serais, si les gens habiles com­prenaient l’avantage de s? lier aujourd'hui franchement avec moi. Je conviens qu’en ap­parence ma position est embarrassée ; aussi , c’est l’instant de me prouver qu’on me veut du bien, c’est au moins celui d’acquérir sur mon cœur des droits qu’il ne nierait pas plus tard.

» — Eh ! Madame, qui ne serait charmé de marcher de concert avec vous, c’est une satisfaction que l’on ne se refusera pas, et vous êtes en mesure de dicter avec qui que ce soit, les conditions d’un traité de paix. » C’était mettre madame de Pompadourau


pied du mur. La prudence aurait voulu qu’elle profitât de cette ouverture, mais l’or­gueil s’y opposa victorieusentent. N’est-ce

%

pas vrai qu’il est en nous un caprice bien étrange qui, toujours combattant contre notre volonté et nos intérêts, nous force, comme malgré nous aux instans décisifs de la vie, à agir autrement que nous ne pensons; on lui cède par l’entraînement d’une force intérieure irrésistible, et nous sommes tout surpris de faire tout à coup une faute lorsque nous avions résolu de nous conduire avec prudence et habileté. La marquise, en cette circonstance, en fournit la preuve en répon­dant au duc.

» Quelle reconnaissance peut-on espérer de ceux qu’on force, le couteau sur la gorge, à nous combler de biens? C’est par de la gé­nérosité et de la délicatesse que l’on doit con-

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quérir l’estime et l’affection de nos en... de nos amis.                                                „ . ...       *

          a      %

» —Vous avez raison, et aussi, je çofnpte sur les vôtres, reprit M. de Richelieu surpris

que son propos n’amenât que cette réplique, !Ne parlons plus de rien; nous nous appré­cions , nous nous connaissons réciproque-* ment; je sais quel fonds je puis faire sur votre amitié; vous devez être certaine de la mienne, c’est un point très-éclairci, et maintenant je vous demanderai vos ordres positifs, l’heure et ma sollicitude me ramenant auprès du roi.

» — Je souhaitais, M. le Maréchal, dit la marquise avec encore plus de sécheresse, savoir de vous si mes amis trouveront, grâce à votre aide, un abord facile auprès de Sa Majesté.

» — Madame, le roi donne l’ordre , je m’y conforme exactement.

» — Mon frère n’a pu néanmoins...

» — Je prendrai le commandement exprès de Sa Majesté envers le marquis de Marigny... Est-ce tout, Madame? •>

La marquise hésita.

» Oui, tout..., tout, dit-elle ensuite, et non sans une teinte de mauvaise humeur vé-

ritable. Adieu , M. le Maréchal, je suis char­mée de cette explication , elle m’a fait lire t dans vos sentimens à mon égard , et j’en ai­de la joie.

» — Je sais aussi ce que la. marquise de Pompadour pense de son très-humbleserviteur et j’en suis heureux. Vous voyez, Madame, que, réciproquement nous nous quittons pro­digieusement satisfaits l’un de l’autre. »

Et à la suite de ce persifflage sanglant, le vieillard malin salua avec cette grâce qui lui était particulière, et partit s’applaudissant de son ironie et du bonheur qu’il avait eu de voir une femme qu’il n’aimait point lui mon­trer Ja frayeur qu’elle éprouvait de sa disgrâce

*

prochaine. Ce courtisan si habile ne recon­nut pas en même tems qu’il venait de faire une école ; la passion, l’amour delà vengeance aveuglent toujours les plus modérés.

La marquise, demeurée seule , ne put se maintenir long-tems à la hauteur de fierté où elle s’était placée, tant que son ennemi avait été là. Libre enfin, elle tomba tout à


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*

coup de cet étalage de fierté à un excès »de faiblesse opposé, des larmes couvrirent ses joues , et son abattement n’eut plus de bor­nes. Sa chute lui parut assurée, elle en ob­tenait la preuve par la conduite du duc de Ri­chelieu. Il restait positif pour elle que ce sei­gneur retord aurait agi autrement s’il n’avait été sûr qu’elle était perdue. Les encourage- mens donnés par le billet du comte de Saint- Germain perdirent leur poids, et elle se dé­termina à éviter, par une retraite volontaire, la honte d’être chassée avec dureté.

Elle essuya ses larmes, rentra dans sa chambre, où son frère et sa fille étaient, leur parla en faisant un effort extrême pour se montrer supérieure à sa douleur, dit quelle était résolue à partir avant le point du jour prochain, puis appela madame du Hausset pour qu’elle fit les dernières dispositions.

Caixa de texto: Numérisé par Googlo

fcn ce moment entra la maréchale de Mi- repoix qui, depuis la veille, n’avait pas re­paru , mais qui avait deux fois envoyé savoir des nouvelles de son amie.


 


« Qu’est-ce, cria-t-elle dès le seuil de lu. porté, que ces préparatifs? Vos gens disent que vous partez,

» — Iléla’s! ma chère amie , répondit la marquise, le maître le veut, à ce que m’a dit M. de Muchault.

» — Et son avis, à lui, quel est-il ?

» — Que j’obéisse sans différer.

» — Voilà de sa part une belle preuve d’attachement, que de persister à vouloir vous faire faire une sottise. Le maître, puis­que maître il y a, vous a t-il congédiée par lettre expresse de cachet ?

ji — Non.

» — Du moins vous a-t-il fait dire en ter­mes exprès d’aller à Paris ?

)> —Pas davantage .. seulement il le désire, il me le conseille.

« — Oh ! dit la maréchale en hochant la tête ; ces désirs , ces conseils, tout cela ne viendrait-il pas de ce bon trio qui paraît s’ê­tre mis à exploiter le malheur dont nous avons tous été menacés?. .. Le roi n’est pour
rien dans tout cela , on explique son silence; croyez-moi ne bougez pas.

» — Mais si on me chasse, repartit la mar­quise en rougissant.

» — Eh bien! alors vous aurez le cœur net, parce qu’à la force point de résistance ; mais déloger auparavant ce serait folie véri­table.

» — Le roi est dans les mains du clergé , dit alors M. de Marigny, et les jésuites bais­sent ma sœur.

» — Le roi joue son rôle de monarque très-chrétien , répliqua la maréchale ; il s’est cru près de la mort et il a cherché dans la religion les secours que sa propre position lui ordonnait de demander. Mais on dit que ce coup de couteau n’est qu’une blessure or­dinaire; demain il sera guéri, et après de­main vous entendrez l’Italien, messieurs et mesdames ! Passato il pericolo , gabatlo il iiinto. ( Le péril passé, on rit du saint ).


On se mit à rire de la plaisanterie, quoique nul de ceux qui étaient là, n’eût le cœur à la


»-> 15 7 ♦—

joie. La marquise ne put se retenir d’embras­ser madame de Mirepoix en lui disant :

« Vous êtes une héroïne, une amie bien sincère.

» — Oui, quant à ceci c’est vrai ; quant à mon courage, n’en faites honneur qu’à ma profonde connaissance du caractère du sei ­gneur roi. ... Si vous vous en allez, il perdra l’habitude de vous voir et prendra celle de voir qui on mettra à votre place , songez-y bien. Rappelez-vous aussi qu’au tems de la ligue, Henri IV, ébloui par de faux et faibles conseils, parlait de se retirer pour un tems en Angleterre : « Sire, lui dit le vieux Biron, c’est dans le royaume que Votre Majesté doit conquérir le royaume; si elle sort de la Fran­ce elle perd la couronne. » A l’application , madame. !                            ,

La marquise revint à embrasser la maré­chale qui lui rendit ses caresses de bon cœur, lui étant très-attachée, et cela par une raison très-simple, c’est qu’elle aimait autant que ce fût madame de Pompadour qui fût là qu’une

t


antre. Elle continua à la réconforter, et l'on tomba sur la friperie de M. dé Machault qu'on n'épargna pas ; il le méritait. La maré­chale prétendit que le garde des sceaux de concert avec le ministre de la guerre aspirait à gouverner souverainement tant sous le nom du roi que sous celui du dauphin ; que cabale pour cabale, autant valait celle de la marquise , et en revint à son premier texte qu’il valait mieux être chassée que de s’en aller volontairement. En conséquence ma­dame de Pompadour reprenant de l’énergie changea son plan et se décida à suivre l’avis qui lui était donné.

Elle fut encore plus maintenue dans cette résolution par le prince de Soubise qui arriva venant de chez le roi.

« Sa Majesté, dit-il, m’a demandé des nou­velles de madame de Pompadour.

» — Et vous a-t-il enjoint d’aider à la je­ter à la porte? interrompit la maréchale.

« — Il ne m’a point paru que ce fut son intention.


» — Vous le voyez , ma très-chère , dit madame de Mirepoix , le roi vous aime tou­jours, et d’autant plus que sa crainte inté­rieure diminue. Il se promet maintenant le plaisir de faire croire qu’il a peur, afin de mieux juger son monde; croyez-moi, ceci tournera bien pour vous.

M. de Soubise, interpellé par la marquise sur ce qu’il ferait étant en sa place, déclara que la force seule le chasserait de Versailles.

On était à ce point de conversation et la soirée assez avancée, lorsque Géréon se pré­senta timidement à la porte de la»»cham- bre. La marquise couthée à demi sur une chaise longue, ayant à ses pieds la maréchale de Mirepoix, pouvait voir sans que son # corps se dérangeât ceux qui entraient, et Géréon fût aperçu d’elle sans que le reste de la compagnie, assis en cercle autour du feu , y fit attention. Le jeune homme n’a- vança pas, ne dit rien, se contentant, par un signe, de montrer le cabinet où naguère ma-


»- * I 60

dame de Pompadour avait reçu le duc de Ri­chelieu; cela fait, il se recula et disparut.

Tout, dans ce moment, avait de l’importan­ce, rien n’était à négliger. La marquise, bien qu’elle n’aimàt pasGéréon,lui connaissait trop d’esprit pour croire que chacune de ses ac­tions ne fût pas motivée, et en lui désignant le cabinet c’était lui dire qu’il avait quelque chose de particulier ou de secret à lui confier. Elle hésita un instant sur ce qu’elle avait à faire, la curiosité l’emporta, et se levant en priant la compagnie de ne pas se déranger, elle passa au lieu indiqué, illuminé dès la chute du jour comme les autres apparlemens ; mais en place de Géréon qu’elle s’attendait à y trouver , elle se vit en présence du comte de Saint-Germain.

>} Victoire, madame, dit-il à voix basse et de façon à ce que de la chambre on ne l’en­tendît pas; victoire pleine et entière ! je sors de chez le roi.

» — Que vous a-t-il dit ?


v — Il m’a demandé si je vous avais viie.

» — J’ai peu quitté madame la marquise.

» — Elle doit être bien chagrine.

» — Elle est tombée , sire , au dernier degré du désespoir.

» — Ah ! la pauvre femme, je suis con­vaincu de son attachement et au’elle a pris part à ma situation.

» — Elle abhorre le crime et ne cesse de pleurer sur la victime.

» — Dites-lui, monsieur le comte, qu’elle se tranquillise, je crois que je ne mourrai pas maintenant !.... que même je peux espé­rer une guérison prochaine. Dans ce cas je serais fâché qu’elle se tourmentât trop.

» —Sa peine serait amoindrie si on ne l’é­loignait pas de votre Majesté.

Le roi s’est tu, a détourné la tête, a eu l’air embarrassé. J’ai compris que c’était le coup décisif qu’il fallait frapper.

» Sire, ai-je repris, une bonne parole de la part du roi comblerait de bonheur mada­me la marquise de Pompadour.

i.    ’ii

/

» — Eh bien ! dites-] ui que je serai char­mé de la voir aussitôt que ma blessure aura été fermée et lors de mon retour à la santé.

» — Et aura-t-elle besoin d’aller attendre cette heure bien heureuse à Paris ?

» — Comme elle voudra.

» — Ses vœux, Sire, seraient de ne point quitter Versailles, où elle e6t plus à portée de recevoir des nouvelles du roi, et lorsqu’on

aime aussi ardemment, les minutes de retard

1

sont plus que des heures.

Le roi s’est mis à sourire, puis m’a dit :

u Qu’elle fasse selon qu’il lui plaira. ... mais si elle m’en croit, et pour que chacun soit content, je la prie de ne décommander aucun des préparatifs de départ qu’elle a pu faire, cela empêchera .... qu’on ne la tra­casse. . . .et moi aussi...., au revoir M. le comte.

Et Sa Majesté m’a congédié gracieusement.

Pour cette fois, les larmes que répandit ma­dame de Pompadour ne furent pa6provoquées par le chagrin, elles provinrent uniquement de


son allégresse. Les paroles du roi répétées par

M. de Saint-Germain descendirent àson cœur

*

en manière de baume qui le rafraîchit com­plètement. Elle releva la tête avec celte fierté quelle avait naguère et mit de la dignité dans la chaleur avec laquelle ses remercimens éclatèrent. Sa reconnaissance alla jusqu’à s’engager envers le thaumaturge par un ser­ment solennel sans que, certes, il le demandât, de lui accorder la première grâce qu’il sou­haiterait pour lui ou pour un autre. Le comte en retour, lui baisa la main et la pria de gar­der un profond secret sur ce qu’il venait de lui confier.

« Je ne me soucie pas, dit-il, que la cour apprenne les bontés dont le roi me comble. La discrétion, excellente pour tous, est un de­voir pour moi. Je ne veux ni me faire des ennemis, ni me procurer la douce satisfac­tion de jouir de leur colère. J’ai pour prin­cipe l’axiôme du sage « cache ta vie; » c’est ce que je disais un jour au fils de Marie.

» — Ainsi, vous avez connu Jésus Christ ?


*—► 1G 4 * *

» — Ne prenez pas au pied de la lettre une façon de parler particulière, répliqua le comte non sans quelqu’embarras. J’ai voulu dire qu'il faut toujours éviter de faire parler de soi et de se montrer avec trop d’éclat.'

» — Je resterai donc, dit la marquise trop occupée d’elle-même pour donner suite à un propos qui, dans le fait, lui était indifférent; je resterai donc, et si je revois le roi.... oh! messieurs et mesdames, qui avez joui de mon trouble, de ma confusion, je vous attends à la revanche.

» — Soyez clémente, osa dire Saint-Ger­main.

» — C’est la vertu des faibles.

» — Soit, mais le monde s’y laisse pren­dre; et, croyez-moi, le grand art c’est de l’é­blouir; on ne l’entraîne qu’en jouant la co­médie.... songez au duc de Richelieu.

» — Oui, pour l’écraser.

» — Avez-vous déjà changé de pensée ?

» — Je l’ai vu ; il a tant d’insolence !

» — Il vous aurait refusé ?

V

V


» — Non, non, je ne lui ai rien proposé ; mais il ne m’a pas épargné les railleries, je

tiens à le punir.

/,

» — Madame, dit le comte avec sang- froid , la meilleure façon de punir nos enne­mis, c’est de les employer à consolider notre fortune; toute autre façon est insensée. A quoi sert, par exemple, la vengeance qui nuit à son auteur ? »

La marquise n’était pas alors en état d’é­couter la voix de la sagesse : les âmes petites ne peuvent se modérer dans la bonne for­tune, et savoir se vaincre est l’apanage des cœurs élevés.


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Il est rare que, par la simplicité, on réus­sisse dans le monde , lorsque le succès ne manque jamais à ce qui s’enveloppe du mys­tère , ou éclate en forfanterie.

Recueil de maximes.

A voir les bassesses dont l’ambition est capable , on ne croirait pas que son but est tout orgueil.

L. L. L.

»


 

 

 

 



ambition et manège.

* •

\                                                 ?                                           t

/

La personne la plus inattentive aurait                                                                \

néanmoins été forcée de reconnaître, lorsque la marquise de Pompadour rentra dans sa chambre où on l’attendait, qu’un change­ment total s’était effectué en elle. Ceux réu­nis autour de son foyer, possédaient trop l’u­sage du monde et l’habitude de lire à livre ouvert sur les physionomies, pour ne pas voir, dès quelle parut, que des sensations nouvelles et agréables l’agitaient. Aussi, la

/

maréchale de Mirepoix, impatiente de les ap­prendre.

« Avez-vous vu un bon ange ? dit-elle.

» — Je reste. »

Ce fut tout ce que put répondre la mar­quise, tant elle était émue. En même tems, elle s’assit en mettant un mouchoir devant son visage afin de cacher les pleurs qui l’i­nondèrent une autre fois. Ce propos brief produisit un effet immense. Aucun des au­diteurs ne douta que, pendant l’absence de la marquise, elle n’eût reçu un message du roi. On eût souhaité, de sa part, plus de détails et aucun n’osa en exprimer le désir. La fa­miliarité indiscrète que l’infortune autorise, cesse subitement avec le retour de la prospé­rité ;qui marche avec nous de pair lorsque le malheur nous frappe, se remet en avant et seul, aussitôt qu’un vent favorable a soufflé pour lui. Ainsi, dés que la marquise rentrait en faveur, elle reprenait la place première, et ni le prince de Soubise, ni la maréchale, n’avaient plus des épanchemens d’amitié à

!


 


»-► î7 I ^ ®

provoquer, mais bien des confidences à rece­voir lorsqu’on daignerait leur en faire.

La marquise tenait à garder la promesse faite au comte de Saint - Germain. Celui-ci était parti par les couloirs de dégagement pour rentrer par la grande porte; il arriva en effet si vite qu’on ne soupçonna pas qu’il eut déjà vu madame de Pompadour. Son en­trée fit une diversion. On savait que le roi l avait fait demander, et afin de donner à la dame du lieu le tems de se remettre pleine­ment, on demanda au comte de Saint Ger­main s’il sortait de chez Sa Majesté. Sa ré­ponse fut affirmative, il parla du courage que le roi avait manifesté devant lui.

<< Avez-vous vu sa blessure? fut une ques-

\

tion que le prince de Soubise lui adressa.

» — Oui, M. le Prince, repartit de Saint- Germain. Elle m’a paru vivement colorée, le roi est sauvé, j’en réponds.

» — Et la France avec lui, dit la mar­quise.

» — Et nous tant que nous sommes ici,


ajouta la maréchale de Mirepoix. En vérité c’eût été pitié que la cabale des Zélanti l’eût emporté, et la chose allait là pour peu que le monstre eût mieux porté son coup.

» — Ah ! le ciel ne l’a pas permis, s’écria- t-on tous ensemble.

» — Maintenant, dit la maréchale, que le péril est passé, je crois que nous pouvons-nous appliquer le vers de l’exempt du Tartuffe ;

Remettez-vous , Monsieur , d’une alarme aussi chaude.

ma chère amie, à votre place, je me condui­rais comme par le passé.

» — Oui, dit M. de Soubise, vous devriez faire quelqu’acte décisif pour témoigner aux indécis que vous êtes là.

» — Et pour faire peur aux autres, reprit la maréchale. L’essentiel est que le roi soit tranquille. »

La marquise à son tour prenant la parole.

« Que de sottises, de mensonges, dit-elle, on a déjà dû écrire et on écrira sur ce funeste événement. Je souffre lorsque je pense à ce



qu’on mettra sous les yeux du roi. Ces pau­vretés ne feront qu’exciter sa mélancolie.

» — Vous feriez bien, dit le prince de Soubise, d’en toucher quelques mots à Janet (alors l’intendant des postes}.

I

» — Oui, dit M. de Marigny, ce serait fort bien fait, voulez-vous, ma sœur, que je vous l’envoie.

» — Bien volontiers, mon frère, et dès demain. »

La conversation passa sur un autre texte, on les épuisa tous ; hors le seul que chacun eût voulu traiter, celui de la sécurité sou- daine de la marquise, et qui eût donné l’ex­plication de l’assurance qu’elle avait mise à

dire je reste. Elle, cependant, crut devoir

0

Jaire la même confidence au comte de Saint- Germain , en lui demandant si le roi ne lui en avait pas dit quelque chose.

« C’est un bonheur qu’il m’a refusé, ré- pliqua-t-il, et dont je félicite madame la Marquise... (puis poursuivant) je suis, dit-il, un homme étrange, et qu’on soupçonnerait

» ► 17k « «

capable de se noyer dans un verre d’eau j mais il me semble qu'à la place de madame, je me maintiendrais en apparence, et pen­dant quelques jours, dans une situation équi­voque, sans apprendre au public que mon crédit n’est pas ébranlé ; ce serait un moyen d’attiédir les attaques des uns et faciliter aux autres celui de se rattacher à moi.

Ainsi il revenait à l'avis que, déjà secrète­ment, il avait donné à la marquise.

« M. de Saint-Germain, dit la maréchale de Mirepoix, pense et parle comme un hom­me qui n’aurait jamais quitté la cour.

» — Aussi en ai-je vu un grand nombre.

« — Oh ! continua la maréchale, vous avez eu assez de tems pour cela.

» —A entendre certaines gens, reprit la marquise, on vous croirait contemporain du déluge.

» — Je vous ferai observer, répliqua en riant le comte de Saint-Germain, que les noms de tous ceux contenus dans l’arche de


Noé, sont consignés dans la Bible, et que le mien ne s’y trouve pas.

LA MARQUISE.

Vous avez pu en changer et fort souvent, depuis cette époque?

LE COMTE.

N

Certainement, car ce serait une belle no­blesse , que celle venue sans cascade depuis Adam.

LA MARQUISE.

Vous plaisantez ; mais il est des laits que vous ne contesterez pas. La comtesse de Gergy, qui était, il y a cinquante ans, ambassadrice à Venise, dit vous y avoir connu, tel que vous êtes aujourd’hui.

LE COMTE.

Il est vrai, madame, qu’il y a long-tems que j’ai connu la comtesse de Gergy.


 


LA MARQUISE.

Mais, suivant ce qu’elle dit, vous auriez plus de cent ans ,à présent?

LE COMTE.

Cela n’est pas impossible, mais je conviens qu’il est encore plus probable que cette dame que je respecte, radote.

LA MARQUISE.

Vous lui avez donné, ajoute-t-elle , un élixir surprenant par ses effets ; elle prétend 1 qu’elle a long-tems paru n’avoir que vingt- quatre ans. Pourquoi n’en donneriez-vous un pas au roi.

le comte ( avec une sorte deffroi ).

— Ah ! madame , que je m’avise de don­ner au roi une drogue inconnue, il faudrait que je fusse fou.

Caixa de texto: r\c\
uy

Les assistans s’amusaient de ce colloque. La maréchale partit peu après, et M. de Soubise, accompagné de M. de Marigny,


s’en /ut causer avec madame du Hausset. Le comte de Saint-Germain resta seul avec la marquise. Il lui renouvela les assurances que sa fortune * un instant ébranlée, se ré­tablirait complètement ; elle dit alors que si la chose ne manquait pas , ses ennemis el les jésuites leur paieraient cher leur conduite , et ajouta :

« Ne sera-ce pas une chose charmante > que de voir leur ruine sortir des mains d’un abbé? »

Elle faisait allusion à M. de Bcrnis, le comte de Saint-Germain répliqua :

« Oui, ils vous devront leur chute, mais d’autres mains que celles d’un ecclésiastique vous aideront à les renverser.

La marquise allait demander l’explication de ces paroles , lorsque l’abbé lui-même en­tra; il venait aussi de chez le roi qui l’avait chargé de faire ses complimens à madame de Pompadour.

« Et n’a-t-il pas demandé à me voir ?


 


i

 

12

 

#

 
 



« — Olí ! non, repartit l’abbé en riant, le roi a encore trop peur du diable.

» — Je. suis donc le compagnon de Satan Í

» — Eh ! mais, vous êtes assez belle pour qu’il vous donne mission de travailler en son nom. »

On causa encore quelque lems sur le ton du badinage; puis la marquise, redevenue calme, sentit le besoin de réparer la fatigue incroyable de la nuit dernière, et elle congé­dia sans façon les deux interlocuteurs. S’étant mise au lit, le sommeil ne tarda pas à s’em­parer d’elle, non que tous ses songes fussent agréables. Il y en eut certains de fâcheux ; mais , au total, lorsque madame de Pompa- dour se réveilla, elle se sentit rafraîchie et délassée. Madame du Hausset attendait ce moment pour faire entrer Janet, l’intendant despostes, qui se rendait aux désirs de la marquise,sur l’invitation que lui en avait fait M. de Marigny.

« Mon cher Janet, dit-elle, après avoir écouté ses complimens , je compte sur votre


zèle et votre attachement à la personne du roi, pour écarter de lui ce qui lui rappelle­rait un attentat atroce. Oui, dans les extraits des lettres que vous lui transmettrez, évitez, je vous prie, de nommer le monstre Damiens et son crime affreux.

Janet répondit qu’il se conformerait à ce qu’elle lui prescrivait, et la quitta; mais, à peine dehors l’appartement delà marquise, il réfléchit que , sur un cas de cette consé­quence, il devait en référer à son chef. Ce­lui-là était le comte d’Argenson, qui, à part son ministère, possédait la surintendance des postes. Janet, quoiqu’assez instruit de ce qui se passait à la cour, ignorait la haine cachée entre le marquis et le ministre de la guerre, ou, du moins, n’en connaissait pas toute l’é­tendue ; il alla droit chez lui, et lui rapporta, mot pour mot, ce que la marquise de Pom­padour exigeait.

La surprise de Janet ne fut pas médiocre lorsque le comte d’Argenson, s’abandonnant à un violent accès de colère, s’écria :

« Et depuis quand, Monsieur, êtes-vous sous les ordres de cette femme? Deviez-vous jamais les prendre ! Gardez-vous-en à l’avenir, sous peine d’aller coucher dans un cachot pendant tout le reste de votre vie. »

Le pauvre Janet consterné, s’excusa de son mieux, prétextant sa croyance dans le bon accord entre son supérieur et l'amie du roi, et déclarant que, puisqu'il n’en était rien , il se renfermerait dans ses devoirs.

« Ils sont, répliqua le comte d’Argenson, de ne rien cacher au roi, ce serait une félonie que tenir une autre conduite. Allez. »

Voilà Janet plus embarrassé que jamais, contraint d’obéir à son supérieur direct, et, d’une autre part, craignant de déplaire à la marquise. Il avait bien entendu parler de sa disgrâce, mais enfin la chose pouvait être faus­se, et la démarche de la dame n’annonçait pas qu’elle fût en défaveur. En conséquence, après en avoir délibéré en soi-même, il crut bon d’aller la prévenir de cet incident, ce qu’il fit, avec d’autant plus d’empressement,


 


que cette démarche ne pouvait, en aucune fa­çon lui nuire, et deviendrait avantageuse, si par là, la dame l’emportaitsur l’homme d’état.

Madame de Pompadour eut fort à faire pour se maîtriser pendant que Janet lui ra­contait la scène dont je viens de rendre compte ; elle le remercia de la confidence, lui permit de suivre momentanément les in­jonctions de son chef, et, dès qu’il fut parti, envoya chercher l’abbé de Bernis à qui elle raconta exactement la boutade du comte d’Argenson.

« Madame, dit l’abbé, cet homme mal­veillant a l’amitié du roi.

» —Qui le sait mieux que moi, reprit-elle, * à qui le roi a fait dire, il y a déjà long-tems, par le prince de Soubise, qu’il me priait de cesser de lui palier contre M. d’Argenson , parce qu’il l’aimait, et qu’il était accoutumé à son travail.

» — Ce matin, et de bonne heure, le roi lui a remis les clés de son secrétaire à Tria- non, et l’a chargé d’aller y quérir des papiers


impôt tans ; c’est une haute marque de confiance ; je pense que, vu l’état des choses, et afin qu’il n’aille pas empoisonner votre démarche, il serait bon de le voir ; vous tâ­cheriez d’entrer en explications avec lui ; peut-être que, de part et d’autre , finiriez- vous par vous entendre.

» — Le voir en intimité ! s’écria la mar­quise, lui demander presque grâce ! oh ! j’au­rais trop à souffrir.......... ; mais, pourtant, si

vous pensez que ce soit utile......... Si je l’ap­

pelle , viendra-t-il ?

» — S’il s’y refusait, ce serait vous donner trop d’avantages auprès du roi; il viendra, soyez en assurée. »

La marquise alors se plaçant à son bureau, écrivit un billet simple; elle y regrettait que l’état de sa santé ne lai permit pas de se rendre chez le ministre, afin d’avoir avec lui une explication devenue nécessaire. Comme il fallait pourtant qu elle eût lieu, et vite, elle le priait de montrer sa galanterie ac- coutumée en prenant la peine de passer à

son appartement aussitôt qu’il le pourrait.

J’ai dit, ailleurs, que la superstition ne manque pas à la philosophie. La marquise ne s’avisa-tielle pas de songer que ce billet dé­ciderait un accommodement, s’il était renais par une main heureuse, et elle accorda une telle propriété à celle deGéréon, se rappelant et sa course vers le comte de Saint-Germain,

•A                                                                                                  r                                                                                     #                                                                                                     7

etja lettre que celui-ci lui avait donnée pour elje; et enfin que c’était lui qui, encore, était venu le premier annoncer la nouvelle , ap­portée par le comte, des dispositions favora­bles du roi. Mais, en même tems, la mar­quise se ressouvint, et de la fierté du jeune hon^me, du refus qu’il avait fait d’un rôle ser­vile, et des paroïes dures dont elle l’avait gratifié; voudrait-il, en cette occurence, des­cendre à un véritable emploi domestique, et elle-même u’aurait-elle pas à subir l’humi­liation d’un refus ? 11 fallait pourtant que ce fût Lui qui allât vers M. d’Argenson.... Com­ment s’y prendre pour l’y déterminer.

Les ambitieux ne reculent jamais, lorsqu’il


*-► i 8 A*

faut les satisfaire, à mettre enjeu les ressorts les moins convenables. La marquise imagina qu’Alexandrine obtiendrait de Géréon un tel acte de condescendance, car il était facile de voir l’amitié qu’il portait à la jeune fille. Un indifférent aurait vu au-delà peut-être; mais les parens, par une fatalité bizarre , sont les derniers à s’apercevoir ce qui frappe les yeux de tous depuis long-tems : la marquise avait d’ailleurs trop d’orgueil pour ne pas en sup­poser encore davantage à sa fille.

Elle appela madame du Hausset , afin qu’elle fit venir Alexandrine; mais celle-ci n’était pas au château en ce moment ; elle venait d’en sortir avec sa gouvernante, pour rendre une visite à mademoiselle de Rohan, son amie, au couvent de Panthemont, et qui, de même qu’elle, se trouvait à Versailles en ce moment. Il fallait, ou envoyer chercher Alexandrine, ou attendre son retour. L’im­patience gagnant la marquise, là porta à tenter elle-même l’aventure. Ce fut au tour de Collin d’être convoqué ; il reçut l’ordre de


conduire Géréon dans la chambre de madame de Pompadour.

Ce ne fut pas sans difficulté qu’il consentit à s’y rendre : il parut enfin, mais froid, mais de mauvaise humeur. Il y avait là un de ces caractères de fer, point malléables, et qui ne se façonnent jamais à leur position. Sortes d’anomalies pleinemènt opposées surtout aux formes de la cour où tout s’assouplit, s’efface, s’humanise, où l’on cède en riant lorsque cet acte de soumission déchire le cœur.

La marquise, au premier regard qu’elle jeta sur Géréon, reconnut les dispositions de son âme. Avec quel dédain elle l’eût repoussé en un autre lems, cet enfant, qui s’avisait de lutter avec elle ! Mais notre sexe a deux poids et deux mesures , selon la circons­tance ; la plus fière parmi nous s’adoucit lorsque le caprice le commande, et, en ce moment, la marquise mettait peut-être autant de gloire à vaincre ce jeune homme qu’à triompher du comte d’Argenson. Aussi le reçut - elle avec un visage bienveillant, et


te fut avec le sourire sur les lèvres qu’elle lui dit :

« Vraiment, Géréon , il semble que vous aviez de la rancune, et que vous manquiez de complaisance envers ceux qui vous affec- tionnent le plus ; voyez sur quel ton de céré­monie je vous parle : voilà où vous m’avez amenée; je dois traiter de puissance à puis­sance ayec vous. Vous m’en vouliez hier au soir, eh bien ! je m'avoue coupable ; est-ce suffisant pour dérider votre front ? »

Il y a diverses manières de prononcer la même phrase; une toute ironique qui fait un poignard de paroles prétendues adressées avec bienveillance, et celle où les mêmes mots sont une réparation satisfaisante. L’amour- propre de Géréon , que des flatteurs ( il au­rait pu en avoir ) auraient appelé noble fierté , était néanmoins contenu dans des bornes raisonnables. Bien que la marquise l est toujours éloigné en le traitant avec .une familiarité froide, il ne pouvait la haïr en­core ; n’était-elle pas d’ailleurs la mère d’A-

lexandrine, et, à ce titre, elle avait droit à ses respects ; il se tint donc pour content, et avec adresse ,car il y en a même dans la jeunesse , il répondit modestement, se plai­gnant du trop de condescendance de ia mar­quise envers lui, qui, parfois, méritait d’être maltraité à cause de sa pétulance.

h Allons, allons , dit madame de Pompa- dour,jevois que tu deviens complètement sage; tu fais bien, mon enfant; une conduite réservée, des complaisances sans bassesse, mais faites à propos, valent mieux que des manières brutes. Tu débutes dans le monde ; c’est un chemin où les premières stations sont hérissées d’épines, mon amitié peut les écar- tei. Tu sauras, en avançant dans la vie,qu’un peu d aide fait grand bien.

» —Oui, à ceux qui veulent qu’on les se­coure ; mais à ceux qui prétendent ne trou­ver leur appui qu’en eux-mêmes, et qui, d’ail­leurs, s’arrêtent à l’entrée de la route, pour voir seulement les autres courir , à quoi bon


se tracasseraient-ils, lorsque des actes déplai- sans leur seraient d’ailleurs inutiles.

» — Où prends-tu donc ce que tu dis? de­manda la marquise stupéfaite ; je te croyais un enfant, et tu parles comme un homme.

» — Je lis et je vois.                                                              !

» — Fort bien ! c’est un philosophe qui, chez moi, s’élève à l’ombre ; je te ferai con­naître à M. de Voltaire.

Géréon secoua la tête.

V

» — Quoi ! si je t’envoyais auprès de cet homme d’esprit, tu ne serais pas heureux ?                                                                          )

» — Je ne l’estime pas, répondit Géréon avec simplicité, et je n’aimerais à fréquenter que ceux que j’estime.

» — De plus fort en plus fort ’, se dit la

marquise en elle-même...... ce petit drôle est

un serpent à étouffer......... puis se mettant à

v parler.

» — Voilà, Géréon , nne manière de voir ; digne de louange, oui, tu es au-dessus de ton âge, et tu l’es tant, que j’hésite à réclamer

{


de toi un service......... ; aussi voulais-je te le

faire demander par Alexandrine. »

Lejeune homme,, sentant soudain un feu monter de son cœur à son visage , baissa la tête , et, ppur mieux se déguiser, crut devoir répliquer :

y

« Madame la marquise sera toujours obéie dans tout ce qui me sera possible de faire,...

» — Je veux que ce billet important............

plus qu’on ne croit, peut-être , soit porté au comte d’Argenson. C’est, non une commis­sion , telle qu’on en chargerait un valet de pied, mais un message diplomatique, de ceux dont les secrétaires d’ambassade accomplis­sent eux-mêmes les conditions ; à peine si un page de la grande ou petite écurie serait bon à le remplir, et qui en prendrait le soin s’ou­vrirait la carrière des affaires étrangères......................................

J’y suis d’ailleurs intéressée.!

» — Madame, dit Géréon, ceci suffit ; me voici à vos ordres.

» — Tu es un aimable enfant, je me rap­pellerai mes promesses.


»—Ah! madame, en me faisant payer un service, irais-je me ranger dans la classe de ceux qui portent votre livrée? il n’en sera rien. »

Et Géréon rabaissa la main qu’il avait ten­due pour recevoir la missive. Les lèvres de la

0

marquise pâlirent de dépit; elle les mordit avec colère, selon son usage, ce qui les avait flétries de bonne heure, et un instant elle s’engagea à ne plus se déguiser, et à traiter Géréon en véritable insolent ; mais l’ambi­tion superstitieuse étouffa cet élan de fran­chise , et reprenant son air enjoué :

« Soit fait selon ta volonté, méchant en­fant; tu veux que je demeure ta débitrice ; prends la lettre, porte-la; tu n’auras, à ton retour, qu’un salut gracieux pour prix de ta complaisance. »

Gédéon aurait bien voulu persister dans son refus, mais une fausse honte le retenant, il ne l’osa pas, accepta de mauvaise grâce la lettre qui lui était offerte, et s’éloigna aussitôt                                             i

)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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sans rien dire. La marquise, dès qu'il se fut retourné, le regarda d’un œil irrité

a Tu ne porteras pas loin la peine dne à ton insolence. »

Et son pied fit un geste, comme s’il y avait eu là un reptile à écraser. Cependant sa fan* taisie était satisfaite , la lettre confiée en des mains heureuses , et sàhs doute que, par ce moyen, la fortune toucherait le cœur du comte d’Argenson, et que tout s’accommode­rait. Elle se demanda ensuite pourquoi, jus­qu’à ce moment, M. de Saint-Germain n’avait pas ouvert pour elle le livre de l’avenir.

« 11 doit y lire couramment, pensa la mar­quise , et je pourrais savoir le destin qui m’est réservé...... Oui, il y a des mystères qui sont

incompréhensibles....... et pourtant ils disent

qu’il n’y a pas de Dieu......... ; non, il n’y eh a

pas, le hasard nous gouverne............... et les

étoiles, donc !... Oh ! que l’espèce humaine est faible ! Savons - nous ce qüi est, ce qui manque à l’ensemble de l’univers ? »

La marquise s’arrêta , se livra à ses pen-

sées , et elle demeurait encore ensevelie dan9 un océan de réflexions, lorsqu’on frappa dis^

crètement à la porte de son cabinet........ ; elle

tressaillit, et, revenant à sa position présente, attendit, avant de répondre, que l’on heur­tât une seconde fois : alors elle dit d’entrer. Géréon se présenta.

« Déjà de retour ? dit-elle.

>» — Mais, madame , j’ai attendu long- tems la réponse.

» — Que dit-elle ?

» — Je l’ignore. M. d’Argenson ne m’a pas pris pour un confident, mais pour votre la­quais , et m’a traité en conséquence. »

La marquise se mit à rire malignement : peu lui importait, son désir était rempli, et elle ne se tourmentait guère d’offenser la susceptibilité de Géréon.

« Va-t-en t’amuser, mon enfant, je te re­mercie. Nous nous reverrons. »

Géréon sortit le cœur gonflé , mécontent de sa condescendance. Il avait rempli avec promptitude la mission de madame de Pom~


*— i 95

padour , et, à sa surprise, éprouva quelqùè difficulté pour parvenir promptement jus­qu’au ministre de la guerre. Le premier valet de chambre de 'celui-ci avait insisté pour que Géréon lui confiât la lettre ; mais il s’y était refusé avec obstination_, ne devant, disait-il, la rendre qu’au comte lui même. M. d’Argen- son consulté, donna l’ordre que le jeune • homme fût introduit. Géréon entra dans son cabinet, où il le trouva avec un person­nage de l’époque, homme assez connu, et à qui Voltaire a adressé l’épitre qui commence par ces vers.

Hënault , fameux par vos soupes Et par votre chronologie Par des vers au bon coin frappes....

Le président Hénault, sage sans être philo­sophe et attaché à la reine en qualité de sur- intendant de ses finances, avilit acquis une réputation de littérateur en faisant un ou­vrage d’érudit. Sa place à la cour, son mérite

personnel lui donnaient un surcroît d'impor-'

^ »

i.                                       i3


tance; aimable sans fiel, il tenait à plaire et ne voulait offenser qui que ce fût.

Le ministre de la uerre ayant lu le billet de madame de Ponpadour, le passa au pré­sident, en lui disant.

« Je ne vous demande pas conseil, je suis résolu à refuser.

» — Pourquoi cela? répliqua le président, après avoir, à son tour, parcouru la mis­sive ; un rendez-vous demandé par une jolie femme ne se refuse jamais.

» — Il y en a tant de... qui m’appellent, s’il me fallait aller chez toutes...

» — Monseigneur, reprit vivement Hé- nault en interrompant le ministre, voilà le valet de la marquise qui attend.

» — Devais tu demeurer là, mal-appris, s’écria le comte en s’apercevant de sa faute; est-ce que l’antichambre n’est pas faite pour tes pareils ? vas-y attendre ma réponse.

» — Monseigneur, repartit Géréon, en relevant la tête, vous vous méprenez, je ne suis pas aux gages de madame de Pompa-
dour, et si je suis venu ici recevoir un affront cela n’a été que par égard pour sa prière.

» — C’est différent, reprit d’Argenson, Monsieur est peut-être gentilhomme?

« — Je suis un bâtard, à ce qu’on dit, et pourtant il me semble qu’il y a mieux que cela dans mon cœur. »

Le président Hénault écouta sans trop comprendre; le comte d’Argenson devina mieux. Le jeune homme grandit dans sa pensée ; mais ne voulant que gagner aux dé­pens de son ennemi, il se tourna vers l’au­teur de l’histoire chronologique de France.

» La marquise choisit aussi singulière­ment ses messagers que ses confidens.

» —- Ah ! oui. Saint Germain.

» — Un Empyrique.

» — Il a de l’esprit.

» — Qui n’en a pas ?

» — Mais les trois quarts et demi des hom-

%

mes.


. » — A quoi sert-il ? à rien. Lui devez-vous votre fortune?


£ ► 1 DG

>; — îNon j mais scs agrémens. «

Pendant ce dialogue M. d’Argenson avait écrit quelques lignes , il cacheta son billet et Géréon remporta.

Caixa de texto: */


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



L’effort le plus honorable que la haine puisse faire à la cour , c’est d’éclater à vi­sage découvert.

Recueil de maximes.

C'est votre escalier que le roi aime ; il est habitué à le monter et à le descendre ; mais s’il trouvait une autre femme à qui il parlerait de la chasse , de scs affaires , cela lui serait égal au bout de huit jours.

Madame db Mire poix.


*

La FORCE DE l’H A BITUDE.

Il y avait à peine deux Inimités que la marquise de Pompadour était seule, et elle allait sonner pour prévenir que sa porte se­rait fermée à tout le monde tant que le comte d’Argenson serait avec elle, lorsque M. de Saint-Germain se présenta.

« Vous venez mal àpropos, dit la dame, j’attends un fier rival, mon ennemi que je veux museler, et s’il vous trouve ici...

» — Croyez-vous que les moyens me man-

quent de me dérober à ses yeux, lors-méme

que maintenant il entrerait san/se faire en-

0

noncer?                                                 r

» — Auriez-vous donc le secret de vous rendre invisible? x

»—J’ai plusieurs cordes à mon arc. Un pauvre homme a bon besoin de savoir plu­sieurs moyens de gagner sa vie. Par exemple, j’ai en main la facilité de puiser à ma fan­taisie dans la correspondance du comte d’Ar-, genson.

» — Oh ! si vous ne me trompiez point, s’é­cria la marquise..., quoi! vous fouilleriez dans scs papiers ! quelle intelligence mysté­rieuse...

» — La voilà ; dit Saint-Germain en mon­trant une des bagues nombreuses qui pa­raient ses doigts, je lis là-dedans tout ce que les hommes écrivent, et danscelle-ci, je vois où la lettre va.

» — Quelles folies ! reprit madame de Fompadour en riant, elles femmes sont- elles à l’abri de votre investigation ?

#

>* — Hélas ! oui, madame, le génie qui m a vendu le secret de mon sexe est du vôtre, et il n’a pas voulu le trahir.

» — Que vous êtes divertissant !

» — Si je vous livre une des prochaines dépêches deM. d’Ârgenson par exemple, que penserez-vous alors? »

« — Vous payerez bien vos agens et ils seront habiles. »

Un certain bruit se fit entendre, celui de plusieurs portes que l’on ouvrait successive­ment. '

« Voici le ministre, dit Saint-Uermain.

La marquise aussitôt alla droit à la porte , l'ouvrit, la dépassa, la referma sur elle et se trouva dans la chambre où M. d’Argenson entrait. 11 salua profondément madame de Pompadour et mit un respect d’autant plus solennel qu’il s’attendait à perdre bientôt celle qui en était l’objet, et puis il demanda ce que lui voulait la marquise.

Caixa de texto: ep

« Causer avec vous, monsieur le comte, dit elle, de divers sujets. Nous sommes dans


un moment qui exige le concours de volontés uniformes autour du roi, et comme notre but unique est de le servir, je crois qu'il sera toujours facile de nous entendre.

Le comte ne répondit point ainsi que l’espé­rait la marquise, ce quelle venait de dire n’é­tant pas unequestion. La marquise blessée de ce silence en prit de l’humeur , et lorsqu’elle cédait à la violence de son caractère alors la sagesse n’était plus écoutée. Elle ne put donc l’être dans cet instant, et au lieu de chercher à ramener son adversaire par des paroles bienveillantes et propres à opérer un rappro­chement.

« Monsieur, dit-elle avec aigreur, je suis surprise de l’ordre que vous avez donné à Janet. Je ne puis concevoir quelles sont les raisons qui peuvent vous déterminer à vou­loir remettre sous les yeux du roi un événe­ment dont le souvenir est pénible pour lui. Ce n’est pas sans avoir pris l’avis de tous les ministres , que je me suis décidée à parler à Janet. »


 


La dame en avançant ceci allait au-delà

tie la véritémais il est des momens où il n’est aucune armp à rejeter , dit l'ambition jusqu’à celle du mensonge ; celui-ci était du nombre et les ruses devenaient permises en­vers un ennemi.

Le comte d’Argenson était venu avec la détermination arrêtée de ne rien accorder à la marquise ; il se croyait assuré de la victoire, avait parlé au roi, et Louis XV, dont la dissi­mulation était extrême, s’était complu à lui taire ce qu’il pensait intérieurement. Le roi voulait à la fois conserver sa maîtresse et son ministre; mais ce dernier , persuadé que le choix était fait, ne voulait en aucune manière prendre un engagement qui lui aurait donné plus tard l’apparence de la perfidie, et il ré­pondit sèchement :

« Madame, je dois la vérité au roi, et.au­cune considération dans le monde ne peut

\

me porter à m’écarter de mon devoir.

« — Voilà de grands principes, repartit la, marquise en accompagnant ces paroles de ce


»-> 20k

Caixa de texto: <- «sourire amer qui a tant le pouvoir d’oflenser ; mais vous me permettrez de vous dire qu’ils sont hors de saison en cette occasion, et que l’intérêt puissant de la tranquillité du roi doit l’emporter sur tout autre calcul.

M. d’Argenson avait reçu le trait lancé par madame de Pompadour, et outré qu’elle ne l’eût mandé que pour le maltraiter, lui, à son tour, se départant des lois sévères de la galan­terie.

« Je ne changerai pas d’opinion , madame, et je suis surpris que, n’ayant aucun ordre à donner , vous prétendiez vous mêler de ce qui me regarde seul.

C’était rompre la glace , c’était déclarer directement la guerre , et madame de Pom­padour , sans plus s’attacher à calculer à qui les chances en seraient favorables , repartit avec non moins de vivacité que de franchise.

« Il y a long-tems, monsieur, que je con­nais vos dispositions pour moi ; je vois que rien ne peut les changer. .T’ignore com­ment ceci finira.. . ; mais ce qu’il y a de cer-

/ • /

J

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tain, c’est qu’il faudra que vous ou moi nous nous en allions.

Aces derniers mots, M. d’Argenson fit une profonde révérence et sortit sans proférer une parole; la marquise, à son départ, ne lui ren­dit aucune civilité. Elle demeura à la même place agitée, furieuse, demandant avec impa­tience la foudre royale pour la lancer sur un personnage aussi arrogant ; elle n’avait pas encore changé de position, lorsque vint du cabinet le comte de Saint-Germain qui, pre­nant la parole :

« Madame, dit-il, Catherine deMédicis, cette honnête et vertueuse reine , selon l’ex­pression de Brantôme, apprenant de la,bou­che de Henri III qu’il venait défaire périr les princes de la maison de Lorraine, se tourna vers lui. « Mon fil^, ce n’est pas tout d’avoir coupé, il faut savoir coudre. » A l’application, madame; vous venez de tailler rudement ; avez-vous pris le fil pour faire là rentraiture ?

Cette, façon pittoresque de manifester l’in­quiétude que lui inspirait la manière dont [4]


 


madame de Pompadour avait traité M. d’Ar- «enson, distraisit celle-làde sa rêverie; elle en sortit un instant et répliqua ;

K Quand ma disgrâce serait infaillible, elle me deviendrait maintenant moins pénible puisque je me suis soulagée. Oui, monsieur , puisque vous avez entendu il faut que lui ou moi quittions la partie.

« —La perdre, de votre part, serait main­tenant trop pénible, il faut la gagner et pour cela je suis tout à vous.

« — Que je revoie le roi et je suis assurée de vaincre. Il y aura équilibre tant que je n’approcherai pas de lui.

Sur ces entrefaites l’abbé de Bernis sur­vint. Il trouva la marquise encore appuyée devant la cheminée, les yeux fixés sur le chambranle, il demeura quelque tems à la regarder, ensuite il lui dit.

« Vous avez l’air d’un mouton qui rêve. »

Elle, sortant à cette interpellation de l’état machinal où elle était, répliqua :

u C’est un loup qui fait rêver un mou­ton. » '

Il s’agissait du ministre de la guerre dont elle redoutait l’ascendant sur l’esprit du roi.

Plusieurs jours s’écoulèrent; M. de Ma- chault ne reparut plus, et tout porta à croire qu’il s’occupait activement d’achever de rui­ner la marquise dans l’esprit de son auguste amant, de concert avec M. d’Argenson et le reste de la haute cabale. Pendant ce tems, madame de Pompadour, renfermée dans sa chambre dont elle ne sortait pas, sous pré­texte de maladie, évita de faire son service chez la reine, sachant qu’on la recevrait mal, et voulant s’épargner les humiliations qu’on lui préparait.

Ce délai ne fut pas perdu ; l’abbé de Ber- nis, le prince de Soubise, le comte de Saint- Germain , le docteur Quesnay, la maréchale de Mirepoix, tour à tour admis auprès de Louis XV, remontèrent son affection pour la marquise, ce qui leur fut d’autant plus fa­cile, que la promptitude de la guérison di-


minua egalement !a peur de l'enfer, dans l’es­prit du prince déjà blessé d’ailleurs de la hâte avec laquelle les ministres s’étaient empressés de se rapprocher de Monseigneur le Dauphin.

Les esprits faibles sont plus jaloux de leur autorité que les esprits énergiques : ceux-ci savent qu’ils ne la perdront pas; ceux-là, au contraire, plus ils se sentent incapables de l’exercer, plus ils redoutent qu’on la leur ravisse, tant est puissante en eux la convic­tion qu’ils ne sauraient comment la ressaisir.

Les choses étaient ainsi disposées lorsque le roi se leva. A mesure que sa santé se raf­fermissait, la vue du garde des sceaux lui devenait fâcheuse ; il avait confié à ce per­sonnage , dans le premier instant du crime commis sur sa personne, une partie des ter­reurs qui le poursuivaient. C’était à son ins­tigation que ce chef de la magistrature avait été trouver madame de Pompadour pour lui conseiller de sortir de Versailles pendant quelque terns. M. de Machault, déjà à deux reprises, s’était suggéré de représenter au roi

Caixa de texto: è
que la favorite ne tenait aucun compte de ses ordres, et le roi éprouvait de la honte à lui avouer l’avis contraire qu’il avait fait donner par l’intermédiaire du comte de Saint-Ger­main.

Or, dans ce cas, M. de Machault, et par son instance maladroite, loin de s’affermir, se faisait redouter; censeur incommode, té­moin dont la présence blessait l’amour-pro­pre du roi, il ne pouvait se soutenir que dans le cas où madame de Pompadour ne l’atta­querait pas; c’était difficile à espérer. Le château de Versailles , divisé en deux partis bien opposés , voyait clairement que l’on approchait d’une crise. On ne peut savoir comment elle se serait terminée si la rei­ne et le Dauphin avaient pu se décider à par­ler au roi. Tous les deux, au contraire, se te­naient à l’écart, laissant le soin aux affiliés en sous-ordre de combattre activement pour eux. Le comte d’Argenson montrait seul, et plus encore que M. de Mechault, une résolution à i.    14
toute épieuxe; ne craignant pas d’humilier le roi en lui montrant la nécessité d’éloigner la marquise de Pompadour.

Ce ministre avait un intérêt particulier à l’exécution de cette mesure. Madame d’Es- trade, son amie de cœur, et qui, sous les dehors d’une feinte affection , trompait madame de Pompadour , avait été exilée à cause d’un abus de confiance dont madame du Hausset donne les détails dans ses mé­moires , elle y dit :

« La comtesse d’Estrade devait tout ce qu’elle était à Madame (madame de Pompa­dour, dans le style de la noble femme de

«

chambre) et n’était occupée qu’à lui faire des tracasseries dont elle était assez habile pour dérober les preuves, mais elle ne pouvait empêcher qu’on ne la soupçonnât. Ses liai­sons intimes avec M. d’Argenson donnaient de l’inquiétude à Madame, et, depuis quel­que tems, elle était plus réservée avec elle ;


mais elle fil une chose qui irrita Madame ; et le roi, avec juste raison, le roi, qui écrivait beaucoup, écrivit à Madame une longue let­tre, où il lui parlait d’une assemblée de chambres au parlement, et il y avait joint une lettre de M. Berrier; Madame était ma­lade et mit ces lettres sur une petite table près de son lit. M. de Gontaut entra et parla de fadaises comme à son ordinaire ; madame d’Amblimont vint aussi et resta très-peu de teins.' Comme j’allais reprendre ma lecture qui avait été interrompue, madame d’Estrade entra et se mit auprès du lit de Madame à qui elle parla quelque tems; ensuite elle sor­tit, et Madame m’ayant fait appeler me de­manda l’heure qu’il était, et me dit : le roi va bientôt venir, faites fermer ma porte. Je • rentrai; Madame me dis de lui donner la let­tre du roi qui était sur sa table avec quelques papiers ; je les lui remis et lui dit qu’il n’y avait rien autre chose; elle fut fort inquiète, ne trouvant pas la lettre du roi ; et après


avoir compté les personnes qui étaient en­trées : ce n’est pas la petite comtesse (d’Am- blimont), ni M. de Gontaut, qui ont pris la lettre du roi ; ce ne peut être que la comtesse d’Estrade, et cela est trop fort. — Le roi vint, il se mit en colère, à ce que me dit Madame, et il exila, deux jours après, madame d’Es­trade qui, certainement, avait pris la lettre, l’écriture du roi lui ayant sans doute inspiré de la curiosité. Cet évènement fit beaucoup de peine à M. d’Argenson, qui lui était atta­ché, par amour pour l’intrigue, à ce que disait Madame : cela redoubla la haine de ce mi­nistre contre elle, et Madame lui attribua d’avoir favorisé un libelle où elle était repré­sentée comme une vieille maîtresse réduite au vilain rôle de fournir de nouveaux objets à son amant. » (Mémoires de Mmr. du Hausset, édition de 1824, pages ï 23 et suivantes.)

La marquise «à laquelle on rapportait les efforts de la cabale, ne pouvait concevoir la conduite du roi; il ne lui écrivait pas selon


son usage. Chaque fois que la moindre cir­constance l’éloignait, il ne l’appelait pas au-

                                                          9                        ê * \                                                                      

près de lui, et cependant il l’invitait, par ses émissaires, à 6e rassurer. Cette position du maître, devenait de jour en jour plus embar­rassante, d’autant plus que les jésuites pous­saient à la roue contre madame de Pompa- dour, et que leur influence n’était pas mé­diocre. 11 était difficile qu’une telle lutte se prolongeât; il y fallait une fin, et prochaine encore : comment aurait-elle lieu ?

J Vers la tombée du jour, et avant que les

t /  *   *      f             *

bougies fussent allumées, madame dePom- padour s’était retirée dans son cabinet par­ticulier, où elle aimait à être seule, lorsque la mélancolie s’emparait de son imagination.

                  i                                                          ;         J

EHe y méditait, en ce moment, sur les

                                                                        »            f                                                                               t                                                  

moyens fle décider son triomphe et se dépi- tait de1 ine pas le trouver, quand un bruit

/                                                                                                                                                                                                                        f                                                               Ç

léger se fit entendre à la porte qui donnait

%                                                                                                 f                                                                                   1                                                                     

Sur le cbuloir aü bout duquel un escalier

*                          9                                 *

placé aboutissait à Yappartement de Lotiis XA *


%

La marquise se leva précipitamment, le cœur empressé et n'osant se livrer à la joie, qui déjà l'étouffait à moitié.... Une clé tourna

dans la serrure...... La marquise se mit à

genoux et resta dans cette position jusqu’à ce que le Roi qui arrivait eût ouveft et parût devant elle ; alors se relevant avec impétuo­sité, elle alla dans ses bras qui la reçurent.

Le roi devenait faible , et amant comme autrefois.

• %

La vivacité des caresses de la marquise

contrastant avec la froideur habituelle de son tempérament, enchanta LouisXV vive- ment désireux des plaisirs qu’il allait cher-^ cher de tant de côtés. Les pleurs,,les rires de sa maîtresse, ses paroles rapides entrecou­pées de baisers ; ses exclamations, ses trans­ports enivrèrent le roi en lui persuadant qu'il était aimé à l’extrême. La marquise eut peu de peine à reconnaître que son règne re­commençait, et déjà forte de l’inactivité royale, passa hardiment des témoignages de


 


 


»-> 21o •<-*

tendresse aux plaintes et aux reproches con­venables à une âme longlems et fortement ulcérée.................... Aux premiers mots, le roi fer­

mant la bouche à la marquise par une ca­resse passionnée, lui dit ensuite.

« Laissez-moi, j’ai tant souffert.

» — Et moi, Sire , quel a été mon état. On a dû vous le dire.

» — Tout votre mal était en illusions, le mien en réalité. Ce Monsieur a failli me tuer. Savez-vous ce que c’est que de sentir un cou­teau qui pénètre dans la poitrine ? C’est moi qui étais à plaindre.

»—Et moi, menacée de vous perdre l’étais- je moins !

* ' * • ' . ‘ /

»—J’étais blesse tout de bon.

»—Le cœur en moi était frappé.

P

»—Le cœur moral............. Croyez que le

mal physique est bien autre chose. Vous m’avez regretté ?

Cl       < ,           | * • V •

»—Oh ! beaucoup , j’aurais voulu être à votre place.


»—Bien obligé; quant à moi qui y suis passé, j’avoue que je ne voudrais servir de couverture à personne. C’est une chose af­freuse que de voir venir la mort avant le

teins........ Mourir, y a-t-il rien de plus

épouvantable !

— Oui, Sire, il est un supplice encore

f

au-dessus.

» — Cela vous plaît à dire, vous qui n’avez pas vu le trépas au bout de la pointe d’un couteau. Et quelle est cette torture si épou­vantable?

» — La présence de nos ennemis heureux et triomphans.

» — Quelle exagération!... .pauvre mai-

> * •

quise, il est aisé de voir que vous n’avez pas été sur mon lit de douleur. .. et l’enfer, ma

chère amie, et le diable qui sont là-bas.

*

» •   * #

» — Oh ! Sire , ne sont-ils pas sur terre pour moi; Lucifer pourrait-il m’inspirer plus d horreur et de haine que cet odieux., ! ».

'               t «

• « • •

i


sceaux cessâit d’être agréable à la favorite •

« Vous lui en voulez donc beaucoup? dit il

  , t                   i                   »      [5] .         #    »•

en souriant.

» — Je l’abhorre. Il est venu....                 :

'                  #                                          '                                            #    #     *                  î

« — Je ne tiens à lui en aucune manière,


Elle hésita sur le nom qu’elle prononcerait, Celui de M. d’Argenson lui était désigné par la colère, mais elle préféra celui de M. de Machault, par cela seul qu’il avait été son ami.


Il arrive toujours que l’on déteste davan­tage , lorsque le cas arrive, ceux que l’on a aimés que ceux qui nous sont indifférens. Il semble que le cœur s’inspire dans la haine de tout l'attachement qu’il y avait d’abord en

répondit précipitamment le roi, qui ne se sou­ciait pas d’une explication dont il aurait eu à rougir ; et pour peu que vous me priez avec instance , je vous en débarrasserai si cela vous convient.

» — Et sans retard, Sire, et sur-le-champ je vous en conjure. U me sera doux de voir partir un homme qui a voulu me chasser en abusant de votre nom. «

« — Eh bien ! reprit le roi, qui détourna la tête afin de cacher sa rougeur, car lui aussi avait été le complice de M. de Machault; eh bien! demain on lui donnera son congé. Vous voilà satisfaite; vous devez l’être, je ne vous refuse rien. Maintenant, madame, poursuivit le roi en affectant une gravité enjouée et qui toutefois avait son but secret, n’en deman­dez pas davan tage. »           *

C’était fermer la bouche à la marquise re- lativementàM. d’Argenson; le reconnaissant* elle en sentit un dépit extrême; maiscraignant de déplaire à l’heure où son crédit se réveil-

lait, elle se tuter ménagea momentanément l’homme dont elle avait la perte la plus en fantaisie; et même voulant rassurer le roi sur ce point ; elle amena la conversation vers l’héritage que le garde dessCeaut laisserait vacant. Le successeur ne se présenta pas d’a­bord . Il fut convenu entre le roi et la marquise que Sa Majesté elle-même tiendrait les sceaux,

ainsi que l’avait fait en pareille circonstance son auguste aïeiil Louis-le-Grand.

<t Le roi, dit encore la marquise, ne fera t-il rien pour l’excellent abbé de Bernis?

# - Y .1      . *              4 ‘ '      /  /I! .

» — Mais, est-ce que Rouillé n’a pas en-

                 |       «4*        •••           #

vie de se retirer ?

» — S’il ne l’a pas , il faut qu’elle lui

i'    r t ' .  t  # "       1          »    1

vienne. Au reste que vous importe, Sire; il # remplit mal ses fonctions, et M. de Bernis sera

i ' 7 • # •. *    >            

bien plus habile.

r !• • !

« — Le croyez - vous ? Tenez , ma chère amie, tous les hommes se ressemblent. Cha-

.    kt/    r*    • • 1                   1    ^

que fois que je nomme un ministre, l’élu à sa première audience chante sa chanson , dé-*


bile sa marchandise , m’annonce qu’en un tour de main , l’état, grâce à lui, sera régé­néré. .. il se met à l’œuvre et ne fait ni mieux ni plus mal que les autres. Les affaires Vont parce qu’elles doivent aller ; mais , de par Dieu ! n’en attribuez pas le succès au génie

d’aucun ministre.......... Savez-vous que je me

trouve à merveille dans votre appartement, on y est mieux que dans le mien , je m’en­nuyais de n’y pas revenir ; il n’est ici aucun meuble auquel je ne sois accoutumé. Les nouveautés me déplaisent ; je préfère une voi­ture vieille à une neuve. Oh ! vous m’êtes né- cessaire.... avez-vous pu croire que je vous

.     . i      1

oublierais !

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L’égoïsme de ce propos, révolta celui de la marquise, et cet aveu naïf, qu’elle était

.               , .          i , é * *[( • ; v* ],) yj î , ;'z .

aimée par seule habitude, ne la satisfit pas

4 » ' * f'    1 * « ’      , * .* *

davantage. Néanmoins, se retenant, et au

0        0                   *

lieu de se plaindre , elle manifesta Une satis­faction de la tendresse royale', qu assurément elle ne ressentait pas! La visi te du roi se pro­longea ; il Voulut aller dans chambre a

toucher, et comme la marquise allait faire fermer sa porte.

« Non, dit le roi, il est bon que l’on me voie chez-vous, cela s e répandra facilement et fera tomber des bruits... oui, l'effet en sera bon, il tordera le coup à la cabale qui cessera de rne tourmenter. Si je fusse resté alité plus long-tems, je ne sais ce que l’on n’aurait pas obtenu de moi par ma lassitude. Ah ! qu’il est pénible de combattre toujours : on ne se dé­livre de ses trames, qu’ert cédant ce qui nous est le plus agréable. »

Ceci moins encore convint à madame de Fompadour; mais tel était le roi, et il fallait

le prendre comme la nature l’avait accom-

%

modé.

L’abbé de Bernis, le prince de Soubise, M. de Gontaut, le comte de Saint-Germain , mesdames d’Amblimont, d’Esparbès, la ma­réchale de Mirepoix arrivèrent successive­ment, ainsi que le marquis de Marigny; c’était le comité intime, le cercle des élus. Chacun d’eux parut ravi de voir le roi

\

sauvé de l’attentat du monstre ; on exagéra les craintes qu’on avait eues.

« On a donc cru que je mourrais ? demanda le roi, d’un ton chagrin.

» —Votre majesté, mourir! s’écria M. de Gontaut -, mais cela n’est pas possible !

» — Suis-je immortel ? répartit Louis XV.

» — Dieu vous doit cette faveur, répliqua le même personnage.

« — Que cela soit, je ne demande pas mieux... pourvu qu’un autre assassin... De qui n’aurais-je pas à me méfier désormais ?

» «-» Le roi croit-il, dit la marquise, que deux monstres pareils, se retrouvent dans le même siècle ?

Louis XV , rempli de son sujet, allait ré­pondre, lorsque madame de Brancas, autre élue, fut annoncée. Elle témoigna une sur­prise si naïve de rencontrer là Louis XV, que madame de Pompadour ne put s’em­pêcher de lui en demander la cause à voix basse.


*-► 225 «-«

« Je sors de chez une parente du garde des sceaux ; M. d’Argenson y était. On a dit de­vant lui, que demain vous seriez exilée et il s’est tu.

» — Vous voyez la fausseté de la nouvelle, je reste, et malheur à qui aura voulu me faire partir! »

L’orgueil de la marquise l’emportait tou­jours sur la prudence.

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I

Caixa de texto: /

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Numérisé par Googlo


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11 est plus agréable pour certains île faire du mal à leurs ennemis que du bien à soi- mème.

Recueil de Maximes.

Les égoïstes ont une prc'tention singulière j eux qui n'aiment personne veulent que tout le monde les aime.

Recueil de Maximes.

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DEUX ÉGOÏSTES.

»(► V -**:

Le roi, rempli de respect pour sa santé, se retira de bonne heure; il avait d’ailleurs à parler au comte d’Argenson; la marquise, heureuse maintenant, retourna à ses amis, après l’avoir accompagné jusqu’au lieu où il retrouvait Lebel, son valet de chambre fa­vori , et successeur de Binet, à qui madame de Pompadour avait dû en quelque sorte la connaissance du roi.

La compagnie, partageant la joie de la sub-’ tane, demeura avec elle aussi tard que pos­sible à faire des peintures de l’état de la cour, le lendemain, lorsque la nouvelle y serait répandue de la visite du roi chez la marquise.

« Oui, dit celle-ci, il y aura renaissance des lamentations de Jérémie.

» — Et foule dans votre salon, ajouta le comte de Saint-Germain.

» — Ce qu’il y a de positif, dit M. de Gon- taut, c’est que la presse sera moindre chez MM. de Machaultet d’Argenson.

» — M. l’abbé, dit tout à coup la marquise dans un instant de distraction, je gage qu’il y aura aussi du monde à votre porte. »

'                                I       ;                                          

Ce propos annonça l’élévation prochaine de M. de Bern is; il en fut frappé non moins que les autres, et lui, se retournant vers madame de Pompadour.

• ’                                    -      .    *      t

k Quelle nouvelle action de grâces aurai- je donc à vous rendre, ma chère amie, dit-il.

» — A moi, aucune, repartit la marquise, en reconnaissant son imprudence, mais

comme on sait notre liaison, chacun, je le présume, viendra se réjouir avec vous. »

Cette explication parut peu naturelle, et dans le cercle, il n’en demeura pas moins avéré que l’abbé de Bernis entrerait très-prg* chainement au ministère, mais auquel? Les sceaux ne lui convenaient guères, et le por­tefeuille de M. d’Argenson encore moins. On rêva là-dessus , puis on s’en alla chacun chez soi; la nuit fut bientôt passée.

Le lendemain, lorsque la marquise se ré­veilla, madame du Hausset lui remit une dé­pêche venue de chez le comte de Saint-Ger- main. Madame dePompadour s’imaginant y trouver une lettre du thaumaturge, en brisa négligemment l’enveloppe, car alors, le con­cours de cet homme singulier devenait moins nécessaire... Sa surprise ne fut pas médiocre, lorsqu’au lieu d’y trouver l’écriture du comte, elle aperçut celle de M. d’Argen-r son ; c’était un billet avec son cachet, adressé à madame d’Estrade, il disait.

» L’indécis est enfin décidé, le garde des


«sceaux est renvoyé; je reste, la marquise « partira avec lui. Vous allez revenir, ma » chère comtesse, et nous serons maîtres du » tripot. »

Pour concevoir l’excès de contentement de madame de Pompadour à la certitude qu’une telle pièce était dans sa main * il faudrait s’ê­tre trouvé à sa place; elle l’examinait en tous sens, la reprenait, la couvrait de ses yeux. Elle demanda à sa première femme de cham­bre de lui apporter un tiroir de son secrétaire où elle prit une lettre du comte d’Argenson pour en confronter l’écriture avec celle qui lui parvenait si miraculeusement. L’identité lui en fut pleinement constatée, alors pous­sant un profond soupir.

« Ce sera lui qui partira , dit-elle ; ah ! monsieur d’Argenson, est-il permis d’allier tant d’ambition et de mauvaise volonté à tant d’étourderie. Ce sont de ces choses qu’on dit à l’oreille, mais les confier au papier !.. mais ce Saint-Germain !... on le brûlera un beau jour, car il a plein commerce avec le diable. *

c’est un homme précieux à s’attacher. .. par où le prendre? il ne veut rien. La reconnais­sance est un fardeau dont on aime à se dé­barrasser par des services rendus réciproque­ment , dès lors partant quittes.... que lui offrirai-je ? de l’or ? il fait des diamans... . des places ? il vit depuis des siècles .. .. le maudit homme ! Que le roi aime ! Le garde des sceaux qui s’ennuierait dans sa disgrâce aura bientôt un compagnon qui la partage­ra. »

La marquise en était là de son monologue, lorsque madame du Hausset rentrant, lui de­manda si elle voulait recevoir le duc de Ri­chelieu.

«

» Lui... .déjà, dit-elle. ■. ah 1 mon petit monsieur, que vous êtes preste à vous retour­ner. , .A moi maintenant la balle, je saurai la lancer aussi bien que vous !. . .qu’il entre.

Madame du Hausset s’en retourna dans le salon, et apprit au duc que 1 » marquise, bien que couchée, l’autorisait à se présenter devant elle. Cet empressement à l’accueillir dans un


pareil état, parut d’un augure favorable au vieux seigneur un peu tourmenté de son rôle. Il entra non pas en personnage honteux qui redoute d’être mal mené, mais en ami em­pressé de féliciter un ami d’une nouvelle fa" veur de la providence. Il se préparait à faire un compliment dans ce sens, lorsque la mar­quise le prévint en lui disant d’une voix douce et flattée :

« Ah ! M. le maréchal, vous prenez donc toujours du plaisir à rendre vos hommages au soleil qui se lève ?

» — Madame, repartit-il sans se déconcer­ter , toutes les heures sont bonnes pour ado­rer cet astre, et vous ne me reprocherez pas d’avoir attendu à aujourd’hui pour commen­cer à me mettre à ses genoux.

» — Je sais que vous êtes un homme ha­bile.

» — C’est avoir trop de bonté, repartit le duc d’un ion humble , au moment où j’ai donné des preuves de stupidité.

»           VOUS ?

» — Oui, moi, qui me suis avisé de dou­ter de votre puissance.

» — Vous convenez....

» — Ma foi, madame, et entre nous tout peut se dire, j’avoue franchement que per­suadé que vous alliez tomber, je me suis mis à l’écart.

» — Et vous me le contez là, en face ?

» — Pourquoi non, s’il vous plaît;, en au­riez-vous usé autrement envers moi? je vous le demande; vos bontés se seraient-elles placées entre le maître et moi?

» — Non, en vérité, répliqua vivement

la marquise stupéfaite de cet excès d’audace,

de cette sincérité à laquelle rien ne Tarait

préparée; j’aurais plutôt avancé la main pour

décider à avancer votre chute , car vous avez

«

toujours pris rang parmi mes ennemis.

» — Dans ce cas, j’ai pu, sans être coupa­ble, garder une neutralité prudente.

» — Et aujourd’hui que j'ai battu les vô­tres vous les abandonnez.

» — Oui, madame, et je viens vous faire

mes coinplimens et vous offrir mes services.

» — Vous êtes étonnant, monsieur le ma­réchal.

» — Me croiriez-vous si j’assurais que je vous étais dévoué de cœur et d'âme ; non sans doute et feriez bien. Maintenant la position change de face, je vois la folie de mon recul; et combien une paix entre nous peut m’être avantageuse ; je ne vous la demanderais pas si elle ne l’était que pour moi ; je ne peux vous nuire, mais je peux vous aideri Voulez- vous oublier le passé, à dater de demain; je vous engage ma parole d’honneur que le ma­réchal duc de Richelieu vivra dorénavant

»Mie vous en bonne intelligence et sans ar-

?

rière-pensée. »

Cette façon originale de raccommoder une faute, cette manière hautaine de solliciter un pardon peu mérité, parut si étrange à la marquise qu elle lui plut : on aime tout ce qui sort de la ligne ordinaire. D’ailleurs, au moment où elle allait enlever au roi le comte d’Argenson, était-il probable qu’i! serait éga-


Jement facile de le priver du due de Richelieu ? La marquise en désespérait, et son expérience

9

consommée lui laissa voir pareillement que , puisqu’on ne pouvait éloigner ce seigneur de la cour, il valait mieux, certaine de l’y ren­contrer à toute heure, l’empêcher de profiler de son intimité de tous les jours avec le roi, pour rendre une foule de mauvais offices qui, à la longue, nuiraient beaucoup.

D’ailleurs, comme, en conséquence des avis du comte de Saint-Germain, madame de Pompadour songeait à faire du maréchal le beau - père d’Alexandrine, ce ne sérail pas avancer ce mariage que de le pousser à bout. Ce motif majeur, fortifié par ces réflexions rapides , imprima, dans son esprit, la mar­che qu’il fallait suivre, et, soudainement, rappelant sur ses traits une bienveillance peu ordinaire à sa physionomie, la marquise ré­pliqua :

« A quoi me servirait de vous bouder, de continuer de vivre avec vous, moitié en trêve, tnoiliéen guerre ? Puisque vous avez mis tant


«

de franchise à vous faire connaîlre ; eh bien !

M. le Maréchal, en conformité aux usages des puissances belligérantes , commençons par conclure un armistice, il nous permettra de discuter mieux à notre aise le traité dé­finitif qui, sans doute, interviendra plus tard.

» — Soyez persuadée, repartit le duc avec une sincérité de vieux procureur, que vous comblez mes souhaits. Il n’y a aucun plaisir à vous combattre, et il est si doux de bien vivre avec vous. Je suis, depuis long-tems, le serviteur très-humble des dames, et ne les guerroie qu’à mon corps défendant.

» — Oh ! pour ceci, ne le soutenez pas ; les femmes n’ont point eu toujours à se louer de vous, et même celles qui vous ont le plus aimé.

» — Si cela est, je ne sais comment la chose s’est faite, répliqua le duc en se per­pétuant sur le ton d’une naïveté fallacieuse, car j’ai eu perpétuellement le désir de les contenter; mais un pauvre homme ne peut                                                  ,


donner que ce qu'il a, et il est des femmes si avides   

r — Sauvez-vous, par une équivoque, d’un reproche qui ne touche pas à la galanterie. Ah ! M. le Maréchal, vous n’êtes guère prêt à changer ! »

M. de Richelieu se mit à rire, prit la main de la marquise, et la baisa respectueusement ; la dame le laissa faire , et cette condescen­dance lui sembla décisive en faveur de la ré­conciliation ; aussi, renonçant à toute solen­nité, et reprenant les manières d’un homme du grand monde , dont la familiarité relevée n’est ni de l’insolence, ni de la bassesse :

« Vous l’emportez donc, madame, dit-il, et sur forte partie. Qu’allez - vous faire du comte d’Argenson ? »

La question était indiscrète, un ami n’au­rait osé la faire. La marquise s’en formalisa, et répondit sèchement :

« Je me mêle de désennuyer le roi, et non de changer ses ministres.

» — Et vous faites bien ; c’est un fardeau


pénible que la direction des affaires. Je crois que M. d’Argenson est las de sa charge, et qu’il ne demanderait pas mieux que de s’en défaire avantageusement.

» — Il aurait tort ; le roi le voit avec plai­sir et trouve son travail convenable ; [’enga­gerai Sa Majesté à ne pas se séparer de ce mi­nistre tant qu’il en sera satisfait.

» — Mon Dieu, à la eour le vent change avec tant de promptitude ! ce qui plaît le ma­tin importune le soir ; et le roi, par exemple, 'aujourd hui satisfait, comme vous dites, de M. d’Argenson, peut ne pas l’être demain. » La marquise se tut ; poursuivre alors sur ce texte eût été une faute dont le maréchal de Richelieu était incapable. Il s’en alla pres­que content, non qu’il crût possible de se donner l’amitié de la marquise; mais il s’ap­plaudissait d’avoir neutralisé sa haine, et, dans la circonstance, c’était beaucoup.

Le roi ne tarda pas à venir le remplacer ; il s’assit, contre son usage, et, regardant son amie :


« Demain M. de Machault partira; n’est- il pas vrai que vous ne me reprocherez pas sa disgrâce ?

» — Et pourquoi, Sire ?

» — Vous l’avez aimé.

» — Oui, lorsque je le croyais franc et fidèle; mais depuis qu’à sa mauvaise admi­nistration il a joint une déloyauté positive, je me suis toute détachée de lui.

» — C’est un honnête homme.

»> — Sans cœur.

» — Et, madame, qui en a à la cour ?

» — Mais moi, mais vous, Sire ; vous, dont la sensibilité est si parfaite ; moi, qui ne veux vivre que pour vous. Ne vous ai-je pas donné des preuves d’une affection enflam­mée? Ah ! si vous aviez vu mes larmes, mon . désespoir, lorsque ce monstre !.. ... En vous perdant, Sire, je perdais tout.

» — CT est comme moi ; je pensais à vous

pendant que des douleurs cruelles........ Je me

rappelais votre attachement : je suis certain d’être aimé, vous m’êtes si complaisante.


J'aurais pu tomber au pouvoir d’une femme exigeante, impérieuse , sans égards pour la

faiblesse humaine...... En vérité, je crois que,

hors vous et moi, nul ici n’a une âme tendre et passionnée.

» — Ce n’est pas , du moins, M. de Ma- chault.

» — Avez-vous songé à qui mettre aux sceaux ?

» — Hélas ! je ne m’occupe que du bon-

\

heur que j’ai de revoir le roi ; c’est mon tra­vail unique... Attendez, Sire ; vous scellerez, comme hier vous le dites, cela produira un bon effet. Quant à M. d’Argenson, je suis per­suadée que vous trouverez mieux pour rem­plir ses fonctions.

» — Mais, dit le roi en regardant encore plus fixement la marquise, et du ton d’une émotion légère, il ne s’agit pas de celui-là;

je le garde...... Il a eu des torts envers vous ,

j’exigerai qu’il vous en demande grâce : un homme ne s’abaisse jamais en suppliant une


*-► 241

femme j vous lui pardonnerez, et tout sera dit.

» — Assurément, il suffit que le Roi sou­haite qne j’oublie les cruelles offenses que M. d’Argenson m’a prodiguées, pour que je m’efforce de les sortir de ma mémoire ; toute­fois j’avoue qu’une telle magnanimité m’est impossible en ce qui touche Votre Majesté.

» — Je suis certain du respect de mon ministre de la guerre. On sait que vous ne l’aimez point, et on le dessert de toutes fa­çons auprès de vous.

» — Oui, sire.

» — Vous en convenez ; il est naturel que ses ennemis ne perdent aucune occasion de lui nuire.

» — Dans ee cas , il a tort de les aider en

è                                                                   '

ceci.

» — Lui ?

» — Lui. La faute, que dis-je, le crime qui me trouvera inexorable , c’est lui qui l’a commis.

» — On vous aura fait un conte , et la i.                               16


»-► 24-2 •«-*

belle amitié que vous lui portez se sera ac­crochée après. •

» —Un conte ? non , une bonne histoire , et même écrite et signée de sa main.

» — Cela doit être une chose plaisante. Je serais curieux de voir la pièce par laquelle d’Argenson se bat en ruine. Je gage qu’on aura de la difficulté à se la procurer.

« — Elle est ici.

» — Montrez-la rnoi.

» — J’ai peur, sire.

’ » — l)e quoi ?

(( — De votre colère..

» — Contre vous, madame ?

» — Contre M. d’Argenson , il est bien coupable, et pourtant....

)> —-Vous le défendez... le cas est donc très- grave. A la cour on n’intercède pour ses en­nemis que lorsque leur chute est sans remède. Mais les dames se créent des illusions , et de ces chimères elles se font de belles réalités.

La marquise cachant sa joie sous une feinte pitié , tira de son sein le billet du comte


d’Argenson à madame d’Eslrade , et le remit à son auguste amant. Le roi avant que de l’ouvrir, examinant le dessus-et le dessous :

» — Voilà bien , dit il , son cachet et son écriture.

» — Voyez son style , il est aisé pareille­ment à reconnaître.

Le roi ouvrit le billet, le lut une fois, puis une seconde, même une troisième ; puis il pâlit.... jura presque ; Sa Majesté avait par

moment des habitudes peu relevées...................................................

demanda pardon à la marquise, et puis, levant les veux et les mains au ciel, se mit à citer le vers connu de Tartuffe.

• Voilà je vous l’avoue un abominable homme !

un insolent; il mérite la Bastille.., il y ira.

» Le roi lui ferait beaucoup d’honneur en témoignant autant de colère ; un exil à sa terre des Ormes.

» — Oui , et sans fin.

» — C’est l’usage.

» — Se jouer de moi, me tromper , me

baffouer avec sa........... Pardon, madame ,

mais je suis outré........... Moi ,‘faible ; moi,


 

 

 


indécis ; ali ! je lui montrerai ma force. Si vous saviez tout le mal qu’il a voulu me faire, les mensonges,vous concernant, qu’il m’a débités ces jours-ci ; tenez , il faut que je vous en conte deux ou trois.

Le roi s’arrêta pour se les remémorer, et la marquise, à qui la tournure de la con­versation devenait désagréable , profita de cette suspension qui lui permettait de pren­dre la parole sans interrompre le roi.

(f Daignez , Sire , m’épargner des infamies affligeantes ; vous les avez qualifiées de men­songes , et cela me suffît.

» — Il est bon que je vous les répète. Il prétend que M. de Bridge, mon écuyer , et sans contredit, le plus bel homme de la cour, a été votre amant, et que peut-être il l’est encore.

m—Et vous avez souffert ces horreurs ! s’é­cria la marquise violemment irritée ; vous avez pu les entendre sans en témoigner votre indignation.


» — J’étais malade. Je m’ennuyais, et

cela ou autre chose faisait passer le tems.

» — M. d’Argenson est un monstre, et la Bastille est encore trop bonne pour lui.

» — Oh î il en a bien chanté d’autres. Il vous donnait l’abbé de Bernis.

» — Fi, fi , un prêtre !

» —"Un bellâtre.

&

» — Mon ami ! on ne pourra donc se lier qu’avec des Thersytes !

» — Il allait presque à prétendre que le comte de Stainville , malgré sa laideur com­plète , n’avait pas été non plus repoussé.

» — Ce vil calomniateur aurait plutôt fait de me donner à toute la terre.

» — Ma foi, il ne commençait pas mal : jugez si vous et moi devons le ménager.

» — Qu’on le pende , le roue * le brûle ; je tiendrai l’échelle , la barre , le flambeau.

» — Ma faiblesse, mon indécision ; et où prend-il ces faussetés ? 11 verra si je balan- • cerai à le chasser en digne prix de ses œuvres; je suis fort et résolu ; oui, j’en fournirai la preuve en vous aimant toujours.


2 46

Caixa de texto: <—B» — Vous êtes la bouté, la galanterie même, et un autre... . Ah ! veneez-moi

7                                                  O

en donnant à l’abbé de Bernis le ministère des affaires étrangères, en plaçant encore plus avantageusement qu’il ne l’est aujourd’hui le comte de Stainville. Les élever tous les deux , les rapprocher de votre personne , cela fera tomber tous les bruits calomniateurs répan­dus par M. d’Argenson.

« — Vous ne demandez rien pour ce pau­vre Bridge ?

» — N’est-il pas assez heureux?.il appro­che le roi tous les jours, c’est là le comble du bonheur. »

Louis XV sourit, malgré lui, de cette

adroite flatterie, puis»il dit :

»

K Je ferai Stainville duc et pair, sa nais­sance l’appelle à ce haut rang ; c’est d’ailleurs, un homme de mérite et un jeune roué, il aime les femmes.

» — Qui les hait, sire?

» — Non pas moi , au moins : quant à votre abbé...


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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»-► 2 47 «-■

» — Eh bien !

» — Lui croyez-vous les talens nécessaires à bien administrer ? Je ne sais, mais il ne me revient pas.

» — Que lui manque-t-il ? sire.

» — On le verra à l'œuvre ; aussi bien Rouillé est rouillé. »

La marquise trouva le ealembourg divin, y applaudit en éclatant de rire. Il fut convenu que le ministre en pied, céderait, dans peu de mois, son portefeuille à l’abbé de Bernis, quoique le roi eût pour celui-ci une répulsion secrète, la cause principale provenant d’un cas très-grave. Voici comment madame du llausset le rapporte dans ses mémoires.

« Un jour madame ( toujours la marquise de Pompôdour, il n’y avait pour sa femme de chambre, qu’une seule madame au monde), un jour, madame, dit-elle, était à s’habiller, et le comte de Noailles demanda à lui parler particulièrement ; je sortis, M. le comte en entrant avait l’air très-effaré, et j’entendis tou-

%

»- 148 <~m

te la conversation, n'ayant que la porte entre

nous.

»

» — Il vient de se passer, madame, lui dit^ il quelque chose dont je ne puis me dis­penser de rendre compte au roi, mais dont j’ai cru devoir vous prévenir, parce que cela regarde un de vos amis que j’aime et consi­dère infiniment. M. l’abbé de Bernis a eu l’envie de chasser ce matin, il est sorti avec trois ou quatre de ses gens portant des fu­sils, et il a été chasser dans le petit parc, endroit où M. le Dauphin n’irait pas, sans demander la permission au roi. Les gardes, surpris d’entendre tirer, sont accourus, et ont été bien étonnés de voir M. de Bernis; ils lui ont demandé bien respectueusement sa permission, très - certains qu’il n’en avait pas; ils l’ont prié de cesser, en disant que, s’ils faisaient leur devoir, ils devraient l'arrêter, mais qu’ils allaient m’en rendre compte aussitôt, comme étant capitaine des chasses de Versailles ; ils ont ajouté que le 4‘oi devait avoir entendu les coups de fusil, et ils


l’ont prié de se retirer ; monsieur l’abbé s’est excusé sur son ignorance, et a assuré que je le lui avais permis. Monsieur le comte, ont- ils dit, n’a pu le permettre que pour des en­droits bien plus éloignés et dans le grand paie.

» M. le comte de Noailles s'est beaucoup fait valoir sur son empressement à prévenir madame qui lui a dit de lui laisser le soin d’en rendre compte au maître, et qu’elle le priait de ne point lui en parler. M. de Mari- gny, qui n’aimait pas l’abbé, vint le soir m’en parler, et j’eus l’air d’apprendre de lui cette histoire.

» 11 faut, disait-il, qu’il ait perdu la tête pour chasser sous les fenêtres du roi, et il s’étendit beaucoup sur les airs qu’il se don­nait.

» Madame arrangea cela de son mieux; mais le roi fut très-choqué, et vingt fois de­puis la disgrâce de M. de Bernis, se trouvant dans ce canton , il a dit : Ce sont ici les plai­sirs de M. b abbé. Le roi ne l’a jamais goûte,


et madame in a dit, après sa disgrâce, une nuit que je la gardais malade, quelle avait vu, au bout de huit jours de son ministère, qu’il n'était pas propre à sa place.

» Si cet évêque cafard, ajoutait-elle en parlant de l'évêque de Mirepoix, n’eût pas empêché le roi de lui donner une pension de deux mille écus qu’il m’avait promise, jamais il n’aurait été ambassadeur. Je lui aurais fait donner, par la suite, une pension de vingt mille livres de rente; peut-être la place de maître de la Chapelle; il aurait été plus heureux , et je n'aurais pas à le regretter.

» Je pris la liberté de lui dire que je ne le croyais pas et qu’il avait de bons restes qu’on ne lui ôterait point, que son exil finirait, et qu’il se trouverait cardinal avec deux cent mille francs de rente. Elle me dit :

Caixa de texto: Numérisé par Goc

Cela est vrai ; mais je songe au cha­grin qu’il a eu et à l’ambition qui le ronge : enfin, je songe à moi qui aurais joui de sa sociétés et vieilli avec un ancien et aimable ami s’il n’avait pas voulu être ministre.

» Le roi le renvoya avec colère et fut tenté de ne pas lui donner le chapeau. Mon­sieur Quesnay me dit quelques mois après , qu’il avait voulu se faire premier ministre , qu’il avait fait un mémoire pour représenter que, dans les tems difficiles il fallait qu'il y eût pour le bien des affaires un point centra ( c’est son mot ) où tout aboutisse. Madame ne voulait pas se charger du mémoire; il in­sista malgré qu elle lui eût dit vous vous per­dez. Le roi jeta les yeux dessus, répéta point central. .                                                .   . '

» — C’est-à-dire qu’il veut être premier ministre.

» Madame l’excusa, et lui dit que cela ne pouvait être que le maréchal de Belhsle.

» — Ne va-t-il pas être cardinal? dit le roi; voilà une belle finesse. Il sait bien que, par sa dignité, il forcera les ministres à s’assembler chez lui , et M. l’abbé sera le point central. Quand il y a un cardinal au conseil , il finit parêtre le chef. Louis XIV, n’a jamais voulu, pour cette raison, y faire entrer le cardinal de


Janson qu’il estimait beaucoup; M. le cardi­nal de Fleury m’a dit la même chose. 11 avait eu quelqu’envie d’avoir pour successeur le cardinal de Tencin; mais sa sœur était si in­trigante, que le cardinal de Fleury me con­seilla de n’en rien faire, et je me conduisis de manière à lui ôter tout espoir et à désabu- ser les autres. M. d’Argenson m’a pénétré et a fini par lui ôter toute considération. » ( Mémoires de madame du Hausset édition de 1834.)

Le roi avait donc une antipathie prononcée pour M. de Bernis. Une autre cause que celle du fait de la chasse s’y joignit plus tard, lorsqu’après la mort de madame infante fille du roi, on trouva dans les papiers de celte princesse , les preuves d'un long et complet commerce de galanterie qu’elle entretenait avec M. l’abbé.


 

 

 

 

 

 


CHAPITRE X.

 

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25V

Nûcesse est Jacéré sumptum qui quœiit lucrum.

Pi.auth , VÀsinaire, acle i , scène 3.

Celui qui reut gagner doit nécessaire­ment faire des avances.

11 entre ordinairement beaucoup de sym­pathie dans Tamour , c’est-à-dire une incli­nation dont les sens forment le nœud; mais quoiqu’ils en forment le nœud , ils n’en sont pas toujours l’intérêt principal. 11 n’est , pas impossible qu’il y ait un amourexempt de grossièreté.


 

 

 

 

 


9

. UN AMOUR VRAI A VERSAILLES

ï                                                                                                • •

Il ftit convenu entre le roi et la marquise qu’il y aurait une différence dans la manière de renvoyer M. de Machault et le comte d’Argenson ; que les formes employées à l’é­gard du premier seraient douces et bienveil­lantes, et dures envers le second qui avait

• t                                             * •              ’ *

particulièment blessé le roi dans son amour- propre et calomnié madame de Pompadour. Le château de Versailles apprit à la fois cette double disgrâce avec autant d étonne-

ment que de chagrin ; la Marquise y était

haïe à divers titres, d’abord à cause de sa

nouveauté. On ne tolérait là les passions des rois que lorsqu’elles avaient pour objet des personnes qualifiées ; c’était un droit que la noblesse se réservait. La marquise l’avait usurpé et on ne lui pardonnait pas ; on s’attendait à ce que la religion remporterait sur elle une pleine victoire, sauf un peu plus tard à ramener Sa Majesté vers les délices de l’enfer, dont maintenant on aurait tant voulu qu’il s’éloignât.

Le parti de la reine, celui des jésuites en ressentirent de vives douleurs. Les ambitieux se servaient du nom de Marie Leczinska pour ameuter le peuple contre madame de Pom­padour , et les jésuites qui avaient tout à craindre d’elle appliquaient au même moyen le nom de monseigneur le Dauphin; ce prince leur étant dévoué de cœur et d’âme, avait travaillé dans cette occurrence avec tant de zèle pour les délivrer de la favorite, qne celle- ci n’avait pu douter davantage de l’éloigne-


ment qu elle inspirait à l’héritier du trône; elle en frémit et plus que jamais comprit la sagesse du conseil que lui donnait sans cesse le comte de Saint-Germain , celui de s’atta­cher solidement à la cour par le mariage de sa fille.

Le duc de Fronsacpar conséquent, devait se­lon la marquise, devenir son gendre, et c’était de ce côté qu’il fallait diriger toutes les batte­ries; l’une des principales que la marquise mit en œuvre fut de faire mauvais visage au maré­chal duc de Richelieu. Le moment était bien choisi ; la cour tout entière reveuait aux ge­noux de madame dePompadour; elle cimen­ta cette faveur croissante et devenue mieux établie par les suites d’un coup qui aurait dû la renverser, l’exil de deux ministres, le renvoi du troisième, M. Rouillé, l’entrée aux affaires étrangères de M. l’abbé île Bernis, et bientôt au ministère de la guerre du maréchal de Belle-Isle, autre de ses amis. Tout annonça

que son influence serait plus puissante que ï.                                         17


jamais et qu’on ne (rouvciait mal de la com­batiré.

Ce fut donc un concours de soumissions , de servilités, de bassesses dont elle-même se lassa ; ce fut à qui viendrait avec le plus d’ef­fronterie prendre part à son triomphe, tan­dis qu’on l’avait abandonnée pendant les premiers instans de la maladie du roi; on tâ­chait de l’éblouir , de la tromper. C’est un piège perpétuellement tendu à ceux que la fortune élève , ils le connaissent et néan­moins s’y laissent prendre, comme s’il ne frappait pas leurs regards ; l’amour-propre est un enfant toujours enclin à ce qu’il l’amuse ou satisfait sa gourmandise; les caresses sont les jouets, les flatteries les pralines qu’il aime, il n’a ni souvenance du passé, ni prévision de l'avenir, il marche en aveugle dans le che­min fleuri du présent.

Le duc de Richelieu ne tarda pas à démê­ler que madame de Pompadowr ne tenait aucun compte de l’explication singulière qu’ils avaient eue naguères , et qu’elle était

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y


 


^>eu disposée à lui donner des marques de son amitié; il semblait que la trêve, conclue allait finir sans la faire suivre par le traité de paix promis. Le duc se trouvait, sans doute, en une position brillante, il avait l’oreille du roi , une haute réputation militaire, de grands établissemens, une belle fortune que son économie augmentait, et tout cela ne le satisfaisait point; il lui fallait la faveur; or, pour l’avoir , il convenait de s’entendre avec la marquise.

Mais comment faire! Une seconde entrevue remplirait-elle ce but? madame de Pompa- dour y serait-elle plus franche que dans la première? Cela pouvait ne pas être. Le duc préféra employer le ministère d’un ami com- mwi à qui la favorite conterait plus* volon- tiers les griefs; cet ami > il le trouva promp­tement dans M. de Gontaut, très - avant

%

placé dans les bonnes grâces de la marquise qu’il amusait par des puérilités, des plaisan­teries et toutes sortes d’extravagances. C’était un homme d’esprit qui s’amusait parfois à


feindre la simplicité, surtout lorsqu’il avait à faire parler une grosse malice : d’ailleurs d’un commerce sûr, rempli de bonnes qua­lités et généralement bien vu de tout le monde ; lié depuis long tems avec le duc de Richelieu son aîné d’environ douze années ; il avait ses entrées chez la marquise où il causait librement.

M. de Gontaut y vint donc en ambassade cachée ; le duc de Richelieu lui avait com­posé un thème de finesses, de manières d’ar­river au but par côté; lui trouva plus fa­cile d’aller au but directement; aussi dès qu’il eut abordé la marquise.

« Madame, dit-il , que préférez-vous ? la voie oblique ou droite.                                #

» — Celle-ci est la plus courte, il^jne semble qu’elle épargne du chemin.

k — Je pense comme vous, mais le duc de Richelieu a une opinion contraire ; pour arriver à votre esprit de sa part, il préten­dait longtems me faire courir la poste.

» — C’est que lui-même est un tel laby-

rinthe qu’il croit les autres construits égale­ment en forme de dédales. Qu’avez-vous à me dire de ce seigneur que j’apprécie ce qu’il vaut?

» — Il est dans une inquiétude mortelle, il s’attendait à être bien traité de vous.

» — Et il ne l’est pas !

» — C’est ce qui le fâche.

» — A qui la faute ?

» — Il jure par les grands dieux qu’il est innocent.

» — Comme un vieux singe , M. le duc.

» - Qu’il est rempli pour vous d’affec­tion , de tendresse; que vous, au contraire , vous jnontrez sévère avec lui.

» Je rends à chacun cei que j’en reçois, des effets et des paroles. Services pour ser­vices, fumée pour fumée. Qu’a fait pour moi, jusqu’ici, le duc de Richelieu? il a essayé de me nuire ; je le lui ai rendu. Il est venu me trouver, m’a promis des mer­veilles , j’ai ouvert le ciel à ses yeux ; mais le tout en propos, et à son exemple : quand


-«► 2R2

il viendra aux preuves, je ne refuserai* pas non plus à l’obliger, mais, jusque-là , je me maintiendrai dans nos dispositions respec­tives.

%

« —Mais encore qu’exigeriez-vous de lui ? »

La marquise réfléchit, parut prête à parler, s'arrêta, puis reprenant.

« — Rien , absolument : rien j’attendrai ce que son attachement ( elle appuya sur ces mots) lui suggérera.

» — 11 est très-embarrassé. C’est de vous que les grâces découlent, il ne peut vous en faire. C’est à lui à les recevoir de votre main.

» — M. le duc, l’amitié véritable est ingé­nieuse , elle s’interroge, se demande ce quelle peut faire, et trouve toujours le moyen de se montrer. Elle met surtout un grand prix à se lier avec ceux qu elle chérit par des nœuds indissolubles ; il y en a de plusieurs sortes.

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« — Oui, dit M. de Gontaut en riant, et rentré dans son caractère, ceux, par

Caixa de texto: n > Caixa de texto: 265 Caixa de texto: <~9L

exemple, d’une sainte union matrimoniale; il est libre lui, mais vous .....

»<—Suis-je dans ma famille 1a seule femme, et n’a-t-il pas un fds.......... ? Je dis ceci, pour­

suivit la marquise, en affectant une indiffé- rence qu’elle n’avait pas, pour dire quelque chose, pour prouver que lorsqu’on veut on trouve.

» — Mais, repartit M. de Gontaut qui, dès le premier mot, devina le but caché de ma­dame de Pompadour, et qui, s’en s’embar­rasser de ce qu’en penserait M. de Richelieu, eut le désir de plaire â celle-là ; mais voilà, par exemple, une idée charmante qu’un ma­riage entre mademoiselle Alexandrine et le petit Fron sac ; elle a quinze ans , lui vingt, ce serait admirable. Pourquoi ne tournez- vous pas vos idées de ce côté ?

» — Moi! M. le Duc, que je me montre aussi présomptueuse! Je sens l’honneur que me ferait M. le maréchal de Richelieu, en me proposant cette alliance, et, néanmoins,, je ne le provoquerai pas.


s ► 264

» — Si vous le trouvez bon, j’ouvrirai la tranchée.

» — Pas en mon nom, s’il vous plaît. Dieu me garde de rien proposer de sembla­ble; quant à ce qui est d’en faire naître l’idée à M. de Richelieu, je ne m’y oppose pas; vous êtes notre ami commun.

» — Et je m’en fktte, et je m’en fais gloire, n repartit M. de Gontaut charmé de la perspective de faveurs que ce mariage, s’il venait à s’accomplir, ferait tomber sur sa propre famille. 11 vit le désir qu’en avait la marquise, et, je le répète, ne se tourmenta point de ce qu’en penserait M. le maréchal.

A la cour on prête volontiers aux autres ce qu’on ne ferait peut-être pas soi-même ; en s'imaginant qu’ils valent moins que soi, ou bien en présumant qu’ils sont capables de faire ce qui nous répugne, prétendons-nous parla nous créer des excuses, lorsque, plus tard, à leur exemple, nous sauterons le fossé?

M. dc Gontaut, impatient d’aller travailler à ce grand œuvre, quitta la marquise. Celle-


 


ci avait trop de confiance en elle-même pour douter un seul instant de l’acceptation du duc de Richelieu ; ce mariage devant lui pro - curer des avantages immenses, un crédit à l’avenant, une fortune prodigieuse; les Vi- gnerot ( nom' de famille du maréchal ) n’é­tant par eux-mêmes que de simples gentils­hommes très-nouveaux, ne pouvaient for­mer de hautes prétentions d’alliance. Elle se complaisait dans cette idée tandis que, pour se distraire, elle passait dans son atelier de travail, où elle gravait en ce moment une médaille relative à l’alliance de la France et de l’Autriche, conclue en 1736.

Madame de Pompadour avait reçu une éducation ^ complète ; un goût particulier l’ayant portée vers les arts qui ressortaient du dessin, elle s’attacha à graver, et réussit avec assez de bonheur. On a d’elle une suite d’environ cinquante pièces bien composées et exécutées mieux qu’on ne devait l’atten- ' dre;*d’autres artistes y mirent-ils la main? on l’a dit, mais sans preuves.


L’ouvrage auquel, alors, elle donnait se» soins, représentait la France appuyée sur un bouclier aux trois fleurs de lis, et donnant la main, par dessus un autel allumé et envi­ronné d'un serpent qui se mordait la queue, à l’Autriche, également reconnaissable à son écusson. Aux pieds des deux nations, un masque brisé, un flambeau s’éteignant, an­nonçaient que la fraude, la guerre, et la vengeance disparaissaient sans retour pour faire place à une union sincère et éternelle, ce qu’exprimaient, et la flamme pure, et le serpent de l’autel. L’idée était ingénieuse et la marquise s’attachait à ce que le faire ne demeurât pas au-dessous; c'était un présent qu'elle réservait au roi.

Toute à son travail, elle n’entendit pas quelqu’un entrer et se glisser derrière son siège.

« Oh ! que c’est joli, s’écria une voix bien connue de son cœur.

» — Et que c’est indiscret, re par libelle,, sans se retourner, que de venir ainsi sur­prendre les gens, lorsqu’ils s’enferment. U n ’y a donc personne dans mon antichambre, pour arrêter les importuns ?

» — M’en voudriez-vous, maman, s«*.je cours à vous aussitôt que je le peux,*dit Alexandrine, incertaine si sa mère était ou non fâchée.

» — Je vous aime trop, pour vous quereller sérieusement, chaque fois que vous viendrez à moi, repartit la marquise en embrassant sa fille. Chère enfant, ta vue est pour moi le bonheur, et lorsqu’en me cherchant tu me prouves ton amitié, pourrai-je en avoir du déplaisir ? Oh ! Alexandrine, s’il dépend de moi, que tu seras heureuse î

» — Qui sait ce que l’avenir me réserve?

» — Des jours filés d’or et de soie; tout ce qui peut rendre prospère une destinée at­tend la tienne ; ma fille n’aura même pas des vœux à former, car quels qu’ils puissent être, je prendrai soin qu’ils soient devancés.

» — J’en forme peu, répondit Alexam

drine, les miens sont simples, je voudrais...

» — Quoi? parle, et tu obtiendras.

» — Vivre loin du bruit, et dans la soli­tude.

>K — A ton âge , avec ta beauté, tes espé­rances, tes certitudes, jeune folle, la cour doit avoir en toi son plus bel ornement. Tu y tiendras la première place; oui, la charge la plus élevée sera accordée à tes ambitions.

» — Mon ambition, dit Alexandrine, se­rait d’être heureuse ; l’est-on ici ? Vous , par exemple , ma mère, êtes dame du palais, et pourtant que de fois je vous ai vu verser des larmes, ne ferais-je pas comme vous?

» — Mais, où prend tout ce qu’elle dit cette petite fille, répondit madame de Pom- padour en frappant légèrement et a diverses reprises la joue d’Alexandrine ; que s’avise- t-elle de voir? On pleure partout, ma belle ange; il y a des pleurs aux champs comme à la ville, comme à Versailles.

h — Où donc est le bonheur demanda ti­midement Alexandrine.

«


» — Il est, répondit avec vivacité madame de Pompadour, dans les avantages d’une haute position sociale, dans la société intime des plus augustes personnages, auprès des soleils d ici-bas, dans la faveur et les énivre- mens de la fortune, dans la facilité de punir

nos ennemis, et dans le plaisir d’être pour

»

tous un objet digne d’envie.

» — Oh ! comme je me suis trompée! ré­pondit la jeune fille ; je croyais que, pour le posséder, il suffisait d’aimer et d’être aimée.

» — Voilà encore des illusions de ton âge,en souriant amèrement.Toutes ces cho­ses sont vaines : le cœur a besoin d’alimens plus vifs, plus énergiques ; qui aimer , d’ail­leurs.

» — Mais, d’abord, ses parens.

» — C’est un devoir.

» — Et ensuite.... Alexandrine s’arrêta, parce qu’elle se sentit rougir.

« — Eh bien ! achève donc, dit en riant la marquise.

» — Son mari et ses enfans. »


Ceci fut plutôt balbutie ù voix basse, que prononcé intelligiblement.

« Bon ! tu songes déjà à cette fin de la vie ! Quoi ! de telles idées roulent dans votre tête, mademoiselle . Allons, ne pleure pas, je préfère que ta vocation soit tournée au ma­riage, que si tu affichais le désir d’entrer dans un couvent......... D’ailleurs, il est pos­

sible que bientôt... »

La marquise, à son tour, suspendit la phrase commencée : Alexandrine, dont l’at­tention fut éveillée, parce qu’elle croyait de­viner , n’osa pas témoigner l’envie quelle avait d’un prompt éclaircissement ; mais ses yeux parlèrent pour elle.

« Ma chère fille, poursuivit madame de Pompadour, repose-toi sur ma tendresse du soin d’assurer ton bonheur ; je m’en occupe activement, et, avant peu, tu n’auras rien à souhaiter; j’espère assurer ton sort d’une manière brillante. Attends, et nous serons tous satisfaits.

Ce propos fut loin de causer la joie que la


marquise se flattait d’allumer dans le cœur de sa fille ; un instinct clair frappa soudaine­ment celle-ci au cœur. Ce cœur ne douta pas qu’il ne fût question d’un mariage ; et Alexan­drine, entrée avec tant d’allégresse dans le cabinet de sa mère , en ressortit à pas lens,

sombre, déjà chagrine et soupirant............ En

vérité, c’était bien là un acheminement au bonheur.

Comme elle traversait une pièce intérieure de l’appartement où ne passaient que les gens de la maison, elle rencontra Géréon ; lui, aussi peu liant, et qui,depuis plusieurs jours, manifestait un redoublement d’impa­tience et de mélancolie, Géréon venait à cet âge où l’âme développée cherche à prendre sa place naturelle, où le monde s’ouvrant à son regard, semble l’inviler à la parcourir ; il s’indignait et de son inactivité et du rûle secondaire qu’il jouait. Les paroles dures de la marquise, celles non moins arrogantes du comte d’Argenson remplissaient toujours son oreille^ et le faisaient rougir involontaire-


ment; il détestait sa position actuelle, sou-3 haitait d’en changer; et, se croyant pauvre i ne voyait d’autre carrière possible que celle de simple soldat ; on est toujours assez noble pour se faire tuer par une balle, dit-il , et quand je ne serai plus, qui se ressouviendra d’un bâtard. Il avait ces sinistres pensées, lorsqu’Alexandrine passa auprès de lui ; leurs regards se rencontrèrent, et tous les deux se sentirent émus en apercevant réciproque­ment sur leurs traits l’impression d’une tris­tesse égale.

L’impétueux Géréon , point accoutumé à contenir ses sensations, vint à mademoi­selle d’Êtioles, et lui dit du ton de l’intérêt le plus tendre :

« Oh ! mon Dieu ! qu’as-tu? qui donc t’a fait pleurer ?

» — C’est que ma mère veut me rendre heureuse, répondit naïvement Alexandrine.

„ — Et son vœu t’arrache des larmes ?

répondit Géréon étonné.

» — C’est que le bonheur de ma mère


n’est pas le mien. Il consistent pour elle dans tout ce qui a de l’éclat; il me semble j que plus en paix....

» — Où nous sommes, dit Géréon, on a des pensées si étranges; le bonheur ici... Il est possible qu’on l’y trouve: quant à moi, si j’avais à le chercher, ce serait loin, ah ! bien loin de Versailles!

» — Tu voudrais donc avoir d’autres amis, repartit Alêxandrine, en donnant à sa question l’expression du reproche.

» —Je voudrais, s’écria Géréon impétueu­sement, oublier tout ce que j’ai connu; oui, tout, parce qu’à ce seul prix , je pourrais être tranquille.

» — Nous te sommes donc bien odieux, puisqu’il te serait agréable de perdre notre souvenir ?

» — Alexandrine ! ! J » *

Géréon n’ajouta rien à ce nom prononcé, mais il le lança au cœur de la jeune fille avec tant de chaleur, qu’il valut de lui seul une longue justification. Les paroles, dans

18

certaines positions de la vie, sont inutiles; un mot, un regard suffisent : il est des âmes qui s'entendent à miracles, sans que rien le dé­couvre au dehors, c’était ici le cas. Made­moiselle d’Étioles comprit que Géréon, en voulant, partir, ne le faisait pas par haine de sa personne, que c’était plutôt en consé­quence d’un excès de délicatesse et de vertu. Cette déclaration d’amour, quoiquedétournée, fut à son adresse. Alexandrine,' tout occupée de la recevoir, ne put continuer à quereller Géréon; elle se tut, baissa ses beaux yeux, et garda le silence. Qu’elle était belle en ce moment! Le jeune homme s’énivra en sa contemplation, elle lui parut au-dessus de la création humaine, et, néanmoins, par un sentiment rempli de délicatesse, il craignit de lui faire de la peine en la laissant ainsi, et, après une assez longue interruption, il poursuivit.

« Je suis bien malheureux, dit-il, enfant abandonné de la nature entière, sans for­tune, élevé par lu charité de mon tuteur,


je dois souffrir, me taire et demeurer eu. des lieux où je ne prévois que trop d’infortunes. Oh ! si j’étais riche ! ! !

» — Que ferais-tu alors, demanda Alexan­drine en tremblant.

» — Ce que je ferais, Mademoiselle; je me sauverais de Versailles, j’irais partout où la fortune assure l’indépendance solliciter du service, combattre, mourir ou avancer ra­pidement dans la carrière des armes, et si, devenu colonel, je retrouvais...

A l’âge de Géréon, l’existence au lieu d’ê­tre positive, n’est qu’une suite de chimères; la jeunesse vit toute d’illusions et dédaigne la réalité dont elle n’est jamais contente. Alexan­drine écoutait avec chagrin et satisfaction ce château en Espagne auquel elle se trouvait in­téressée, et rougissant déplaisir tandis qu’une larme roulait dans ses yeux.


« Que me donneras-tu, dit-elle avec un sourire mélancolique , si je te facilitais les moyens de réaliser le rêve que tu viens de former ?

» — Ce que je te donnerais ! rien , car lu as déjà tout ce que je possède, mais je crois .que je t’aimerais mille fois plus.

» — Eh bien ! repartit mademoiselle d’E- tioles i presque joyeusement, tant elle était persuadée de la satisfaction qu’elle allait pro­curer à son jeune ami; eh! bien, pour te mettre en mesure d’arriver vite au grade de colonel, je te dote d’un million comptant.

» — D’où le prends - tu ? dit Géréon à demi impatienté de ce qui lui parut un ba­dinage.

«J

» — Mais dans le portefeuille de ton tu­teur qui possède en ton nom cette som­me. »

Et, après ce début, Alexandrine lui racon­ta tout ce que madame de Pompadour lui avait appris imprudemment. Géréon, sans dire un mot, sans pousser un cri et comme concentré en lui-même, écouta ce récit; ce­pendant, il était facile à la jeune fille de voir à la vivacité de sa rougeur, à l’éclat extraor­dinaire brillant dans ses yeux, au redresse-


ment subit de sa taille de médiocre hauteur, que Géréon n’était pas insensible à une pareille nouvelle, et quand il fut convaincu que ceci n’était pas une fable, il tomba à genoux de­vant Alexandrine , et avec la violence d’une passion long-tems contenue et qui déborde enfin, il prit la main qu’on ne lui retira pas.

« Attendras-tu, dit-il , que je revienne ?»

Cette question renfermait tout l’avenir de mademoiselle d’Etioles, et ne put être enten­due sans la plonger dans un trouble inexpri­mable. Eperdue, incertaine , placée entre la modestie de notre sexe et cet entraînement que la nature a mis en nous afin que ses lois impérieuses ne soient jamais interrompues : elle tremblait, et sa jolie bouche ne savait comment répondre ; mais à cet âge qu'il y a de la facilité à aimer ! combien on voit peu loin dans les obstacles de la vie ! que les bar­rières du rang sont faibles ! que l’ascendant de l’objet aimé a de puissance!! Alexandrine avait déjà donné son cœur, devait-elle être arrêtée à un aveu qui, nécessairement , lui


échapperait encore, enfin pressée par les ins­tances de son amant ?

« Oui, dit-elle, oui... Que Dieu te donne la force de réussir ! quant à moi, je me sens cel le de braver l’absence et tout ce qui s'y joindra contre toi. »

Géréon , ivre de bonheur, se relevait à 1 instant où Alexandrine penchait un peu sa tète; ce double mouvement les rapprocha par trop, leurs lèvres se rencontrèrent, eHà, fut donné et reçu le premier baiser de l’amour ; sceau charmant d’une promesse écrite dès lors en lettre de feu dans des cœurs tout de flamme , engagement solennel qui parait d’autant plus sacré qu’il est toujours volon­taire.

Géréon témoignait trop de bonheur pour

*

qu’Alexandrine osât manifester les crain­tes qu’elle formait sur les projets ultérieurs de la marquise. Peut-être même, elle aussi,

x                              f

les oublia en se trouvant en plein sous le charme d’un doux aveu. Ces deux âmes ten­dres et simples se lancèrent dans toutes les


chances de l’avenir, y virent tout cc qui leur plut; leur volonté combla les mers, abaissa les montagnes, aplanit la surface de la terre, ou pour ne point employer de métaphores , détruisit les obstacles que l’on opposerait à leur union.

Ce fut, de toutes les façons, une heure heu­reuse, telle que l’on en compte peu dans l’existence et de celles dont le souvenir ne s’efface jamais. Géréon se proposait d’avoir une prochaine explication avec son tuteur ; il contait lui révéler, non le secret de son amour, mais son désir d’aller à la considéra­tion par la route militaire. Il voulait acheter une compagnie, un régiment., .jusqu’à une armée ai on en mettait une en vente. Géréon

s’imaginait que l’on parvient à tout avec de *

l’argent. Son erreur était excusable ; il habi­tait Versailles et voyait chaque jour la cour.


Alexandrine enfin, s’arracha à ce délice. Elle avait besoin de la solitude de sa cham­bre pour mieux jouir de la vie nouvelle qui venait de commencer. Il y a dans un amour

naissant, un besoin de retraite et d’isolement fort extraordinaire. Le cœur fuit parfois la présence de l’objet aimé afin de penser à lui avec plus de suite, sa présence amène trop de confusion, éblouit et trouble ; tandis que, lorsqu’on est seul, on le voit avec toutes ses perfections au milieu d’une perspective adou­cie par les illusions , compagnes inséparables de l’amour.

Les femmes, principalement, mecompren-

*

dront mieux que les hommes : la délicatesse de leurs sentimens se plaît autant dans la spiritualité de la tendresse que dans les jouis­sances positives qu’elles procurent. Les indif- férens le nient, je l'affirme, on doit me croire sur parole, j’ai passé par là.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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CHAPITRE XI.


11 est aussi dangereux à 1a cour de faire des avances que de n’en pas faire.

La Bruyère , De la Cour.

C’est’chose à voir, que le manège de deux personnes qui se baissent , que l’intérêt rap­proche et qui se dévorent réciproquement en idée , avec le regret de ne pouvoir le faire à belles dents.

Recueil de Maximes.


>»0«4C

« Vous êtes un homme charmant, mon cher duc, un homme parfait, qui servez au- de-là de leurs espérances ceux qui vous ai­ment. Oui, je vous remercie de vos soins, de votre bonne idée , j’avoue qu’elle ne m’était pas venue; c’est un lièvre que vous avez levé, je vais le courre, et, très-certainement, nous en reparlerons un de ces matins.

» — Oh ! je savais bien que vous compren­driez ainsi que moi l’excellence de cette af-


 


faire; regardez-la comme conclue;puisqu'elle vous plaît tant, et, entre nous soitdit, conti­nua M. deGonlauten s’approchant de l’oreille du maréchal de Richelieu , quoiqu’ils fussent seuls dans la chambre de celui-ci, je joue près

i

de vous le rôle de l’écho.

» — Comment !

m — Eh bien ! que vous en semble ? vous voyez que l’on peut aller vite. C’est la mar­quise ... de par Dieu ne me vendez pas, bien que je vous livre son secret. »

Et M. de Gontaut se pavanait, jubilant en son âme d’avoir si bien conduit l’intrigue, puis il ajouta :

« Bonjour, M. le maréchal, nous nous reverrons bientôt à ce que j’imagine; ne m’é­pargnez pas, je suis votre cadet et tout prêt à vous servir: oh ! je vous le repète ; ceci ira de soi-même lorsque les deux parties sont d’ac­cord. . ..

Et il salua, et il partit sans que le maréchal songeât à l’accompagner. Lorsque celui-ci se vit seul.

« Que mille millions de pestes de diables d’enfer, et pis encore, t’étouffent, et te rô­tissent, misérable officieux , s’écria l’orgueil­leux vieillard en frappant du pied la terre, en donnant du poing contre une table de mar­bre, et en regardant le ciel avec des yeux rem­plis de rage. .. mon fils à la petite Poisson ! le sang de la maison de Lorraine, le mien ainsi avili... quand je saurais être crucifié tout vif... oh! l’abominable pensée ! et moi plus fou encore qui me suis avisé d’en provo­quer la manifestation.. . »

Le duc se promena en silence, s’assit en­suite, puis se relevant avec précipitation « Cet exécrable mariage est impossible... je n’y donnerai jamais mon consentement... une c.... a tant d’audace ! je serais allié avec toute la racaille, la basse finance de Paris et de la banlieue, t, ici, chacun me montrerait au doigt.. .je les en défie ; il est des profon­deurs auxquelles je ne saurais descendre, en dessous de la boue, par exemple.... ah ! si tout cela pouvait s’s’être démenti ! si ce pauvre


Gonlaut ne m’avait pas avoué la vérité. t. ^ crois-t-on que je sois dupe.. ? il ne l’a fait que par ordre de la marquise... on veut m’enla­cer de manière à ce que je ne puisse me dé­mêler de cet indigne filet.. • j’en sortirai.... oui, oui,. .. dussé-je le rompre.

Et le duc se rejeta dans son fauteuil, cou­vrant son visage avec les mains, et demeura pendant près d’une heure à tenir conseil avec soi-même. Les expédiens se présentèrent en foule à son imagination, aucun ne lui parut satisfaisant; il voulait tout à la fois refuser et ne blesser point; conserver l’honneur de sa maison sans irriter l’amour-propre de la mar­quise ; il prétendait à mieux encore, à ne rien accorder etàs’acquérir l’amitié de la favorite. C’était un problème ardu, tenant aux hautes mathématiques morales et que , pour résou­dre, il fallait au-delà de toute l’expérience d’un vieux courtisan.

Plus les difficultés l’entravaient, plus de­venait ardente l’opiniâtreté à les éclaircir. Ce


fut en vain que le duc de Richelieu s’en tour­menta à cette heure, il ne rencontra rien de ce qu’il cherchait, et dut enfin sortir de sa rêverie avec le dépit de n’avoir pu s’affran­chir de la tâche que lui imposait la volonté d’autrui. Certes, ce fut un supplice doulou­reux , un châtiment passager dont la provi­dence le frappait en retour de ses fautes pas- - sées ; il s’interrogea pour savoir à qui il demanderait conseil, et, en réponse, se dit qu’en pareil cas, la prudence exigeait qu’on ne prît l’avis de personne. Sa première pensée ensuite fut de se donner une attaque soudaine de goutte, ce qui lui procurerait un délai à vo­lonté ; mais il songea que la marquise ne se s laisserait point prendre à cette ruse commune etque,pour lui résister, il fallait de meilleurs moyens,

L’ambition, de temsà autre, faisait en même tems entendre sa voix. La campagne qui ouvrirait cette année serait décisive et propre à procurer de nouveaux lauriers. Des succès militaires devenaient nécessaires au


maréchal pour se maintenir en considération à la cour et à la ville, il ne doutait pas que la marquise ne travaillât à l’empêcher de servir, pour peu qu'elle fût mécontente de ses procé­dés , et qu’il ne vît élever à sa place le prince de.Soubise.

Celui-ci, ami du roi, et parfaitement bien avec la marquise de Pompadour, pouvait, à l’aide d’une victoire remportée, entrer au conseil, et acquérir dans le gouvernement une importance que lui, duc de Richelieu, ne verrait qu’avec désespoir, et tout cela ar­riverait pour peu que la favorite éprouvât l’affront d’un refus.

Caixa de texto: érisé par Go<

Il y a des ambitieux qui se tuent, il y en a un plus grand nombre qui se déshonorent, parce qu’ils tirent du profit de la vente de leur réputation. Le duc de Richelieu , incapa­ble d’en finir volontairement avec la vie, hé­sitait à suivre l’autre voie. Les diverses fluctua­tions agirent si vivement en lui, qu’il reprit la fièvre. Se sentant indisposé, sans avoir be­soin de la feindre, il fut épouvanté de la

force avec laquelle cet incident fatal agissait en lui, et comprit mieux encore que s’il te­nait à son repos, à sa santé et à tousses plans, il avait besoin de jouer un peu serré ; en con­séquence , il se détermina à aller de lui-même

chez la marquise, présumant, qu’à la pre-

- ^

mière entrevue, une affaire aussi majeurene

' \

pourrait être conclue entièrement.


Il était encore à se consulter, lorsque l’abbé de Bernis vint le voir. L’abbé allait être une puissance; son entrée au ministère parais­sait prochaine, et, d’ailleurs, n’avait-il pas aussi la meilleure part dans l’amitié de la marquise. L’ordre était donné chez le maré­chal de Richelieu de le laisser entrer chaque fois qu’il se présenterait. M. de Bernis causa de choses indifférentes ; on parla de la guerre, et lui, comme entraîné parla conversation, laissa échapper que si par une cause quelcon­que de santé, par exemple, le maréchal de Richelieu ne pouvait faire la campagne pro­chaine , ce serait le prince de Soubise qui, selon toute apparence, le remplacerait, cela i.                     19

fut dit sans arrière-pensée, et par suite de la légèreté imprudente de Babet la bouquetière.

Mais les courtisans, et ceux qui vivent au milieu des intrigues politiques, s’imagi­nent que rien n’est jeté au hasard ; que c’est toujours à propos qu’une indiscrétion échap­pe, qu’une révélation est faite, ils voyent de l’intention, de la fausseté , là, où il n’y en a pas souvent, et comme ils ouvrent et ferment leurboucheà volonté, ils croient que les autres en font autant.

Caixa de texto: Numérisé par Google

Dans cette occurence, le duc de Richelieu ne douta pas que l'abbé de Bernis n’eût mis­sion expresse de la marquise de Pompadour, afin de lui faire entendre que, si cette dame était mécontente de lui, il n’aurait aucun commandement d’armée. Le duc poussait loin l’envie de faire parler de son mérite mi­litaire, et c'était une rude peine, que de voir prêt à lui échapper ce qu’il espérait avoir encore cette année. Ce fut une raison de plus pour ménager la favorite. Allons la voir, se dit-il, ne la blessons pas, laissons-la venir,


qui sait ce que des délais me feront gagner;

Le duc savait à quelle heure madame de Pompadour avait peu de monde, il choisit une de celles-là. En effet, la marquise était seule, couchée à demi sur sa chaise longue ; il lui avait pris fantaisie d’être indisposée, et elle le pouvait impunément. Pour avoir une contenance, elle faisait des nœuds ; faire des nœuds était l'occupation paresseuse des fem­mes du grand monde, et même de celles qui ne l’étaient plus. Un peu plus tard, on se mit à broder et à parfder. Aujourd’hui, on dresse une multitude de brimborions, vases dans le goût de ceux de la Chine, étuis à allumettes, guirlandes de bougies en paips à cacheter, ou­vrages en paille, en soie, quesais-je, la manie de paraître travailler tourmente toutes celles qui ne veulent rien faire.

A la vue du vieux seigneur, madame de Pompadour se souleva avec grâce sur son séant, le salua d’une inclination de tête amicale, et d’un sourire non moins avenant.

« Que c’est bien à vous, M. le maréchal i


\ dit elle ensuite, de venir remplir une œuvre de miséricorde, en visitant une pauvre femme sérieusement malade.

» —Eh! mon dieu, madame la marquise, de quelle infirmité bizarre êtes-vous atteinte? jamais on ne vous aura vue plua belle.

» — Il n’en est pas moins vrai que je suis abîmée ; je ne retrouve plus de santé depuis l’infame assassinat du roi ; que serions-nous devenus si nous eussions perdu ce grand prince ?

» — Il est vrai, madame, que la perte eut été irréparable; mais la Providence a veillé sur lui, et nous l’a conservé.

» — Elle me le devait, j’aurais été si mal­heureuse !

» — Et la France avec vous.

Caixa de texto: »— Moi, Monsieur, avant la France, car, que me serait-il resté?

»> — Peu de chose, il est vrai.

» — De la fortune et pas d’amis.

» — Ah! Madame; en manqueriez-vous

jamais! chacun, quoiqu’on dise, en trouve dans la disgrâce.

» — Oui, ceux qui ont une famille puis«? santé, mais les autres.. ; je crois pourtant, que je pourrais compter sur le prince de Sou- bise.

» — Et sur d’autres ençore. »

Ceci fut dit en hésitant et de mauvaise grâce, parce qu’il est une pudeur involon­taire qui ne permet pas à nos ennemis de feindre, sans réflexion, une affection étran­gère à leur âme, jla marquise s’en aperçut, aussi dit-elle.

)> — Et qui, s’il vous plaît ? Mon frère, il me le dit; l’abbé de Bernis, son ingra­titude serait un crime; M. de Gontaut, encore. Voilà tout à peu près.

» — Et..... et moi, madame, m’oubliez- vous? ou bien....

%

>: — Je doute d’un attachement sans preuve; je crois déjà vous l’avoir dit.

» — Oui, vous voulez des actes et pas de mots.

» — En effet, les mots que sont-ils ? des sons vains , que le souille dissipe ; les faits restent. Par exemple, ce bon M. de Soubise, venait trois fois par jour tant qu’a duré la maladie du roi. Aussi mon attachement pour lui est extrême, et chaque fois que l’occasion de l’obliger se présente , il peut faire fond sur ma reconnaissance.

» — Et bien aurez çaison de récompen­ser son zèle ; je vous recommande pareille­ment M. de Gontaut ; celui-là ne vous est pas moins dévoué ; il m’aime aussi, et il m’en a donné tantôt la preuve. »

11 en coûtait au duc de Richelieu pour te­nir ce propos qui allait l’engager plus avant qu’il ne voulait; mais la perspective delà fortune heureuse du prince de Soubise lui était insupportable, et il espérait, en lou­voyant , que madame de Pompadour ne se porterait pas aux dernières extrémités , et que, de son côté , appréciant ce qu’il y au­rait d’avantageux pour sa fdle si elle épou­sait le duc de Fronsac, quelle patienterait


— 295

0 <lu moins jusqu’après l’ouverture de la cam­pagne prochaine ; c’était % en effet, bien cal­culé , et conforme aux règles de la prudence humaine.

Au nom prononcé de M. de Gontaut, la marquise comprit sur quel terrain la conver­sation allait être amenée. Que révèlerait-elle? Que résulterait-il de la démarche de l’ami commun et de la venue de M. le duc de Ri­chelieu ? Celui - ci, au lieu de poursuivre, 1 s’était arrêté. La favorite avait de l’impa­tience, et, pour contraindre le duc à s’ex­pliquer , se croyant, d’ailleurs, bien certaine de la discrétion de M. de Gontaut, elle crut devoir aider à l’explication, et relevant la halle lancée :

« Quelle est donc cette dernière marque d’attachement que vous avez reçue de M. de Gontaut? Il est, je le sais, capable de tous les bons procédés possibles.

» — Il est Venu me parler de folies, de choses étranges , de plans pour le bonheur à venir de ma famille, qui, dans leur singula-


rite, ont pu un instant me séduire, mais aux­quels je ne me suis pas livré comme il l’au­rait voulu.

» — C’était donc un projet bien déraison­nable?

» — Inattendu, serait plutôt l’expres3ion qui lui convenait ; le cherGontaut me voyant chagrin qu’un malentendu m’ait mis en fausse position avec vous, madame, s’est creusé la tête pour me placer de nouveau dans vos bonnes grâces, et cela, de manière à ce que, certaine de la sincérité de mes sentimens , vous ne pussiez plus refuser de revenir à moi avec pleine franchise.

» — Eh bien, M. le Maréchal, comment accommodait-il cela?

» — A la manière des gens simples, par un rapprochement intime.

» — Je ne suis pas à marier, dit madame de Pompadour en riant, charmée de voir en­fin le duc se déterminer à franchir le fossé.

Caixa de texto: îrisé par Google

»> — Vous...., non, sans doute; mais, si bien moi.,... »


La pensée que M. de Richelieu voulait se mettre à la place du duc de Fronsac , n’était pas venue à la marquise ; et, à la tournure de cette dernière phrase, elle s’imagina subi­tement qu’il était capable de se proposer par malice, et afin de se faire refuser à cause de la disproportion d’âge qui, véritablement, serait démesurée. Ceci réveilla la mauvaise humeur de madame de Pompadour, qui, sans laisser à l’interlocuteur le loisir d’achever sa phrase, prit vivement la parole.

« Si, en effet, M. de Gontaut vous a con­seillé de chercher à vous engager en bon hymen avec quelque personne des miens , vous avez eu raison de taxer la chose de folie. »

Le duc souffrait de vieillir ; il était de ceux qui regrettent toujours leur jeunesse, parce qu’ils ne savent pas avoir l’esprit de leur âge, et la moindre allusion à sa décrépitude pro­chaine le courrouçait. Le propos de madame de Pompadour devait l’irriter : c’est ce qui eut lieu. Lui aussi, alors, et avec aigreur ;


« Quoique je date du déluge , il me serait facile de choisir parmi celles honorées de por­ter mon nom.

» — Je ne le conteste pas, M. le Maré­chal; tout ce qu’il me semble, c’est que vous avez attendu un peu tard à jeter le mouchoir, et, je vous le répète, M. de Gontaut a réelle­ment des idées extraordinaires. »

Caixa de texto: Numérisé par Goog

Le duc, de son côté, devinant sans peine que madame de Pompadour prenait le change, fut saisi du désir de la laisser dans son erreur; ce serait pour lui un moyen sûr d’éluder une explication, et, du moins, gagnerait-il du tems ; mais aussitôt il songea que, puisque la dame avait chargé M. de Gontaut de le pressentir sur le fait d’un mariage à conclure entre M. de Fronsac et Alexandrine, elle re­garderait, sans doute, toute autre proposition comme une défaite, et que son dépit ne ferait que s’en irriter. 11 se décida à revenir sur ce point principal, et, quoique fortement offensé par la manière dont la possibilité d'un hy­men avec lui était prise, il dit :


u Je dois justifier notre ami, et convenir que le traité d’union qu’il a mis en avant est fondé sur d’autres bases qui, je m’en flatte, ne vous paraîtraient pas aussi absurdes. Il aurait voulu que mademoiselle d’Étioles ( il appuya sur ce nom ) daignât accepter la main qui lui serait offerte de M. de Fronsac. J’ai repoussé à mon tour cette idée; mon fils n’est ni assez riche, ni assez en faveur pour être encore de long-tems marié, et certainement la belle Alexandrine trouvera tôt un mari digne de ses charmes, de ses qualités et de sa position. »

La marquise voyant enfin son ennemi en­trer dans la bonne route, rasséréna son front soucieux, et tâchant de parer ses lèvres flé­tries d’un sourire qu elle eût voulu rendre amical, elle répliqua soudainement:

» Quant à ceci, M. le Maréchal, il y a rapport d’âge, et dans un hymen c’est déjà beaucoup. Vous craignez que M. le duc de Fronsac soit trop en arrière de ma fille pour

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être choisi à titre d’époux, c’est mal me con-


naître, et rae croire par trop ambitieuse. L’al­liance dont j’entrevois la possibilité , dépas­sera mes espérances si elle s’effectue, et ce serait à moi à traiter le duc de Gontaut de père obligeant pour avoir conçu une telle pensée. Ma fille, M. le Maréchal, aura sans doute de grands biens; le roi, vu l’intérêt qu’il me porte, la traitera comme si elle était sienne. Le premier grand gouver­nement qui vaquera sera donné à son mari, 'des avantages non moins relevés suiveront cette première faveur ; et si le beau-père est en pos­session d’en obtenir pour lui-même, je vous affirme qu’elles ne lui manqueront pas. »

La marquise cessa de parler, et le duc ne reprit pas la parole; il voyait, avec un cha­grin toujours croissant, la tournure hâtive que prenait l’affaire : déjà elle paraissait con­clue , puisqu’au premier mot qu’il avait dit, on lui répondait par le détail des avantages qui découleraient de cette alliance. La chose pouvait donc être regardée comme faite et son désespoir n’en était pas médiocre. Cepen- *

Caixa de texto: Numérisé par Google

»


dant, il ne convenait pas de prolonger ce

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silence dont il fallait sortir sous peine de provoquer de nouveau l’animadversion de la favorite ; et lui, rempli de douleur et s’in­dignant contre sa faiblesse ambitieuse, dit enfin :

» Vous ne devez pas être surprise que tant de faveurs annoncées ne jettent dans de pé­nibles irrésolutions ; autant il serait agréable d’^n profiter, autant il deviendrait pénible de les manquer, et tant de chances sont probables qui peuvent renverser des espé­rances fondées. »

» — Savez-vous, repartit la marquise avec impatience, que vous et moi maintenant ne savons ce qui est. Ou vous ne voulezrpas m’entendre, ou je me suis mal expliquée ; je vais vous fournir à mon tour la preuve que c’est avec franchise, et sans arrière-pen­sée que je souhaite votre amitié. Vous avez manifesté la crainte que Monsieur le duc de Fronsac ne soit pas digne de ma fille ; ras-


surez-vous, j’ai, au contraire, une haute idée d’un tel mariage, et s’il ne faut, puisqu’il me plaît d’ailleurs, que mon consentement pour le conclure, il est donné. Vous ne m’accuserez pas de ne point être sincère : en sera-t-il de même de votre part ?

Ce fut un coup mortel porté au vieux courtisan. Reculer n’était plus possible, éluder même ne se pouvait guère, il fallait résolument avaler la pilulle, ou se placer de nouveau dans un état d’hostilité sans terme. Le duc vit tout cela, et prenant son parti et essayant d’animer son visage morne.

« Vous dépassez mes vœux, madame la Marquise, vous les comblez par la manière obligeante avec laquelle vous leur répondez. J'avoue qu’hier un rapprochement aussi in­time m’aurait paru impossible, il appartient uniquement à M. de Gontaut; mais je puis dire que dès qu’il est venu en tourmenter mon imagination , je l’ai accueilli avec le vif désir de le voir s’effectuer. Il l’est, tout est

A

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dit; je suis charmé, que désormais nos inté­rêts soient confondus. Ils le seront, puis qu’ils reposeront sur deux têtes bien chères à l’un et à l’autre.

» — Embrassez-moi, Monsieur le Maré­chal, en signe de réconciliation complète. »

» — Ah ! madame, encore ce lien-là ! Vous prétendez donc que je demeure votre dé­biteur éternel? »

Et le duc, avec un redoublement de joie et de galanterie apparentes, s’avança vers la marquise, tandis que la mort était dans son cœur, et posa sur ses joues un double bai­ser. En ce moment le roi ouvrit la porte et s’arrêtant sur le seuil.

« Vive Dieu, dit-il, je Crois que je sur­prends en fonction de Lèze-Majesté mon premier gentilhomme de la chambre, »

La Marquise se levant en entier pour re­cevoir le roi, dit en même tems.

« Votre majesté arrive à propos pour ser­vir de témoin au traité de paix qui va me lier avec M. le Maréchal.

» — Mais, Madame, repartit le roi, tou­


jours avec gaîlé, fallait-il que nécessaire­ment il fût signeAsur votre visage ? Le duc a tant de fois juré sur cet autel qu’il en a pris ,1’habitude et ne s’épouvante plus d’un parjure.

» — Le roi se plaît à rappeler les erreurs de ma jeunesse.

» — Et les erremens, monsieur, de votre maturité. Au demeqrant, poursuivit Louis XV, charmé qu’un bon accord s’établît en­tre des personnes dont l’union lui serait agréable , faut-il ' me prouver que ce fla­granti delicto ( le roi fit du latin et son petit-fils l’imita en cela plus qu’en autre chose ) mérite ma clémence royale :

» — Je remerciais ^Monsieur le duc, re­partit la Marquise, de la grâce qu’il met-

%

tait à demander la main de ma fille Alexan­drine pour Monsieur de Fronsac.

» !—‘ Pour votre fils, Monsieur, dit le roi,

                                        «A                                                                                                                    |                                 ^

avec autant de vivacité que de surprise et se tournant vers Riçhelieu, et sans trop se donner la peine de déguiser sa stupéfaction.


Le roi avait des idées féodales très-arrê- tées ; il ne concevait pas un mariage dispro- potionné; quant à de l’amour, c’était autre chose. La marquise sentit désagréablement l’intention secrète de son amant auguste, et

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le duc qu’elle couvrit de honte en eut néan­moins une sorte de joie, puisqu’elle lui fit espérer du secours dans l’avenir en cas de besoin. Ce fut alors qu’une inspiration su­bite , telle qu’il nous en vient par fois, se présentant à lui en forme de trait de lu­mière libératrice il se hâta d’en profiter, et s’adressant à Sa Majesté.

» — Aussitôt que j’aurai obtenu l’approba­tion de la maison impériale de Lorraine à la­quelle mon fils appartient par sa mère, je me hâterai de demander au roi son agrément pour la conclusion de ce charmant mariage. » Madame de Pompadour écouta avec trans­port cette phrase décisive par laquelle le duc de Richelieu s’engageait irrévocablement; car, s’adresser au roi en pareille circons­tance c’était le rendre garant des chances de

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l’avenir; elle en témoigna sa joie; le duc se perdit en galanteries d’usage, et Louis XV sans plus se mêler à la conversation et sans que la favorite comprit pourquoi, donna à sa physionomie cette expression que Madame de Sévigné dépeint en disant quelle ne va­lait rien du tout.


 

 

 

 

 


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11 u’est pas à la cour de conversations in­nocentes $ on ne s’y reunit que pour médire du prochain et le persiffler : c’est encore bon vouloir quand on lui épargne la calomnie.

Recueil de Maximes.

Songes , devins , sorciers, fantômes imposteurs, Prodiges , noirs esprits et magiques terreurs,

Lewis , Le Moine.

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Caixa de texto: Numérisé par Gooç

) *


Aussitôt que le roi eut quitté la marquise, elle se hâta de faire venir le comte de Saint- Germain. Il ne sortait guère de Versailles de­puis l’assassinat de sa majesté, afin de se trouver toujours à portée d’offrir à madame de Pompadour ses secours et ses avis. Cette fois il accourut en1 grande hâte, et aperce-


vant la satisfaction briller sur le front de la dame, il ne douta pas d’avoir été mandé pour prendre sa part de quelque nouveau motif de contentement. La marquise aussi du plus loin qu’elle l’aperçut :

« Vous êtes, dit-elle, mon ange protecteur. Quelles actions de grâces n’ai-je pas à vous rendre; l’idée que vous m’avez inspirée aporté son fruit. Je cesse d’être isolée à la cour, où ma famille va se voir superbement établie. Le duc de Richelieu m’a demandé la main d’Alexandrine , et c’est à vous que je le dois.

« — Il l’a fait.... et de bonne grâce, sans doute ?

» —De la meilleure, répondit la marquise dont l’amour-propre aida à la vérité. C'est M. de Gontaut qui lui en a fait l’ouverture , il y a topé sur-le-champ et presqu’aussitôt est veau me trouver. Il s’en est suivi une expli-* cation longue, complète, très-satisfaisante. J’ai montré ce que je donnerais à ma fille, la masse. de fortune de tous les genres dont sa


 


main serait accompagnée. De si grands avan­tages ont décidé le duc, si, par cas en soi , il hésitait; et désormais de ce côté je me vois sans inquiétude. »   

Le comte de Saint-Germain la complimen­ta sur l’heureuse et prompte réussite de cette affaire, lui en fit de nouveau approuver le ré­sultat, la lui rendit plus précieuse par la ma­nière dont il l’envisagea, et la chose ainsi bien préparée, il ajouta :

« A quand la noce ?

« — Bientôt, tout de suite, dès que le duc aura fait part du mariage à ses parens ; et vous savez qu’il en a de relevés.

M. de Saint-Germain regarda la marquise, ayant lui aussi dans ses yeux une partie de l’é­tonnement déjà manifesté par le roi dans une circonstance à peu près pareille. Il fut tel que madame de Pompadour en resta intriguée, et elle allait lui en demander le motif, lorsque, coup sur coup arrivèrent la maréchale de Mi- repcix, mesdames d’Amblimont et d’Es-


parbès, l’abbé de Bernis, le duc de Gon- taut, le prince de Soubise, en un mot, la réu­nion complète des intimes. Il fut impossible que l’explication souhaitée par la marquise pût avoir lieu, et surtout ne se souciant pas

encore de publier le mariage qui venait d’être

* /

conclu.

La conversation devint générale, on parla de paix et de guerre, de poésie et de prose ; les anecdotes scandaleuses eurent aussi leur tour; c’était le bon tems de la galanterie ; l’é­poque par excellence, où les demoiselles du mondejouaient un rôle non moins que lesgran- des dames, où véritablement l’égalité régnait; je ne veux pas spécifier de quelle manière afin qu’on ne puisse me reprocher de calom­nier mes aïeules et mes aïeux ; tout ce que je puis dire , c’est que c’est à tort qu’on leur re­proche d’avoir eu de la morgue ; ils n’en avaient ni pour leurs laquais ni pour les jolies filles du peuple.

La causerie s’attacha particulièrement à une dernière aventure de la maréchale du-


chesse de Luxembourg avec un page du roi. Le pauvre enfant, prétendait-on, avait chuté au milieu d’un gouffre.

<t C’est une ogresse que ma cousine, dit madame de Mirepoix.

» — La moitié de Barbe-Bleue, répondit M. de Gontaut.

» — Une femme bien aimable, ajouta M. de Bernis.

» — Oui, sans doute, dit le prince de Soubise , ce n’est qu’à force d’esprit qu’on répare de pareils torts.

MADAME d’aMBLIMONT.

Mais je la croyais dévote.

i

MADAME DE POMPADOUll.

Mon chat, (c’était le nom de tendresse de cette dame et de la marquise d’Esbarbès ),. l’un n’einpèche pas l’autre.

M. DE GONTAUT,

Il est avec le Ciel fies accomodcmens.


M. DEBERNIS.

Et des tartufes non moins en nombre jupes que. ...

MADAME DE MIREPOIX.

Que culottés; allons, servez-vous du terme propre.

i

MADAME DE POMPADOUR.

Fi, qu’il est sale !

MADAME DE MIREPOIX.

Oh ! vous faites la petite bouche, nous ne ne sommes pas en Angleterre où on ne craint pas de faire ce qu’on n’ose dire. Ici on dit et on fait.

MADAME d’eSPARBÈS.

La maréchal de Luxembourg, du moins.,, et à son âge.


MADAME DE MIREPOI*.

Ce qui signifie qu’au vôtre le cas vous sem­ble plus naturel; apprenez, Madame, qu’à tout âge on a un cœur et du sentiment.

,                 M. DE GONTAUT.

Madame la maréchale, est-ce comme cela que vous appelez .. ?            f

MADAME DE MIREPOÏX.

Vous plaindriez-vous de ma délicatesse ?

LE PRINCE DE SOÜBISE.

I

Vous nous avez d’abord tant vanté le mot propre, que nous vous croyions ennemie de la périphrase.

MADAME de MIREPOÏX

Vivent les mœurs !

M. DE BERNIS.

\

Nous sommes au plus fort de leur règne.


MADAME D ESPARBÈS.

\

Voilà pourquoi le clergé est si débauché.

MADAME DE POMPADOUR.

Je n’y connais que des saints.

M. DE GONTAUT.

De paradis ou d’enfer; le tout est de s’en­tendre.

I

M. DE BERNIS.

            r *

On nous prête des horreurs.

MADAME D’àMBLIMONT.

Vous savez qu’on ne donne qu’aux riches.

MADAME DE POMPADOUR.

Mais comme nous sommes loin de la ma­réchale de Luxembourg..! La conversation est une cascade perpétuelle qui, en tombant, se divise toujours de plus en plus; il est rare qu’elle remonte à sa source.


L’ABBÉ DE BERNIS.

Voilà une définition charmante.

%

LE PRINCE DE SOUBISE.

i

Notre amie a tant d’esprit !

MADAME d’ESPÀRBÈS.

Elle est si bonne !

.                                                • X                                                                                                                                                                                                                                                                            é

M. DEGO NTAUT.

. Si belle !

MADAME D’AMBLIMONT.

Que ne possède-t-elle pas ?

* »

MADÀMB de MIREPOIX.

Sa bourse est toujours ouverte aux vic­times du cavagnol ( jeu alors à la mode) ; mais pourquoi M. de Saint-Germain se met-

il à l’écart et sans ouvrir la bouche ?

. %

/

MAD/MET DE POMPADOUR.


11 s’est fait une règle de conduite de ne mé­dire ni de louer.


t

M. DE GONTAUT.

Parbleu ! c’est trop se singulariser au mi­lieu de nous. Que fait-on à la cour, que fiat-

t

ter et se déchirer.

' MADAME DE MIREPOIX.

M. le Comte, puisque vos principes ne vous permettent pas de prendre votre lopin de nos causeries, veuillez avoir la complai­sance de nous parler un peu de Catherine de Médicis, vous l’avez connue? »

Le comte de Saint-Germain , sans répondre à cette dernière question, se mit à dire.

<( C’était une belle et habile reine, tou­jours parée à ravir, rarement en négligé,

^                    I

parce que, prétendait-elle, des ajustemens de bon goût sont les fortifications d’une femme.

;                             MADAME DE MIREPOIX

4 \

à                                                                                 ,

Eli! mon Dieu, à quoi songeait-elle? Je me figurais qu’elle était plus portée à céder qu’à se défendre.

M. DE GONTAUT.

C’est qu’elle tenait sant doute à ne capitu­ler qu’à bonnes conditions.

M. DE SAINT GERMAIN.

Un soir, au Louvre, on était là en petit co­mité. MM. de Guise, de Tavannes, le roi CharlesIX , le légat du pape, puis...

madame de mirepoix.

#

Puis vous; allons, lâchez le mot. «

M. DE SAINT—GERMAIN,

0

On vint à parler du roi de Navarre Henri IY, depuis roi de France; ses intentions in­quiétaient. Charles IX aurait voulu le tenir auprès de lui ; M. de Tavannes dit qu’il fal­lait lui dépêcher un ambassadeur pour l’a­mener à Paris. — Il ne l’écoutera pas, reprit le roi. — J’ai un échanson très-habile, dit pieusement le légat. — Il ne boit que du vin


de Jurançon, et ne prendrait rien de la main de votre homme. — Eh bien ! dit le due de Guise, qu’on envoie une armée, et que j’en aie le commandement. — Il est habile capi­taine. — L’ou^roidi Navarra, dit alors le légat, et il me semble encore l’entendre s’é­crier , est donc oun diavolo, comment donne le battre? La reine alors. — En lui envoyan t un escadron en jupes, il n’a jamais su lui ré­sister.

M. de Gontaut se mit à chanter.

Vive Heuri Quatre ,

Vive ce roi vaillant ;

Ce diable à quatre A le triple talent De boire et de battre Et d’être un vert galant.

MADAME DE POMPADOUR.

Ah ! comme ses descendans sont de sa race !

MADAME DE MIREPOIX.

C’est leur cachet d’origine, que leur amour des dames.


— 321

.                                                                                                                                                                                    t

madame de pompàdour.

Et leur bravoure ? que celle du roi a été éclatante à Fontenoi !

MADAME d’eSPARBES.

Le roi est un héros, il est invincible.

m. de gontaut. ( s’adressant à la marquise )

Soyez tous (leur sans ennemis,

Et gardez tous deux vos conquêtes.

MADAME DE POMPADOUR.

Ce pauvre Voltaire, comme on lui a fait payer cher ces jolis vers ; avec quelle malice on les a interprétés et défavorablement.

M. DE SOUBISE.

Aussi, que vient faire un poète, parmi nous ?

MADAME DE MIREPOIX.

« •

' M. l’abbé de Bernis , voilà qu’on jette des

pierres^dans votre jardin.

i.                                       21 [6]


M. DE SOUBISE.

Oh ! notre abbé n’est point un hommè de lettres, c’est un homme d’état.

MADAME DE POMPADOUR.

Il est l’un et l’autre, il en tire gloire.

MADAME d’AMBLIMONT.

Ah ! M. l’abbé', dites-nous quelques-unes de ces pièces de poésie que vous faites si bien.

M. DE BERNIS.

«

Je les ai toutes oubliées.

MADAME DE MIREPOIX.

M. de Saint-Germain, vous nous avez conté une anecdote très-intéressante, et vous étiez là !

M. DE SAINT-GERMAIN.

J’ai cru v être. %


MADAME DE MIREPOlX.

Allons, de la franchise , avouez.

M. DE SaINT-GERMAIN.

Je suis prêt, madame, à vous obéir pourvu que ces messieurs veuillent à leur tour enga­ger leur parole d’honneur de répondre sans équivoque à la première question que pareil­lement il vous plaira de faire à chacun.

1

M. DE GONTAUT.

ê

Quant à moi, je refuse.

                                                                         I ,

M. DE SOUBISE.

Et je ne sauterai le fossé qu’après vous.

MADAME DE MIREPOlX.

Folle que j’étais, d’espérer à la cour que j’obtiendrais la vérité. Monsieur le comte, vous l’échappez cette fois ; mais j’enregistre dans ma mémoire votre partie de phrase à propos du légat, qu’il me semble encore l'en *


tendre ; je vous la rappellerai en tems et lieu.

On annonça que le souper était servi ,- ce fut une diversion. On alla se, mettre à table où chacun mangea avec appétit, hors le comte de Saint - Germain, qui, selon son usage, ne déplia pas sa serviette ; madame de Mirepoix, que son âge et son rang autorisaien t à tout dire, l’attaquant encore sur ce qu’à table il ne fonctionnait pas :

« Vous ne mangez donc jamais ?

» — Je suis un régime.

» — Monsieur, vous me rappelez invo­lontairement un conte des Mille et Une Nuits ; celui de cette dame qui, devant son mari, apaisait sa faim au moyen de grains de riz quelle prenait un à un dans un cu­re-oreille d’or, détourné de son emploi naturel, et qui, puis en la compagnie des goules de l’Orient, s’en allait manger des cadavres au cimetière. »

M. de Saint-Germain, en s’inclinant.

« La comparaison est flatteuse.

» — Mais, dit l’abbé de Bernis , un corps


mort à moitié pourri, c’est peut-être bon.

» — Fi ! l’horreur ! s'écrièrent toutes ces dames, en repoussant leurs assiettes, est-il possible de tenir à table d’aussi odieux propos !

» — Vous remarquerez, reprit l’abbé ,

que piadame la Maréchale a ouvert le

branle.

*

» — Tâchez, mon ami, dit la marquise, de trouver dans votre brillante imagination un meilleur mets à nous servir.

m

» — Oui, oui, ajouta madame d’Ambli- mont, des vers par exemple, bien tendres, bien langoureux-

» — Je ferai observer à madame la com­tesse que l'heure du coucher approche, et pour peu que l’on tombe dans le sentiment.

» — Ah ! dit la maréchale de Mirepoix, quelques gaudrioles nous regaillardiraient mieux.

» —En avez-vous besoin? Madame, dit la marquise , vous êtes ici la mieux éveillée.

» — C’est de peur qu'on ne m’applique


 


le proverbe: rien n’est pire que l’eau qui dort. »

V

Cetle causerie spirituelle amusa ; il fallait alors peu de chose pour être aimable. Au­jourd’hui cela devient impossible, il faut de la profondeur ou de la furie; un mot doit tuer ou faire délirer. C’est de l’alcool que nos jeunes Francs servent aux dames; encore, s’il était rectifié!

Le comte de Saint-Germain à son tour se mit à dire.

« Lorsque madame la Maréchale m’a fait l’honneur de me comparer à la dame man­geuse de chair humaine, j’ai cru d’abord qu’ayant connaissance d’un fait plus récent, elle allait s’en servir, et celui-là, du moins , est appuyé de preuves. »

Le comte parlait avec gravité ; il piqua la curiosité de la compagnie. On lui demanda de toutes parts de raconter le fait auquel il fesait allusion.


« Songez, dit-il, que c’est une histoire ter­rible. .

» — Bien effrayante?

» Affreuse même.

» — Oh ! ce sera charmant, »

. Et chacun de prêter l’oreille,et M. de Saint-Germain , après avoir promené un regard solennel sur chaque personne de la compagnie, commença en ces termes.

« Le 7 mai 1737.

» — Mon Dieu, il y a vingt ans, jour pour jour, dit madame d’Amblimont avec une frayeur visible.

» — A neuf heures du soir, le comte de Vil- lanova , riche seigneur de la côte de Dal- matie, était à souper, comme nous faisons maintenant, avec des amis et de belles da­mes de la ville de Zara ; un valet vint lui parler à l’oreille :

» Le comtes’adressant ensuite à la société :

>: —Notre réunion joyeuse va, dit-il, être augmentée; un convive aimable qui nous arrive de Sicile, le marquis Del Val di Torre nie l’adresse. C’est un gentilhomme étranger, grâcieux et beau ; il ne manque ni d’esprit


ni de fortune : vous plairait-il que j’allasse le recevoir et que je l’amenasse parmi nous ? » « Un chorus général d’approbation ré­pondit à la demande du comte de Villanova ; il se leva, sortit, et son retour fut attendu avec impatience. La nouveauté ne cesse d’a­voir de l’attrait; les dames, surtout, avaient fort envie de voir le noble voyageur. Le comte ne revenait pas, son absence se prolongeait outre mesure, les minutes paraissaient lon­gues ; il se montra enfin, mais pâle; mais embarrassé, et faisant passer devant lui son hôte. Celui-ci était grand, mince et bien, conformé, il avait des cheveux noirs et une figure assez belle ; mais tellement décolorée, tellement immobile, jusqu’aux yeux qui ne jouaient pas dans leurs orbites, qu’il fai­sait mal à voir. La compagnie s’apprêtait à l’accueillir avec une gaîté cordiale, et aus­sitôt qu’elle l’eût vu, le projet fut oublié. Chacun s’étonna de se sentir gêné et d’éprou­ver pour l’étranger une répulsion extraor­dinaire. Vui*. salua gravement, accepta la,

place d’honneur qui lui fut offerte. Il n’en fut pas de même des mets divers qu’on lui proposa , aucun ne se trouva de son goût, et pour se débarrasser des instances qu’on lui faisait, déclara qu’aux prises avec une mala­die intérieure et bizarrfc, il ne mangeait que rarement.

» Toute joie, ai-je dit, avait disparu dès son entrée; ceux présens ne pouvaient se lasser d’admirer ce visage si surprenant par sa fixité perpétuelle ; on était étonné que de3 lèvres si raides pussent laisser échapper des sons articulés, et l’infirmité dont le si- gnor Alterno se trouvait atteint se présen­tait unique dans les fastes de la Médecine. Nul des couvives ne se trouva charmé de prolonger le souper et même la veillée; on partit peu après, et chacun alla chercher dans le sommeil l’oubli d'un tel personnage. Le comte de Villanova, fâché d’avoir à le bien traiter était encore moins à son aise que ses amis; cependant sa générosité ne lui per­mettant pas de rien manifester de ses pensées


secrètes, il lit de son mieux pour persuader au signor Alterno qu’il avait du plaisir à le recevoir.

» L’heure de se coucher sonna.... celle de onze heures. Le nouveau venu fut con­duit dans une chafhbre qui donnait sur la campagne.

» Au coup de minuit un cri terrible, prolon­gé et perçant, réveilla en sursaut tous les habi- tans du palais de Villanova ; ils prêtèrent l’o­reille et n’entendirent plus que des gémisse- , mens étouffés qui, peu à peu, se perdirent dans le bruit accoutumé des vagues de la mer Adriatique heurtant contre le rivage; la

chose n’en parut pas moins singulière............

Le lendemain, au point du jour, on trouva proche des fossés un paysan des environs, étendu raide mort. Il parut qu’une main vi­goureuse l’avait saisi et étranglé; son cou noirci portait encore l’empreinte de cinq doigts fortement, enfoncés dans les chairs : aucune autre blessure n’avait été faite; je me trompe, l’un des deux yeux de ce mi-


sérable soigneusement enlevé sans ,qu’il en restât aucune trr.ce , ne se retrouva ni en­tier ni en lambeaux à l’entour du cadavre.

» Les assassinats sont communs dans la Dalmatie, où chacun se fait justice soi-même, où la vengeance individuelle est un droit que rarement la loi songe à punir. On crut que le villageois avait péri pour une cause pareille; on lui attribua le cri déchirant qui avait troublé le sommeil des habitans du palais, et on cessa de s’occuper d’un évé­nement sj, ordinaire. Lecomte, à qui plus tard on apporta cette nouvelle, attendait le réveil de son hôte pour venir le complimen­ter dans son appartement. Le signor Alterno se leva tard, il prétendait avoir beaucoup souffert, et comme la partie gauche de sa tête demeurait couverte d’un bandeau qui s’étendait sur la moitié du visage, il en donna pour raison que des douleurs aigues survenues à l’œil placé du côté gauche l’obli­geaient à prendre cette précaution. Lecomte i’en félicita, puisque cela semblait annon-


eer la fin de cette paralysie apparente dont ses traits étaient frappés. »

« — Oui, dit le signor, je sens mon œil qui se remue.

» En effet, le soir, au souper, le bandeau avait disparu, el le cristallin se remontrait humide, l’iris radieux, et la prunelle jouait sous les paupières, s’ouvrant et se fermant à volonté. »

(t — Le signor, soumis, à ce qu’il disait, à un régime sévère , demanda, pendant cette journée, que l’on portât dans sa chambre des fruits, de l’eau et une jatte de bouillon ; ce fut toute sa nourriture, et il refusa soit à dîner soit à souper , ce qui lui fut encore of­fert. Sa conversation était grave etbrièvê, il parlait peu, avec difficulté ; et si son amabi­lité ne se montrait guère, on n’en était pas refait par l’agrément de ses traits, devenus plus hideux depuis qu’un seul œil avait vie au milieu de l’immobilité du reste de sa phy­sionomie.

« — Certes, ce n’était pas là cet homme

que le marquis del Val di Torre avait peint sous des couleurs si gracieuses ; on ne pou­vait s’imaginer qu’il se fût trompé ainsi, et on finit par croire que sans doute il s’était diverti à mander un contre vérité. Plusieurs jours sé- eoulèrent; la maladie du signor Alterno lui servit de pretexte pour sortir rarement de sa chambre: il faisait, disait-il, des remèdes pour parvenir à retrouver l’usage de son autre œil, et nul ne s’attachait à le troubler dans sa retraite. Il y avait non loin du palais une vieille femme vivant misérableméntdes bienfaits de la charité publique et du travail opiniâtre de sa

•m

m

petite fille âgée de quinze ans et vrai miracle de beauté : cette créature innocente était re­marquable surtout par l’éclat de ses yeux aux noires étincelles, pour me servir d’une ex­pression assez bizarre et qui rend parfaitement l’effet que produisent les éclairs lancés par des yeux bruns. Margaretta, innocente autant que belle, ne sortait jamais ; elle couchait dans une petite chambre au fond d’une cour et dont son aïeule gardait soigneusement la

cléde la porte extérieure, tandis que celle com­muniquant à sa propre chambre demeurait toujours ouverte.

« Alterne avait vu d’une fenêtre du palais la douce Margaretta et, admiré avec le comte de Villanova ses yeux si resplendissans.

» Un soir on frappa à la porte de la vieille Elpanza, et une de ses amies la prie de venir veiller sa jeune fille dangeureusement mala­de. Elpanza elle-même était incommodée , elle ne pouvait sortir et néanmoins regrettait le prix dont on aurait payé ses soins. Marga­retta , comprenant la pensée de son aïeule, s'offrit de la remplacer auprès de la demoi­selle dont elle était d’ailleurs connue, toute­fois , à condition qu’une autre personne du sexe viendrait occuper son lit, pour que la vieille Elpanza ne demeurât pas seule. La chose s’arrangea facilement, une femme lo­gée dans la même maison consentit à cou­cher en son lieu et place, et Margaretta partit.

» Minuit sonnait à l’horloge de la cathé-

drale de Zara, lorsqu’un cri épouvantable partit soudainement de la maison de Mar- garetta. L’effroi répandu dans le logis mit ehacun sur pied; on vint chez Elpanza; elle-même, saisie de peur pour avoir en­tendu presqu’à son oreille cette clameur horrible, eut une grande peine à ouvrir ; on s’étonna que sa compagne restât tranquille quand tous étaient troublés ; on passa dans

la chambre où elle devait reposer................ La

pauvre femme fut aperçue, jetée en dehors de son lit, expirée par l’effet de la stran­gulation , ouvrage d’une main qui avait lais­sé son empreinte sur la peau du cou................................................................

L’œil droit manquait à cette infortunée, et on l’avait enlevée proprement, de telle sorte qu’aucun vestige ne s’en retrouvait.

» Uu tel crime parut étrange ; on se rappela celui du même genre commis sur un paysan naguères, et près du palais de Villanova, Les soupçons tombèrent d’abord sur Elpan­za ; mais ses doigts, que l’on mesura pour les comparer à la trace de ceux qu’on vojait marqués à la gorge de la défunte parurent

évidemment plus petits pi esque de la moitié J d’ailleurs, à quoi ce meurtre eût-il servi à El- panza ? qu’aurait-elle fait de l’œil qui avait disparu ?

» Le signor Alterno reparut le jour qui suivait cette nuit fatale, avec un nouveau ban­deau sur la partie droite de la figure, parce qu’enfin, grâces,disait-il, aux remèdes vio- lens qu’il prenait, il sentait de ce côté les mêmes douleurs dont naguères la guérison de son œil droit avait été précédée. L’heure du souper arriva; les mêmes convives qui avaient assisté à l’introduction du signor Al­terno chez le comte de Villanova, étaient réunis pour faire à l’hôte de leur ami les derniers honneurs, car il avait annoncé son départ pour cette même nuit. Vers le milieu

du repas, une dame s’avisa de demander à

|

Alterno s’il ne quitterait pas son bandeau ; peut-être, dit-elle, le mal aura cessé.

» — Je le pense comme vous, repartit-il ; et enmêmetems, il dénoua les cordons qui attachaient le mouchoir dont il s’était servi,

» — 11 y voyait ; son œil droit roulait anssi


dans son orbite comme le gauche............. tout

à coup, un chanoine de la cathédrale, placé en face de l’hôte du comte de Villanova* laisse échapper une exclamation d’horreur lève ses bras vers le ciel, et s’écrie.

» — Miséricorde ! que vois-je ! l’œil droit du signor n’est pas semblable à l’autre , il est bleu,l’autre est noir; hier, celui-ci était noir

aussi .....  et l’œil de la femme étranglée la

nuit dernière, et on l’a cherché en vain ,

était bleu pareillement.

» —Quoi ! dit Allerno sans réfléchir,ce

n’est donc pas Margaretta qui est morte ?

» — Non , démon ; non, vampire ; non , Boucolâtre, s’écrie-t-on , tu as été trompé par l'épaisseur des ténèbres.

» — Que Dieu soit maudit et vous tous avec, répondit le fantôme, car c’en était un.

» Et aussitôt il prit le couteau placé à côté de lui sur la table, l’enfonça dans son œil droit qu’il arracha ; et l’ayant jeté à la figure du chanoine , courut à une fenêtre , î’ou- vi it précipitamment, s’élança au travers et

558 « *

Caixa de texto: a >disparut. Les uns disent qu’il avait pris sa volée , d'autres que tombé sur terre il s’était retiré dans les îlots de la mer. On ne le revit plus.. .. Je l’ai pourtant rencontré depuis , et il n’était, plus borgne. »

M. de Saint-Germain s’arrêta et promena ses regards sur l’assemblée ,• elle était silen­cieuse , mal à son aise ; la maréchale de Mi- repoix néanmoins se mit à lui diie :

« Et où avez-vous rencontré ce suppôt de Satan ?

» — Près d’ici.... ne m’en demandez pas plus, il est des secrets que ma bouche ne révélera jamais.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



\

On cherche , on s’empresse , on brigue, on se tourmente, on demande, on est re­fusé . on demande et on obtient.

La Bruyère , de la Cour.

11 y a dans la jeunesse autant d’impru­dence que d'abandon , et néanmoins , mal­gré ses fautes, il est rare qu’elle reste en chemin.

Recueil de maximes.

*>


Le lendemain, et aussitôt qu’elle fut ré­veillée , la marquise reçut la visite accoutumée d’Alexandrine qui venait l’embrasser chaque matin. Ce jour-là ,quoi qu’elle eût peu dormi, l’éclat de sa beauté était extraordinaire ; il frappa madame de Pompadour , elle regarda sa fille avec un orgueil bien légitime, admi­rant la régularité de ses traits, la fraîcheur de son teint, la juvénilité de ses formes si sou^ pies, si admirablement dessinées.


 


u Quel trésor, pensa-t-elle, je vais livrer à ce jeune duc; en saura-t-il apprécier le prix ? Qu’elle aura de succès avec son grand habit le jour de sa présentation ! Oh ! je se­rais morte que je serais capable de me rele­ver du cercueil pour me procurer la jouis­sance d’assister à cette cérémonie. »

Et de nouveau, elle couvrit Alexandrine de ses baisers, en la serrant sur son sein. Trop remplie de la pensée de ce mariage qui assurait à la fois une double position, il ne lui fut pas possible de retarder lacommunica- tion qu’il faudrait toujours avouer, et faisant signe à Alexandrine de s’asseoir sur le lit.

« Mon enfant, dit-elle, te voilà grande et raisonnable, le moment va venir où je me séparerai de toi.

Ges mots inattendus portèrent droit au cœur de mademoiselle d’Étioles, qui tressail­lant comme si un objet désagréable lui eût été présenté inopinément.

'k Vous séparer de moi, répondit-elle, vais-je donc aussitôt retourner au cbuvent?


Caixa de texto: 343 Caixa de texto: < Caixa de texto: ♦

» — Non, répliqua la marquise avec un sourire malicieux et significatif, ton éduca­tion est terminée ; il est une autre carrière à parcourir, puisse celle-là t’être heureuse...je te marie incessamment. »

Les vives couleurs, parures du doux vi­sage d’Alexandrine, disparurent aussitôt que sa mère eut parlé, et une suffocation sou­daine agita son beau sein; elle baissa la tête, ne trouva rien à répondre... des pleurs rem­plirent ses yeux. Ce passage rapide de la sé­rénité à la tristesse n’étonna pas la marquise, il lui parut naturel que sa fille éprouvât du chagrin à la quitter,et son émotion fut attri­buée à sa tendresse filiale.

« Ne te tourmente pas trop, reprit la mar­quise, nous n’aurons pas une longue distance à parcourir, lorsque nous voudrons être en­semble; c’est à Versailles que je te marie, auprès de moi, à la cour. Je te donne un mari agréable, spirituel, qui est appelé à une liante fortune , allié avec les meilleures famil­les de France et de l’étranger ; M. le duc de

/

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.          3 h-t < c

Fronsac... Tu es assurément bien digne d’un tel mari; mais enfin , il n’est pas moins vrai que ce mariage t’assurera une existence que les caprices de la fortune ne sauront t’enle­ver; tu vivras à la cour, tes enfans y tien­dront la première place ■ voilà ma fille le vrai bonheur. »

Alexandrine, jusqu’alors, avait passé la vie en enfant gâté ; obéie du matin au soir dans ses

'J 7

moindres fantaisies, adulée par sa mère, ses pa­rens, ses domestiques, par la foule nombreuse dessolliciteurs quiremplissaientl’appartement de la marquise, jamais un de ses moindres désirs n’avait éprouvé la pluslégère résistance. Cet empire absolu, conservé dans tout son despot isme, finit par gâter un heureux natu­rel Alexandrine était devenue impérieuse, opiniâtre, volontaire , et, mieux encore , ne soupçonnait pas qu’une résistance quelconque pût lui être opposée; aussi, lorsque sa mère lui annonça le projet de mariage dont elle- même était si contente, le premier mouve- ment de mademoiselle d’Étioles fut de se U-

» ► 5^5 " ^

vrer à sa douleur, sans songer que ce qui lui déplairait ne s’exécuterait pas sans doute. Elle pleura donc,parut fâchée; mais tandis que l’exhortation maternellecontinuait, elle , revenant à son caractère tel qu’on s’était ap­pliqué à le former, cessa de se tourmenter d’un fait que, dans sa croyance, elle anéanti­rait sans peine, et quand la marquise eut achevé de parler, elle, prenant résolument la parole.

« Ma chère maman, vous ne voulez pas me rendre malheureuse, je le serais en épou­sant le duc de Fronsac; il me déplaît, ne songez à pas lui, car je ne veux point être sa femme.

» — Folle pensée ! répliqua la marquise en frappant du revers de la main les joues d’À- lexandrine, qui se coloraient de nouveau par suite de la vivacité de ses sensations ; es-tu capable de décider toi-même ce qui te con­vient ou non ? c’est à moi seule, à ma ten­dresse éclairée à régler ton sort à venir,

\

Caixa de texto: ep

S


» — Maman, je suis déterminée à ne point prendre le duc de Fronsac pour mari.

» — Pourquoi cela, mademoiselle ?

» — Il me déplaît.

» — Est-il laid de visage ?

» — Non.

» — A-t-il mauvaise tournure ?

K — Non.

» — Il est jeune.

t« — Oui.

« — En passe brillante.

» — Soit.

» — Si tu lui accordes tout cela, si tu con­viens , en outre , qu’il ne manque ni de nais­sance, ni d’esprit, ni de belles manières, que ses biens sont considérables, ses alliances re­levées, ses espérances magnifiques, quelle raison pourra moliver ton caprice ?

» — Il me déplaît.

» |Tu r as déjà dit; mais, du moins, faut-il donner une raison qui justifie cet éloigne­ment.

») — Je... je... je n’en veux donner aucune que celle - là. Je mourrai, si je suis la femme de ce seigneur, et vous ne voudrez pas la mort de votre fille.

En s’exprimant ainsi, Alexandrine se mit à fondre en larmes et à -serrer sa mère dans ses bras. Sa douleur fut si naturelle, ses plaintes si énergiques, si persistantes, que la marquise, de plus en plus confondue, tout en cherchant à calmer son enfant gâté, se de­manda quelle cause pouvait inspirer cette aversion, du duc deFronsac,si peu naturelle. Jamais, lui, ne s’était montré devant Alexan­drine qu’en cérémonie. à des visites d’éti­quette peu rapprochées ; elle avait pu encore Je rencontrer dans les jardins de Versailles, mais sans aucun rapport intime, seulement en passant; or, donc, comment pouvait-il se faire qu’il eut mérité un tel éloignement tant marqué; ceci encore était un autre pro­blème dont la solution ne se présentait pas ; il piquait étrangement la curiosité de la mar­quise, et elle se promit de ne rien négliger


(le ce qui l’amènerait à expliquer une pareille fantaisie.

Madame de Pompadour, elle aussi, était depuis long-tems accoutumée à ce que tout ployât devant elle; toute autre qu Alexan­drine aurait déjà été rudement traitée, tandis qu’au premier moment, et lorsqu’elle se sentit inondée des larmes de cette créature chérie , il lui fut impossible de repartir par un ordre formel; espérant d’ailleurs, que ce caprice ne serait qu’éphémère, elle se contenta de ne rien répondre de positif, de gronder légère­ment Alexandrine sur son obstination, qu’elle ne motivait pas, et remettant à plus tard l’acte d ’ obéissa n ce qu ’ el le ex i ge rai t, caressa sa ch ar­mante idole, et la renvoya en lui recomman-

V

dant de taire à qui que ce fût le secret qui ve­nait de lui être confié.

La marquise avait alors un ouvrage impor­tant à terminer, la nomination définitive de l’abbé de Bernis au ministère des affaires étrangères, et le partage à décider du com­mandement des armées françaises entre le


maréchal duc de Richelieu et le prince de Soubise. La chose n’était pas facile, le duc de Bellisle, non encore nommé ministre de la guerre officiellement, en remplissait les fonc­tions depuis la retraite du comte d’Argenson. Le roi avait en lui la plus haute confiance, la marquise, lui témoignant de l’amitié, le con­sultait, et, dans la circonstance actuelle avait néanmoins fait, sans prendre son avis , le choix de ces deux généraux qu’il fallait lui faire approuver ; tout cela présentait des dif­ficultés et il était bon de préparer le roi. Le seul commandement que le duc de Riche­lieu pouvait obtenir était celui du corps d’ar­mée où se trouvait le maréchal d’Estrée, qui venait de gagner la victoire d’Hastembeck le rappeler serait une injustice réelle, et le roi avait besoin d’y être préparé.

La marquise tenait à brusquer les choses ; regardant l’affaire du mariage comme conclue, elle voulait prendre les devans et récompenser le duc de Richelieu de son ac­cession, de telle manière que le mariage ne parût pas être le prix de cette nouvelle fa-' veur; c’était , en outre , une ostentation de générosité qui lui plaisait fort. Les cœurs secs tiennent à tout ce qui a de l’éclat; les jouis­sances douces, les services cachés ne leur présentent aucun attrait ; car comme ils ne les rendent pas pour satisfaire une sensibilité qu'ils ne possèdent point, ils sont indifrérens à ce qui ne satisfait pas leur amour-propre.

Le roi ne tarda pas à arriver : il était ce jour-là mélancolique à un degré peu ordi­naire, et avait mal dormi.

« J’ai vu, dit-il, ce monsieur toute la nuit, soit que je fusse livré au sommeil, soit que je veillasse; ce monsieur me menaçait encore, et derrière lui il y avait une foule d’assassins ar­més aussi de couteaux.. .. qu’est-ce que cela signifie ?

» — Une mauvaise digestion , Sire , rien que cela.

» — Non , les rêves ont toujours quelque chose de divin................. ceux des Rois au moins.

» — Vous le croyez, Sire?


« — Ou», vovez la Bible : les rêves de Da- vid, de Salomon ; ceux de Pharaon, de Na-

buchodonosor et tant d’autres.......... Madame,

vous avez toi t de ne pas lire la Bible et sur­tout de douter de ce qu’elle renferme. L’im­piété ne tranquillise pas dans cette vie et fait que nous sommes punis après notre mort. Je hais les philosophes , ils perdent l’État.

» — Eux ? ce sont des spéculateurs qui font des théories.

» — Oui, et des fous voudront les mettre en pratique. Nos parlernens travaillent à éta­blir la République ; les Jésuites, la Théocratie :

les robes noires perdront tout.............. Je sens

bien, poursuivit le roi, que rien de ce qui est aujourd’hui ne peut durer long-tems ; mais la machine ne se brisera pas encore, elle ira pendant tout mon règne. Ma foi, je plains mon successeur.

» — Le roi voit aujourd’hui tout sous un aspect par trop sombre, répondit la mar­quise ; je doute que les parlernens aspirent à changer la forme du gouvernement ; ils sont tracassiers, opiniâtres et non ennemis delà monarchie: vous vuyez, Sire, comment tous les conseillers de celui de Paris, qui abondent, ont néanmoins offert de rentrer pour juger ce misérable. Quant aux Jésuites...

Madame de Pompadour s’arrêta; cette ré­ticence piquant la curiosité de Louis XV.

« Et bien ! que pensez-vous de ces bons pères ? »

» — Je les crois capables de tout :

» — Monsieur de Machault pensait comme

vous. Mon fils les aime, les adore............ ils le

mèneront par le nez.

» — Alors, gare la Théocratie, ainsi que le roi le prévoit avec tant de justesse. A la place du roi j’en préserverais mon succes­seur et j’en délivrerais la France. Iis ont pris une part active au crime de Jacques Clément, ils lancèrent Jean Châtel contre Henri IV ; ce sont eux qui tuèrent ce grand Roi par le couteau de François Ravaillac, et peut-être qu’en creusant bien , les trouverait-on de connivence avec le dernier régicide : ils es-


 

 

 

 


pèrent tant de Monseigneur le dauphin !

» — C’est vrai.                       '

» — Sire, en les frappant, vous sauveriez tous les Rois.

» — Nous en reparlerons........ ;... l’abbé de

Bernis est pour eux.

» — Je réponds de lui.

» — Il porte la soutane.

» — Il est pour le bien........... vous le ver -

rez à l’œuvre .... à quel jour le roi fixe-t-il son entrée au ministère ?

» — Est-ce si pressé ?

» — Le Roi a promis ; l’abbé, fort de cette parole sacrée , prépare son travail.

» -- Eh bien ! quand vous voudrez... . le maréchal de Bellisle aura le ministère de la guerre.

« — Puisque le Roi désigne les nouvëaux secrétaires d’état, ne pourrait-il pas donner aussi au duc de Richelieu le commande­ment de l’armée du maréchal d’Estrées ? Celui-ci est vieux , infirme et soupire après

le repos i ne sert que par excès de zèle, et

a3


et le roi lui rendrait un service dont il ltii témoignerait sa reconnaissance en le rap­pelant bientôt. »                 ‘ '        - r                                  1

» — Pensez-vous que M. D’Estrées soit dans de tels sentimens? Je le croyais au

contraire charmé de conduire nos troupes

%

à la victoire.....

» — Il a cueilli assez de lauriers ; le vainqueur de Mahon' mérite une récom­pense.'1 "r' ‘   r-     '* "

« — Le Roi se mit à rire, et sa gaîté intri­gua la marquise, mais après un éclair de ré­flexion , élle comprit ce qüi amusait sa ma­jesté et en revanche elle en eut du dépit ; aussi reprenant avec chaleur la parole.

» — Je sais dit-elle qùe j’ai mauvaise grâce • , à vanter M. de Richelieu au moment OÙ son

fils va épouser ma fille; Ce mariage lui enlève

tousses droits militaires, mon tort est'de

ne l’avoir pas deviné.'1 j                n

» '— Voilà de l’injustice, madame, reprit

le roi avec embarras, et à l’heure précise où

je consens à ce qui vous plaît ; je suis charmé

de l’union qui va se conclure, et je fais dii commandement que le maréchal désire, le té­moignage de la satisfaction que me fait éprouver une détermination aussi franche que désintéressée. »

Madame de Pompadour, au milieu de cette phrase péniblement entortillée reconnut bien une intention d’épigramme; mais satisfaite d’a­voir obtenu ce qu’elle voulait, elle ne s’y ar­rêta pas; ses remercîmens eurent une viva­cité qui charma Louis XV, il dit alors :

« Vous êtes satisfaite : je voudrais l’être, je ne le suis pas.

)> — Sont-ce toujours vos idées noires, vos fantômes ?

» — Savez-vous, dit le roi en baissant la voix et en tournant la tête, qu’il y a des ins- tans où ma curiosité devient excessive ? Je voudrais. .. ah ! du moins voudrais-je que ce que je veux ne fût su ni deM. de Voltaire, ni de la secte philosophique ; ce seraient gens à se moquer de moi... Imaginez-vous ma fan-*- taisie ?

» — Si je la devinais, elle serait accomplie pour peu que la chose dépendît de moi.

» — On prétend que le comte de Saint- Germain est en commerce avec les habitans- de l’autre monde.

» — On le suppose et lui se tait.

» — Je sais qu’il a fait voir au duc de Bel- lisle des personnages très-extraordinaires. La curiosité de voir mon arrière successeur et connaître,... ce serait un fait très-amusant, qu’en pensez-vous?... .là., .entre-nous, en petit comité, vous, moi, le prince de Soubise, c’est un bon homme, et puis le comte, et puis qui vous voudrez.

» — Fermons la liste aprèsM. de Soubise: dans ce cas, moins on est de monde mieux le secret est gardé.

» — Je désirerais encore qu’il tirât l'ho­roscope de mes petits-fils. Tant de rejetons royaux, cela promet de grandes destinées... mais il faut que ceci d’abord vienne de vous, je ne paraîtrai qu’ensuite... Mandez le comte pour ce soir, je veux causer avec lui, il saura


peut-être un secret pour me débarrasser de la vue nocturne de ce monsieur et de ses aco­lytes. . Madame, la foule est innombrable de ceux qui le suivent, armés de même que lui » Le roi s’arrêta, puis reprenant.

« Hier, à la chasse, j’ai vu passer deux en- terremens, et dans le cimetière de Meudon il y avait cinq fosses ouvertes; trois pour des enfans au-dessous d’un an, une pour un adul­te , la dernière pour un homme de mon âge; il était de ma taille, j’ai fait mesurer la fosse.

» — Est-il possible, répartit en pâlissant la marquise presque effrayée, que le roi tour­ne sa chasse en des courses au cimetière1? » Louis XV, après ces dernières paroles, sa­lua madame de Pompadour et sortit, et elle demeura seule.

« Mon Dieu qu’il est amusant avec ses biè­res , ses fosses, ses fantômes ; voilà comment il s’occupe... et puis il se plaint de sa mélan­colie. Il y a néanmoins des instans où, s’il pense aux morts, c’est pour réparer le vide qu’ils peuvent laisser sur la terre..., allons *

allons, ne prenons pas sa morosité, le duc de Richelieu commandera l’armée, et ma fille sera sa bru ; tout a réussi au gré de mes souhaits, je suis contente, et véritablement heureuse »

Pendant que ces choses avaient lieu, Gé- réon,de son côté, ivre aussi de bonheur, parce- qu’il n’y à rien qui puisse approcher d’un jeune amant à l’heure où il a reçu le premier aveu de sa maîtresse, s’attachait à poursuivre lecours de la vie à travers le s ténèbres de l’ave­nir, que son imagination enflammée colorait des plus brillantes couleurs. Il se voyait riche d’abord, et bientôt après célèbre ; il boulever-* sait l’Europe, appelait la guerre dévastatrice sur dix points divers, par cela seul qu’il lui fallait des occasions pour arriver rapidement à ce comble de gloire dont il avait besoin. Ce qui trompe les hommes, est cette facilité fu­neste qu’ils ont à remplacer la réalité par des chimères, ils se maintiennent dans le faux,

ê

au lieu de s’établir dans le vrai, et là, ils at­tendent cette fortune si lente à venir, si re^

belle à ceux dont les efforts ne la poursui­vent pas sans cesse; ils manquent en atten­dant, par leur inactivité, les occasions de par­venir, et quand ils s’éveillent, ce n’est pas eux qu’ils accusent, mais la providence; aveuglement fatal auquel nous ne sommes que trop sujets.                                          . i

Un autre soin, cependant, occupa Géréon, celui de s’expliquer avec son tuteur, qui, homme froid et compassé, simple et prudent, possédait toute la confiance de la marquise de Pompadour; et, à titre de son. intendant, elle, toujours orgueilleuse, n’avait pas rougi de prostituer l’ordre de Saint-Louis en le faisant donner à ce premier domestique,. bien que jamais il n’eût servi, mais en vertu du droit de je ne sais quelle charge achetée pour lui complaire, .            .

Collin appréciait à sa juste valeur cette fu­mée vaniteuse; il possédait des qualités réelles,, une probité à toute épreuve, était très-attaché à sa maîtresse, et non moins à


360 « «

«on pupille , qu’il regardait comme son fils j il l’avait élevé dès son enfance, avait retenu son impétuosité, dirigé ses jeunes passions, tâché d’adoucir l’âpreté de son jeune caractè­re , se complaisait dans son ouvrage, et atten­dait avec une sorte d’impatience le moment où il parviendrait à l’établir ; la chose, selon lui, était facile au moyen d’un million comp­tant et de la protection de la marquise de Pompadour. Collin, toutes réflexions faites, voulait acheter pour Géréon une belle charge de finances, ne comprenant pas combien il y aurait incompatibilité entre des fonctions pa­cifiques et la pétulance de son pupille.


Il est rare que chacun de nous voie les hommes tels qu’ils sont ; nous préférons les voir tels que nous voudrions qu’ils fussent ; nous les accommodons selon nos désirs, et de cette erreur encore découle la majeure partie des fautes que nous commettons : on part d’un point faux , on s’égare toujours, on va de suppositions en suppositions, et on finit par


—► 561

arriver au mensonge, et alors on s’étonne, on se dépite; on s’emporte de n’avoir pas atteint la réalité qui cependant est notre uni­que but.

L’intendant domestique Collin était dans ces dispositions ; il se flattait de conduire à son gré un jeune homme que tout lui aurait montré indomptable s’il avait voulu seule­ment ouvrir les yeux; il attendait qu’il eût atteint sa vingt-unièrne année pour choisir dé­finitivement dans les finances la particqu’il lui ferait embrasser, et jusque-là voyait, sans in­quiétude , se développer une adolescence fou­gueuse et passionnée. lljettesagourme, disait- il, le tems le rendra tranquille; un financier doit l’être, et il le sera: et tout à coup, ce jeune homme qu’il supposait encore flexi­ble, le tira de ses rêves, en venant lui décla-r rer que, las de son oisiveté , il prétendait en sortir en prenant la carrière des armes.

La dissonnance de cette manifestation d’une volonté si déterminée, si contradictoire fivec le plan arrêté par Collin, causa à celui-ci


une surprise étrange ; et ne doutant pas qu’il ne lui fût aisé d’étouffer cette lubie.

« Toi! soldat, dit-il, toi, mon ami;quelle est eette folie qui te gagne? Mon amitié te réserve une meilleure vie dans laquelle tu

*                                                           l

feras ton chemin.

» — Je veux être soldat, répéta le jeune homme avec plus d’insistance, ou, pour mieux dire, officier.

» — Bon , crois tu la chose si facile?

» — Oui, tu n’as qu’à m’acheter une compagnie avec nqon argent, et le reste ira seul.

» — Ton argent, répéta Collin étonné , et... et où le prendrais-je ?

» — Mais dans le million que je possède. Ne prends pas cet air étonné, je sais tout : l’orphelin, le bâtard, comme tu voudras l’appeler, peu m’importe, est riche, tu lui en as fait un mystère , et peut-être as-tu eu raison; mais, enfin, puisque les biens ne me manquent pas , laisse m’en jouir, j’en ai be­soin , je te l’assure.


 


Collin, confondu de ce langage, commença par nier; puis forcé dans ce détour, voulut savoir qui avait révélé à son pupille sa posi­tion réelle, ce fut ce que Géréon lui refusa opiniâtrement, et néanmoins le fit conve­nir qu’en effet il possédait en son nom une grosse somme. Collin lui expliqua pourquoi il avait préféré le lui cacher jusque-là, c’était dans l’intention de lui procurer la meilleure des éducations, celle où il y a nécessité à l’homme de compter uniquement sur lui- même , et point sur ce que le destin fait pour lui. •             • ' .                   '                       i

* k                                                                                                                       ê

« Mais, dit Collin, ensuite, pourquoi as- tu besoin de passer tout à coup de l’état d’un orphelin privé de toute ressource pé­cuniaire , à la splendeur qu’un million peut te procurer ? Hier, encore, tes goûts étaient simples et en harmonie avec ta position so­ciale.

» — Hier, répondit Géréon, je ne comp­tais pas dans la société, aujourd’hui j’y ai pris un rang. Je veux me classer selon mes

—> 364

pensées ; oui, mon ami, mon véritable père, fais de moi un homme riche, il le faut pour mon bonheur.

« — Ainsi, la fantaisie de dépenser, d’en­tamer déjà ton patrimoine t’est venue aussi­tôt que tu as eu connaissance de ton existence, je te croyais plus de bon sens. »

Un sourire fier, et presque de mépris, passa sur les lèvres de l’accusé, il releva no­blement la tête, et prenant les mains de son tuteur.

u Pourquoi, dit-il, me supposer sans élévation d’âme? Crois-tu que ce soit pour satisfaire des passions extravagantes, ou par sotte vanité que je veuille me donner un rang? J’ai vu que les hommes ne sont pas dans ce monde estimés selon leur mérite réel, mais selon l’argent qu’ils possèdent ; il est dès lors simple que je me conforme à la manière commune de voir. Ce Géréon que l’on méprise parce qu’il est pauvre, à (jui on n’hésitera pas de donner la dernière place, ou de reprocher sa bâtardise, gran-.


 


dira subitement au point d’obtenir des égards, des louanges, et même du respect, lorsqu’on le verra logé dans un hôtel avec des valets et qu’il aura une meute et des équipages.

» — Tu parles, mon enfant,dit Collin de plus en plus surpris, comme si, possesseur d’une expérience consommée......... et néan­

moins, à peine si, atteignant ta dix-huitième année......

» — Si j'eusse été riche, je serais pres­que encore embarrassé dans mes langes de nourrice : je suis demeuré pauvre, j’ai pu voir et réfléchir.

» — Plante précoce, tu me fais peur.

» — Oh ! sois sans crainte, je ne dissipe­rai pas mon bien, il devient trop nécessaire à mon existence future, pour que j’en dé­dépense follement la moindre parcelle...........................................................

Diriges-en l’emploi, règle ma maison future, soit, je ne demande pas mieux ; je me char­ge de t’étonner par ma sagesse *, mais, mon bon ami, il faut qu’avant huit jours tout le


monde me sache riche et me voie officier. » » — Cela ne peut être ainsi, repartit Col­lin , et avant tout, il faut que je demande à Madame ses ordres, que je prenne conseil d’elle ; mais Géréon, n'as-tu pas une arrière- pensée ? Ma tendresse pour toi me donne le droit de t’interroger, et te fait un devoir de me répondre en honnête homme. »

A cette interpellation ainsi motivée, la rougeur de Géréon s’accrut, il baissa de nou­veau les yeux et manifesta un embarras vi­sible ; il se taisait cependant, et ce jeu muet de sa physionomie apprenait à lui seul, à son tuteur, qu’un sentiment caché troublait en ce moment son âme. Collin en eut pitié, et, dans la bonne intention de venir à son aide, l’at­tira vers lui, le serra dans ses bras et le bai­sant au'front.............................

« Géréon, pôursuivit-il, sois sincère ,peut- être que d’un franc aveu ressortira ton bon- heur ; j’ai ce qui te manque, la connaissance du monde, je puis te conseiller utilement.» Géréon continuait à garder le silence ;


son tuteur également continua à le presser et lui manifesta une affection si vive, qu'il ébranla son cœur et le mit en un instant en balance sur ce qu’il ferait... enfin il dit.

«Je t’en prie, bon ami, ne m’interro­ges pas; je ne saurais te répondre par un

mensonge et je ne veux........... je ne puis.........

vois-tu..... si je parlais tu ne me compren­

drais pas.

» — Il y a donc en toi une obscurité bien complète; car, si je voulais appliquer à une conversation toute morale ce qu’un poète célèbre donne pour règle à la littérature, je te dirais avec Boileau.

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

.» — Il ne s’agit pas des mots, mais de la chose elle-même, répliqua Géréon, en sou­riant de l’érudition de son tuteur, qui aimait à la montrer par les citations dont il ornait ses propos ; oui, c’est la chose qui te paraî­trait énigmatique.

» — Ne la verrai-je pas plutôt folle, et n’est-ce point parce que tu as honte de l'a-*- vouer que tu la prétends enveloppée de té­nèbres. En général, cher enfant , nous ne cachons en nous que ce qui embarrasse notre raison ou notre honneur ; c’est bien as­sez pour nous d’avoir à en rougir au fond de l’âme, nous nous opposons à ce que la désap­probation d’autrui ajoute à notre méconte- ment.

Ceci était si vrai queGéréon se sentit battu, il en revint à sa contenance embarrassée; son tuteur dont il était sincèrement chéri s’attacha davantage à lui arracher son secret; il n’approcha pas dans ses conjonctures , de la réalité positive ; mais il mit le doigt sur la plaie en disant au jeune homme :

« Serais-tu par hasard amoureux, aurais- tu donné ton cœur à quelque femme d’un rang élevé et te forgerais-tu la chimère de parvenir jusque à elle par le concours de ta fortune et l’éclat de l’uniforme que tu veux

r

embrasser ?

A .

A cette interpellation si directe il y eut en


* * 369

Géréon un combat violent. Son tuteur avait deviné la cause de sa conduite nouvelle, par­viendrai U1 de même à en reconnaître l’objet ? Géréon en eut peur, non qu’aucun reproche luifût fait par sa conscience, mais parce qu’il redoutait ceux de son tuteur; il crut donc que, pour l’empêcher de poursuivre ses con­jectures jusqu’à ce qu’il eût mis la main sur la véritable, il fallait l’arrêter en lui avouant tout ce qui se pouvait, sans cependant lui procurer assez de lumière pour lire jusqu’au fond ; en conséquence Géréon répondit.

« A ton âge peut-être ce qui me semble si beau, si doux,*ne te paraît qu’une chimère , tu te moquerais de moi, tu voudrais me re­pousser vers l’enfance; eh bien ! je prétends, au contraire, aller plus vite vers l’époque où l’homme a développé ses facultés physiques et morales; et ce n’est pas impossible, et avec le stimulant qui me pousse, je suis persuadé que j’irai loin et vite.

» — Ainsi tu aimes ! Sais-tu ce que c’est que l’amour ?

i.


» — C’est l’affaire de toute notre existence.

« «

On commence par aimer sesparens, puis une maîtresse et ses enfans , enfin Dieu m’a re­fusé le bonheur de chérir ceux qui me don­nèrent la vie, je l’ai remplacé par la tendresse que je te porte. La première période de l’a­mour est accomplie , je vais à la seconde ; c’est une carrière que je saurai fournir pa­reillement.

En parlant ainsi un feu divin s’allumait dans les yeux du jeune enthousiaste et colo­rait ses joues pâles ; sa bouche demeurait en­trouverte en prenant une expression céleste,

* • et ses bras étendus semblaient vouloir attirer

sur son cœur cette femme objet secret d’un culte mystérieux et passionné.Collin, quoiqu’il ne fût qu’un homme ordinaire, ne put s’em­pêcher de reconnaître que Géréon se plaçait bien en avant de l’adolescence, et que, dès ce

n

jour, il fallait le traiter comme s’il eût atteint le point le plus haut de la virilité. 11 s’y déter­mina et cependant insista pour connaître celle que Géréon aimait.

« Ne me le demande pas, je ne puis te le


dire, et uniquement par la position où je suis tu ne comprendrais pas mon amour.

» — J’espère, ajouta Collin, que tes incli­nations ne sont pas descendues dans une classe inférieure.

O qu’il eut de l’énergie et du mépris le fier sourire dont Géréon fit sa réponse uni­que! Collin en demeura frappé, et plus que ja­mais se perdit dans ses conjectures,* elles ne l’amenèrent point à chercher plus près ¿de lui pour rencontrer cette femme que déjà son investigation avait cherchée dans tout Ver- • sailles et dans toute la cour. C’est une règle commune que nos yeux et notre intelligence commencent toujours par s’attacher aux ob­jets éloignés ; on ne vient à ceux plus proches que lorsqu’on a soumis les premiers à une in­vestigation sévère. Coliin ne voulait voir tou­jours dans Géréon et dans Alexandrine qu’un petit garçon, qu’une petite fille au maillot; contraint de débarrasser le premier des lan­ges de sa nourrice, il y laissait la seconde en­core enveloppée.

, Géréon , cependant, dont l’impatience ne

se serait accommodée d'aucun délai, supplia

#

son tuteur de faire auprès de madame de Pompadour la démarche,selon lui, de pure politesse, et relative à la vie future que lui, Géréon, mènerait; il ne connaissait à la marquise aucun droit à sa fortune, pas plus que sur sa personne; l une et l'autre dépen­daient uniquement, selon lui, de son digne tuteur. Collin lui promit de tarder peu, et puis remit à traiter plus tard, de la carrière que Géréon suivrait; il passait condamna­tion sur le fait de la fortune; mais, quoique chevalier de Saint-Louis,il n’avait pas les in- clinations assez belliqueuses pour préférer même au sujet de son pupille la carrière des

armes à celle de la finance.

1 1 ,

Le lendemain du jour où cette conversa­tion importante avait eu lieu , madame de Pompadour avait fait appeler son intendant de bonne heure. Il possédait sa confiance à juste litre ; c’était son conseiller le plus intime et dont * l’influence sur eile' aurait


été extrême s’il eût voulu en profiter; mais il se contentait de donner les avis qui lui étaient demandés, sans mettre ensuite de l’opiniâ­treté à les faire prévaloir. La marquise, se croyant prête à marier sa fille» ne pouvait retarder de le faire savoir à Collin ; son con­cours étant d’ailleurs nécessaire pour la partie matérielle de la noce, pour rassembler la dot, préparer les bijoux, dresser le contrat, et les mille et un tracas extérieurs en telle ma­tière.

Lorsque Collin fut venu, madame de Pom- padour l’instruisit de ce qui se passait, et comme elle était persuadée que le mariage ne pouvait manquer, elle s'attacha longue­ment à en faire ressortir lesavantages. Collin n’était pas non plus en mesure de douter des intentions du duc de Richelieu ; lui aussi, re­garda la chose comme achevée , et fournit à sa maltresse les renseignemens qu’elle voulut avoir sur ses fonds disponibles, ce qu’il fau­drait faire pour réussir, ceux destinés à la


dot, à part la somme énorme que le roi don­nerait.

« Sur sa cassette, dit Collin ?

» — Dieu me garde de prétendre la tirer de là ; le Roi qui signerait sans peine [le don de plusieurs millions pris sur le trésor public, ne saurait donner cent louis de sa caisse par­ticulière.

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CHAPITRE XIV.

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



.............. yiamque insiste domandi

Dum facilis animi jûvcnum dum modilis œtas. Virgile, Gcorgiques. Ht. 4*

C’est dans l’enfance où Pâme est suscep­tible de toutes les impressions , qu’il faut, s’appliquer à former le caractère.

Lorsque l’orgueil lutte contre l’amour, le combat est terrible ; malheur au vaincu. Recueil de Maximes.



 

LE JEUNE OPINIATRE.
*****

J                                        

* • *

Lorsque le point du mariage futur de ma­demoiselle d’Étioles avec le duc de Fronsac eut été épuisé, Collin, sans préparation, passa à ce qui concernait son pupille. Il apprit à la marquise que celüi-ci, instruit de la fortune considérable à laquelle il pouvait prétendre, avait demandé d'en jouir, et que surtout il aspirait à entrer dans la carrière militaire.

« Lui , ce bâtard, répondit dédaigneuse­ment madame de Pompadour ; où donc l'am­bition va-t-elle se nicher ! J’espère que vous



 

avez rabattu les fumées de cet orgueil ridicule; on tâchera,plus tard, de faire quelque chose pour lui ; on trouvera une place dans la pe­tite robe ou ailleurs, et, certes, ce qu’il aura de mieux à faire sera de jouir de son bien. Je doute que jamais ce drôle prospère. »

Collin , ai-je dit, portait à Géréon une vive tendresse ; il fut blessé du ton de mépris et des mots à l’avenant dont se servait la mar­quise en parlant de ce jeune homme ; aussi répliqua-t-il avec chaleur que Géréon, loin de mériter aussi peu d’affection, devait inspirer un intérêt majeur.

« Je suis assuré, poursuivit-il, que s’il trouve une occasion favorable de développer ses moyens et son caractère, il fera un rapide chemin.

» *-r- Son caractère, dit la marquise en

haussant les épaules, le voici lestement tracé ;

arrogance, suffisance, pétulance, insolence et »

ignorance; en effet, mon cher Collin, avec de telles qualités, on va loin. Au reste, je ne juge pas à propos que cet écervelé soit affranchi en-


*

core de votre supériorité, il en userait pour en abuser ; dans un ou deux ans, à la bonne heure. Prévenez-le-donc que j’entends qu’il renonce d’abord à sa fantaisie martiale à la­quelle je ne me prêterai jamais, et ensuite que je m’oppose pareillement à ce qu’il vous quitte et pareillement ma maison avant sa vingt- unième année révolue au plus tôt. »

Collin , surpris de cette détermination en tel contraste avec le peu d’attachement que la marquise portait au jeune homme, essaya de la faire changer par des considérations qu’il fit valoir, ce fut en vain qu’il pérora; la dame , dans ce moment, était montée au plein despotisme, et le caprice superbe qui l’avait fait parler ne céda pas à la raison de l’intendant.

Pourquoi agissait-elle ainsi lorsque naguè- res la présence deGéréon lui paraissait insup­portable, lorsqu’elle avait voulu le chasser presque honteusement.. ? Je ne peux répon­dre qu'en signalant l’existence d’une nouvelle fantaisie ; c’était le résultat d’un orgueil blés-


sé, d’un plaisir ordinaire aux petites âmes qui consiste à tourmenter nos inférieurs. La marquise haïssait Géréon , Géréon aspirait à l’indépendance, c’en était assez pour qu’elle trouvât du charme à le contrarier, à le ihain- tenir par violence dans la situation presque serviledont il prétendait s’affranchir Nôtre âme est un chaos mystérieux où tout est confondu pèle-.mèle ; où les contrastes sont bizarres, où l’on trouve cette manie d’un grand qui s’at­tache à poursuivre un petit, qui inspire à un autre Aman le chagrin ridicule du dédain d’autres pauvres Mardochées ; rapprocliemens inconcevables qui existent et qu’on ne peut expliquer. La marquise, par exemple, au lieu de tourner sa haine contre les premiers de la cour, s’attachait à la ramasser sur la tête d’un

enfant de dix-huit ans; ainsi nous sommes

/

faits, et je peins l’espèce humaine avec les couleurs propres et non de convention.

Madame de Pompadour , égarée' par son mauvais caractère, ne vit pas la faute qu’elle faisait : il lui suffisait que Géréon souffrît


de lobstacle opposé à sa volonté dans ce mo­ment«; elle n'en demandait pas davantage. Collin, consterné du chagrin que ressentirait son pupille du renversement de ses espérances, quitta sa maîtresse le cœur navré et très-in­quiet de la manière dont le jeune homme prendrait cet acte de tyrannie folle; c’était la qualification la plus convenable , Collin le pensait et n’aurait osé le dire. En général, nous pensonsguste et parlons faux; on est franc avec soi et trompeur avec les autres : cela pro­vient de ce qu’il n’y a rien à perdre à sc dire la vérité in petto, tandis qu’il y a presque tou­jours beaucoup à gagner à mentir au dehors.

Collin , qui pareillement appréciait la vio­lence de Géréon, crut avoir besoin de prépa­rations oratoires pour lui annoncer la mau­vaise nouvelle qu’il lui apportait.

« Mon cher enfant, dit-il, madame la Marquise a pour toi une amitié si vive, qu’elle ne peut consentir à ce que tu la quittes; elle me charge de te prier de n’en rien faire , de demeurer ici et s’engage dès ta vingt-unième


année révolue à te placer avantageusement, tu auras des actions de grâces à lui rendre , et l’obéissance absolue est le meilleur moyen de te montrer reconnaissant.

L’instinct inné dans l’homme lui apprend ce qu’il y a de sincère parmi les sentimens qu’on lui manifeste; Géréon avait une âme trop supérieure pour n’avoir pas démêlé ce- que la marquise lui portait d’aversion, il n’était donc pas facile de lui faire prendre le change et surtout de le persuader de la réalité de l’attachement de madame de Pom­padour à son égard ; ce fut donc avec plus de colère que »le reconnaissance que Géréon écouta son tuteur, et quand ce dernier eut achevé.

(( Madame la Marquise serait-elle ma mère ? demanda froidement le jeune homme.

» — Quelle question inconvenante ! dit Collin ; on ne doit ni plaisanter, ni traiter sérieusement un pareil texte. Tu sais bien

qu’elle t’est étrangère.

/

M —Dès lors, en quoi lui suis-je soumis ?


quel droit lui donne le pouvoir qu’elle s’ar­roge sur moi ? qui m’a fait son esclave ?

« Collin paraissant effrayé, avança la main comme pour fermer la bouche à son pupille, et accompagna ce geste significatif de ces mots.

« Sais-tu ce quelle peut, t’imagines-tu pouvoir lutter avec elle ? Tais-toi, cède , ou lu t’en trouveras mal : avec sa protection une belle carrière te sera ouverte ; avec sa colère, je ne vois qu’une prison que tu t’ou­vriras.

» — Je la préférerais à une existence avi­lie, répliqua le jeune homme en frappant la terre du pied. Je ne sais de quelle race je sors ; mais mon cœur ne peut se soumettre à une domination usurpée. Si je suis bâtard, eh bien ! par compensation je suis libre; c’est un droit inhérent à mon malheur. »

Cette hauteur de pensée, cette force de caractère étonnaient de plus en plus l’inten­dant de la marquise. Cet homme vieilli dans des fonctions subalternes ne concevait pas la


résistance à plus grand et plus fort que soi ; létal de sujétion était devenu sa seconde naturé, et il s’épouvantait que son pupille ne lui ressemblât pas. Il voyait d’ailleurs autour de lui la même servilité partagée par les cour­tisans, les gens de lettres, les gens de la ville, les solliciteurs, en un mot par tous ceux qui

P

courent à plat-ventre après la foetnne, et dont certains l’atteignent d’autant mieux qu’jls la poursuivent en rampant; or, au milieu de cet accord de bassesse, de cette émulation de lâcheté, c’était pour le simple Collin une disparate trop tranchée que l’or­gueil d’un enfant s’apprêtant à combattre la puissance delà marquise de Pompadour, que ce dédain d’une protection qui eût provoqué tant d’avilissement de tout autre. Cette vertu ou cette énergie lui parut à la fois faiblesse et crime, et il s'efforça d’en écarter Géréon.


Mais le jeune homme était à cette époque de la vie où l’on se figure que l’on arrive à tout avec de l’honneur et de la fermeté, âge qu’à cette époque encore l’ambition necor-


«

rompait pas, et dédaignait une perspective brillante et même n’aurait pas voulu, au prix de sa liberté, acquérir la main de sa chère Alex­andrine, quoique celle-cifût le but de tout ce qu’il allait tenter. Collin employa donc des conseils, des instances inutiles; ce fut sans' succès qu’il fit luire le flambeau de la faveur et montra dans le lointain la foudre prête à frapper le rebelle.

« Je souffrirai tout, dit Géréon, mais je ne céderai pas : Je veux, non ma fortune, s’il faut que l’on me la refuse, mais mon in­dépendance, et celle-là, la prison même ne me la ravirait pas , puisque je la conserverai dans ma volonté. »  ' '

Géréon, lui aussi, avait reçu la plus mau-

m

vaise des éducations ; on le laissa dès sa pre - mière enfance agir selon sa fantaisie ; pour qu’il fût heureux, on ne le contraria point, il en résulta que, pareille à mademoiselled’Étio- les, ceLte habitude de soumettre tous les au­tres acheva de rendre inflexible un caractère qui n’était déjà que trop fortement trempé. On I.                                                  25


nous fait presque toujours, dès notre enfance, autres que nous ne serions si on nous diri­geait mieux ; on veut noué épargner des lar­mes, et d’abord il advient que nous en ver­sons avec plus d’abondance, et qu’ensuite notre avenir en est corrompu.

Il n’était donc plus tems de revenir sur la faute commise : Géréon n’offrait aucun point faible, la nature et de fatales complai­sances l’ayant fait de concert avec ce qu’il était maintenant. A tout ce que lui dit et lui représenta son tuteur, il demeura inflexible; il voulait être militaire, et il le serait soit dans le royaume, soit dans l’étranger ; il pré­tendit même qu’il n’était pas Français, et que, dès lors, les lois intérieures ne pou- valent lui être appliquées. L’opiniâtreté, lorsqu’elle s’exalte, se crée des moyens de résistance de tout ce qu’elle trouve à sa portée. Force fut à Collin de finir cette lutte inutile; il le fit, en se promettant de prévenir la marquise, afin qu’elle ne fût pas surpris, à l’improviste lorsque Géréon irait à elle:.

\

%

Collin pensait que celui-ci revenu de son pre­mier mouvement de vivacité , se montre­rait plus raisonnable ; les faibles , quoi qu’i.s voient, ne peuvent jamais concevoir l’éten-

*

due de la fermeté.

Dès que Géréon fut seul, il s’occupa du soin de terminer promptement cette affaire à laquelle, avec raison, il attachait une haute importance. La France tremblait de­vant madame de Pompadour, hors un sim- pie adolescent que celle-ci avait toujours traité en manière de domestique ; lui seul la voyait sans terreur ; il est des âmes trem­pées de telle sorte que tout glisse sur elles; on ne peut les prendre que par la reconnais­sance , l’amour et l’amitié.

11 est pareillement des jeux du hasard, des circonstances fortuites qui viennent d’une manière inopinée , souvent selon nos voeux, et d’autres fois pour les oontrarier. Une de .celles-là surgit dans cette circonstance; Gë- réon sortait de la chambre de son tuteur et traversait le couloir secret, éclairé seulement


par des lampes comme il y en avait tant dans le château de Versailles, lorsque ma­dame de Pompadour , qui venait de chez la duchesse de Brancas, où elle s’était rendue en parfait incognito, rentrait par le même passage ; sa calèche de taffetas noire couvrait si entièrement sa tête , et une pelisse de pa­reille couleur enveloppait également si bien sa taille, que Géréon, enseveli à moitié dans ses réflexions graves , serait passé à côté d’elle sans la reconnaître si la mar­quise ne l’eût arrêté par le bras.

Surpris de se sentir saisi, il tourna ses regards du côté de la personne qui cherchait ainsi à attirer son attention, et se vit en pré­sence de madame de Pompadour ; il la salua et se disposait à la prier de vouloir l’en­tendre , lorsque , prenant l’initiative :

« Je te rencontre à propos, Géréon, il faut que je te parle ; suis-moi. » Et sans s’in­quiéter de sa réponse et certaine de son obéissance , ainsi qu’elle l’était de tous ceux qui l’approchaient.

ê


—> 389 —

I f

Géréon avait certes un désir violent d’en fi­nir avec la marquise, et la prudence, ou peut-

être mieux encore, le désir: de braver cette

* /

femme orgueilleuse , le détermina à se sou­mettre à sa volonté. Elle entra dans son cabi­net de travail, sonna ses femmes leur remit les parties de son habillement qu’il était d’u­sage de quitter lorsqu’on revenait chez soi, demanda les lettres arrivées à son adresse, en lut plusieurs, et tout cela sans paraître s’apercevoir que Géréon attendait debout, et en déguisant mal son impatience ; enfin elle daigna songer à lui, et interrompant son travail politique.

« Enfant, dit-elle avec ce ton ironique dont la pointe aigue creuse si profondément en une âme sensible, qu’est-ce donc que cette lubie éclose dans ta cervelle légère , et dont Collin m’a parlé? A quoi penses-tu, toi, voi-

loir entrer dans la carrière des armes....................................................................... ?

Mais cela ne te va pas , tu ne sors pas d’as­sez bon lieu ; tiens-toi en repos , modère ta

390 -«

violence, et plus tard on fera quelque chose pour toi. »

Chaque mot de ce propos faisait pénible­ment tressaillir Géréon ; il sentait que l’in­tention de la marquise était de l’humilier, afin de l’avilir avec plus de facilité , et s’in­dignant d’une telle espérance et de la forme qu’on y mettait, il se disposait à répondre de façon à montrer qu’on ne viendrait pas si aisément à bout de le réduire. Peut-être que dans tout autre moment, il se serait aban­donné à sa vivacité ordinaire; mais il vit que la froideur d’une âme fermement décidée à subir toutes les chances du plan qu’elle s’é-

9

tait tracé, conviendrait mieux que trop de véhémence ; aussi, prenant la parole avec calme , tandis que ses lèvres étaient pâles de colère.


K Madame , dit-il, je vous remercie de votre bonne volonté; mais mon inaction m’est insupportable. Ce rôle de lâche fai­néant ne me convient point, c’est bon aux grands seigneurs à qui suffit la gloire de leurs


ancêtres , mais non à moi, enfant obscur , bâtard ! que sais-je , il me faut travailler de bonne heure à acquérir pour rhes deseen-

A

dans ce que je n’ai pas reçu de mes pères. «

Il est une dignité naturelle dont l’empire est assuré ; celle que Géréon mit dans sa ré­plique frappa la marquise ; elle aurait dû lui inspirer du regret de son attaque inconve­nante; ce ne fut que du dépit qu’elle lui donna. €e n’était pas la première fois que l’orphelin avait remporté l’avantage dans les luttes de propos , et la marquise s’indi­gna qu’il eût raison et raison contre elle.

« Tout cela est bel et bon , petit drôle,

qui, rempli de plus d’orgueil que la gre-

*

nouille de la fable, marchez à une pareille fin ; mais comme ceux qui vous ont élevé ont acquis par ces bienfaits des droits incon­testables à vous diriger , ils le feront ; que la chose ou non vous convienne, vous reste­rez à Versailles, et à vingt-un ans je m’occu­perai de vous.

» — Grand merci , Madame ; ma fortune


m’est suffisante à pouvoir suppléer aux soins de mes protecteurs ; je leur en demande la libre disposition afin que je puisse moi-même

é

fixer mon avenir.

» — On ne t’en accordera pas un éçu , pas un denier qu’au moment où il me plaira de le faire ; crois-moi, cède ou crains.

>> — Quoi ! Madame.

» — Une retraite à Saint - Lazare ; c’est aussi bien, le gîte où ton étoile a décidé de te conduire.

» — Malheur à qui me frapperait injus­tement !                                            . .

» — Tu me menaces, insolent, s’écria la marquise; eh bien 1 ce soir tu coucheras dans un cachot.

Et s’approchant de la cheminée, elle tira violemment le cordon de la sonnette, tan­dis qu elle le faisait, Alexandrine entra, ve­nant de la chambre de sa mère. La dispo­sition des lieux était telle, que la marquise ne pouvait la voir venir, aussi eut-elle le tems d’adresser au fier Géréon un regard


 


et un geste Suppliant qui lui causaient plus de chagrin que déplaisir, et en même teins elle courut vers sa mère, et se jetant dans ses bras.

« Oh ! maman, s’écria-t-elle,grâce, grâce, pour ce pauvre fou.

» — Un insensé, un impertinent, répli­qua la marquise, quî me résiste, qui traite avec moi de puissance à puissance; six se­maines de Saint-Lazare, voilà ce qu’il lui faut pour le rendre souple comme je le veux.

Un domestique accourut.                             ,

» — Sortez, lui cria résolument Alexan­drine, ma mère n’a besoin de rien.

» — Ma fille», qu’est-ce à dire ?

» — M’avez-vous entendue, poursuivit Alexandrine, allez-vous en. »

Le domestique accoutumé à une obéis­sance aveugle à toutes les volontés de ma - demoiselle d’Etioles, se retira et referma sur lui la porte. Géréon, pendant ce tems, était demeuré immobile, la tête haute et ne ma­nifestait ni frayeur, ni repentir; un seul

9

travail l’occupait alors, celui de vaincre as­sez son amour, pour l’empêcher d’éclater devant la marquise. 11 admirait le dévoû- ment d’Alexandrine, il aurait fait comme elle, et déjà, ce doux sentiment amolissait son cœur.

« Eh bien, eh bien ! dit enfin, ma­dame de Pompadour, qui, retenue d’abord par la véhémence d’Alexandrine, avait craint de lui faire de la peine en ordon­nant au valet de pied de ne pas lui obéir;

quelle est cette autre démence ! ne serai-je

*

donc entourée que d’insensés ? Vous con­vient-il, mademoiselle, de vous précipiter sur moi comme une furie?, et cela, pour prendre la défense d’un mauvais sujet? »

» — Madame, dit Géréon avec impétuosité, est-ce donc un crime que de se déplaire dans le servage, que de vouloir ne dépendre que de soi dans l’avenir?

» — C’en est un que de vouloir résister à ma volonté, que de ne pas se soumettre lorsque j e commande.


» — C’est le devoir de vos valets, mais le mien....!

» — Géréon, taisez-vous, lui cria Alexan­drine, toujours suspendue au cou de la mar-

4

quise } vous êtes bien coupable de désobéir â maman. A genoux, monsieur, demandez- nous pardon à genoux vite, et si vous nous aimez. »

Ces derniers mots échappèrent tellement, non à la pitié d’Alexandrine, mais en ma­nifestation d’un intérêt bien plus vif, que ma­dame de Pompadour, sans trop l’approfon­dir, éprouva une vague inquiétude, qui fut

,                                                                 9

loin de diminuer, lorsqu’elle s’aperçut que plus impérieuse que n’avait été la frayeur, l’injontion d’Alexandrine obtenait une pleine victoire. Géréon, si farouche, si hautain , ne résista plus ; il courba la tête, non que sa volonté pliât au fond, mais elle ne pouvait résister à une prière de sa jeune maîtresse, et, d’une voix à peu près inintelligible, il balbutia quelques mots d’excuse, signifiant peu par eux-mêmes et voulant dire beau-


coup, si on les expliquait par le sentiment qui les avait déterminés.

La marquise les écouta avec autant d’im­patience que de colère. On pouvait voir, de son côté, que si elle affectait de paraître tranquille, il y avait un orage dans son âme prêt à éclater au moindre choc.

« Allez , monsieur, dit-elle, allez ailleurs méditer sur votre ingratitude ; une soumis­sion absolue pourra seule vous soustraire au châtiment que vous méritez ; tout ce que je vous souhaite c’est que l’on n’ait pas à vous trouver plus coupable.

» — Sortez Géréon, ajouta Alexandrine, nous ne voulons vous revoir que lorsque vous serez sage. Fi ! le vilain enfant* qui irrite ma mère et me porte à pleurer.

Le jeune homme détourna la tête, soit pour cacher son mécontentement des expres­sions employées par la marquise, soit pour ne pas laisser connaître combien son cœur éprou­vait de chagrin de celui qu’il venait de cau­ser à Alexandrine. Il se retira par la porte du



 

couloir, et dès qu’il eût quitté le cabinet, la marquise embrassant sa fille.

« J’aime ta véhémence, ma chère enfant, à soutenir tes amis lors même qu’ils sont peu dignes de ton amitié, comme celui-là par exemple.

» — Eh bien ! maman, vous vous trom­pez , Géréon a toutes sortes de bonnes qua­lités, il est franc, loyal; il a un cœur de roi, il chérit ses bienfaiteurs, il a pour nous autant de vénération que de tendresse.

» — Tu le crois? demanda la marquise en examinant la contenance de sa fille.

» — Comment pourrais-je en douter ? pour­suivit l’imprudente lorsque je le vois chaque jours si empressé à faire tout ce que je veux ; .il prévient mes désirs, m’amuse, me console;

il cherche toutes les occasions de se rappro-

% •

Caixa de texto: Gooc

cher de ma personne ; il est heureux quand il me voit, joyeux quand je suis gaie, triste si on m’a querellée. Ah ! je vous assure que je serais bien ingrate si je doutais de son am... itié.


Un mouvement imperceptible échappa à la marquise, elle le réprima soudain , puis elle dit :

« Voilà certes des preuves irréfragables de l’attachement que Géréon te porte; mais à moi?

» — A vous, répéta mademoiselle d’Étio- les un peu confuse.... à vous. ... ? mais ce qu’il fait pour moi, il le ferait pour vous aussi s’il vous voyait plus souvent et si vous étiez -pour lui moins sévère.

» — C’est-à-dire que ce beau monsieur ne rend rien pour rien.

» — Vous et moi, d’ailleurs, c’est la même chose.

» — Non, car je ne peux souffrir ce polis­son et tu lui portes par trop d’attachement.. Songe à ce qu’il est, un enfant sans famille, que le bien qu’il possède n’annoblira jamais, tandis que toi, avant un mois encore et tu te réveilleras duchesse de Fronsac.

» — Dans ce cas, j’aurai prolongé un mau­vais rêve... mais, maman, je t’en conjure,


pardonne à Géréon, je serais si malheureuse si tu l’accablais sous le poids de ton indigna­tion. Je le connais ; depuis que je suis née nos jeux ont été les mêmes, nous avons grandi ensemble ; il a toujours eu pour moi une telle affection, une complaisance si étendue ! Je lui commandais dans mes récréations innocen­tes et je ne sais pourquoi aujourd’hui je de­viendrais froide et indifférente envers ce bon Géréon qui m’aime tant, et il est si doux d’être aimée ! »

Et la jeune fille en s’exprimant ainsi don­nait à sa voix des inflexions si mélodieuses, les accentuait si fortement ; des teintes d’un pourpre enflammé coloraient son visage et les éclairs partis de ses yeux annonçaient l'é­tat périlleux de son cœur. Il aurait fallu que madame de Pompadour eût mal profité des leçons de dissimulation professées avec tant d’art et par une si grande quantité d’habiles maîtres au château de Versailles, si elle avait

V

laissé connaître à Alexandrine tout ce qu’elle éprouvait dans ce moment. Un voile placé

devant ses yeux en tombait tout-à-coup; elle apercevait enfin sa haute imprudence , si commune dans toutes les familles où l’on souffre aveuglément la fréquentation interne, des deux sexes dans leur adolescence. Faute sans cesse renouvelée, quoique presque tou­jours la punition ne manque pas. On s’ima­gine que les jeunes cœurs ont notre ambition, notre retenue, notre connaissance approfon­die des inconvéniens d’une Hnion dispropor­tionnée; il n’en est rien. Une fille , quel­que soit son rang, veut plaire et a besoin d aimer; la nature domine en elle plus que les préjugés ; aussi chaque fois quelle veut consulter la raison, c est son cœur qui fait la réponse, et le cœur, quand on l’écoute, égare toujours.

La marquise, parce quelle plaisait à un roi, s’était imaginé que sa fille ne regarderait que dans le ciel; jamais il n’etait entré dans sa pensée que Géréon , enfant abandonné , dont d’ailleurs on cachait soigneusement la fortune , pupille d un homme a ses gages



parutautrechoseàAlexandrinequ’undomesti- que favorisé. Imbue de cette idée, jamaiselle n e s’était opposée à des rapports de chaque jour, à une familiarité dangereuse; d’une part il devait y avoir fierté, prétendait-elle, de l’au­tre , abaissement réfléchi. La chose alla tout autrement ; Géréon ne vit dans Alexandrine qu'une femme charmante; Alexandrine, en lui que le compagnon de ses plaisirs; il adora sa beauté naissante, elle se laissa entraîner à l’admiration de son caractère, à cette fierté si remarquable,à cette dignité qui l’élevait au rang des princes, tandis qu’on paraissait le confondre parmi des valets ; l’amour insensi­blement s’établit, et lorsqu’il eut pris pied, l’orgueil, l’ambition eurent peu de force pour le combattre : maître de la, citadelle il faudrait désormais l’en débusquer et ceci ne serait pas facile.

La marquise au moment où elle fit cette découverte fatale , ne put voir le mal aussi profondément enraciné qu’il était; se flattant encore elle s’imagina que l’habitude de se i. 26


voir avait seule appelé dans lame de sa fille cet amour qu’avec tant de naïveté elle révé­lait malgré son désir de le taire, en ne croyant dépeindre que l’amitié. Elle comprima donc

»-y

les mouveniens de sa colère, les impulsions de sa vanité superbe, son désir de vengeance, son indignation contre un vil séducteur, car c’était ainsi que déjà elle qualifiait Géréon , et déterminée à tomber sur lui avec fureur, l’accusait d’un tort dont son imprudence à elle-même était seule coupable. Continuant donc à bercer Alexandrine dans ses bras, elle la laissa parler jusqu’au bout sans l’interrom-

-                                                        «               t

pre, sans donner aucun signe de mauvaise humeur , veillant à ses yeux à sa bouche, à tout ce qui, sur son visage, aurait pu décéler sa rage profonde; et lorsque la pauvre enfant

eut achevé;.q .             y,             ,

»

« C’est bien , mon amour lui (jit-elle ; il fait bon être au rfcng de tes amis ; tout peut s’arranger si Géréon sait être sage et si toi tu

tiens à me contenter.                            .

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Caixa de texto: «	»1	*	' X	/“N
•	Numérisé D3r uoo(
» “Que ne ferais-je pas, répondit Alexau-


             •#              f  • I

.d ri ne, pour contenter une mère qui me té­moigne tant de tendresse.                                                ;

« — Dans ce cas, tu ne refuseras pas de donner ta main au düc de Fronsac.

» — Ah ! dit Alcxandrine en se reculant brusquement des bras de la marquise, épou- -ser celui-là, jamais !                        *                   > •

» — Celui-là ! ma chère ; tu en accepterais donc un autre? »                             

La jeune fille, cette fois, devinant sa faute se mit à pleurer; cette ressource ne nous man­que jamais à nous autres femmes, lorsqu’une explication nous embarrasse ou qu’il nous convient de gagner du tems. La marquise at­tendit la réponse provoquée, elle ne vint

#               |                                                                                             |             s           r                                                                                                          $

point et alors poursuivant : '

« Je te crois trop raisonnable pour refuser, par caprice, un seigneur dont les premiè-

a          » • |

res familles de France, voudraient pour leurs filles; tu ne peux en venir là que poussée par une cause majeure, avant peu je te la deman­derai sérieusement ; jusque-là, consulte-toi, vois s’il fest possible de lutter seyle,. si une

—- m —

fantaisie dangeureuse ne t’égare pas; réflé­chis, chère Alexandrine, et, par une resis­tance opiniâtre, crains de me rendre mal­heureuse , de me réduite au désespoir, et de faire tomber peut-être un châtiment terrible et mérité sur ceux qui abusent de ton inex­périence , pour te donner de mauvais con­seils. »

A ces mots, Alexandrine tressaillit, et re-

«

gardant la marquise.

« Oh ! vous soupçonneriez...

« — Des soupçons, je n’en ai point, je crains qu’une bouche criminelle..., je m’in­formerai cède-moi, Alexandrine: toi et les autres s’en trouveront bien. »

Mademoiselle d’Étioles allait répliquer , lorsque le coup de cloche qui annonçait la venue du roi aussitôt qu’il sortait de son ap­partement , avertit qu’il allait paraître. La marquise renvoya précipitamment èa fille, qui se retira agitée, abattue et tremblante _ d’avoir laissé échapper le secret de son cœur.

Un peu plus tard, lorsque le roi eut fait sa


visite ordinaire de la matinée, et qu'il se fut retire, le comte de Saint-Germain vint à son tour. 11 trouva la marquise sur sa chaise longue pù elle se plaçait volontiers chaque fois que son âme était fortement émue. Le comte salua en silence, un mouvement de tête répondit de la part de madaraede Pompadour» et chacun continua de se taire pendant un peu de teins ; enfin , çelle-ci, faisant un geste d’impatience.

« Oh ! que je paierais cher, dit-elle, de lire à livre ouvert dans l’avenir.

» — C’est, repartit le comte, un travail la­borieux ; il demande de hautes études.

» — Crovez-vous les avoir complétées !

» — Non, madame; la science à laquelle l’homme peut parvenir n’a pas cette étendue; épeler péniblement de loin à loin quelques phrases, voilà ce que le plus habile obtient à force de teins et d’études.

»> — Y-lisez vous enfin , reprit la marquise avez humeur, d’une façon ou d’autre?

u — J’ai eu cette heureuse fortune surtout


V06 «-«

en ce qui concerne les évënemens prêts à succéder à notre époque.

» — Eh bien ! M. le comte, puisqu’il en est ainsi, le roi exige que vous lui fassiez con­naître ses premiers successeurs, que vous ti­riez l’horoscope de ses petits-fils.

» — Moi, madame, avoir cette audace criminelle !

» — Le roi le veut* il prendra tout sur lui.

» — Je n’aurai jamais ce courage, cette témérité ou bien cette indiscrétion.

» •— Quant à moi, dit la marquise, j’at- tenJs de votre science qu’elle me fasse con­naître le mari de ma fille.

» — Auriez-vous rompu avec le duc de Richelieu en reconnaissant son astuce ?

»— Expliquez-vous, le duc me trahirait ? un traître ou les astres vous l’auraient-ils ap­pris ?                                             1


» — Ce que j’en sais, répliqua le comte de Saint-Germain, vient uniquement de votre bouche.

» — De moi! et comment s’il vous plait?

» — Vous m’avez fait l’honneur de me ré­péter que M. le maréchal de Richelieu, en vous parlant du mariage de mademoiselle d’Étioles avec le duc de Fronsac, vous avait dit qu’il consulterait les parens de son fils.

» — Oui, c’est vrai ; que concluez-vous de cette phrase convenable ?

» — C’est une défaite, madame , les pa­rens de M. le duc de Fronsac sont hors de France en majeure partie; c’est la maison de Lorraine, la famille impériale d’Autriche...,

je vous parle à cœur ouvert; mais je crains...» ; • ?

La marquise se mordit la lèvre, selon sa

coutume, pâlit, et frappant des mains.

« J aime a croire que vous vous trompez, cependant... , l’impérâtrice m’appelle sa cousine, refuserait-elle son consentement ?

» — En a-t-elle besoin...? le silence...

m

» — Oui, se taire, et tous mes projets sont renversés... mon cher comte,' vous m’aiderez... oh ! la fatale journée !


» — Vous souffrez.

» — Je suis au désespoir.

» — Acceptez mes conseils ou mes secours,

je vous les offre.

» — Je verrai..., il faut absolument que

vous demandiez.., à vos amis ( la marquise

, * *

essaya de sourire, elle grimaça ) de vous montrer les traits du mari d’Alexandrine.

Le comte s’approcha d’elle.

» — Tenez-vous beaucoup à ce désir ?

» -— Oui, excessivement.

• • /

.» «— Je peux vous satisfaire ; j’ai par ha­sard sur moi le miroir constellé dont je me sers pour plusieurs opérations. Je vais

le consulter à l’instant même.

• ' • « / ' •

» — Pourrai-je y regarder avec vous ?

u Si cela vous amuse. »

Le comte tira de sa poche le miroir qu’il avait déjà pris, lorsque Géréon était venu à Paris, le soir de l’assassinat du Roi. Il l’ou­vrit, le posa sur la cheminée, prononça


»-► 409

à voix basse des paroles mystérieuses et re­garda dans la glace.... aucun objet n’en troubla la pureté ... il s’en étonna, recommen­ça la cérémonie , employa des mots plus puissans.... une vapeur épaisse couvrit le miroir.

« Oh ! pour le coup, dit le comte, le char­me opère; approchez-vous, Madame.

La marquise se leva précipitamment et regarda ... la vapeur se dissipa peu à peu et aucune figure ne se montra à sa place.

» Allons , M. le Comte, dit la marquise , ne vous lassez pas, servez-vous des conjura­tions les plus entraînantes.

» — Volontiers, Madame, répondit le comte en déguisant mal son dépit ou son effroi.

Et il parla de nouveau.... mais la glace magique , mal appuyée, sans doute, glissa sur le parquet et se brisa en mille pièces.

« En avez-vous une autre, Monsieur le Comte ?

\


i.                                               27

m—

Caixa de texto: JHO «» — Non, Madame, et il faut vingt ans pour réparer ce malheur.

« C’est étrange ! qui donc épousera ma fille ? »

Le comte se tut et montra les débris du miroir.

%

FIN DU TOME PREMIER»


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 



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[5] % * * ' .

Le roi s’attendait à une attaque de ce gen-

• .9 ? . . # # . ; • # ; . - ; ; { re. L’habitude lui tenait lieu d’affection pour

. 7                                                           à                                                              9                                       *                               * 9 '

le ministre de la guerre, et il aurait éprouvé

r              • r       

du déplaisir à ce que la marquise vint direc­tement à lui, tandisqu’au contraire il ressentit de la joie en apprenant que le garde des

[6]

r