Format de téléchargement: : Texte
Vues 1 à 358 sur 358
Nombre de pages: 358
Notice complète:
Titre : Mémoires de Madame Du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour avec
des notes et des éclaircissemens historiques [par Quentin Craufurd]
Auteur : Du Hausset, Nicole (1713-1801). Auteur du texte
Auteur : Desprès, Jean-Baptiste-Denis (1752-1832). Auteur du texte
Auteur : Barrière, François (1786-1868). Auteur du texte
Éditeur : (Paris)
Date d'édition : 1824
Contributeur : Craufurd, Quentin (1743-1819). Notes éditoriales
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb303705012
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : VII-XXXVIII-313 p. ; in-8
Format : Nombre total de vues : 358
Description : Collection : Collection des mémoires relatifs à la
Révolution française
Description : Collection : Collection des mémoires relatifs à la
Révolution française
Description : Comprend : Essai sur la marquise de Pompadour ; Notice
sur la vie et les ouvrages de M. Craufurd
Description : Contient une table des matières
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k36431d
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode
texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de
reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé
pour ce document est de 95%.
A LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
DE MADAME DU HAUSSET 1,
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
MÉMOIRES
FEMME DE CHAMBRE DE MADAME DE POMPADOUR.
IMPRIMERIE DE J. TASTU, RUE DE VAUGIRARD, ? 36.
MÉMOIRES
DE
MADAME DU MAUSSET,
FEMME DE CHAMBRE
DE MADAME DE POMPADOUR,
AVEC DES NOTES
ET DES ECLAtftClSSEMENS iHSTOtUQUES.
PARIS.
BAUDOUIN FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS, nPE DE VAHGIRARD, ? 56.
I\N\N\I\IV\~
l824.
AVERTISSEMENT
DES LIBRAIRES-ÉDITEURS.'
Lus Mémoires de madame du Hausset n'ont vu le jour que par les soins de M.
Craufurd. Le public aime à connaître les hommes auxquels il doit ces sortes de
révélations historiques. Le goût éclairé de M. Craufurd'pour les lettres et
pour les beaux arts l'accueil qu'il reçut à la cour de Louis XVI, la société
qu'il voyait en France, les anecdotes qu'il a racontées dans ses écrits ou
qu'on a recueillies dans sa conversation, jettent de l'intérêt sur sa vie. On
ne lira point sans émotion ce qu'il dit des malheurs de la Reine
MarieAntoinette on sera curieux d'apprendre ce qu'il a su de Joséphine au sujet
de Napoléon. Les notes que M. Craufurd avait jointes aux Mémoires de madame du
Hausset, et ces Mémoires eux-mêmes tout piquans qu'ils sont, n'auraient
point assez fait connaître madame de 'Pompadour. On pénètre avec madame du
Hausset dans ses appartemens les plus secrets on y découvre les plus
mystérieuses intrigues, du temps où le crédit de la favorite était le mieux
affermi. Mais il était nécessaire qu'un coup d'œil rapide jeté sur
les premières années de madame Le Normand d'Étioles apprit l'origine de sa
fortune au lecteur, et lui retraçât le caractère, les talens, les projets de
cette femme qui du fond de son boudoir agitait l'Europe et gouvernait la
France. Tel est l'objet de F~.s~M qui précède les Mémoires qu'on va
lire. Dans son insouciante légèreté madame de Pompadour prévoyait les violentes
secousses qui devaient ébranler la monarchie. Son histoire se lie de bien près
à celle de la révolution française les temps de troubles ont toujours pour
précurseurs les temps de corruption dont parle madame du Hausset (i).
Pour éclairer encore davantage l'époque dont ses Mémoires présentent le
tableau, nous
()) L'histoire, en condamnant les désordres de cette époque, n'a presque
rien laissé de plus à dire aux Mémoires. Personne aujourd'hui n'ignore à quel
point l'amour des plaisirs corrompit tous les dons que Louis XV avait reçus du
ciel. Il est une époque de sa vie plus brillante et plus heureuse c'est celle
que retracent les Mémoires inédits de M.le marquis
y avons joint des pièces historiques dont plusieurs sont très rares, dont
quelques autres étaient tout-à-iait inconnues. Nous citerons. parmi les
premières un morceau sur la destruction des Jésuites écrit par M. Sénac de Meilhan avec
une impartialité remarquable. Au nombre des secondes se trouve une notice biographique
de l'archevêque de Toulouse~ Lomënie de Brienne, sur le cardinal de Bernis. Il est curieux de voir
de quelle manière lVI.de Brienne, premier ministre de Louis XVI en 1788~ juge la conduite
et l'administration de M. de Bernis, ministre sous Louis XV. Ce seul
rapprochement entre les deux cardinaux, les deux ministres~ les deux princes et
les deux époques, suffit pour donner à penser.
d'Argenson. Ils embrassent les plus belles années du règne de Louis XV; ils
représentent ce prince jeune, vaillant, aimable, vainqueur à Fontenoi, à
Raucoux, à Lawfett, et recevant de la France entière des témoignages d'amour
qu'il méritait alors.
Les Mémoires du marquis d'Argenson, publiés par sa famille, sont en ce
moment sous presse.
NOTICE
SUR LA VIE ET LES OUVRAGES
DE M. CRAUFURD.
« ON peut faire sa fortune en tous lieux, disait sou)) vent M. Craufurd,
mais c'est à Paris qu'il faut en jouir. » Il y passa trente années de sa vie.
Accueilli avec bienveillance par la Reine Marie-Antoinette, témoin et confident
de ses peines, en nQa il a laissé d'intéressans souvenirs sur les malheurs de cette
princesse. Ses ouvrages, publiés presque tous dans notre langue, le placent au
nombre de nos écrivains; les personnages les plus célèbres de notre histoire
avaient été, par ses soins, rassemblés à grands frais dans sa galerie de
tableaux il aimait nos usages, il partageait nos goûts enfin, par ses manières,
ses sentimens., son langage, c'était véritablement un Français que M. Craufurd,
mais ce Français avait reçule jour en'Écosse.
Quintin Craufurd, naquit à Kilwinnink, dans le comté d'Air, le 22 septembre
1743. Il descendait d'une ancienne et noble famille qui, dès le douzième siècle
occupait un rang élevé dans sa patrie. A la mort de son père dont il était le
plus jeune fils M. Quintin Craufurd se trouvait encore en bas âge. Suivant les
lois du royaume, son frère aîné fut mis en possession de tous les
biens. Une entreprise, dans laquelle M. Craufurd le
a
père avait placé quelques fonds en faveur de ses autres enfans, échoua
complètement; le jeune Quintin Craufurd songea de bonne heure à réparer les
torts de la fortune. A dix-huit.ans, il entra au service de la compagnie des
Indes, et s'embarqua pour Madras. La guerre venait d'éclater entre l'Angleterre
et l'Espagne; et, tandis que les Anglais enlevaient, en Amérique, la Havane aux
Espagnols, le général Draper s'emparait de Manille dans les îles Philippines.
M. Craufurd, qui avait servi avec beaucoup de zèle et d'activité dans cette
expédition, fut nommé quartier-maître général. A la paix, il rendit de nouveaux
services à la compagnie des Indes. Placé comme résident à Manille, ses soins
éclairés établirent un commerce avantageux entre les îles Philippines et les
possessions anglaises; il dut aux succès de cette habile négociation les
commencemens de sa fortune. Après son retour à Madras, chargé de plusieurs missions
importantes, il visita les contrées de l'Inde il étudia leur histoire leurs
lois, leurs mœurs et leurs coutumes. On lui doit, sur les peuples de cette partie-de l'Asie un ouvrage,
dont les orientalistes les commerçans et les navigateurs apprécient également
le mérite (i)..
Si ses occupations le retenaient en Asie, ses vœux et ses regards se
tournaient sans cesse vers l'Europe. Il y revint en 1~80 et toujours animé
du désir de voir, de con(<) Sketches chiefly relating to the /mto~, re~/on, /eamt;tgan<~ manners of the
Hindoos. London, t~QO 2 vol. in-8".
Pendant son dernier séjour à Paris, il écrivit sur l'Inde un autre ouvrage
qu'il fit imprimer à Londres, en '8)7, sous le titre de T~earc/tM
concerning the JLaw~, theology, ~Mr'n'n~, commerce, etc. o/'anct~tt and /MoAryt 7ne!;tt/ 2 vol. in-8".
naître et de comparer, il parcourut l'Italie, l'Allemagne, la Hollande et
'finit par habiter la France. Sa fortune était considérable. Il avait recueilli
à Florence à Venise et surtout à Rome, des tableaux, des statues d'une valeur
Inestimable. L'hôtel dans lequel il rassembla ses richesses était meublé avec
autant de goût que de magnificence. M. Craufurd recevait chez lui les
ambassadeurs et les étrangers les plus distingués par leur rang ou leur mérite.
Les savans, les gens de lettres et les artistes ambitionnaient ses suffrages;
plus d'un reçut de lui des encouragemens dont la délicatesse du bienfaiteur
augmentait le prix. Libre de satisfaire en secret son humeur généreuse, heureux
de se livrer, même au sein de Paris, à ses goûts studieux, il jouissait avec
transport du bonheur d'habiter cetté ville, où se rassemblent à la fois tous
les plaisirs et tous les genres de connaissances.
La France présentait alors le plus heureux spectacle. La guerre d'Amérique
avait rendu de l'éclat à nos armes. Long-temps égarée dans sa direction, notre
école reprenait dans les arts, la route qui l'a conduite à de brillans succès. Les
lettres, sans renoncer au privilége de charmer les esprits, voulaient encore
les éclairera ,La philosophie moderne mêlait à de fausses et .trompeuses clartés, des
lumières utiles et bienfaisantes et <;es vérités recevaient du talent des
hommes qui les répandaient dans leurs ouvrages, tout ce que la raison pouvait
leur donner d'empire, tout ce que l'éloquence pouvait leur
prêter de charme. Au milieu des plus heureuses illusions on ne rêvait que
perfectionnement et félicité publique. Les esprits semblaient, il est vrai,
poussés vers l'avenir par un désir infini de nouveautés,
mais tous les cœurs s'ouvraient à des sentimens généreux et bienveillans.
Dans les. cercles de la capitale ou de la cour, on soulevait d'une main légère
les graves questions de la politique un peuple aimable et spirituel discutait
en folâtrant les plus hardis principes, sans en prévoir les résultats à peu
près comme sur des plages nouvellement découvertes les habitans dans leur
imprudente ignorance,'jouent avec nos armes à feu jusqu'au moment où
l'explosion terrible leur en révèle tout-à-coup l'effet et le danger.
L'orage paraissait encore loin. La cour ne respirait que plaisirs et que
fêtes. La nation française, en chérissant les bienfaisantes vertus de Louis
XVI, arrêtait complaisamment ses regards sur les deux princes qu'elle voyait
placés près du trône. L'un d'eux aimait et cultivait les lettres l'étude et la
réflexion semblaient mûrir en secret son jugement. Sa mémoire ornée, lui
fournissait souvent des citations qui avaient l'éclat d'une saillie on
reconnaissait en lui un esprit soumis aux lois de la prudence, capable des
ménagemens de la politique et digne des hautes conceptions de la sagesse. Le
second, par ses grâces, sa loyauté, son air ouvert, son noble maintien, offrait
un brillant modèle du caractère français. Il devait aux inspirations du cœur
les traits les plus heureux de son esprit. On remarquait dans ses regards, on
retrouvait dans ses moindres paroles, cette chaleur de sentiment qui conserve à
l'âge mûr le charme de la jeunesse, rend la grandeur aimable donne de la grâce
à la bonté, et fait que chaque mot, chaque action, ajoute à l'amour'des peuples
sans rien ôter à leur respect.
L'étiquette s'étonnait un peu de ne plus régner à
Versailles. Marie-Antoinette, au milieu d'une cour dont elle était
l'ornement, semblait se dérober à ses hommages elle voulait oublier l'élévation du
trône pour goûter les douceurs de l'amitié. M. Craufurd était du nombre des
étrangers que la Reine recevait avec le plus de bonté. « Tous ses mouvemens,
dit-il, dans » un écrit que je me plairai souvent à citer, avaient H une gràce infinie
et cette expression si souvent » prodiguée, elle est pleine de c~ar/ne, était
celle » qui peignait le mieux l'ensemble de sa personne. M Elle laissait
apercevoir dans son intérieur, un carac)) tère de bienveillance très-rare, même
parmi de simpies particuliers~ Si Marie-Antoinette n'eût eu qu'une M carrière ordinaire à
parcourir, beaucoup, de traits de a franchise et de bonté, auraient
répandu un vifin)) térèt sur sa mémoire. Mais est-il possible, continue M M. Craufurd, de
s'arrêter à des faits particuliers, » quand les. terribles. catastrophes qui
ont rempli les M dernières années de sa vie appellent si fortement, l'at? )) tentlon(i). »
11 serait inutile de dire ici comment la nécessité d'une
réforme amena un renversement il serait supernu de rappeler les fautes que fit la
cour, les excès que commirent les factions, et comment Louis XVI se vit, en 1791, .réduit
à sortir en fugitif d'un palais où ses sujets le retenaient prisonnier.
M. Craufurd était du bien petit nombre d'hommes, à l'honneur, au
dévouement, à la ndélité desquels était ()) Notice sur Marie-Antoinette, Reine de
.France,'ejctrat'te dit catalogue raisonné de la Collection des Portraits de M.
Craufurd; brochure tirée à un très-petit nombre-d'exemplaircs, en t8og, à Paris, et réimprimée
in-8" en )8tg.
confié le secret du voyage de Varennes. La voiture qu'on avait fait établir
exprès resta déposée chez lui, rue de' Clichy, plusieurs jours avant le départ.
On sait combien le retour fut amer et douloureux; on sait de quels outrages fut
abreuvée la famille royale, en traversant lentement -les Champs-Élysées pour
rentrer auxTuileries. M, Craufurd se trouvait alors à Bruxelles mais deux
cochers qu'il avait laissés à Paris, dans sa maison, étaient accouTus avec la
foule pour voir ce triste spectacle. L'un d'eux en apercevant la voiture,
s'écria « Je la reconnais; c'est celle qui a été remisée chez mon maître. » La
multitude crie aussitôt qu'il faut démolir ou brûler la maison. On y courait
déjà qua~id l'autre cocher brave homme nommé Jougman nia le fait en ajoutant que
la maison n'était point à M. Craufurd, mais à M. Rouillé d'Orfeuille, cAo~e/ï/TYMMM. <t Ma maison ne fut
alors préservée du pillage, disait M. Craufurd en racontant cette circonstance,
que pour être pillée plus tard avec plus d'ordre et de méthode par les comités
révolutionnaires (i). »
L'aspect sombre et sinistre que tout prenait en France, les soupçons
qu'avait excités la conduite de M..Craufurd,
(t) La brochure de M. Craufurd sur Marie-Antoinette contient ces paroles
remarquables, au sujet du voyage de Varennes « On a répandu M que le Roi avait
montré de la timidité; d'après ce que j'ai su de la Reine x et de plusieurs
autres personnes, je crois cette assertion fausse. Un s grand nombre de
circonstances prouvent incontestablement qu'il avait <) du courage personnel.
S'il montra de l'inquiétude ou des craintes D à Varennes, ce n'était pas
certainement pour lui-même, mais pour « ceux qui se trouvaient avec lui. Il
connaissait parfaitement tous les t dangers de sa position et n'en était pas
abattu. Une seule crainte pa)) raissait toucher ce prince au commencement
de !7f)3, il disait Si du !< moitM ma famille était en sûreté! N
les périls dont l'environnait son attachement pour la famille royale, rien
ne put l'empêcher de venir. chercher une occasion nouvelle de témoigner un
tendre et respectueux intérêt. Laissons-le rendré compte de ses entrevues avec
la Reine.. « En décembre ly~r après une absence de plusieurs » mois je revins
à Paris, où je restai jusqu'au milieu, » d'avril '792. Le lendemain de
mon arrivée, j'allai » lui faire ma cour aux Tuileries. Le jour suivant M. de »
Goguelat, oSicier de l'état-major secrétaire privé de » laReine,vint medirequesa majesté désirait
me voir(i). » A six heures du soir, mettant pied à terre au Carrôusel, » nous
traversâmes la cour des Tuileries et nous entrâ» mes par une porte du château
qui conduisait aux ap» partemens de la Reine. Madame Thibaut, l'une de
ses )) femmes fidèle et fort attachée à sa majesté me mena » chez elle. Je
l'ai vue souvent et de la même manière » jusqu'à mon départ de Paris.
Quelquefois et peu après » m'avoir parlé des choses qui ne pouvaient que
l'aflli» ger bien vivement, je la retrouvais chez madame de » Lamballe qui
demeurait au château dans le. pavillon » de Flore sa physionomie, son,.ton son
maintien » tout était calme. Rien ne se ressentait des sombres pen» sées dont
elle venait de m'entretenir. »
La Reine n'imaginait pas alors qu'on osât jamais atten-
ter aux jours du Roi. « La nation ne le souffrirait pas, »
disait-elle. M Mais elle se croyait elle-même dévouée comme victime à la haine des
jacobins. L'infortunée (t) M. de Goguelat est aujourd'hui !ieutenant-généraL On lui doit un
Mémoire sur Varennes, et des détails remplis d'intérêt sur les tentatives
faites pour arracher la Reine à la captivité du Temple.
princesse n'avait point de vaines alarmes, et ses consolations étaient bien
incertaines.
Un jour Marie-Antoinette fit voir à M. Craufurd une lettre qu'elle recevait
à l'instant de son neveu l'empereur François, qui règne aujourd'hui. En
annonçant à la Reine son avènement au trône il exprimait le vif intérêt qu'il
prenait à sa position. Comme M. Craufurd lui faisait remarquer tout ce que
cette lettre avait de consolant pour elle. Mon net~eM dit-elle, ne pouvait pas
m'ecrire autrement; mais je ne l'ai jamais fM peine même <M-/f connu son père.
Mon frère Joseph, voilà celui qui était véritablement mon ami. Il m'aimait
tendrement sa mort est un grand malheur pour son pays et pour moi. Alors la
Reine entretint M. Craufurd de la lettre d'adieu qu'elle avait reçue de son
frère expirant l'amitié qui l'unissait à Joseph parut reporter ses idées vers
des jours plus heureux elle s'attendrit en parlant des lieux qu'elle avait
habités avec lui, des personnes qu'elle avait connues à Vienne, et de sa mère
Marie-Thérèse. Quels souvenirs, et quel ,contraste Loin de son pays, captive,
humiliée, tremblante pour son époux, tremblante pour ses enfans bien plus
encore que pour elle-même, comment aurait-elle pu, sans un sentiment
douloureux, songer aux paisibles et riantes années de sa jeunesse ? Son
attendrissement ne la rendait-il pas plus touchante ? Et qui n'eût, ainsi que
M. Craufurd, partagé sa vive émotion ? a
Il devait bientôt s'éloigner de la Reine et de la France. <( Peu de jours avant
mon départ, la Reine remarquant, dit-il, une pierre gravée que j'avais au
doigt, me demanda si j'y étais bien attaché. Je lui répondis que non, que je
l'avais achetée à Rome. Je vous la demande, me
dit-elle j'aurai peut-être besoin de vous écrire, et s'il
arrivait que je ne crusse pas devoir le faire de ma main, le cachet vous
servirait d'indication. Cette pierre représentait un aigle portant dans son bec
une couronne d'olivier. Sur quelques mots que ce symbole me suggéra, elle secoua la
tête en disant Je ne me fais pas d'illusion n'y a plus de bonheur pour moi.
Puis, après un moment de silence Le seul espoir qui me reste, c'est que MO/: /t/~ pourra du moins
être heureux » M
« Vers neuf heures du soir, je la quittai; elle me fit sortir par une pièce
étroite, où il y avait des livres, et qui conduisait à un corridor fort peu
éclairé. Elle m'ouvrit elle-même la porte, et s'arrêta encore pour me parler
mais entendant quelqu'un marcher dans le corridor, elle rentra. Il était tout
simple qu'en de pareilles circonstances, je fusse frappé de l'Idée que je la voyais
pour la dernière fols. Cette sombre pensée me rendit un moment immobile. Tiré
de ma stupeur, par l'approche de celui qui marchait, je quittai le château, et
retournai chez moi. Dans l'obscurité de la nuit, au milieu d'idées confuses,
son aspect, ses derniers regards se présentaient sans cesse à mon imagination,
et s'y présentent encore aujourd'hui ()). »
Il était temps que M. Craufurd quittât Paris, où chaque instant augmentait
ses périls. Il habita successivement Bruxelles, Francfort sur le Mein, et Vienne (2).
L'homme (i) Notice sur Marie-Antoinette.
(a) En 179~, M. Craufurd avait publié à Londres, en anglais, une Histoire
<& ~a Bastille qui renferme des recherches assez curieuses. Pendant son
séjour à Francfort en t~gS, i! fit imprimer la même histoire en français, avec
des changemens et des additions; < fort volume in-8".
qui avait montré du dévouement à Marie-Antoinette fut bien reçu dans la
cour de François II. Il vécut parmi ce que la capitale de l'Autriche comptait
d'hommes distingués, de personnages éminens quand il songeait à la France,
l'estime'du baron de Thugut, l'amitié du prince de Ligne la société de M. Sénac
de Meilhan adoucis"saient un peu s~s regrets. C'est à cette époque qu'il
obtint de M. de Meilhan le Journal manuscrit de madame du Hausset, journal
qu'il publia plus tard, et dont les indiscrétions lui auraient paru peut-être
trop satisfaisantes pour la malignité si plus d'un demi-siècle n'avait passé
sur la mémoire de ceux qu'elles accusent. C'est à Vienne aussi, vers le même
temps, que, pour répondre aux désirs d'une de ses compatriotes il commença ses Essais
sur la littérature française (i). Comme la plupart des productions de M.
Craufurd, cet ouvrage annonce une critique judicieuse, un goût éclairé. Il est
écrit d'un style facile et naturel. On aurait pu dès-lors adresser à l'auteur
en les changeant dans leur application, les paroles du Poussin a un
()) Imprimés pour la première fois à Paris, )8o3, en deux
volumes in- II fit paraître, sous le même format, à Paris en 1808, l'Essai
histort<yMg ~m' docteur ~w~, et sur son Influence dans le gouvernement de la
Grande-Bretagne. Enfin parurent, en i8o9, in-~°, les Mélanges d'Histoire et de
Littérature, parmi lesquels se trouvent le Journal, ou, pour mieux dire, les
Mémoires de Madame du Hausset.
Ces quatre volumes in~° sont d'autant plus précieux qu'ils n'ont été
tirés 'qu'a fort petit nombre, et que leur auteur, par une fantaisie de bibliomane, les
donnait bien rarement à la même personne. La réimpression des Mélanges
d'Histoire et de Littérature, Paris, t8<y, in-8", est fort
incomplète, quoique donnée par M. Craufurd lui-même.
grand seigneur qui lui montrait ses ouvrages ne vous manque qu'un peu de
pauvreté pour être HT! écrivain (t). Il partageait ainsi ses loisirs entre les
lettres et la 'société de plusieurs hommes aimables, instruits et spi-rituels, que rassemblait
chez lui son ami Sénac de Méilban (2). Cette reunion avait pour lui
d'autant plus de charme, que la gaieté, le savoir le bon goût en avaient banni
l'étiquette et la politique. Mais ni ses plaisirs, ni ses occupations, qui
étaient des plaisirs encore, ne pouvaient lui faire oublier le séjour de Paris.
Lorsque M. Craufurd habitait la France, il allait régulièrement, chaque année passer deux mois
en Angleterre. En 1802 dix ans s'étaient écoulés sans qu'il eût
revu sa terre natale. La goutte, dont il était tourmenté, lui faisait redouter
les longues traversées sur mer. Il attendait chaque jour un événement favorable
qui lui permît d'aller s'embarquer à Calais, en traversant la France. Aussi
s'empressa-t-il) à la première nouvelle des conférences ouvertes pour la paix
d'Amiens, de réclamer un passe-port français. Il l'obtint. On se trouvait au
cœur de, l'hiver; sa santé était languissante; il avait deux cents lieues à
faire au (i) M. Craufurd commence ainsi sa Notice sur madame de Montespan a
Cette dame, aussi remarquable par le caractère de son esprit original et o piquant que par sa beauté,
après avoir été recherchée par ce qu'il y D avait de plus distingué à la cour,
donna la préférence au marquis de )) Montespan qu'elle épousa. Madame de
La Vallière l'avait admise dans B sa société intime, et le roi, qui la
voyait souvent, la regarda d'abord )) comme une étourdie agréable. Il
disait un jour à madame de La Val» Itère Elle'voudrait bien <yueye ~'at/HO~e, mais elle se
trompe. C'éx tait le roi qui se trompait. )) Ces derniers mots ne renferment
qu'un trait, mais H Mt heureux et .vif. ¡ (2) Voyez plus bas, sur M. Sénac de Meilhan, la note de la.page 53.
milieu des glaces mais quelles fatigues., quels périls _n'eût-il pas bravés
? il allait revoir Paris
Cette ville n'était plus telle alors qu'il l'avait vue. Un génie puissant
pour le bien comme pour le mal n'avait point, encore relevé ses édifices
détruits, et décoré ses places publiques. De tous côtés Paris présentait les
traces de la tourmente révolutionnaire. Les yeux de M. Craufurd n'étaient point
préparés à ce spectacle. Vue du dehors, la France paraissait resplendissante de
l'éclat de sa gloire militaire il fallait la parcourir à l'intérieur pour avoir
une idée des maux qu'elle avait éprouvés. Des pyramides en bois, des déesses de
plâtre, des trophées eu toile peinte remplaçaient sur nos places et dans nos
monumens l'or, le marbre et l'airain. M. Craufurd cherchait les chefsd'œuvre
des arts qu'il avait admirés jadis et ne revenait pas de sa surprise.
Il chercha surtout les amis qu'il avait chéris le plus grand nombre était
monté sur l'échafaud. Ceux qui restaient n'avaient, pour' la plupart, conservé
que la vie et leurs malheurs les lui rendirent plus chers. Il eut un hôtel
vaste et commode. Son salon réunit, chaque soir, tout ce que la terreur avait
épargné d'hommes remarquables par leurs manières, leur politesse et leur
esprit. Il oublia bientôt l'Angleterre il voulut embellir sa demeure. L'immense
collection qu'il avait formée avait été saisie et vendue (i). Il s'occupa du soin
d'en former une nouvelle jamais l'occasion n'avait été plus favorable.
(t) Quoique étranger, M. Craufurd s'était trouvé compris sur la liste des
émigrés.
On avait, pendant la révolution, pillé les hôtels et les couvens enlevé les
manuscrits, dispersé les bibliothèques. Les statues, les tableaux, les livres
rares étaient alors saisis comme suspects, et il s'en fallait de beaucoup que
ces confiscations tournassent toutes au profit du trésor public. Quand un peu
de tranquillité succéda plus tard aux désordres, des hommes qui conservaient le
goût des arts et des lettres songèrent à rassembler tant de trésors épars.
L'étranger s'enrichit alors de nos pertes; mille objets précieux allèrent orner
les cabinets de Londres ou de Saint-Pétersbourg. Mais tout n'avait point été
retrouvé. Des Elzevirs à grande marge, et couverts des armes royales, se
vendaient encore chez les plus obscurs bouquinistes, et des yeux exercés
distinguaient dans les échoppes du Pont-Neuf, des tableaux qui avaient orné les
chapelles de nos églises ou les appartemensde Versailles (t). M. Craufurd mit ce
court intervalle à profit.
Avec un goût très-éclairé, avec une patience infatigable, il réunit une
collection plus Intéressante quoique moins riche peut-être que celle dont la révolution l'avait
privé. Les hommes que l'histoire attache vivement par ses récits, éprouvent
naturellement le désir de connaître les personnages dont ils ont admiré les
ac- v tions. On veut saisir dans leur physionomie, dans leur maintien,
jusque dans leur costume, des rapports ou des contrastes avec leur caractère,
leurs penchans,
(t) C'est ainsi que M. Craufurd retrouva un beau tableau de Le Brun,
représentant Louis XIV à cheval ce tableau ornait autrefois le salon d'Hercule
à Versailles. Au retour de Louis XVIII, M. Craufurd l'offrit à Sa Majesté qui
voulut bien en agréer t'hommage.
leur génie. Tout ce qup la Frànce a compté dé personnages célèbres aux
époques les plus remarquables de la monarchie ministres capitaines magistrats poètes savans, artistes composaient la collection de
portraits formée par M. Craufurdi Ces grands hommes de tous les temps,
étonnés pour ainsi dire de se trouver ensemble, semblaient se ranimer sur la
toile pour servir d'exemple à notre âge jamais étranger ne rendit un plus bel
hommage; à là France
J
On pense bien qu'à côté de tànt d'anciens preux, de chevaliers courtois,
devaient figurer les belles, objets de leur constant hommage. Les femmes dont
chaque siècle avait admiré les attraits, l'esprit et les grâces, qui, de leur
temps, inspiraient de grandes actions aux guerriers, de nobles chants aux
poëtes, étaient sûres d'occuper une place dans le musée de M. Cràufurd.
Quelquefois il avait réuni plusieurs portraits de là même personne peinte
à dioerens âges, en sorte qu'on pouvait comparer sur les mêmes traits la fraîcheur de
la jeunesse et le ravage des ans. Quelquefois aussi plus singulièrement frappé
de l'empire exercé par quelques femmes, des touchantes qualités des unes, des
longs revers de plusieurs autres, il avait voulu joindre les souvenirs de
l'histoire aux traits du pinceau. C'est ainsi qu'il peignit avec beaucoup d'in-~ térêt, dans ses
Notices, Agnès Sorel qui ravit la France aux'Anglais, en rendant son
amant à la gloire; la tendre La Vallière, la vive et brillante Montespan; Marie
Stuart dont les malheurs ont expié les fautes et MarieAntoinette dont les
vertus ont illustré les malheurs (i). (t) Notices imprimées in-8" en t8<8 et t8tf); toutes
sont fort rares. Un portrait de la Reine par Sauvage, et un buste en marbre
blanc
Ce n'est pas que de fâcheux soucis ne vinssent bien souvent l'arracher à ses
douces occupations. A la rupture de la paix d'Amiens tous les Anglais qui se
trouvaient sur le sol français furent déclarés prisonniers de guerre. M.
Craufurd devait être, comme ses compatriotes, dirigé vers un dépôt
éloigné. Il dut à la protection d'une noble amitié que le pouvoir n'avait point
refroidie, la permission de rester dans la capitale. Mais quand la guerre d'Espagne
éclata, quand M. de Talleyrand ne fut plus en place et quand le prisonnier de
guer/'e se vit en butte à des persécutions nouvelles, il trouva près de
Napoléon lui-même un appui sur lequel il était loin de compter. Écoutons-lé
parler à ce sujet dans une note intéressante que j'ai sous les yeux
« En 1810, peu de temps après son divorce l'impératrièe Joséphine me fit
dire par une de ses dames, madame la comtesse d'Audenarde, qu'elle serait bien
aise de me voir; et que n'étant plus, elle, qu'une simple particulière, elle ne
croyait pas qu'il y eût aucun inconvénient pour moi à venir chez elle. Je me
rendis à la Malmaison, et nous y dînâmes ensuite, ma femme et moi, tous les
lundis. J'y allais quelquefois aussi dans la semaine et cela dura jusqu'à sa
mort. Elle avait souvent de la musique en tout sa maison était fort agréable.
de grandeur naturelle et d'une parfaite ressemblance, ornaient le cabinet
de M. Craufurd.
Cette collection toute historique est aujourd'hui disséminée. Le célèbre
portrait de Bossuet, par Rigaud, fait maintenant partie du Muséum. Entraîné par
son goût pour les arts M. Craufurd avait entrepris un ouvrage considérable sur
la Grèce il-n'en a publié qu'un chapitre, intitulé sur fe'r;c<M j etc. etc.
un petit volume en anglais; Londres, t8t5eti8;7/
Elle était bienfaisante, douce, sensée, et se conduisait à l'époque dont je
parle, avec beaucoup de mesure et de prudence. »
En rendant cette justice à Joséphine, M. Craufurd se plaisait à raconter
souvent les bons offices qu'il en avait reçus ou les confidences qu'elle lui
avait faites. Il tenait le fait suivant d'elle-même. Un jour qu'elle se
promenait avec Napoléon, dans les bosquets de la Malmaison il lui fit remarquer
des arbustes qu'ils avaient autrefois plantés ensemble. Joséphine, lui dit-Il, dans un moment
d'épanchement, je n'ai pas eu depuis d'instans plus heureux! En rentrant dans
les appartemens il vit un livre sur la table et l'ouvrit; c'était les Essais de
M. Craufurd. « Vous le voyez donc, dit Napoléon. Oui, souvent. » Il lui demanda
le livre et lé fit mettre dans sa voiture. II préparait déjà l'expédition contre
la Russie. Au moment de son départ, M. Craufurd reçut pour la troisième fois
l'ordre de quitter Paris. M. de Talleyrand qui dans sa disgrâce conservait pour
lui le même zèle, se plaignit de cet ordre au ministre de la police. Le
ministre l'ignorait il en parla le soir même à Saint-Cloud. Deux heures après,
M. Craufurd reçut, eu termes bienveillans, la permission de rester à Paris. Il
vit dans cette faveur une marque d'égards que Bonaparte voulait donner à
Joséphine.
« Personne dit M. Craufurd dans la note que j'ai déjà citée, ne le
connaissait mieux qu'elle. A la fin du mois de mars 181~, au moment où les
alliés marchaient sur Paris, je demandai à Joséphine ce que ferait Napoléon
? a s'il tenterait un de ces coups désespérés qui lui avaient quelquefois
réussi, ou s'il mettrait fin lui-même à ses jours, pour échapper à ses
ennemis. ~(W cela ~o/<,
me répand! t-clle il aime la M<?.' ce n'est pas que je ~CH<7/e dire qu'aucun
danger le puisse '?~o/ mais il aime la vie parce qu'il 'umtt a~e?' dans l'avenir. » » Le jour qui
suivit l'acceptation du traité par lequel il abdiquait la couronne, j'étais
encore chez Joséphine. On annonça le prince de Wagram (maréchal Berthier), il
arrivait de Fontainebleau elle passa avec lui dans une autre pièce. Le maréchal
étant parti, elle me répéta le récit des événemens dont il avait été le témoin.
Vous rappelez-vous me dit-elle, après un moment de silence, la question que
vous m'avez faite ? J'y pensais à l'instant même, lui répondis-je. Eh bien!
vous levoyez, j'avais j'anoM. Quelque e~raor~/M~e ~M'z'~MM~e ~om paraître; il est
superstitieux; il peut //7Mg~:<?/ prévoir des /'e~'e/ s'y soumettre pour le
moment mais l'espoir de les ~urmonter yte fa&a/!</o'!MC/'a jamais. »
La restauration permit enfin à M. Craufurd de passer en Angleterre, où des
affaires d'un grand intérêt l'appelaient depuis long-temps. Il s'y rendit, et
ne tarda point à s'apercevoir du tort Irréparable que
vingt-deux Ans d'absence avaient fait à sa fortune. Il voyait s'évanouir ses
espérances les mieux fondées, et perdait la possibilité non d'ajouter
à ses jouissances, mais d'assurer le bonheur des personnes qu'il affectionnait
le plus. Sou cœur en fut profondément blessé. Il tomba dangereusement malade à
Paris en 1817, et quoique des soins habiles eussent éloigné le mal, il n'eut
plus que des jours tristes et languissans. Des chagrins domestiques mêlèrent,
dit-on, leur amertume aux derniers instans de sa vie, et peut-être en
précipitèrent le cours. Il mourut à Paris le a3 novembre i8iq, à, l'âge de
soixanteseize ans et deux mois.
M. Sénac de Meilhan avait fait de lui ce portrait K Il )) a l'esprit juste,
et en même temps actif et étendu » il joint à de profondes connaissances dans la
littéra') ture anglaise et française le goût qui est plus rare que » la
science. Son cœur est généreux et sensible ses M manières sont simples et
polies. Il sait écouter avec :) intelligence; et ces diverses
qualités l'ont rendu cher » aux pays qu'il a parcourus. ')
Au mérite rare en effet d'écouter avec intelligence, M. Craufurd joignait
l'avantage de se faire écouter avec intérêt. Ses lectures, ses voyages, ses
réflexions, rendaient sa conversation non moins variée qu'instructive. Personne
ne possédait mieux que lui le ton de cette galanterie fine, aimable et décente,
qui régnait autrefois dans la meilleure compagnie. On ne surprit jamais dans sa
bouche un trait de médisance. Ses amis vantaient les douceurs de sa société plus d'un
malheureux aurait pu révéler le secret de ses inclinations bienfaisantes. La
générosité était le fond de son caractère mais il aimait à répandre ses bienfsJts dans l'ombre,
comme pour échapper à la reconnaissance. Il semblait avoir pris pour devise ces
vers trop peu connus de l'ingénieux La Mothe: Pour nous, sans intérêt,
obligeons les humains;
Que l'honneur de servir soit le prix du service
ï~a vertu sur ce point fait un tour d'avarice,
Elle se paye par ses mains.
F. BA~TUERK.
ESSAI
SUR LA
MARQUISE DE POMPADOUR. s
MADAME de Pompadour, dans l'ivresse de la prospérité, répondait à toutes
les menaces de l'avenir, par ces trois mots qu'elle répétait souvent ~cre~
/~<?M~, le <7e~M~. Elle voyait donc une révolution s~approcher, et l'annonçait elle eût
pu même se placer d~avance au nombre des -causes qui la préparèrent. A ce titre, elle
entre de droit dans notre collection; non par ses mémoires, puisqu'elle n'en a
point fait (i) mais par ceux de
(<) Des Mémoires imprimés à Liège en 1768, et donnf's comme écrits par
madame de Pompadour, ne sont point d'cUe: ils ne nous apprennent rien. C'est un
cadre, où l'auteur, quel qu'il soit, a jeté de la politique, jusqu'à satiété.
En iy65, il parut, à Londres, une vie. de la marquise, sous ce titre Ge/!MMe ~M~orf of/Ae f?:arcAMMCM de jPonyadour,
m!j<re~ to tho french ~'t~~ 6[n<Mf ladj n/~fAe bed<'A<M~er<o
AM <~uec~~ cb<'<a:y:t~ the secret n;cmo/M o/«' court o/c~ce~y/'OM Aer/f< eoMM~- into power, <o
/;e/'f/ea<A. C'est la traduction d'un ouvrage de mademoiselte J~que, -ex-religieuse.
Cette demoiselle, qui s'était fait connaître à Paris par des romans et des
galanteries, aHa semarier en Angleterre. La traduction et l'original des ~fe/?:o/M furent
d'abord imprimes en Hollande; mais l'ambassadeur d);
madame du 77<MM.M~, sa femme de chambre (1). Il ne faut point chercher, dans ces
Mémoires, de l'esprit dePagrément, et du style. Ce n'est point là leur
mérite; mais ils sont écrits avec cette bonne foi qu'on n'imite point et les
choses y sont présentées avec une telle vérité, que le lecteur a sous les yeux
tout ce que l'historienne lui raconte. On se croit dans l'appartement de sa
maîtresse. Madame de Pompadour enleva, pour ainsi dire, Louis XV à son peuple.
Au lieu d'enflammer ce monarque, de l'amour de ses nobles devoirs, elle mit une
gloire coupable à les lui faire oublier. Sans elle, Louis XV, comblé de tous
les dons de la nature et du ciel, et rempli des qualités qui font les bons
princes, eût porté, jusqu'au tombeau lé nom de ~a:Më ce nom mille fois
plus honorable et plus doux qu'une fastueuse épithète qui ne flatte que la
vanité.
France acheta toute l'édition. Avant la mort de la marquise ils furent
réimprimés, en plusieurs endroits au moyen de quelques exemplaires
échappés aux perquisitions. Les Ze~'M publiées, en 1772 sous le nom de madame
de Pompadour, furent d'abord attribuées à Crébillon. On
les regarde aujourd'hui comme une production de la jeunesse d'un magistrat,
homme distingué que la France possède encore. (i) Madame du Hausset était la
veuve d'un pauvre gentilhomme. La misère la força d'accepter la place que
madame de Pompadour lui fit offrir, de sa première femme de chambre. Après la
mort de la marquise, elle se retira dans sa province, avec un peu d'aisance.
Jeanne-Antoinette Poisson- naquit a Paris, en < 720, de parens qui ne
jouissaient pas (Tune trèsbonne réputation. Le fermier général le
Normand de Tournehem était l'amant de sa mère. Son père (François Poisson)
avait eu, dans l'administration des vivres, un emploi fructueux. Accusé d'une
gestion inndèle, il fut forcé de se soustraire aux poursuites du gouvernement, et
long-temps après, il eut besoin du crédit de sa fille, pour être oublié. > Tournehem prit un
soin tout paternel de l'éducation d'Antoinette. Elle eut les maîtres les plus
habiles et les étonna par la rapidité de ses progrès. A dix-huit ans,
mademoiselle Poisson était une personne accomplie. Aux traits imposans, mais
fins, d'une beauté régulière, elle joignait tous les charmes d'une jolie figure, tout ce qui donne
à la physionomie, de F éclat et du jeu. Sa taille était élégante et souple,
son maintien, gracieux et nobte. Un fonds d'esprit naturel que la culture avait
enrichi relevait encore ces brillans avantages. Fière de sa fille, madame
Poisson déclarait modestement et sans cesse, "qu'un roi seul était digne
d'elle. )'
Tant d'attraits enflammèrent le Normand d'Etioles, neveu de
Tournehem, et l'oncle n'eut garde de contrarier un penchant qui convenait à ses
vues, et qui promettait le bonheur d'Antoinette. Il proposa ce mariage au père
du jeune homme. Celuici se fit prier. « L'alliance n'était pas honorable
disait-il. La fortune ne réparait point ce qui
)' manquait à la naissance. ') (fêtait là que Tournehem l'attendait. Une
belle dot, riche à compte sur sa succession promise, aplanit toutes les
difficultés. Tournehem n'en éprouva point de la part de madame Poisson, qui pourtant aurait
pu lui répondre, comme une des héroïnes de Corneille(i): H n'est pas roi, seigneur et c'est un grand
défaut. Antoinette épousa M. d'Étioles sans l'aimer, et quoiqu~un mariage qui
n'était qu'opulent démentit les rêves ambitieux dont elle était bercée.
Tournebem mêlait un peu de faste à sa générosité. La maison des nouveaux époux fut mise sur
un pied magnifique. Toutes leurs journées étaient des fêtes la splendeur des
ameublemens le disputait au luxe de la table. Les salons les plus brillans
étaient désertés pour celui de madame d'Étioles; on y rencontrait des hommes de
la cour des étrangers, des artistes fameux, des littérateurs estimés. Voltaire
avait été témoin de ses premiers succès, comme il le lui dit dans la dédicace
de Tancrède. Depuis, il avait cultivé cette liaison avec intérêt; et ce grand
homme qui n'a jamais dédaigné la faveur, fut, dans la suite, un des courtisans
les plus empressés dé madame dePompadour. Madame de Chateauroux n'était plus et n'était pas remplacée. Le serait-elle ? et dans ce
cas, à qui serait offertle mouchoir? On connaissait beaucoup de femmes qui le
désiraient on eût cité plus d~un mari qui ne le craignait pas. Il faudrait
aux (<) Agcsii&s. Acte ter, suent; < ''e.
souverains mille fois plus de raison et de vertu qu'aux autres hommes, pour
se garantir des piéges qu'on sème autour d'eux.
Dans le nombre des beautés qui s'étaient mises sur les rangs, on en fit
remarquer trois au roi. La première l'agaça sous le masque, et lui plut; mais
elle se pressa tellement de céder, qu'au lieu d'irriter les désirs, elle les éteignit.
Elle se livra comme une courtisane et fut quittée de même. L'autre était une
femme brillante et spirituelle, mais volage par goût, par système, et d'une
humeur indépendante. Au moment de s'engager avec le monarque, elle pensa, non
sans frayeur, que le projet de l'asservir l'asservissait elle-même; et comme il
lui sembla possible qu'elle se lassât du Roi de France, tout aussi bien que
d'un,amant. ordinaire, elle fit ses conditions qui furent rejetées. Madame
d'Étioles était la troisième; elle fut moins difficile et plus adroite.
Louis XIV eut des faiblesses mais on lui sait gré, quoi qu'en dise un
ingénieux académicien (i), de son respect pour les bienséances, lorsqu'on le
voit envelopper, du plus profond mystère, une passion naissante, prendre tous
les moyens qui sont en son pouvoir, pour qu'elle échappe à la maligne attention
des courtisans, regretter même la confidence; qu'il en a faite a' celui d'entre eux
qu'il croit le plus discret.
(~) M. ~e/Ho~fty, ~fo/t<cA. ~e Louis ~7~.
De pareilles précautions n'étaient pas dans les. habitudes de la régence et sous le règne
qui lui succéda, les mœurs, à cet égard, comme à beaucoup d'autres ne s'étaient
point améliorées. Aussi, dès la première entrevue de madame d'Etioles et du
roi, fut-elle déclarée sa maîtresse, et prit-elle la place de la duchesse de
Châteauroux,, aussi publiquement qu'on prend possession d'un ministère. Elle
échangea presque aussitôt le nom de d'Ëtiole,y, contre le titre et le nom de
marquise de Pompadour (i).
Charles Poisson, son frère, érigé, comme par enchantement, en marquis de
Marigny, fut pourvu de la place de sur-intendant des bàtimens, créée pour
Colbert.
D'Étioles était le plus malheureux des hommes. Peu s'en fallut qu'il ne
prît les pleureuses du marquis de Montespan. Du moins, il se plaignit assez
haut, pour que sa femme lui fit donner Futile conseil de voy ager. Cependant,
il revint à Paris. Des amis sages firent entendre raison à sa douleur, et
furent si persuasifs, qu'il accepta des bienfaits et dés places.
(i) A cette époque la maison de Pompadour, originaire du Limousin, était à
peu près éteinte. Geoffroi de Pompadour, évéque dePérigueux, et grand aumônier
de France fut premier président de la chambre des comptes, sous Charles VIII.
Dangeau parle d'un abbé de Pompadour (mort t en 1710) qui faisait dire son bréviaire par
son laquais et qui s'en croyait quitte.
Le choix du roi déjouait des prétentions, frustrait des espérances. Il
semblait à de grandes dames qu'il eût fait une injustice en se refusant à leur
attente; et, comme s'il eùt fallu des aïeux pour être sa maîtresse, elles ne
concevaient pas qu'une petite bourgeoise leur eût été préférée; « Décemment, on
ne pouvait pas la voir, se diIl salent-elles M et, peu de
jours après les plus dédaigneuses la recherchèrent.
La marquise étudia sa position et son terrain. La séduction des sens ne lui
promettait pas un long crédit. Elle sentit qu'il fallait retenir son royal
amant par d'autres liens.
Louis XV était, doué d'un esprit droit et juste mais défiant et timide. Au
lieu de le développer, de l'enhardir, au lieu d'arracher le prince à son
indolence naturelle, ceux qui régnaient, en l'attendant, entretinrent à dessein
une disposition qui l'éloignait des affaires. L'attrait des voluptés vint
encore énerver les ressorts de son ame, par des. jouissances répétées et
bientôt insipides. Oisif et blasé tout à la fois il ne connaissait ni la
ressource du travail, ni les douceurs du plaisir; et quand la chasse ne
l'agitait point, la triste uniformité de ses momens le consumait d'ennui.
Madame de Pompadour régla son plan, sur le besoin de le distraire, et de le
dérober, pour ainsi dire, à lui-même. Ce calcul donna naissance aux
spectacles des petits cabinets (i). La marquise en était la première
actrice. Les courtisans les plus a la mode y briguaient des rôles. Les plus
jeunes, presque tous élèves de ce Dupré ( qu'on appelait si ridiculement le
Graitd-.Dupré) s'estimèrent heureux de danser dans les ballets; et ces nobles
comédiens s'honoraient du nom de troupe, dont rougissent les acteurs de
profession. On assure même que deux grands seigneurs faillirent se brouiller à
jamais, pour le titre qu'ils se disputaient, d'ordonnateurs de ces fêtes,
comme s~il se fût agi du commandement d'une armée. Si le roi jouissait des
applaudissemens donnés à sa maîtresse, les voyages de Choisy, de Crécy, de
Bellevue, ne la lui présentaient pas avec moins d'avantages, au milieu d\m
petit cercle d'élus que le prince admettait dans son intimité (2). La, madame
de Pompadour n'empruntant plus rien de l'illusion du théâtre, employait
d'autres armes une causerie piquante et légère, une fleur de médisance qui
(i) Voyez dans ee vol. un détail tiré des œuvres de Laujon, sur ces
spectacles intérieurs. Laujon était un des auteurs du théâtre de madame de
Pompadour. (a)
(2) Louis XV s'était formé trois degrés dans le commerce de ceux qui l'approchaient les :/tf!/Ke~ la
société, le monde. Les intimes étaient M. de Soubise et le chevalier de
Luxembourg. La~oct'e~e., les dues de Richelieu, de Brissac, etc. Le monde se
composait des ministres et des autres personnes de la cour.
ressemblait à l'enjouement, un badinage, d'un ton assez neuf pour le roi,
des flatteries dont l'adresse déguisait l'intention un air particulier d'abonder,
sans complaisance, dans l'opinion du monarque, un art plus fin,
de le-combattre, pour se laisser vaincre. La marquise occupait aussi le roi des
productions des arts, l'enhardissait à les juger, lui révélait la justesse de
son tact et la lui prouvait.
Louis XV ne reconnaissait plus ses journées. L~intérét que sa maîtresse
jetait sur tous ses momens en pressait le cours. « Comme le temps passe, » lui
disait-il quelquefois et ce mot était un succès. Elle imagina les petits
soupers pour venger le roi de la représentation du grand couvert. Louis XV
apportait à ces repas voluptueux un front serein, un esprit libre de soucis,
une gaieté qui s~épanchait en saillies. Rien n'y rappelait son rang il l'oubliait lui-même il
était à mille lieues du trône. Jusques-là, madame de Pompadour s'était conduité
en femme habile, qui ne néglige rien pour captiver son amant. Mais elle se
rassurait d'autant moins contre l'inconstance du roi, que l'amour de ce prince
se refroidissait de jour en jour; il importait donc à sa maîtresse de se
procurer une consistance moins fragile; et, comme le dit un historien(i), d'acquérir l'état
d'anzie nécessaire. Le plus court moyen d~y parvenir était de se faire premier
mi-
())Duclos,.Mcm.secrets.
nistre son ascendant rendait tout possible. En interrogeant sans cesse des
hommes éclairés, elle apprit d'eux à bégayer 'là langue des affaires et, des lambeaux
de leur conversation, elle se .fit une science dont elle se parait à propos. Le
roi fut ébloui tout le premier, de ses lueurs politiques. De ce moment, tout se
traita chez elle, et le sort de la France, il faut. bien le dire se décida dans
un boudoir.
Des ministres, avec lesquels la prétention d~influer sur tout, la mettait
chaque jour en rapport, les uns étaient fatigués de cette dépendance; les
autres la toléraient, dans la pensée que le peuple qui. n'ignorait pas quelle
se mêlait du gouvernement, rejetterait tout sur elle, et lui prêterait même les
torts qu'elle n'avait pas.
Maurepas. fut renvoyé, pour s'être permis contre elle une plaisanterie qui
n'était pas sans amertume. Elle aimait le comte de Machault et professait une
haute estime pour son caractère. Mais ces sentimens prenaient leur source, bien
moins dans une flatteuse appréciation des services, de l'intégrité, de F énergie de ce ministre,
que dans son opposition au clergé qu'elle haïssait.
D~Argenson était l'ennemi de la marquise et ne le dissimulait pas. Bernis était
sa créature. Avec le goût et le génie des affaires, le comte de Stainville
(depuis duc de Choiseul)n~ avançait pas aussi vite qu'il se l'était promis.
Mais tout d'un coup, il fit faire un grand pas à sa fortune en li-
vrant a la marquise un billet important dont on a Cru qu'il s'était emparé.
Ce bon office, qui nécessairement avait coûté quelque chose à la délicatesse,
mérita toute la reconnaissance de madame de Pompadour et fut payé d'une amitié
qui ne se démentit point. La marquise goûtait son esprit, le brillant de sa
conversation, le tour facile' qu'il donnait à ses idées, une causticité qui Famusait aux
dépens de leurs ennemis communs une morale vraisemblablement peu sévère, un
soin raisonné des intérêts de ce monde, une insouciance épicurienne sur tout le
reste. La haine de madame de Pompadour pour les jésuites se nourrit encore de l'aversion que
leur avait vouée le duc de Choiseul; peut-être même elle hâta
leur ruine et ce ne fut pas un spectacle indifférent, que la maîtresse
du roi, se faisant l'auxiliaire 'des jansénistes, et combattant des gens
qu'elle détestait (i), pour une secte qu'elle n~aimait pas
~1) Quand madame de Pompadour imagina de jouer la dévotion, pour se
concilier la reine que ses vertus rendaient facile à tromper, elle fit. ebercl)er un directeur. On
détermina le père de Sacy, jésuite à puriner cette conscience un peu chargée,
mais prête à recevoir de salutaires Impressions. M se rendit à
Versailles. La pénitente avait compté sur un moine indulgent et commode. Le
père de Sacy ne répondit point à son attente il déclara qu'il n'entendait rien
à ces arrangemens entre le ciel et la terre; et que si le sacrinçu n'était pas
entier,.il ne donnerait point cette absolution qu'on n lui demandait, et
que la marquise croyait négociée par son envoyé.
davantage. Louis XV, naturellement ennemi de toutes mesures violentes,
répugnait a la destruction de cet ordre et plaidait pour lui. La marquise la
lui fit vouloir, comme une chose urgente et nécessaire. L'urgence et la
nécessité n'étaient pas dé-
montrées.
Si le duc de Choiseul, en dirigeant madame de Pompadour, ne lui fut pas
inutile, elle, de son côté, ne perdit pas une occasion de le faire valoir, et
par, conséquent, lui fraya la route à cet immense pouvoir ministériel qui
paraissait inébranlable, et qu'une femme vulgaire une courtisane renversa d'un
souffle après la mort de madame de Pompadour.
Le duc de Richelieu, dont nous aurions dû parler plus tôt, fut le premier
qui lui rendit des soins, à son début à Versailles, pendant qu'une grande
partie de la cour, dans la peur de s'avilir à pure perte, attendait que ce
nouvel astre montât sur l'horizon ou disparût. Mais, quoique! en eût mieux jugé que les
autres, et qu'il eut bien pressenti que ce qu'ils appelaient un caprice, allait
devenir un règne il refusa la main de mademoiselle d'Étioles pour M. de. Fronsac son
nls. Ce refus, très-poliment tourné, n'en était pas moins offensant pour la
marquise. Contradiction étrange et bizarre Ri-
Vu!):) quelle fut, dit-on, la cause d.e son ressentiment contre les jésuites.
Voyez les ~ec~/n/e.f de la cour de /ce~ par Soulavie.
chelieu se sentait humilié de la seule pensée d'être le gendre de madame
d'Étioles, et n'était pas honteux de jouer auprès d'elle le rôle ignoble de
complaisant Il n'y a pourtant qu'une manière d~en tendre l'honneur; mais
l'esprit nous-arrange une morale, suivant nos passions et nos intérêts Comme
nous ne traçons ici qu'une esquissera-.pide, nous centrerons point dans le
détail des événemens de la guerre de 1756, des fautes que fit madame de
Pompadour, en envoyant des généraux sans gloire à des troupes découragées, des
désastres qui suivirent ces choix imprudens, des injustices que l'on commit
pour réparer des sottises.
Quoique les gens de lettres ne fussent pas en très-grande recommandation à
la cour, la marquise en accueillait plusieurs, soit par penchant soit par
vanité, soit par le besoin de respirer quelquefois un encens plus fin. De ce
nombre étaient Voltaire, Duclos, CrébIUon,Marmontel(l). Elle (i) Les deux
premiers ne la ménagèrent point par la suite, et même l'un d'eux n'attendit pas
sa mort. Voltaire, après ;.tant de madrigaux, d'adorations, de cajoleries, la
chanta, sur un bien autre ton, dans un poëme trop célèbre. (Edition de i~56.)
Telle plutôt cette heureuse grisette
Que la nature ainsi que l'art forma
Pour le sérail, ou bien pour t'Opéra.
Sa vive allure est un vrai port de reine
Ses yeux fripons s'arment de majesté;
Sa voix a pris le ton de souveraine,
Et sur son rang, son esprit s'est monte.
essaya d'apprivoiser Rousseau; mais une lettre quelle reçut de lui, la
dégoûta de renouveler ses avances ( i ). « C'est un hibou, dit-elle un jour
à « madame de Mirepoix. J'en conviens répondit f la maréchale;
mais, c'est celui de Minerve, » Au reste, tout en paraissant favorable au?{ philosophes,
madame de Pompadour, suivant l'expression d'un écrivain distingué n'était pas
une alliée très-sûre pour eux; et quand leurs livres Quant à Duclos, il dut
penser que son devoir d'historien ne lui permettait pas d'indulgence. Aussi
représente-t-il la marquise égarée dans le chaos d'une administration qui l'ac
cable, prenant des vues étroites, des plans mesquins pour les inspirations
d'une haute politique, sacrifiant les pfas grands intérêts à de petites
affections, à de petites rancunes, et même à cet amour de l'argent qui n'entre
jamais que dans une femme sans élévation.
(t) MADAME
« J'ai cru un moment que c'était par erreur que votre com') missionnaire
voulait me remettre .cent louis pour des copies qui sont payées avec douze
francs. Il m'a détrompé. Souffrez que je vous détrompe à mon tour; Mes épargnes m'ont
mis en état de me faire un revenu, non viager, de 5~0 liv., toute déduction faite.
Mon travail me procure annuellen ment une somme à peu près égale j'ai donc un
superflu u considérable je l'emploie de mon mieux, quoique je ne a fasse guères d'aumônes.
Si, contre toute apparence, l'âge ou les infirmités rendaient un jour mes
forces insuffisantes n j'ai un ami.
J.-J. ROOSSEAO.
Paris, t8 août ~Ca.
donnaient aux rois des leçons trop hardies, elle s'en plaignait la
première, comme d\me injure presque personnelle. Le duc de Choiseul son ami
n'agissait pas autrement. Il partageait le fond des mêmes doctrines et livrait
leurs auteurs aux bouffonneries de Palissot.
La marquise s'était fait nommer dame du palais de la reine; orgueilleuse
fantaisie qui ne rencontra d'obstacle, que les timides objections de cette
princesse. Elles ne tinrent pas long-temps contre le désir du roi. Tout le
reste néchit, jusqu'à l'étiquette.
L'attentat d'un misérable, sur la personne de Louis XV, reproduisit, pour
madame de Pompadour, la situation où s'était trouvée la duchesse de
Châteauroux, à l'époque de la maladie de Metz. La marquise n'osa paraître au
chevet du roi que sa famille et la religi-on environnaient elle se disposait
même à quitter Versailles la maréchale de Mirepoix l'en empêcha.
Cependant, toute la cour pensait que Louis ne la reverrait point. Les gens
de bien l'espéraient. Le roi se l'était persuadé lui-même; il s'abusait. Madame
de Pompadour reprit son empire; elle l'accrut même et l'étendit, puisqu'elle
obtint, de la condescendance du monarque l'exil du comte d'Argenson, que ce
prince défendait contre elle depuis quatre ou cinq ans. La haine est
patiente ¡ et comme elle sait attendre, elle triomphe presque toujours.
c
.Machault fut enveloppé dans la disgrâce du ministre de la guerre.
Vainement chercha-t-on à s'expliquer cette rigueur, à l'égard d'un homme connu pour être l'ami
de madame de Pompadour. Voici ce qu'on ignorait. Après le premier appareil
appliqué sur sa blessure, le roi resté seul avec Machault, l'avait chargé
d'aller secrètement chez la marquise et de lui conseiller, comme de.luimême,
une retraite noble et volontaire. Machault remplit sa mission qui n'eut point
d'effet: mais aussitôt que le péril de Louis fut passé, la présence d'un
ministre témoin et confident de sa faiblesse Jul parut gênante.
Aussi, lorsque madame de Pompadour demanda l'exil du premier: «J'y consens, »
répondit le roi; mais à condition que Machault o ne sera pas mieux
traité. La marquise n'hésita point.
Un historien, homme de la cour (i), très-bien instruit de ces faits, qu'il
tenait de la bouche du duc de Choiseul, en ternune le récit, par un résumé que le
lecteur aura pu remarquer dans ses Mémuires:selon lui, d'Argenson sacrifia
Loùis XV aux chances de ce moment. Le roi sacrifiait sa maîtresse à des
terreurs qui troublaient sa pensée. Machault sacrifiait madame de
Pompadour, en lui i donnant, par obéissance, un conseil qui la détruisait et tout finit
par être sacrifié à l'amour; ce qui i ne manquera jamais d'arriver.
()) Le baron de BcscnvaL
La marquise avait conserve, de sa beauté, tout ce qui n'a pas
besoin delà fraîcheur de la jeunesse; mais son'éclat s~eHaçait. Une fièvre lente vint encore
avancer l'ouvrage des années(i). Elle pensa que le moment était venu,
si non d'embrasser la dévotion, au moins d'en afficher les apparences et ses
amis firent grand bruit, de la résolution qu'elle prenait, disaient-ils, d~édiner désormais la cour.
On aurait pu lui rappeler ce que disait d'ellemême, la belle duchesse de
Longueville, plus sincèrement convertie « Le meilleur exemple que je » puisse
donner à la cour, c'est de la quitter, u Au surplus, ce projet de réforme
s'accordait mal avec le parti pris de régner constamment sur le cœur de Louis
XV, a quelque prix que ce fut et ce besoin dominait si puissamment
madame de (;) Voltaire adressa des vers a madame de Pompadour au sujet de sa
convalescence. Mais il ne s'avisa pas de lui dire, comme Palissot qui fit des
vers, à la même occasion Qu'elle était trop chère à la France.,
Pour redouter du sort la fatale puissance etc., etc.
Le génie satirique et l'esprit d'adulation ne s'excluent pas plus d'un
écrivain l'a prouvé.
Voici les vers de Voltaire
Lachésis tournait son fuseau
Filant avec plaisir les beaux jours d'isaljcHc. J'aperçus Atropos
qui, d'une main crucUc, Voûtait couper le fil et la mettre au tombeau. J'en avertis l'Amour; mais il
veillait pour elle, Et, du mouvement de son ai)c,
H étourdit la parque et brisa son ciseau.
Pompadour, qu'il la réduisit à la ressource ignominieuse de se supplanter
elle-même et de se choisir des rivales. Mais tel était son empire, ou celui
d'une longue habitude que toutes ces galanteries de passage ramenaient toujours
le monarque auprès de sa maîtresse et quelle jouissait, en quelque sorte,
de ses infidélités.
La marquise de Pompadour n'était point heureuse. Que lui manquait-Il donc? La paix de l'ame,
première condition du bonheur. Dévorée de chagrins en excitant l'envie
profondément affligée du malheur de vieillir honteuse comme elle le dit dans
une lettre (peut-être supposée), d'avoir servi des hommes médiocres qui n'ont
su faire que des r~ere/!c~ et des bassesses adorée de mille gens, aimée
d'aucun, lasse et même détrompée de la faveur, elle demandait quelquefois à la
fortune de l'en débarrasser; et, l'instant diaprés, elle révoquait un vœu dont
Paccomplissement Peut désespérée. La moitié de la cour la détestait ouvertement l'autre
moitié couvrait son mépris d'empressemens et d'hommages. Ce prince, que
l'Europe entière a pleuré, le père de Louis XVI, de Louis-le-Désiré, d'un frère
non moins chéri des Français, le vertueux dauphin contraignait malaisément ses
sentimens pour elle et c'était une douleur amère, que les dédains d'un prince à qui tous
les cœurs payaient un tribut de vénération et d'amour. De plus, la marquise
n'ignorait pas que le cri public l'accusait des revers de no:
armées. La capitale l'abreuvait d'outrages, dans une multitude de
brochures, inutilement poursuivies, et toujours renaissantes: Ces légères
épigrammes, auxquelles un air bien'ou mal choisi, prête des ailes, les
noëls, les parodies les couplets, couraient, d'un bout du royaume à -l'aùtre.
On chantait; on se croyait vengé. Cette arme du-ridicule que tnanient si
bien les Français, était l'effroi du gouvernement et c'est pour cela sans doute, qu'un auteur anglais
appelle la France une 7MO/!arc/He~/K~°rcejpar~cAa!/M'o/(i). Une maladie de
langueur attaqua la marquise à la suite d'un voyage de Choisy. Dès les premiers
symptômes elle fut jugée mortelle, et tout l'art des médecins ne put même en
ralentir les progrès. Le roi lui prodigua les soins d'une amitié sincère, et les
assiduités les plus consolantes. il affecta même de la consulter,
jusqu'au dernier jour, sur les affaires du gouvernement.. On peut dire qu'elle
a fini, les rênes de l'État à la main. ()) Marmontel raconte, dans ses
Afemo/rM, que pendant son séjour a Ferney la conversation tomba sur madame de
Pompadour. « Elle n'est plus aimée, dit Marmontel elle est malheureuse. Eh bien s'écria le
vieillard, qu'elle vienne D aux Délices jouer avec nous la tragédie. Je lui
ferai des rôles et des rôles de reine. Elle est belle, elle doit
connaître < le jeu des passions. Elle connaît aussi, répliqua Marmonte!, les
profondes douleurs et les larmes.-Tant mieux! c'est là ce qu'il nous faut.
Puisqu'elle vous convient laissez faire si le théâtre de Versailles lui
manque, je lui dirai que le vôtre l'attend. »
Madame de Pompadour mourut le 15 avril 176~ à l'âge de quarante-quatre ans. Ses
restes furent transférés à Paris, et déposés dans un caveau de l'église des Capucines. Sa
famille avait demandé que l'inhumation fût précédée d'une oraison funèbre voici
comment le Religieux chargé de cette commission, s'en acquitta « Je reçois le
corps de très-haute et très-puissante dame, madame la » marquise de Pompadour,
dame du palais de la reine. Elle était à l'école de toutes les vertus; car la
reine, modèle de bonté,'de piété, de mo» destie, d'indulgence, etc., etc.»
On jeta sur sa cendre des épitaphes plus ou moins satiriques. Celle qui
suit n'a rien d'injurieux et dit la vérité.
CI-git d'Ëtiole-Pomnadour
Qui charmait la ville et la cour,
Femme infidèle et maîtresse accomplie
L'Amour et l'Hymen n'ont pas tort,
Le premier, de pleurer sa vie, l
Et l'autre; de pleurer sa mort.
Le marquis de Marigny, légataire universel de sa sœur, recueillit cette
succession si riche en tableaux, en marbres, en bronzes, en curiosités de toute
espèce. On dit que, sur la question qu'il fit à M. d'Étioles, <( s'il prétendait se
porter héritier; )~ celui-ci répondit, par ce vers d'un opéra Je ne veux pas d'un bien
qui coûta tant de larmes. DESPRES.
M1 W1M~NNNMMI~IMtM vNMnNNM~1M W11MNV1~MMMM4NM1NV1 WNM~M W~MANNUVlrWv
nrADTT?
1 AjbJLiL.
P.;M.
AVERTISSEMENT DES LIBRAIRES-ÉDITEURS. j NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES
DE M. CRAUFUHD, parM.BARRIERE. 1 ESSAI SUR LA MARQUISE DE PoMPADOUR par M. DESPRÉS. XIX MÉMOIRES
DE MADAME DU HAUSSET.
INTRODUCTION. Changemens survenus en France, dans les mœurs et les usages
de la cour et de la ville avec quelques réflexions sur les causes et les
circonstances qui ont produit et accéléré la révolution. ` t AVERTISSEMENT.
55 MEMOIRES 55 MORCEAUX HISTORIQUES
6EHVANT D'ECLAIRCISSEMENS POUR LES MÉMOIRES DE MADAME DU HAUSSET.
(o) Spectaclea des petits cabinets de Louis XV. 229 (b) De la destruction
des Jésuites en France. 247 (c) Extrait d'un article écrit par M. de Meilhan sur M.
le duc de Choiseul. 265 (d) Sur le dauphin fils de Louis XV. 277 (e) Sur madame
la duchesse de Grammont. ago If) Notice sur le cardinal de Bernis. 995
INTRODUCTION.
¡ r
Change mens survenus en France, dans les moeurs et les usag.es de la cour
et de la ville, avec quelques réflexions sur les s causes et les
circonstances qui ont produit et accélère ~a révolution.
~41!
l' ft.
ANCIENNEMENT (t), et jusqu~à la fin. du règne de
Louis XIV, il y avait des rapports plus frequens, que depuis, entre
le roi et ses sujets de ~diverses classes; les motifs d'exclusion se
multiplièrent, sous les deux successeurs de ce monarque. Dans un récit des
fêtes et des divertissemens donnes a la cour, lors de la naissance du premier, fils d& Louis XIV, il est dit table ~e/Me
par 7e ro!, e~Hc/~ /Kût<~a!/Me la /!eM~y:a/<~e c~~7e et /H<26~/Ke jpr~z~ 7"an~o~~eaM.
Ce fait qui aurait paru
(i) On trouve dans les chroniques du temps de Louis XI une circonstance
assez remarquable. Il est dit que ce roi étant venu dîner avec la reine, à
l'Hôtel-de-Ville, on prépara, suivant l'usage, un bain pour la reine, et un
autre, auprès du sien, pour une bourgeoise de Paris. Un tel fait paraîtra peu
intéressant à beaucoup de lecteurs; mais il offre un exemple d'égards marqués
envers le peuple.
(~Vo~ef/MDre/7:/e/'e~<7.)
incroyable aux courtisans de Louis XV et de Louis XVI, n'en est que plus
digne de remarque. Sous Louis XIV, les magistrats allaient quelquefois faire
leur cour au roi qui s'entretenait avec eux, et leur permettait de s'adresser à
lui-même, pour les affaires de leur ressort, ou les grâces qu'ils
croyaient mériter. Ayant accordé une pension à M. Talon, avocat-général, M. de Lamoignon (i), qui exerçait le
même emploi, cédant aux instances de.sa famille, demanda la même grâce. Le roi
répondit qu'il y ~o/~era~. Six mois se passèrent, pendant lesquels M. de
Lamoignon vit souvent le roi sans lui rappeler sa sollicitation. Le roi lui dit
un jour: « M. de Lamoignon,. vous ne me parlez plus.de votre
pension.-J'attendais, Sire, que M je l'eusse méritée. Si vous le
prenez ainsi, M dit le roi, je vous dois bien des arrérages. » Et la pension fut
payée, avec les arrérages auxquels ie roi ajouta même une gratification.
Pendant le règne de Louis XV et celui de Louis XVI, on ne peut guère citer de
circonstances où un magistrat du parlement, s'il n'était pas dans le ministère,
ait parlé au roi, excepté pour le haranguer, ou lorsque! taisait partie d'une
députation. Les magistrats ne paraissaient jamais à
(i) Le président de Lamoignon, si célébré par Boileau, est l'ancêtre du
vertueux Malesherbes nui aimait tant à en parler.
( Note ~M/)re/K!'cr édit. )
la cour, comme courtisans. Le jour de Fan, les premiers présidons des cours souveraines,
les présidons à mortier, les avocats-généraux, le lieutenant civil, étaient admis à
saluer le roi, mais toujours avec leur grand costume.
Les rapports immédiats entre le roi et des hommes des diverses classes, lui
donnaient, dans des circonstances critiques, des moyens d'influence sur une.MuIe de personnes qu'il
pouvait, au besoin, rapprocher de lui. Louis XIV admit à son jeu Gourville qui
avait été, dix-huit ans auparavant, valet de chambre del'évéque de Lectoure, de
lamaison'de la Rochefoucauld. Le roi avait été tellement frappé de FhabUeté avec laquelle
Gourville, devenu intendant du prince de Condé, avait rétabli les affaires de
cette maison, et de ses talens en nnance, qu'il, pensa à lui pour remplacer
Colbert. Le souverain, comme la source des honneurs, se réservait le pouvoir
d'admettre à sa cour, et d'élever aux plus hautes dignités, ceux qu'il voulait
récompenser où distinguer, quelle que fût leur naissance. Loin d'observer cette
maxime, on fit, en 1760, un réglement qui imposait l'obligation, pour
être présenté à la cour, de prouver, au moins d'après trois titres originaux par
génération, qu'on était noble de race, à l'époque de i~oo. Une pareille mesure,
proposée à Louis XIV, aurait été rejetée par ce monarque, comme mettant des
entraves à son pouvoir. H est essentiel, dans la monarchie, qu'il n'y ait
point de loi qui contrarie la
volonté du souverain dans son intérieur, et les grâces honorifiques
qu~iijuge à propos d'accorder ô Avant ce réglement, un grand nombre
de personnes admises à la cour sortaient de familles ministérielles, et s'y
trouvaient confondues avec les familles de l'origine la plus illustre. Lorsque
l'ordonnance parut, le maréchal d'Estrées (l) était au moment de faire
présenter la femme du marquis de Louvois, son neveu et son héritier: on lui
insinua que ce règlement lui en ôtait la faculté. Les Louvois ou Le Tellier étaient, depuis
cent ans, admis à la cour; deux ou trois de cette famille avaient été décorés
du cordon bleu enfin le maréchal se trouvait, comme duc, au premier rang de la
noblesse d'ailleurs, maréchal de France-, ayant commandé les armées, et
ministre d'Etat, on peut dire qu'il était au faîte des honneurs. Il témoigna
hautement son ressentiment, et dit que s'il éprouvait un tel aSront, il se retirerait
du conseil. Le roi fit une exception en sa faveur, et dès-lors, plusieurs
autres furent pareillement exceptés; mais l'exception même était une
humiliation pour ceux à qui elle fut accordée. Le réglement en question ne fut
pas plutôt public, qu~une foule de gens inconnus, sans fortune et sans entours
vinrent déployer
(1) Louis-César duc d'Estrées, maréchal de France, était fils de
François-Michel Le Tellier ( capitaine-colonel des Cent-Suisses), fils du
marquis de Louvois.
( ~Vofe </u ~re/K:'ey e~. )
leurs vieux parchemins et après avoir prouvé cathégoriquement qu'ils
descendaient de quelque pauvre écuyer, en 1~00, ils étaient présentés à la
cour. Ce fut pendant long-temps une chose curieuse dans la Gazette de France,
que la liste de ceux qui montaient par bandes dans les carrosses du roi. Le
plus simple gentilhomme, qui avait fait ses preuves, se crut dès-lors Régal de ceux qui
portaient les noms les plus marquans dans l'histoire. Il arriva que cette foule
de nouveaux seigneurs, enorgueillis de leur admission à la cour, méprisèrent
les gens d'une naissance honorable, et même illustrés par de grands emplois,
parce qu'ils ne pouvaient faire les preuves exigées par le règlement. Il y a
nombre d'exemples, dans l'histoire de la monarchie, d'individus d'une
extraction commune, qui sont montés au plus haut rang, uniquement parleur mérite,
ou par la faveur particulière du souverain; ce qui excitait l'émulation, le
désir de se distinguer, et inspirait en même temps le zèle de plaire au
monarque. Les exclusions, établies par le règlement dont nous venons de parler,
provoquèrent la haine contre la noblesse, auTlieu de lui attirer le respect..
Quelle plus grande preuve des relations queLouis XIV entretenait avec ses
sujets de toute classe, que ce qu'il dit à Boileau qui prenait congé de lui, à
cause de ses infirmités ? Songez <7~ ~?Mjours une heure par semaine à vous
donner. Qui,, sous Louis XV et Louis XVI, pouvait se flatter d'une
pareille faveur? Et encore il faut observer que Louis XIV n'avait pas un
goût dominant pour les lettres; mais il croyait devoir cette distinction à un
poëte qui honorait son règne.
On doit regretter qu'un homme instruit des intrigues du siècle de Louis
XIV, des mœurs, des usages et du genre de la société d'alors, n'ait pas rédigé
des notes, sur les lettres de madame de Sévigné, sur celles de Bussy Rabutin,
de Boursault même, de Racine et d'autres, pour comparer la manière de voir et de penser
de ce temps, avec celle du temps qui l'a suivi. I! nous aurait fait
apercevoir, dans les mœurs et les usages, une foule de nuances et de
transitions qui nous échappent. On en trouve dans les écrits, dont je viens de
parler, un assez grand nombre, dignes d'être observées, Une chose remarquable
dans les lettres de madame de Sévigné et dans celles de Bussy Rabutin, c'est
qu'on y voit Louis XIV se flatter surtout d'être personnellement aime; et cela
n'était pas sans fondement. Dans Ja plupart des lettres qu'on adresse à ce
monarque, il est question de l'attachement, de ia tendresse qu'on lui porte; on
emploie même le mot de/M~o/ï qui, dans ce temps, était d'usage. Ces sentimens, plus ou moins vrais
ou exagérés, venaient -des rapprochemens intimes du monarque, avec des
personnes de divers rangs. Bussy dit au roi, dans une de ses lettres Votre Majesté, à
qui M rien n'est caché, avait toujours su que je l'avais it aimée de tout mon
cœur. Je ta supplie de croire
que je l'aimerai toujours. On lit, dans une autre lettre Quelque raison
que Votre Majesté sache qu'on ait de l'aimer,peut-être serez-vous
surpris M de voir que cette amitié résiste à la prison, u Le terme d'amitié
doit paraître extraordinaire, employé envers le roi, par un courtisan comme
Bussy Rabutin, homme d'esprit, qui connaissait parfaitement sa langue et le cérémonial mais cela prouve
que Louis XIV était natté d'une telle expression. Ç'est par ce désir qu'il montrait d'être
personnel- lementaimé, qu'on peut expliquer un traitfort singulier du duc de la
Feuillade. Ayant eu la permission de quitter l'armée, pendant une courte trève,
il vint en poste à VersaiDes, à franc étrier, monta chez le roi, et lui dit T/j~ en a qui ~e/t/poMf' ~o/r~ur/H/Mc,
d'autres, leur père, ~Mr~ e~autres, leur /Kn!~rc~e//MO~, Sire, je suis
fe~M~OMr voir /~o<re Majesté, et je repars à l'instant et en quittant
le roi il ajouta (sans doute avec l'intention de prouver qu'il n'allait pas
faire sa cour ailleurs ) Je supplie Votre Majesté de ~OH~'r bien faire agréer
mes <M~ hommages 4 ~f. daup/ Il remonta à cheval et partit. Le roi parut
touché, et dit en souriant et avec un air de satisfaction au dauphin Jg suis cAa~'e ~oM~re
des co/Mc/ On peut regarder ce trait comme un raffinement de flatterie, de la
part d'un courtisan tel qu'était la FeuHIade; mais les hypocrites M<quent
~M'~ï y a de vrais e~c~o~. L'amour de son roi est l'effet de l'éducation et de l'exemple;il
se con-
fond avec l'amour de ta patrie. Mais cet attache-~ment qui naît delà
communication immédiate d~un* souverain avec ~es sujets, est un sentiment différent
il est plus animé parce qu'il -est personnel il est direct.
Henri IV, plus que tout autre, avait su l'inspirer,. par ses grandes
qualités, par ses manières franches et aimables et par les agrémens de son
esprit. Il savait, dansFoccasion, être camarade, sans que cela nuisît à son
autorité, ni au respect qu'on lui devait~ On voit dans les Mémoires du temps
qu'il allait souper chez les présidens du parlement, et même chez Zamet qui
n'était qu'un financier, originairement cordonnier d'Henri 111. Louis XIV
excita des senti mens d~admiration, et on se passionnait pour lui. Ses
successeurs, moins accessibles, en négligeant les occasions de connaître les hommes, et de gagner leur
amour, se privèrent d'un grand moyen de gouverner. Un roi, qui a des rapports
familiers avec des hommes instruits des différentes classes, est à portée
d'apprécier leurs sentimens, leur caractère, leur génie, leurs talens; quel
parti ne peut-il pas tirer de cette connaissance dans les temps ordinaires, et
à plus forte raison dans les temps de troubles Que d'avis précieux, que de
sages conseils eussent sans doute été donnés à Louis XVI, s'il avait eu des
habitudes avec des hommes de tout état Mais, depuis Louis XIV, le roi ne
parlait que par hasard à ceux que des emplois à la cour ne rapprochaient
pas de lui.
La dISérence, à l'égard de là pratique de la religion, durant le règne de Louis XIV
et celui de son successeur, quoique frappante, n'a pas été peutêtre assez
sentie; Pendant le premier, il ne meurt, ni personnage important, ni homme
célèbre quelconque, qu'on ne cite la manière plus ou moins edinante dont il a fini. La
réconciliation d'un mourant avec l'Église, et son repentir semblent consoler
ses amis de sa perte. La Fontaine déclare, en présence de plusieurs membres de
l'Académie française qui, à sa prière, s'étaient rendus chez lui, son extrême
repentir du scandale qu'il-avait donné par ses contes; et après sa mort, on le
trouva revêtu d'un cilice qu'il portait depuis long-temps. Racine, dans ses
dernières années, ne paraît occupé que de pratiques religieuses et d'exercices
de piété il renonçait, la veille des grandes fêtes, à toute occupation, à toute
affaire. On voit encore, dans les lettres que j'ai citées, comme dans d'autres,
combien les prédicateurs étaient suivis et les livres de dévotion recherchés.
Sous la régence, le ridicule fut versé à pleines mains sur les dévots et la dévotion et il semblait,
dix ans après la mort.de Louis XIV, qu'il y eût deux siècles entre son règne et
celui de Louis XV, du moins quant à la religion. Les lettres de mademoiselle
Ayssé, réimprimées en l8o5 (l), contiennent des anecdotes assez cu-
(i) Elles sont adressées à madame Calandrin qui vivait à Genève. Le mari de
madame Calandrin ou Ca~M<M<, était
rieuses, et donnent une juste idée des mœurs, pendant la régence. Elles
étaient devenues tellement désordonnées, que les événemens les plus scandaleux semblaient ne pas
étonner les contemporains. Mademoiselle Ayssé, jeune, célibataire, et qui,
malgré la passion à laquelle elle succomba (i), peut être considérée comme
modeste et vertueuse, parle souvent, dans ses lettres adressées à une mère de
farnIHe, d'amans pris et quittés par des femmes qui avaient cependant de la
considération dans le monde. La marquise de Parabère, trèsgalante, était son
amie intime. La corruption était alors si générale, que mademoiselle
Ayssé semble ne rien trouver d'extraordinaire à des liaisons que la religion et
les bonnes mœurs réprouvent; elle en parle, comme en parlaient ceux avec qui elle vivait, sans exercer
de censure, et se bornant
d'une famille noble de Lucques en Italie, qui, ayant embrassé la religion
prostestante, ainsi que plusieurs autres de cette république, se réfugia
à Genève/Dans la correspondance du lord Bolingbroke, publiée à Londres, pour la
première fois en 1798, on voit qu'à la demande de madame de Feriol, chez qui
vivait mademoiselle Ayssé, ce ministre s'intéressa vivement à la famille de M.
Calandrin, et que ce fut.à ses instances auprès de M. de Torcy, qu'elle dut
d'être satisfaite, relativement à des réclamations qu'elle avait sur le gou-
vernement français.
vernement français. ( Note du premier ~{~. )
(i) On sait qu'elle aimait passionnément le chevalier
d'Aydie.
( Note des Mou~. édit. )
à se préserver de la contagion. La licence était telle, que quelques femmes
s'arrangeaient pour avoir un amant, comme pour-avoir une loge à l'Opéra (1).
D'autres femmes, sur le déclin de l'âge, entretenaient des jeunes gens, et
ceux-ci n'en rougissaient point et ne s'en croyaient p~s deshonorés. La duchesse de
Phalaris, dans les bras de laquelle est mort le régent, entretenait
publiquement un officier nommé la Figarède, qui avait l'air. d'un Hercule, et
qu'on appelait, en faisant allusion à l'histoire, le -Taureau de Phalaris. Le
marquis Béringhen, l'un des plus beaux hommes de son temps, fut également entretenu par
madame de Parabere. Peu à peu, la dévotion de la reine, femme.' de Louis XV,
contribua à rendre les femmes plus décentes. Ensuite, le goût des filles
publiques ou du théâtre entraîna la jeunesse, et la facilité de leur commerce
diminua l'empressement des hommes pour les femmes de bonne compagnie. L'amour
d'une vie libre prévalut sur les liaisons qui exigeaient de la gêne et des
assiduités. Le penchant pour les filles, et les dépenses énormes dont elles
devinrent l'objet, peuvent être attribués en partie à quelques fortunes
immenses, acquises ra-
(i) Pour prouver cette assertion H sumt de citer les lettres de madame
h< marquise deV' et de madame de C' au duc de Richelieu. Elles sont
imprimées et les originaux existent. (7Vo/p</M/'yeM/e;'e</<?.) ¿
pidement par le système de Law (qui Ht changer de main les biens d'un nombre infini
de familles ), et par les bénéfices prodigieux des financiers. Des' jeunes
gens, héritiers de plusieurs millions, et occupant d'ailleurs des places d'un
revenu considérable, prodiguèrent des trésors qui avaient été amassés sans
peine. Ce fut, en quelque sorte, un état, que d'être fille entretenue. L'amant
rassemblait dans la maison de sa maîtresse, ses amis, et s'honorait du luxe
qu'elle étalait (i). La galanterie expira, en quelque manière, à cette époque,
et l'on vit presque disparaître les hommes à bonnes fortunes. Celui qui
prétendait jouer autrefois ce rôle, d'une manière brillante, avait une petite
maison dans un faubourg, où se rendait la favorite du moment; un carrosse sans
armoiries, et un laquais de confiance, sans livrée, appellé Grison. Les jeunes
gens, en entrant dans le monde, prenaient pour modèle un des hommes qui avait
le plus de succès, et il y avait même des femmes qui étaient comme des effets
en circulation. Quelques-unes' étaient spécialement pour les débutans, et un
jeune homme une fois lancé dans cette carrière, aidé
(l) Ce luxe était tel, qu'une demoiselle Deschamps, célèbre par sa
prodigalité, imagina, pour se faire remarquer à la promenade de Longchamps, de
faire faire des harnois en strass, pour un attelage de six chevaux. Le
lieutenant de police fut instruit de ce projet, et lui nt dire que. si elle se
montrait avec ce brillant attelage, elle serait mise à l'Hôpital. ( Note du
premier ~< )
de, leurs leçons, pouvait se flatter de multiplier ses conquêtes.
Louis XIV avait eu des maîtresses; mais elles étaient, par leur naissance,
appelées à vivre a la cour. Il leur rendait des soins, et elles étaient l'objet
de fêtes brillantes qui signalaient Famour du monarque. Les courtisans furent,
à cette époque, galans, magnifiques, et la décence des manières couvraient, d\m
voile honnête, des rapprochemens que la morale condamnait. Louis XV; séduit par
les. agaceries d'une femme de la bourgeoisie, la fit venir à Versailles, pour
être sa maîtresse; mais le caractère du monarque, l'origine obscure de la
favorite, ne rappelaient ni la splendeur, ni la dignité qui avaient accompagné
les amours de Louis XIV. Louis XV accorda à madame de Pompadour une pension de
six cent mille livres, pour quelle pût tenir une maison où il soupait avec
quelques courtisans. Un tel arrangement, dénué de tout éclat, ressemblait trop
à la vie commode et voluptueuse des gens riches avec les filles qu'ils
entretenaient.
Au surplus, ce n'est point par les déréglemens .d'un certain nombre
d'individus, quelle que soit leur position dans la société, qu'il faut juger
les mœurs d'une nation entière. Il faut Interroger toutes les classes,
descendre dans les diverses conditions et il est important de distinguer des
M:c<tions scandaleuses, de la vie habituelle. Depuis la régence, jusqu'à
Pépoque dela révolution, les fem-
mes mariées n'étaient ni sévères, ni corrompues. La bourgeoisie était
concentrée dans les soins domes'tiques; son plus grand divertissement était
d'aller a~spectacle, les jours de fête, et, dans la belle saison, de faire des parties de campagne,
aux environs de Paris; et les mœurs, dans les provinces, étaient encore plus
réglées que dans la capitale. Dans aucun pays, la sociabilité, l'art du .M~ctr vivre, n'avait
fait d'aussi grands, progrès qu'en France. L'orgueil de la naissance ou des
dignités disparaissait entièrement dans la société privée; une liberté décente y régnait; on
donnait à manger, selon sa fortune et sans être déterminé par la vanité. On
cherchait à réunir des personnes qui se convinssent, sans être humilié de
n'avoir à leur bSrir, qu'un repas sans apprêt. Cependant, les étrangers étaient moins
répandus dans la bonne compagnie à Paris, en proportion du nombre, que dans ta
plupart des autres grandes villes del'Europe. Cette contradiction, avec la
sociabilité des Français, s'explique facilement. La société, dans les grandes
maisons, se rassemblait n'équemment, mais était peu nombreuse. De cette
manière de vivre, il résultait que celui qui, par un motif quelconque, était
admis dans une société, se trouvait, par cela seul,.dans une espèce d'intimité
avec 'toutes les personnes dont elle était composée on le traitait familièrement, parce
qu'on l'avait placé, en quelque sorte, au rang des amis. Une autre cause
'éloignait encore les étrangers des sociétés parti-'
cuHères. Dans nul pays, les actrices, les danseuses, les femmes entretenues ne
formaient, comme à Paris, une classe recherchée par son élégance et même par
son esprit. Dans ces sociétés, l'étranger était. d'abord attiré par le plaisir
et par le charme d'une vie sans gêne; et dès-lors, H était moins empressé
d'aller dans la bonne compagnie, et de vaincre des obstacles pour y
être reçu. Les romans français ne donnent pas une juste idée des mœurs de la
France, et cependant c'est d'après ces ouvrages que l'on juge,celles d'une
nation. Plusieurs raisons ont contribue a rendre infidèles les tableaux des
romanciers. La manière de vivre est plus uniforme en Angleterre qu'elle n'était en France;
et les divers états n'offrent pas autant de nuances. Les romans anglais, par
conséquent, donnent une peinture assez exacte de la vie privée et de
l'intérieur des familles; mais en France, toutes les classes qui composaient la
capitale avaient, dans le ton et les manières,-des nuances
distinctives; il fallait, pour les peindre, être à portée de les observer. Les
écrivains, en général, i introduits tard dans le grand monde, et
seulement lorsque leur réputation était faite, n'étaient presque jamais dans
cette mesure. Crébillon le fils, dans sa jeunesse fut admis dans la société de
deux ou trois femmes de la conduite la plus déréglée, et il fit en conséquence
des romans auxquels l'attrait de la volupté donna de la vogue. Les gens de
province~ e.t les étrangers crurent que ces romans
offraient ia peinture fidèle des mœurs des femmes d'un rang élevé, tandis
qu'ils ne peignaient, et même d'une manière exagérée, qu'un très-petit nombre
de femmes sans pudeur.
L'abbé Prévost est souvent absurde, lorsqu'il conduit les héros de ses
romans, à Paris. J.-J. Rousseau en parle quelquefois d'une manière fausse et
ridicule. Voltaire par ses liaisons, était plus en état que tous ces écrivains d'en
faire le tableau; mais son acharnement contre les dévots l'a entraîné à
peindre, de préférence, les manœuvres des mollmstes et des jésuites, et les
scènes ridicules de saint Médard. Cependant, dans Babouc et dans Memnon, il y a
des traits ingénieux et caractéristiques, sur les moeurs de la cour et de la
ville. Les romans plus récens sont encore plus défectueux. Au lieu d'une
peinture vraie des mœurs, d'un récit simple et naturel de ce qui passe
journellement dans la société, les auteurs s'égarent, par le désir d'étonner.
Des sentimens exagérés, des événemens imprévus et que l'on fait arriver on
ne sait comment, sont le canevas de presque tous les nouveaux romans. Un auteur
vraiment original, Rétif de la Bretonne, a tracé assez fidèlement les mœurs des
dernières classes de la société, et celles des filles libertines. On trouve,
dans ses ouvrages, des traits d'une extrême vérité, et qui sont le fruit d'une
observation profonde; mais cet auteur ne connaissait pas le grand monde.
Il est un degré de splendeur, nécessaire a la
tour d7un grand roi; et celle de France avaittoujours été remarquable par
l'éclat, et même par un faste rempli de goût. Il existait autrefois, dans la manière de se
vêtir, des différences marquées pour les diverses classes de la société; et il
y avait anciennement des étoiles, des couleurs qui n'appartenaient
qu'à des conditions relevées. Ces distinctions avaient disparu maison ne
paraissait encore à la cour, jusques à la nn du règne de Louis XV, que
richement habillé. Sous le règne dè Louis XVI, la négligence de la parure fut
portée si loin, que plusieurs courtisans s~y montraient habituellement en habit
noir. Louis XVI, le moins fastueux des hommes, s'en plaignit quelquefois, mais
uniquement comme d'une chose qui nuisait aux manufactures. La ma-,gnificence
était en quelque sorte le caractère distinctif de la monarchie. Ce ne sont pas
les gens parés, frisés qui sont à crd!M~re ce sont ceux qui ont levisage ~O~C, ~M!Û/a/ ~Oi'7Ï~OM/' i- /~Mr~wM/'c. Il
existe, dans une foule d'usages, peu intéressans en apparence, des rapports
presque imperceptibles avec le gouvernement il est aussi des changemens, dans
les manières et le genre de vie, qui peuvent découvrir à l'observateur attentif
la tendance des peuples vers de nouvelles idées. A la mort de Louis XIV, la
France jouissait, en Europe, de la prépondérance due à ses richesses, à sa
population, à tous les avantages de sa position géographique, et à un long cours
de triomphes et de gloire. La guerre de la succession, que ce mo-
narque soutint, sur la nn de son tongrègne, et après tantd'autres guerres,
prouvait seuleFImmensité des ressources de la France (i). Il eut sur pied quatre cent mille
hommes de troupes, résista aux efforts réunis de l'Angleterre, de la Hollande
et de l'Antriche, et malgré les victoires de Mariborough et d'Eugène, il
donna un de ses petits-fils pour souverain l'Espagne, et garda presque toutes
ses conquêtes.
Dans les dernières années de son règne, ce prince, jadis si admiré attrista
la nation qu'il avait, dans sa jeunesse, associée à sa gloire et à ses
plaisirs. Il n'était plus qu'un vieillard ordinaire, soumis à une vieille
gouvernante et à un confesseur intolérant. Le régent présenta l'image d'un
jeune débauché qui se dédommage d'une contrainte à laquelle il a été long-temps
assujetti. Beaucoup de défauts n'excluaient chez lui ni la grandeur d'ame, ni
la valeur, ni la bonté. Il rendit, à quelques égards, le vice aimable, en le
colorant dcsagrémens de l'esprit; et l'on peut dire qu'il démoralisa la nation. On
rapporte, avec complaisance, des .traits de ce prince, dont la gaîté et
l'esprit faisaient disparaître aux yeux des Français le scandale de sa
(i) Ce roi qui, toujours grand, accabla les Français Et du poids des
malheurs et du poids des succès, Au bord de sun cercueil tremblant pour sa
mémoire, Leur demande pardon de quarante ans de gloire. CHÉNIER, E/ye à ~0//tW€.
conduite. Quelle inconséquence, dans celui qui gouverne, de témoigner
de l'indifFérence pour la religion base indispensable ,de toutes les
institutions sociales! Il semble qu'en élevant le cardinal Dubois au faîte du
pouvoir et des honneurs, le régent ait voulu montrer son mépris pour l'opinion
publique. Tellé a été l'impudence du cardinal Dubois, qu'on est forcé de lui
désirer un vice de plus, l'hypocrisie.
Louis XV, naturellement timide, s'habitua a n'avoirpoint de
volonté, à craindre, en quelque sorte, de faire'usage du sens droit
qu'il avait reçu de la nature; et se concentra d'abord dans les plaisirs du
mariage et l'exercice de lâchasse/Mais, sous le ministère du cardinal
de PIeury, les maximes de Louis XIV furent observées, l'autorité fut respectée,
les finances bien administrées. On peut cependant lui reprocher la trop
grande importance qu'il donnait à de misérables querelles religieuses, et d'avoir, par un
excès d'économie, négligé la marine (t). Après,la mort du cardinal, Louis XV se
livra à ses goûts, lesquels, ainsi, que sa confiance, flottaient au gré de l'intrigue
des courtisans. La figure agréable même majestueuse du roi, la dé-
(i) Un esprit juste, un caractère doux et modéré, un désintéressement à
toute épreuve, telles furent les qualités du cardinal de Fleury. Sa droiture
connue, et ses vues pacifiques procurèrent à la France une longue paix; et
l'esprit d'ordre et d'économie qu'il porta dans les difFerens départemens,
rétabtirent l'équilibre entre la recette et la dépense. 2*
cence de ses manières, la dignité de son maintien, t imposèrent long
temps à la cour et au public; et les alarmes qu'on avait éprouvées pour lui
dans son enfance, avaient habitué ses peuples à ,1'aimer. Mais le peu d'intérêt
qu'il prenait aux affaires refroidit insensiblement le zèle. On chercha plus à
faire sa cour, qu'à se distinguer par des services. La considération pour le
monarque diminua, et les oppositions à l'autorité furent plus marquées et plus
soutenues, lorsqu'on crut n'avoir à combattre que des ministres qui abusaient
de leur pouvoir.
Louis XV eut, dans le cours de son règne, trois guerres à soutenir la
jor~m~rg lui procura la Lorraine; la seconde, dans laquelle le cardinal de Fleury fut
entraîné contre son gré, et dont la mort ne lui permit pas de voir la fin, fut
signalée par des succès brillans mais sans fruit. Le roi se montra à la tête de ses
armées, sans y acquérir de la gloire; elle resta tout entière à son général.
Dans la troisième la France perdit toutes ses possessions dansles Grandes-Indes, en
Amérique, en Afrique, et une partie des Antilles; sa marine fut ruinée et ses
àrmées vaincues.
Après la guerre de la succession et les orageuses secousses de la régence,
le régime pacifique de Fleury était le seul convenable. II y a eu des
ministères plus brillans; mais il n'y en eut pas peut-être de plus heureux,
pour la nation, que celui de Fleury~ qui dura dix-huit ans.
( Note du premier ~t7. )
En 1763, des négocians attaquèrent, au parlement, unesociété puissante,
formant un' arbre dont les racines s'étendaient, de rEurope,juscni~àux extrémités du globe;'une
société accusée d'avoir des maximes dangereuses pour la personne des rois, mais
connue pour être attachée invariablement à la monarchie. Les jésuites,
enfin, furent mis en cause, pour le paiement de sommes considérables dues par
un de leurs membres qui avait la direction de leurs intérêts dans les colonies.
Cette affaire, purement civile, donna prétexte à l'examen de leur
constitution et des magistrats, animés contre eux, depuis plus d\m siècle,
saisirent cette occasion de satisfaire leur ressentiment. Les jésuites
-comptaient parmi leurs principaux ennemis, le parlement, les nouveaux
philosophes et le clergé. L'anéantissement de leur société fut résolu, et un ministre du
roi, (M. de Saint-Florentin), signifia aux jésuites alarmés, mais encore
remplis d'espoir, que la cour ne pouvait, les défendre, et leur enjoignit de se
soumettre à l'arrêt de- leur destruction.
Je ne prétends juger ni la doctrine ni les services, ni les dangers de
cette institution; mais les parlemens exercèrent, dans cette occasion, la
puissance législative, judiciaire et exécutive; et cette. victoire, remportée
sur la couronne, les enhardit, par la suite, à la résistance (i).
()) Les morceaux ltistoriques renferment, sur la destruc-
Vers le milieu du règne de Louis XV, on entreprit Fouvrage immense de
l'Encyclopédie. Ce dictionnaire, destiné à servir de dépôt aux connaissances
humaines, avait pour coopérateurs, )cs écrivains les plus célèbres.
L'entreprise s'exécuta avec constance, et ce travail servit de point de
ralliement aux gens de lettres les plus distingués qui formèrent
véritablement un corps, et dont plusieurs cherchèrent se faire remarquer par la
hardiesse de leurs opinions.
La science de l'économie politique commença bientôtà occuper les
esprits. De nombreuxouvrages furent pubtiés sur cet objet important, et uo système
suivi, mais peut-être trop théorique, en fut le
résultat. Il y avait des C7ïc~c~ee~ il yeutdes eco/!C'/KM~. L'esprit
philosophique et l'esprit d'administration s'aidèrent mutuellement, et firent
ensemble de rapides progrès. Les livres contre la religion se multiplièrent, et
l'exercice des pratiques religieuses fut relégué, en quelque sorte, dans les
classes inférieures de la société. On voyait assez communément, en France, les
femmes, sur le déclin de l'âge, se livrer à la dévotion; mais dès-lors elles
remplacèrent la dévotion par laphition des jésuites, un article écrit dans des
dispositions qui leur sont plutôt favorables que contraires. A ce morceau, qui
contient des détails instructifs et curieux, on trouvera joint le récit de la
mort de Laurent Ricci, générât de cette société célèbre. (
Lettre .C.)
( A~<'e des M0tt(~. e< )
/o.~A~; et le désir de passer pour esprit fort, remportait, chez beaucoup d'entre
elles,. surl'envie même de plaire par les charmes de la figure. Louis XV avait
vieilli dans l'inaction des facultés morales dans les fatigues de la chasse et
des plaisirs. On avait approché de lui, dans ses dernières années une femme de basse
extraction, qui avait été entretenue publiquement avant d'être maîtresse du
roi; et un grand nombre des principaux courtisans s'avilirent, en devenant les
complaisans de cette favorite. M. de Choiseul, le plus distingué des ministres
de Louis XV par son esprit et par le genre d'éclat qui rehaussait sa vie
privée et ses opérations, était trop fier, pour fléchir devant madame Du Barry le duc
d'Aiguillon et le chancelier de Maupeou profitèrent de cette occasion pour le faire
renvoyer et exiler à sa terre de Chanteloup en Touraine (l). Sa disgrâce fut
remarquable par le courage de plusieurs personnes de la coùr, qui continuèrent
de se montrer constamment ses amis. Elles allèrent le voir dans sa retraite, où
on érigea même une colonne sur laquelle furent gravés les noms de tous ceux qui
osèrent braver ainsi le ressentiment du monarque. mais si cette hardiesse
prouvait de la considération pour.Fancien ministre, elle
manifestait en même temps la faiblesse du gouvernement.
L'État était obéré; et le peuple, plus tourmenté
(i) Le 2~. décembre 1770..
par la rigueur du fisc et par l'inégalité de la répartition des charges,
que par l'excès des impôts, montra partout un extrême mécontentement. Cependant, il
était tellement accoutumé à l'obéissance, que le calme aurait subsisté, si le
chancelier de Maupeou, animé contre le parlement de Paris par les contrariétés
personnelles qu'il en avait essuyées, n'avait excité le roi contre ce corps,
avec d'autant plus de facilité, que Louis XV avait foncièrement de l'aversion
pour le parlement il consentit donc sans peine à le détruire. Les parlemens de
province, qui s'élevèrent contre cette mesure, se virent bientôt cassés
eux-mêmes, et des hommes choisis par le chancelier furent substitués aux
anciens magistrats. Les partisans du duc de Choiseul, ainsi que tous ceux que
la destruction des parlemens intéressait, se réunirent, sans s'être concertés.
Il s'éleva dès-lors, contre la cour, un parti nombreux et d'autant plus
puissant, qu'ôn y comptait beaucoup de membres de la noblesse. Cette réunion de
sentimens et d'individus de tout état devint le premier principe d'une opposition
marquée à l'autorité royale, et d'un esprit d'indépendance qui se perpétua sous le règne
suivant. Le gouvernement éprouva, pendant quelque temps, de grands embarras,
pour trouver de nouveaux juges; mais l'exil força les anciens, si non à la soumission,
du moins au silence. La composition des différens corps judiciaires s'était
successivement épurée et améliorée, et la grande en-
treprise de la suppression des parlemens était opérée, lorsque le roi
mourut, le 10 mai 17~4- Il ne fut point regretté; les peuples montrèrent plutôt de la joie,
et cet enthousiasme pour son successeur, qu'inspire un jeune souverain en qui se complaît
l'espérance.
Il n'appartient d'écrire l'histoire de la révolution qu'à ceux qui, par eux-mêmes ou par des relations
intimes avec les principaux acteurs, ont été à portée de connaître et de suivre
sa marche. On trouvera, peut-être, dans ces détails, des choses qui peuvent
servir d'exemples dans d~s temps orageux mais en réfléchissant sur ce grand événement
qui, par ses effets, a changé la face de l'Europe entière, je cherche
seulement, eu me dépouillant de toute prévention, les motifs réels qui l'ont provoqué. On l'a
attribué à une foule de causes; mais souvent on n'a pas distingué assez les
effets de leur principe. La féodalité avait existé, dans tous les pays mais à mesure que les
richesses et l'instruction s'accrurent et se répandirent, la servitude
disparut. La grande majorité de la nation française ne cherchait, depuis
long-temps, que lés moyens de s'affranchir de la gêne où la retenaient encore
des lois et des usages établis dans des siècles d'ignorance et de barbarie. Tel
est le principe des premiers mouvemens de la révolution, et d'où dérivent les
événemens de sa première époque. Des mesures inconsidérées fournirent aux
mécontens des occasions favorables qu'ils saisirent avec
ardeur: la faiblesse du gouvernement les assurait presque du succès. Si Fon
compare les volontés absolues de Louis XIV, les actes arbitraires des ministres
de Louis XV, à la mollesse qui caractérisait le gouvernement de Louis XVI, il
sera évident que des mécontentemens quelconques relatifs à l'exercice de son
autorisé ne déterminèrent pas l'opposition qui se forma contre cet
infortuné monarque. Mais comme les esprits étaient changés, un prince plus clairvoyant,
plus habitué à juger et à agir par lui-même, aurait senti qu'il ne lui
suffisait pas d'aimer essentiellement son peuple; mais qu'il fallait en outre
détruire la barrière aristocratique (i~ qui le séparait de la masse de la
nation, rapprocher de sa personne des gens de toutes les
(i) Le mot C7'<oc7'<ï<e~ qui pendant long-temps parut autoriser tous les
excès contre ceux qu'on désignait par cette épith'ète,démontre, par ce résultat,l'espritdu temps. Onn'était
animé ni contre Louis XVI, ni contre le roi; mais on I<; regardait comme le
chef d'une classe dont on était décidé à détruire les privilèges. Une mesure mena à
une autre encore Tilus violente, plus décisive ensuite les révolutionnaires crurent ne
pouvoir abolir le système contre lequel ils s'étaient élevés, et ne jugèrent
leurs personnes en sûreté, qu'en écrasant ceux qui ne participaient pas à leurs
projets. Ils ne redoutaient pas tant la vengeance de Louis XVI, que sa facilité
à céder à l'influence de quiconque s'éfforcerait de lui faire rompre les
engagemens qu'il aurait contractés. On trouvera, dans l'histoire de ce temps,
une foule demesures qui paraissent être puisées dans les principes de Machiavel
qui, né et élevé au milieu de l'agitation des factions, était plus profon-
classes, employer et distinguer le génie et les !atensdc tous les citoyens
indistinctement.. Louis XVI, trente-deuxième roi de !a dynastie Capétienne,
.monta, à Fage de vingt ans sur'un trône déjà fortement ébranlé. Juste,
vertueux, désirant le bien, mais sans expérience, et d'un caractère
défiant et incertain, il appela, pour le diriger, un ancien ministre (i) que
trente ans d'administration, suivis d'un long exil qu'il s'était attiré pour
avoir déplu à la maîtresse du feu roi, semblaient rendre digne dela première
place, dans les conseils. Sa réputation de désintéressement n'a jamais été démentie; mais ~indifférence d~un vieillard
concentré dans l'amour de lui-même, dans le cercle étroit des jours qui lui
restaient à vivre, enfin sa légèreté naturelle, furent plus fatales a
dément instruit que personne, en matière de conjuration et de révolution.
Je ne parlerai pas de ce qu'on appelle emphatiquement le règne de la /er/'eHy en France, et
encore moins .de celui qui en était le chef; c'est une époque tellement
monstrueuse qu'on désirerait qu'elle fut effacée de l'histoire, si ce n'était: pour servir de leçon aux
temps :') venir.
· Note de /'aM<eMr. )
(i) Le comte de Maurepas, spirituel, enjoué, aimable dans la société,
doué d'ailleurs d'une mémoire prodigieuse, connaissait mieux que personne les
familles, les usages de la cour, les formes de l'administration les droits et
prétentions des cours souveraines.
( Note du ~e/<e/' e~t<- )
la France, quel'ambition ou même l'amour des richesses. Rempli de sagacité
et de pénétration, mais dans un genre opposé à toute discussion longue et
sérieuse, doux et versatile, le comte de Maurepas, persuadé que la monarchie
française était assez robuste pour résister à toutes les crises, ne montra de
chaleur et de constance, que dans un seul sentiment celui de sa haine pour la
mémoire de Louis XV auquel il ne pardonna jamais sa disgrâce. Il vit, dans le
rétablissement des parlemens, un moyen de se concilier l'affection publique, et
de satisfaire son aversion pour le précédent règne. Un homme d'État aurait
probablemènt considéré cette grande opération sous un autre aspect il aurait pensé à
profiter d'une révolution effectuée sous un autre ministère, et au blâme de
laquelle il n'avait aucune part. Occupé d'en adoucir les effets, pour les
anciens magistrats, il aurait ainsi assuré la tranquillité publique, en
débarrassant le gouvernement d'un corps puissant qui l'avait,souvent contrarié.
A ces considérations, favorables à l'autorité, se joignait la facifité de faire du bien à
l'Etat, sans être arrêté par les prétentions, les préjugés et la routine même des corps de
magistrature qui n'avaient jamais laissé échapper aucune occasion d'augmenter
leur influence dans les opérations du gouvernement, et souvent d'entraver leur
marche. Le désir d'un succès passager l'emporta les parlemens rétablis, le 12
novembre 1774~ se crurent dès-lors inébranlables.
Les ministres du feu roi furent disgraciés et remplacés par d~autres, parmi
lesquels il n~y en avait que deux susceptibles de fixer Fattention le comte, depuis
maréchal duMuy, et M. Turgot. Le premier, militaire instruit, et ami fidèle du
dauphin., père de Louis XVI, n'aimait ni n'estimait M. de Maurepas. Il
combattait sa légèreté et son insouciance, et ne négligeait rien, pour
inspirer de la fermeté à Louis XVI qui perdit trop tôt ce respectable
serviteur. M. Turgot, nommé d'abord au ministère de la marine et ensuite à
celui des finances, était connu pour un des plus zélés partisans du système des
économistes. Il joignait à de profondes connaissances spéculatives Inexpérience acquise dans
l'intendance de Limoges, et une réputation méritée de vertu. L'intrigue n'eut
aucune part à son élévation. H ne tarda pas à développer les
principes qu'il avait professés. Les économistes, encouragés par l'appui d~un ministre de leur
parti, répandirent de plus en plus leur doctrine. La sévérité des principes de
Turgot contrariait les gens de la cour et encore plus les financiers. Les premiers Fattaquèrent avec les armes du
ridicule, et les financiers qui craignaient la suppression de leurs immenses
bénéfices, s'efforcèrent de décrier ses opérations. Enfin, les parlemens
s'opposèrent à ses plans, et le ministre principal, effrayé de l'ascendant que
prenait, sur le jeune roi, le ministre des finances par ses lumières et par son
zèle pour les intérêts du peuple, employa, pour le perdre, l'as-
tuce d'un vieux courtisan, t) obtint, du roi, de sacrifier M. Turgot qu'il
représenta comme un homme livre a dés idées d'un perfectionnement chimérique, et comme un
novateur dangereux (1). M. de Maiesherbes qui, en cédant aux instances de M. Turgot,avait
accepté le ministère de la maison du roi, donna sa démission, au moment de la
disgrâce <)e son ami.
Tandis que les esprits prenaient un élan vers un nouvel ordre de choses, et
que la légèreté du premier ministre abandonnait l'autorité au cours des événemens, la
face de la cour avait changé. Marie-Antoinette, impatientée de ces formes
gênantes qui condamnaient les reines de France à une représentation presque
continuelle, fut séduite par la perspective des charmes d'une société où devaient régner la
liberté et la çonnance. Cette princesse sans en prévoir les conséquences, se laissa persuader
de descendre, en quelque sorte, du trône, pourjouir des agrémens de la vie
privée. La
(i) M. Turgot joignait à un esprit, étendu et exercé une vertu rigide
mais il avait dans le caractère une grande inflexibilité, et dans ses formes
une sécheresse qui quelquefois offensait les personnes avec lesquelles il avait
à traiter. Son trop court ministère fut remarquable par des rcglemens favorables au
peuple, par la destruction des entraves nuisibles à l'industrie, et par
l'établissement d'une liberté indéfinie pour le commerce des grains article qui
a produit beaucoup de discussions, et sur lequel on n'est pas encore d'accord.
( Note du premier e< )
société qu'on avait choisie s'accrut insensiblement, et bientôt elle devint
nombreuse et trop mélangée. Le gros jeu qui rapproche toutes les conditions; qui fait oublier,
dans la vivacité des passions, la mesure du langage et la circonspection dans
les manières, ajouta encore à l'égalité inséparable d'une société intime.
La cour cessa alors de donner le ton à la ville, puisqu'elle adoptait les
sentimens, les modes et les habitudes des sociétés qui y dominaient. Ce
changement de régime, à la cour, servit à combler l'intervalle immense qui
avait subsisté jusqu'alors, entre elle et le public (i).
Les Etats se soutiennent par la constance des principes, et Raccord de toutes
les parties. La fluctuation dans les mesures inspire la défiance au peuple,
indique le désordre ou le relâchement dans le gouvernement; l'autorité alors
éprouve des oppositions, et ceux qui sont chargés de la soutenir tombent dans le mépris. La
stabilité des individus dans les emplois de l'administration sert quelquefols,
jusqu'à un certain point, de contre-poids à
(1) On a, dans la Notice qui précède les Mémoires de madame Campan,
repoussé l'injustice de ces reproches. Quand les.mœurs avaient été si
cruellement outragées, )a majesté royale si scandaleusement avilie, dans les dernières années
du règne de Louis XV, pouvait-on sérieusement accuser du changement survenu,
dans les usages, une jeune princesse qui désirait substituer, aux mensongères
apparences de l'étiquette, leshabitudesd'une politesse décente et d'une noble
affabilité? ( ~Vo~e </e~ ~!nf< édit. )
la variation des idées; mais jamais Inexistence des ministres ne
fut plus éphémère que sous le règne de Louis XVI, et, à aucune époque, on
n'avait vu autant d'incertitude dans leurs plans (1). Ils se contentaient de
pourvoir aux besoins'du moment. La manie d'administrer s'étant emparée de
toutes les têtes, elles faisaient, chaque jour, disparaître les anciennes
formes, et éclore des innovations. Le ministère des finances, l'un des plus
importans,
(t) Louis XIV, pendant cinquante-cinq ans de règne, à dater de la paix
des Pyrénées a eu vingt-six ministres de tout genre dont plusieurs d'un mérite éminent. Louis XV,
pendant soixante ans de règne, a eu quarante ministres. Louis XVI, pendant
quinze ans, a eu vingt-sept ministres car on ne parle pas des circonstances orageuses
qui suivirent l'assemblée des états-généraux, mais seulement des ministres dé
ce prince, pendant le temps qu'il a véritablement régné. Les affaires, sous
Louis XV, furent dirigées avec plus ou moins d'intelligence; mais aucun
ministre, pendant son long règne, ne fit des chosesremarquables, comme Sully,
Richelieu, Colbert, Louvois. Ce n'est peut-être pas faute de génie ( car
d'Argenson, Chauvelin, Machault étale: t des hommes distingués par les
lumières et l'instruction ); mais parce qu'il n'existe que certaines
conjonctures où ur. ~ninistre peut devenir, en quelque sorte, créateur.
D'ailleurs, l'impulsion ou le caractère du monarque donnent seuls à un homme de
génie tout son essor; sans cela, il est obligé de se circonscrire dans le
cercle ordinaire des affaires courantes. On peut objecter à cette observation
l'exemple de Richelieu; mais Louis XIII, quoique d'un caractère faible, avait
un sens juste, et il n'a jamais contrarié son ministre.
Sous le règne de Louis XIV, jusqu'à l'époque de son ma-
était le plus orageux. Les contrôleurs-généraux Jetaient regardés que comme
des empiriques, dont
î
on éprouvait pendant quelque temps la recette et la plupart ne s'ocçupaient
qu'à chercher des palliatifs propres à soutenir la marche des affaires, pendant le
court espace qu~ils devaient les diriger. Dix contrôleurs-généraux se sont
rapidement succédés dans un terme de quinze ans. Le jour de.la nomination d'un ministre, on
pronostiquait son renvoi(i). Il était impossible qu'un' ordre de choses, aussi chancelant pût obtenir aucune
considération à peine un ministre avait-il le temps de prendre
riage avec madame de Maintenon, les ministres s'empressaient de plaire
aux maîtresses; mais celles-ci ne cherchaient point à se procurer de l'influence sur
les affaires. Il n'e,n fut pas ainsi des ministres de Louis XV; ils furent
asservis la marquise dePompadour qui s'était érigée en premier-ministre, et
l'ascendant qu'elle avait acquis était le résultat de leur bassesse. Le roi
n'exigeait point d'eux une servilë déférence à sa maîtresse; mais
chacun, cherchant l'emporter sur ses rivaux, s'empressait de lui soumettre les
affaires de son département. Si tous,s',étaient accordés a ne point rendre
compte des affaires à la maîtresse du roi, elle.n'aurait pas cu plus
d'influence sur les affaires que tes~aîtresses de Louis XIV, et
ils n'auraient pas été moins bien traités par le roi. (~Vo~e</M~)7e/7:tere~.)
(i) Un vice-roi, nomme par l'empereur Mahomed Shaw, au. gouvernement du
Deckan, sortit de Delby monté sur un éléphant, et avec le visage tourné vers la
queue de l'animal. Questionné sur cette étrange posture, il répondit que
c'était pour voir arriver son successeur.
(~Vote~Mp/'e/7!<e/'ef/)
3
connaissance des affaires soumises à sa 'direction. L'emploi de
ministre dé la guerre fut, pendant plusieurs années presque aussi peu stable
que celui de contrôleur-général; des édits, desréglemens, des ordonnances sans
nombrè sortirent des bureaux de ces deux départemens.
Les rois de France, depuis plusieurs, siècles, avaient toujours eu, auprès de leur
personne, des troupes d~élite qu'on nommait la maison du roi,
et Fon trouve chez les Germains l'origine de cet usage. «Le prince, dit
Tacite, était entouré de no)' blés il combattait pour la victoire, et les
nobles M pour le prince, » La maison dit roi était composée, outre les deux
régimens d'infanterie des gardestraneaises et suisses, de gardes-du-corps, de
grenadiers à cheval, de gendarmes de la garde, de chevau-légers et de
mousquetaires; et ces troupes formaient un corps nombreux dont la plus grande
partie des individus était dans la fleur de l'âge. La maison <~M roi,
particulièrement dévouée à la personne du monarque, remplie du plus brillant
courage, avait un autre régime que le reste de l'armée. Sa constitution
présentait des inconvéniens à la guerre, par le luxe et les consommations
considérables qui en résultaient; mais elle formait une phalange qui souvent
avait arraché la victoire à l'ennemi, dans des circonstances désespérées. Le
comte de Saint-Germain, habile homme de guerre, mais livré à
respritd~inndvation, soit qu'il ne sût employer d'autre ressort que la
discipline alle-
mande, soit qu'il méconnût le caractère des Français et la nature de leur gouvernement,
supprimai plus grande partie de ces troupes d'élite. Mais èe qu'il y a de plus
singulier dans cette opération, c'est que l'économie fut le motif de
la reforme, tandis que ces troupes, qu'il paraît n'avoir jugées que d'après
l'éclat des habits et la. beauté des chevaux, ne coûtaient pas plus que de
simples cavaliers (i). Le premier.ministre, indolent et inappliqué, laissa le comte, de Saint-Germain dissoudre
des corps qui faisaient l'appui du trône et qui auraient su le défendre au
besoin.
A la mort de Louis XV, le royaume était en paix depuis douze ans, et
quoique la dette publique fût considérable, l'économie dans la
perception et la réforme des abus offraient à un homme éclairé les moyens d'acquitter
les intérêts, et d'appliquer, chaque année, des fonds à l'amortissement du capital. M. Necker, qui
avait acquis une fortune considérable comme banquier, et une réputation de
talent en qualité d'un dés syndics de la compagnie
(i) Un mousquetaire, un gendarme, un cnevau-Iëger n'avait pour
appointemens, babiHement,.achat et nourriture de son cheval; que ~eo~ ce/!< ~Mg'f /i~e~ c'est-à-dire quarante sous par jour,
et il n'y avait pas de cavaHer qui ne coûtât presque autant, surtout en mettant
en ligne de compte les frais de casernement et d'hôpitaux qui n'étaient pas à
la charge du roi pour les troupes de sa maison.
( A*o<e ~KC7'eM:e7' e~. ) 3
3"
des Indes, fut élevé à la place de directeur des finances, lorsque M.
Taboureau succéda ëphemè'rement à M. de Clugny, le seul contrôleur-général mort en place depuis Colbert.
A l'époque de la nomination de M. Necker, la France commençait une
guerre, pour soutenir la révolte des colonies' anglaises d~Amérique contre leur
métropole; et'on vit avec étojinement, et même avec enthousiasme,
que le nouveau minis'tre fournissait les moyens de la soutenir, sans avoir
recours à de nouveaux impôts. On ne calculait point que des emprunts onéreux, si on ne
prenait 'aucune mesure, ni pour le paiement des intérêts, ni pour le remboursement
des capitaux, augmenteraient les embarras de TEtat, et mineraient ses
ressources.
Le gouvernement avait ët~ long-temps asservi aux; financiers qui
avançaient des fonds au besoin. M. Nec~er substitua,au crédit des
financiers, celui des banquiers dont les pronts excédèrent encore ceux de ta
finance; et il résulta de ce changement et des emprunts muhjphes qu'il facilita,
une nouvelle puissance dans FEtat: bientôt, on confondit rintérét et le vœu de la
nation avec l'intérêt et les spéculations des banquiers et des capitalistes qui
dictèrent les conditions des emprunts, et devinrent un corps redoutable aux
ministres eux-mêmes. Si les financiers abusaient des besoins de FEtat, ils étaient
dépendans les banquiers n'en abusaient pas moins, et ils étaient indépendans.
Les ban-
quiers sont citoyens dé tous les pays, et le régime républicain a plus
d'attraits et, de convenances, qu'un gouvernement monarchique, pour des hommes
dont la fortune est disponible, dont l'existence consiste dans leurs richesses, et'qui sont toujours animés
du désir de les augmenter. L'homme s'égare trop souvent dans l'application des
principes; ce qui convient au gouvernement d'Angleterre, était évidemment
dangereux pour un gouvernement purement monarchique. Peu à peu, l'esprit de
spéculation s'introduisit à Paris, dans les différentes'classes de la société,
et des hommes distingués par leur rang et leur naissance, prirent part aux
opérations de la place et devinrent agioteurs.
Le compte rendu e~M~cc~ par M. Necker, publié en 1~81, mit le comble à la
confiance qu'il avait su Inspirer. Le public fût flatté de voir un ministre
invoquer son suffrage, en lui soumettant ses opérations.
M. Neckër, qui proposa ensuite d'établir des assemblées provinciales, développa en même temps des
moyens propres à assurer le pouvoir du roi, dans ces assemblées. Le clergé et
la noblesse en formaient une moitié, et le tiers-état, l'autre;'mais le
roi nommait les membres de ces trois classes. Ces assemblées n'offraient, de
fait, qu'une répartition du pouvoir des intendans, entre un certain nombre
d'individus, et où l'intendant conservait une grande influence; organisation
qui présentait
un bizarre mélange de liberté et d'assujettissement. Le ~c/HO!'re que rédigea M.
Necker à cette occasion, s'étant répandu avec une promptitude extrême
dans la capitale et dans les provinces, agita tous les esprits, les souleva
contre l'administration et contre les magistrats, et rendit plus difficile
l'exercice d'une autorité dont un ministre du roi révélait les abus.
M. Necker, quoique parvenu à la place de directeur-général des finances, ne
travaillait avec le roi qu'en présence du ministre principal. Il demanda
d'entrer au conseil; on rejeta sa demande, et s'étant engagé trop loin par la
vivacité de ses démarches, il se vit obligé de quitter sa place qu'il
avait annoncé ne pouvoir garder, si sa prétention n'était agréée (i). Il avait pour lui
le suftrage de quelques sociétés, les louanges d'ùn grand nombre de gens de
lettres, et surtout le vœu du peuple, touché de la sensibilité qu'il montrait
pour la classe indigente. `
Pendant que la France combattait pour la liberté des Américains, les
gazettes anglaises, et surtout un journal publié à Londres en français,
(i) Voyez dans le premier volume de Mémoires de madame Campan, chap. x, par
quel tour perfide M. 'de Maurepas éloigna, M. Necker de l'administration, en
donnant à penser au roi que ce ministre nourrissait les prétentions les
plus exagérées.
( ~Vb<e des nouv. e~<. )
intitule le CcHr/r de /Mrc'~e (i), circulèrent librement à Paris et
dans toutes les provinces du
(1) Le Courrier de lEurope, gazette française publiée en Angleterre, et
fort répandue en France,'à l'époque de la guerre d'Amérique fut entreprise par
un Anglais (dont j'ai oublié le nom ), associé avec un certain Morande
qui en était le rédacteur. Morande, auteur du Gc~c~cy cu/<!j~, libelle
scandaleux, s'était réfugié à Londres, pour se soustraire aux poursuites du
gouvernement français qui voulait le faire arrêter. Ils débutèrent ,dans leur journal, par
peindre, sous un jour peu favorable), différens personnages de la cour de
Versailles, et par blâmer les opérations des ministres. Johnston alors membre assez
marquant dans le parti de l'opposition en Angleterre, et qui connaissait le
rédacteur anglais, me raconta qu'attendant à Calais un vent favorable pour
s'embarquer, il y vit .arriver cet individu à qui il exprima son étonnement de ce qu'il avait osé
paraître sùr le territoire français; que celui-ci lui fit une réponse évasive,
et prit le chemin de Paris qu'il sut ensuite qu'il s'était rendu, en arrivant,
chez le lieutenant de police, et de là, chez M. de Vergennes. Peu de jours
après, il retourna à Londres, après avoir obtenu,. dit-on, une
pension annuelle de 12,000 francs. C'était peut-être le meilleur parti qu'on eût à prendre; du
moins, on remarqua qu'il ne parut plus rien dans le Courrier de ~T~ope qui pût
blesser les ministres français; mais ce qui paraîtra étrange, c'est que
ceux-ci, ayant pris la résolution de soutenir les Américains, crurent que cette
gazette pourrait'servir à animer la nation française en leur faveur, tandis
qu'elle ne servit qu'à répandre, dans les esprits, des idées d'indépendance. Ce
fut donc une des nombreuses inconséquences nui caractérisent la conduite des
,ministres de Louis XVI.
Note dit premier ef~. )
royaume. Les discours de quelques membres distingués de l'opposition, qui
défendirent avec éloquence les principes d'après lesquels les Américains avaient pris les armes,
et qui définissaient les droits du peuple et le pouvoir légitime du prince,
furent lus avec avidité, même avec transport, et contribuèrent essentiellement
à enflammer le public. La jeunesse de la cour s'empressa de servir, dans cette
guerre. Les principes républicains germèrent facilement dans des esprits sans
maturité et amoureux de nouveaux systèmes. Les applaudissemens que reçurent les
Français en Amérique, leurinspirèrentle goût des succès populaires. Cette
entière soumission à Fautorité du monarque, qui avait jusque-là
distingué le militaire français, s'affaiblit insensiblement,eties liens deFobéissance se relâchèrent. De
retour en France, ceux qui avaientmontré le plus d~enthousiasmepourla cause des Américains, furent les mieux
accueillis a la cour, les plus caressés des ministres, et lés'plus recherchés à la
ville. Le roi permit à ses courtisans de porter un ordre (1), ou marque de
distinction, institué en Amérique comme un symbole de l'indépendance d'un
peuple soulevé contre son souverain. A la paix, plus de quinze cents millions
de dettes, et une perte considérable d'hommes et de vaisseaux, furent le résultat d'une guerre dont
il est encore problématique que la France retire ja-
(i)DeCMc/Ms~.
mais aucun avantage (1), d'une guerre queLouisXVt imp'rouvait, et
dans laquelle ses ministres le plongèrent, contre son opinion.. Dans cet état de
choses, parut le régtement proposé par un ministre de la guerre, qui prescrivait de prouver
qu'on avait quatre degrés de noblesse, pour être admis, comme officier, dans
les troupes du roi.' Ce réglement humilia et irrita nn grand nombre de familles
considérables par leurs emplois et un plus grand nombré encore de.famillés
honorables du tiers rameur-propre ainsi que l'in térét se' trouvèrent profondément
blessés. Avant cette époque, tout individu, quelle que fût son extraction,
pouvait se flatter de voir son fils monter aux plus hauts grades, dans l'armée.
Le maréchal de Fabert était fils d'un libraire de Metz, le maréchal Catinat,
fils d'un conseiller au parlement, M. de
(i) L'expérience a prouvé que l'indépendance des colonies anglaises du
continent de l'Amérique aurait pu leur être accordée, sans préjudice pour le
commerce et pour la marine de' la Grande-Bretagne, tandis qu'elle aurait eu
l'avantage d'étrf débarrassée de la sollicitude et de la dépense de les
défendre. Le tort qu'eut l'Angleterre fut de leur refuser l'Indépendance, dès l'tnstant
qu'elles montrèrent la volonté de l'obtenir.. Les Anglais auraient ainsi
épargné les trésors et le sang répandus dans cette guerre ils auraient nxé les Américains,
par les liens les plus forts la même langue, les mêmes usages leur sont
communs, et le même sang coule dans leurs veines. Le gouvernement d'Angleterre et celui de
France eurent également tort de s'engager dans cette querelle.
( Note du premier édit. 3
Chevert, lieufenant-géneral, et qui allait être fait maréchal de France lorsqu'il mourut, était né
de parens obscurs, à Verdun-sur-Meuse'(i); mais, depuis le réglement dont on
vient de parler, on ne pouvait aspirer à obtenir pour son fils une
sous-lieutenance, s'il n'avait pas au moins un siècle de noblesse.
Une aventure bizarre et scandaleuse, celle du trop fameux collier,
contribua puissamment à ôter à la cour le peu de considération que le public
lui portait encore. L'imprudence de faire arrêter et conduire à.la Bastille le
cardinal de Rohan, compromit le nom auguste de la reine, entièrement étrangère. à cette
absurde imposture (2). La monarchie paraissait à tous tellement'iné-
(1) M. de Chevert entra dans l'armée comme simple soldat il mourut en
janvier iy6o, lieutenant-général et grand'croix de l'ordre de Saint-Louis. Le duc de Richelieu,
parlant de Chevert devant le maréchal de Saxe, l'appela officier de fortune. Le
maréchal répliqua Vous me l'apprenez, M. le duc; j'avais toujours eu pour M. de
Chevert de l'estime, mais désormais ,je lui vouedu respect.
(Note du premier édit.
(2) Les Mémoires de madame Campan, tom. II, chap. xi:, expliquent, dans
ses moindres détails, la scandaleuse affaire du collier. Ils en rejettent avec
raison le blâme et tout l'odieux sur les coupables intrigans qui osèrent mêler
le nom de la reine à leurs projets, et sur les conseillers imprudens qui no
surent point punir sans éclat les désordres d'un prêtre crédule et
libertin. ( Note des nou"¡J. édit, )
Note des nouv. édit.
branlable qu'on ne se donnait pas la peine de réfléchir sur ce qu'on
faisait de conforme, ou de contraire. à ses principes. Au milieu d'une
effervescence remarquable, on laissa établir dans Paris des clubs, à la manière
anglaise, sans prévoir que, dans les circonstances d'alors, des assemblées de gens de tous
les états, choisis d'après la convenance des personnes et de leurs sentimens,
inviteraient à discuter toutes les questions relatives au gouvernement,
feraient circuler promptement les opinions et les nouvelles; et que rien
n'était plus propre à ouvrir le chemin à des conjurations, à fournir aux
conjurés les moyens de délibérer, de concerter leurs plans et de les exécuter.
Les clubs peuvent s'accorder, en Angleterre, avec. un gouvernement où l'on
débat publiquement et indistinctement toutes ses opérations. Dans ce pays, on
se réunit pour s'entretenir des affaires publiques. Aucune loi ne s'oppose à
ces rassemblemens'; un long.-usage les a consacrés; ils existent à Londres et dans toutes
les villes et bourgs du royaume. Mais l'établissement des,clubs en France,
surtout dans un moment d'agitation et de troubles, était en contradiction avec
les intérêts du gouvernement; cette nouveauté et les conséquences qui pouvaient
én résulter ne frappèrent presque per- .sonne (i).
(t)Un ministre ayantdit avec un air de satisfaction C~t demain que s'ouvre
/eDye/?:!er club à Paris; quelqu'un lut
Il fallut, à l'époque de la paix, pourvoir à l'acquittement des dettes.
Après avoir soutenu la guerre sans des taxes extraordinaires, il était
difficile d'imposer, au moment où les peuples sont habitués à voir diminuer
leurs charges. Les ministres des finances se trouvèrent ainsi, en quelque sorte,
forcés de suivre le système des emprunts. La confiance des prêteurs se soutint
quelque temps, encouragée par Fappât de conditions avantageuses. Les'emprunts viagers surtout procurèrent
des secours prompts et considérables, en offrant à l'homme avide de jouir, les
moyens d'augmenter ses revenus. Mais bientôt, la difEculté d'imposer, se
joignit celte d'emprunter. C'est alors que Je ministre des finances conçut le
projet d'assembler les notables, et de leur présenter un plan qui lui parut
substituer des remèdes curatifs aux palliatifs désastreux emptoyés jusqu'alors.
L~abolition des impôts les plus onéreux, la diminution de plusieurs, la
suppression des rigueurs fiscales une' imposition en nature sur les produits,
dont il y a
répondit C'est une plante nouvelle et qui nous donnera du fruit nouveau
mais ce n'est pas une plante monarchique. Le ministre le regarda avec un
sourire moqueur, en disant: Qu'est-ce que cela veut dire? La même, personne
répéta Un <,7u~ n'est pas une plante monarchique.
En 1789, on en forma un, au Palais-Royal, sous la protection du duc d'Orléans, et auquel ne furent
admis que ceux qu'on connaissait pour être ennemis de la cour.
('~Vo<e de /'<:M<eMr. )
des exemples dans plusieurs pays, l'économie dans les frais de perception,
l'assujettissement des privilégies aux charges, telles étaient en
général les mesures proposées si quelques-unes étalent susceptibles de
difficultés, l'ensemble était favorable au peuple et avantageux à l'Etat. Il
était hasardeux, sans doute, en appréciant la pente des esprits, de convoquer
une assemblée de représentans de la nation; car, c'est sous cet aspect qu'il
faut envisager les notables; et il n'y a point de doute qu'un habite
administrateur aurait su trouver, dans les immenses ressources du royaume, de
quoi combler le déficit entre la recette et la dépense, sans d'autres secours
que ceux de ses propres lumières. C'était assurément le parti alors le plus
sage; mais il est à présumer cependant que, soutenu par le monarque, le ministre
eût, avec quelque modification, réussi dans son projet. Le sentiment des
notables, en matière d'impôt, aurait été éclairé et décisif; et le roi, étayé
de leurs avis aurait pu sans crainte exiger du parlement l'enregistrement des édits
discutés, rédigés et arrêtés par des citoyens distingués de toutes les classes
et de toutes les provinces du royaume. Mais le ministre, avant de recourir à
une mesure qui compromettait la tranquillité de l'Etat, devait faire
entrer dans ses calculs la faiblesse du souverain et l'esprit de sa cour enfin,
les chances d'échouer. Les notables s'assemblèrent, et l'Intrigue, l'intérêt
particulier, l'orgueil et l'esprit des anciens corps
firent que les plans de M. de Catonne furent rejetés, lui même disgracié,
et remplacé par M. de Brienne, archevêque de Toulouse, nommé ensuite ministre
principal. Mais celui à qui on avait accordé une réputation dans les aNaires, celui qui avait
brillé, dans quelques cercles. à Paris, en parlant d'administration, n~eut pas
plutôt le timon de l'État entre les mains, qu'il montra son Incapacité à le conduire.
Il est difficile d'expliquer les inconséquences extraordinaires qui se
firent remarquer dans la conduite de M. de Brienne, à qui on ne pouvait refuser
certain esprit, joint à des connaissances théoriques dans divers genres: Il se
montra sans suite dans les idées, sans ressource pour imaginer, sans constance
pour exécuter. Chacune de ses opérations fut mal combinée, entreprise mal à
propos, ou abandonnée sans motif Il compromit l'autorité à chaque instant; et,
dans sa marche incertaine, il manifesta un mélange incohérent de despotisme et
d'idées républicaines. Enfin des demi-mesures, des projets interrompus, des
actes de violence et de faiblesse, forment le tableau de son administration.
Le parlement, après avoir exercé, pendant deux siècles,le droit de
sanctionnerlesimpôts; après avoir combattu, plusieurs -reprises, contre
l'autorité, pour maintenir sa compétence exclusive sur cette matière soit'qu'il
ait été entraîné par le torrent. de l'opinion du moment; soit qu'il ait été
aveuglé
par cet esprit d'opposition dont il fut toujours plus ou moins animé,
retracta en un jour une doctrine soutenue si long-temps avec tant de
fermeté., Il déclara que la nation était seule en droit de consentir les impôts
et indiqua l'assemblée des étatsgénéraux comme l'unique remède des maux
dont FEtat était aQligé. Le ministre principal engagea le roi à exiler le parlement de Paris
à Troyes, et le duc d'Orléans, qui s'était fortement prononcé pour l'avis du
parlement,.à Villers-Cotterets. Bientôt après, il les fit rappeler, détermina
le roi a promettre les états-généraux, et alla lui-même au Palais Royal faire des excuses au
prince, sur le' désagrément qu'il avait essuyé. On ne peut, sans être frappé
d'étonnement, considérer la conduite de ce ministre, dans cette circonstance.
Après s'être laissé arracher là promesse d'assembler les états généraux, il
invite publiquement à écrire sur la nature et la forme -de ces assemblées, et
il ne songe pas combien celle qu'il a promise doit différer de tous les
états-généraux dont l'histoire fait mention Il était facile de prévoir qu'il ne
s'agirait plus, comme dans les anciens temps, du redressement de quelques abus
mais d'opérer d'importans changemens dans le système du gouvernement.
Dès que l'impéritie du ministre eut répandu Falarme, dès que les esprits
qui fermentaient eurent conçu l'espoir de voir assembler les représentans de la
nation, les capitalistes regardant cette
assemblée comme seule capable d'assurer la dette publique, firent partout
retentir ce cri Les états~/ïer<2M.y, ou la banqueroute! cri qui fut bientôt
répété par tous les ordres en sorte que Fassemblée des états devint
le sujet de tous les entretiens.
Il n'entre pas dans mon dessein d'écrire Fhistoire de ce qui se passa dans
les assemblées qui se succédèrent; de l'impuissante et souvent indiscrète
opposition de ceux qui défendirent inutilement les principes de l'ancien gouvernement, d'une
part; ni des nombreuses mesures aussi violentes que précipitées et
désastreuses, de l'autre. Après avoir détruit tous les ordres, anéanti toutes
les distinctions dont l'État se composait, désorganisé la force militaire,
laissé les lois sans appui, l'Assemblée fit accepter au roi une constitution ou
forme de gouvernement, si compliquée dans sa marche, et composée de principes
si hétérogènes,qu'on prévit, dès sa naissance, l'impossibilité de
sa durée. Mais ce qui mit le comble aux malheurs du monarque, et décida de son sort, en excluant
de la représentation nationale un grand nombre d'hommes probes et
éclairés, ce fut la résolution prise par l'Assemblée constituante avant de se
séparer, qu'aucun de ses membres ne pourrait occuper la place de ministre,
pendant ,quatre ans, ni être réélu pour rassemblée qui devait la
remplacer; et ce qui est plus étonnant encore la cour, conseillée par des
personnes qui s'étaient rapprochées d'elle, après
avoir le plus figuré parmi ses ennemis, avait intrigué dans FAssemblée pour obtenir ce
décret. Animée contre les représentans actuels, elle espérait trouver des
dispositions plus favorables dans ceux qui les remplaceraient; elle se flattait
toujours que la grande majorité de la nation, foncièrement attachée à la
monarchie, ne voyait qu'avec peine toutes les humiliations que le roi avait
éprouvées, et que, dans les élections nouvelles, ces sentimens du peuple se
manifesteraient d'une manière prépondérante mais le parti républicain, par
son ex trême activité, se rendit maître de la plupart des élections, et
presque dès l'instant de l'ouverture de l'Assemblée législative, ses démarches
annoncèrent, d'une manière peu équivoque~Ia chute prochaine
des faibles restes de la royauté. Enfin, sans entrer dans le détail de forfaits
épouvantables dont tout homme sensible détourne ses regards, on peut les
résumer en disant que les autels, le trône, la noblesse, les parlemens, des
hommes marquans de toutes les conditions, furent tous entraînés par ce terrible
tourbillon, et précipités dans le même abîme. La possession d'une fortune
considérable, quoique acquise par les moyens les plus légitimes, surtout si
elle provenait d'ancêtres qui eussent marqué dans l'État, devint un motif
déterminant pour proscrire le propriétaire..
A ces événemens désastreux succédèrent des années d'anarchie et de crimes.
Des hommes féroces se disputèrent successivement le pouvoir. La 4
religion anéantie, ses ministres forcés dè se cacher pour se soustraire
à Féchafaud, les temples profanés et convertis en prisons, en magasins, en salles
de spectacles le sanctuaire:de la justice rempli d'une horde d~assassins érigés
en juges, les propriétés partout envahies, chaque individu sans cesse exposé à
être égorgé dans ses foyers, ou trainé à là mort, sont les caractères
distinctifs de cette grande subversion.
Un homme enfin parut, qui, après avoir attiré l'attention générale par ses
exploits au dehors, fut choisi pour rétablir dans l'intérieur l'ordre et le
calme.
Napoléon Bonaparte ayant renversé un pouvoir qui n~inspira~ aucune
confiance, fut déclaré chef du nouveau gouvernement, pour dix ans, période
étendue ensuite à la durée de sa vie. Mais l'expérience démontra ce que l'homme
réfléchi avait déjà prévu; qu'un grand Etat, environné de puissances
essentiellement ennemies par l'inquiétude qu'il leur inspirait; un État qui
renferme une population immense composée de peuples de divers climats, de
moeurs et de caractère différens; une nation en même temps agricole, manufacturière,
commerçante, maritime et guerrière, exigeait, dans le pouvoir exécutif, une
autorité plus concentrée, une marche plus simple et plus rapide, que ne
l'offrait la forme de gouvernement qu'on venait d'adupter; qu'il fallait
surtout se garantir des convulsions qui pourraient nnître parla mort du chef
de
la nation qu'il importait donc de s~àrréter à une forme de gouvernement
moins exposée à être troublée par les intrigues des ambitieux, par les effets
du hasard et par les caprices de la multitude. Toutes ces considérations
engagèrent les autorités constituées du gouvernement à décerner la couronne à
Napoléon Bonaparte, et, par succession à sa famille, dans la ligne masculine
mesure qui fut confirmée par la voix de la,nation.
Je termine cet article, au moment où le pape Pie VII couronne Napoléon
Bonaparte, empereur des Français, dans l'église de Notre-Dame à Paris, le a décembre !8o~.
AVERTISSEMENT.
UN ami de M. de Marigny (i) entrant un jour chez lui, le trouva brûlant des
papiers. Prenant un gros paquet, qu'il allait aussi jeter au feu: « C'est H un
journal d'une femme de chambre de ma » sœur (2), dit-il, qui était fort
estimable; mais )) tout cela est du rabachage; aufeu! et il s'arrêta, » en disant': Ne
trouvez-vous pas que je suis ici » comme le curé et le barbier de Don
Quichotte, qui brûlent les ouvrages de chevalerie? Je M demande grâce pour
celui-ci, dit l'autre. J'aime » les anecdotes, et je trouverai sans doute
quelque » chose'qui m~interessera.–Je le veux bien, ré» pliqua M. de Marigny. » Et il le lui donna. L~ecriture de ce journal
est fort mauvaise et sans orthographe. On y trouve souvent deux mots ensemble
qui disent à peu près la même chose;
(1) M. Senac de Meilhan, de qui je tiens ce manuscrit M. Sénac de Meilhan,
mort à Vienne en )8o3 obtint, de bonne heure, une place de conseiller au grand Conseil. Il
fut envoyé, comme intendant, dans le pays d'Aunis, dans la Provence, dans le
Hainault, et toutes ces provinces eurent à se louer- de son administration. On
a de lui différens ouvrages sur les mœurs. L'observateur est superficiel, mais
l'écrivain est 'ingénieux et correct.
(~Vote~esnoMf.fMt't.) }
(2) Madame de Pompadour.
( Notc ~M~7'cm!'er édit. )
plusieurs phrases y sont répétées; quelquefois les faitsy sont
intervertis: mais, pour éviter ce désordre, il aurait fallu tout'refondre, ce
qui aurait entièrement changé le caractère de l'ouvrage.
Cependant, on a pris soin de rectifier l'orthographe, la ponctuation et. quelques
noms propres, puis d'ajouter quelques notes explicatives.
On a trouvé quatre lettres jointes au journal, et on n'a pas cru devoir
les supprimer.
Madame de.;Pompadour avait deux femmes de chambre qui étaient femmes de
condition. L'une, madame du Hausset, qui ne changea point de nom l'autre prit
un nom emprunté, et ne se fit pas connaître aux yeux du. public pour ce qu'elle
était. Ce journal paraît être de la première.
Pendant long-temps, les amours de Louis XV furent au moins couverts du
voile du mystère le public, parlait du Parc aux ccr/ mais on n'en Connaissait .aucun détail. Louis XIV, qui d'abord
cacha ses inclinations, finit par leur donner un éclat qui, à quelques égards,
ajoutait au scandale mais ses maîtresses étaient.toutes des femmes de qualité,
faites, parleur naissance, pour être admises à la cour. On ne trouve dans l'histoire
aucun trait qui peigne mieux sur cet objet l'esprit du temps et le caractère du
monarque, que ce propos de madame de Montespan Il ne TK~/Me pas, disait-elle mais il se cro<~ r~e c< ses sujets
et à sa propre grandeur, J'<x~O!r~OM/' maîtresse ~/?~M ~<?//c~?ïe de son royaume.
MÉMOIRES
MADAME DU HAUSSET, FEMME DE CHAMBRE DE MADAME DE POMPADOUR. UNE de mes
amies de couvent, qui s'est mariée avantageusement à Paris, et qui jouit de la
réputation de femme d'esprit, m'a souvent priée d'écrire ce que je savais
journellement; et, pour lui faire plaisir, j'avais fait de petites notes, en
trois Ou quatre lignes chacune, pour me rappeler un jour les faits
intéressans ou singuliers; comme le jR<M assassine'; départ or<7û/?/!<°/~ le Roi à Afa~a/Ke
( i); M. de MacA<x:(~raf, etc. Je promettais toujours à mon amie de mettre tout cela en récit.
Elle me parla des Souvenirs de madame de Caylus (2), qui
(l) It est à observer que madame de Pompadour est presque toujours appelée
Madame dans ce journal, parce qu'elle était la maîtresse de celle qui écrit.
( Note ~tf~7'entter~!<.)
(2) Marthe-Marguertte de Villette, petite-fille d'Artemise d'Aubigné fut
élevée sous les yeux de madame de Maintenon. Un. cœur sensible, un esprit vif
apprirent A mademol-
DE
cependant n'étaient pas encore imprimés, et me pressa tant de faire un
pareil ouvrage que, profitant de quelques momens de loisir, j'ai écrit ceci,
que je compte lui donner, pour y mettre de l'ordre et. du style. J'ai été
long-temps auprès de madame de Pompadour, et ma naissance me faisait traiter
avec un peu de distinction par elle et par des personnes considérables qui me
prirent en affection. J'étais devenue en peu de temps l'amie du docteur Quesnay
( i ) qui venait souvent passer deux ou
selle de Villette à sentir les vers de Racine. Peu d'élèves de
Saiut-Cyr ont été plus brillantes. Le Prologue d'&~Aey fut écrit pour
elle, et Racine lui donna des leçons dont elle était digne. A treize ans,'elle épousa le marquis
de Caylus, menih du dauphin.
Madame de Cayins eut la gloire d'inspirer l<t jolie pièce qui finit par ces vers; (
c'est l'Amour qui parle ) a'Je veux mettre fin à ta peme
o Je te promets un rëgard de Caylus. n
Selon ~b~a/re, un autre obtint ce que l'amour promettait à La farc.
Madame de Cf~7<~ est auteur du charmant livre des Souvenirs.
( Note <~M nouv. ~cht. )
()) Quesnay était un homme rare par son génie, et encore plus rare par la
variété de ses connaissances. Il était né au village,d'Ecquevilly, en t6g/{, Sis d'un
laboureur. Il s'appliqua & la chirurgie, et ensuite exerça cette profession
à Mantes. Le hasard l'ayant fait connaître du duc de VIHeroi, il le suivit à
Paris, en qualité de son chirurgien. La comtesse d'Es-
trois heures avec moi. Il recevait chez lui des personnes de tous les
partis, mais en petit nombre, et qui toutes avaient une grande confiance en
lui. On trades, alors favorite de madame de Pompadour, et amie du comte
d'Argenson, s'étant trouvée un jour subitement incommodée et dans un état
alarmant, le duc deViDeroi, qui était avec elle, offrit le secours de son
chirurgien qu'il avait laissé dans sa voiture. Quesnay reconnut promptement que
la comtesse était sujette à l'épilepsie, et qu'elle en éprouvait en ce moment
une attaque il sentit en même temps l'importance de cacher une maladie aussi
effrayante; et, rassurant le duc de Villeroi, il ordonna quelques caïmans, en
disant que c'était une attaque de nerfs. Il insista sur la nécessité du repos, fit
sortir tout le monde, et resta seul avec la malade pour soustraire à la vue'dés
assistans les symptômes de l'épiiepsie. Ayant repris
connaissance, elle jugea, par la conduite de Quesnay, de son savoir et de sa
discrétion. Elle y fut sensible, et parla de son habileté à madame de
Pompadour. ProStant des moyens de s'instruire qu'on trouve dans la capitale, il
se livra à l'étude de la médecine, fut reçu médecin, et fit quelques ouvrages qui eurent
du succès. Madame de Pompadour le prit pour son médecin elle lui donna~un logement auprès
d'elle, au château de Versailles, et'lui procura la charge de médecin ordinaire
du roi. Quesnay profita de son loisir pour s'appliquer à la métaphysique, et y porta la
sagacité qu'il a montrée dans tous les genres de science qu'il a approfondis.
C'estlui qui composa, peur l'Encyclopédie, l'article Évidence. Né à la
campagne, il avait rénéehi de. bonne heure sur l'agriculture, sur les travaux qu'elle exige, sur
les salaires et )es produits. Long-temps après, ces premières idées uxèrent.de nouveau son
attention, et l'économie politique devint son étude principale. I) composa/surcette matière, un grand ouvrage,
auquel est joint un tableau qui,
y parlait très-hardiment de tout; et ce qui fait leur éloge et le
sien, jamais on n'a rien répète. Madame la comtesse D* venait me voir
aussi; c'était une personne vive et franche et aimée de exige une très-grande
attention pour être compris. Il était généralement reconnu comme chef des
économistes; il fut regardé comme l'inventeur du produit ne~y les économistes t'appelaient ~ma~y~ et disaient, comme
jadis de Pythagore, le maitre l'a dit. La Rivière, intendant de la Martinique,
homme fort instruit, était le premier après lui. Le marquis de Mirabeau, père
de celui qui a tant figuré dans la révolutiun, l'abbé Beaudeau, l'abbé Roubeau,
Turgot, etc., se sont aussi rendus célèbres parmi les économistes. Quesnay, dont
l'esprit avait besoin d'alimens, après avoir approfondi diverses sciences,
s'appliqua à la géométri'e, et y fit quelques progrès, quoiqu'il eût plus de somantc-dix ans. Il mourut en
décembre 1~4, à l'âge de quatre-vingts ans, et le marquis de Mirabeau fit son
oraison funèbre, qui est un chef-d'œuvre d'absurdité et de
ridicule; elle fut prononcée dans une assemblée d'économistes en grand deuil.
Quesnay avait beaucoup de gaieté et de bonhomie il se plaisait, dans la
conversation, à faire des espèces d'apologues, qui avalent en général pour
principes, quelque objet de la campagne. y
Il dissertait avec beaucoup de chaleur sans envie de brillcr. Logé dans un
petit appartement qui tenait de très-près à celui de madame de Pompadour, il y recevait
quelques gens de lettres et quelques personnes de la cour. On y parlait
trèslibrement, mais plus des choses, que des personnes. Le roi l'appelait son
penseur j il lui accorda des lettres de noblesse, et voulant lui-même composer
ses armes, il fit mettre sur l'écusson la fleur appelée pensée.
( Note du premier ~7. )
Madame. Lu famille de Baschi (1) me faisait sa cour. M. de Marigny avait
reçu quelques services de mot, dans les querelles assez fréquentes du frère et' de la sœur-, et il avait pris
de l'amitié pour moi (2). Le roi avait l'habitude de me voir, et un accident
que je rapporterai (5) l'avait,rendu familier avec moi il ne se gênait point
pour parler, quand j'entrais dans la chambre de Madame. Pendant les maladies de
Madame, je ne quittais presque pas sa chambre, et je passais les nuits auprès
d'elle.
Quelquefois, mais rarement, j'ai voyagé dans sa voiture avec le docteur
Quesnay a qui elle ne disait pas quatre paroles, quoique ce fût un homme d'un
grand esprit. Madame, quand j'étais seule avec elle, me parlait de plusieurs
choses qui l'atlectaient, et me disait: Le roi et moi coy~fo/M.or~ ~tt?' T;0:M que nous vous
r~~Y/O/M comme un C/M~ un c/~e/ï, et nous. allons notre ~a:ï pour c<X{Mcr. Il y avait un
petit endroit, près de la chambre de Madame, qui a été depuis changé, où elle
savait que je me tenais quand j'étais, seule, et d'où l'o'n
(i) Le comte de Baschi, chevalier des ordres avait une très-proche parenté, du côté de sa
femme, avec madame de Pompadour qui s'en honorait. Note du oMm/ey. e~Y. )
(a) Voyez, sur le marquis de Marigny, le Précis de la Fie de madame de
~'o/nnaf/OKy en tête de ce volume. ( Note des nouv. e~<- )
(3) Voyez plus bas, à ces mots Un c~ey:e/7:ey~ yM'7;:c~ ~/eMi~/cr,ctc.
entendait ce qui se disait, pour peu qu'on élevât! la voix. Mais
lorsque le roi avait à lui parler particulièrement, ou à quelque ministre, il
passait avec elle dans un cabinet à côté de la chambre, et elle aussi pour ses affaires
secrètes avec les ministres, ou autres personnages importans, tels que le
lieutenant de police, l'intendant des postes etc. Toutes ces circonstances
m'ont mise à portée de savoir beaucoup de choses, et un grand nombre que la
probité ne me permet ni décrire, ni de raconter. J'ai écrit, la
plupart du temps, sans ordre de date, et un fait en précède d'autres qui l'out
précédé.
Madame a eu de l'amitié pour trois ministres': le premier, M. de Machault
(i) à qui elle avait l'obligation d'avoir fait régler son traitement et payer
ses dettes. Elle lui fit donner les sceaux, et il resta le premier dans son
affection jusqu'à l'assassinat du roi. Beaucoup de gens ont prétendu qu'on ne
devait pas imputer à mauvaise intention sa conduite eu cette occasion; qu'il
avait cru devoir obéir au roi, sans rien mettre du sien, et que ses
(1) Jean-Baptiste Machault d'Arnouville, contrôleur-général, depuis
ministre de la marine ensuite garde-des-sceaux se retira le l" février *757. Il avait la
réputation d'honnête homme'et de bon administrateur
(A~e~u~reMMrd~.)
LcPrccisdc.~ Vie de madame de Pompadour renferme, sur ce ministre, des dctaUs qu'on
fera bien de consulter.
(~Vo<e des noMf. cJft. )
manières froides le faisaient souvent soupçonner d'une indifférence qui
n'était pas dans son cœur. Madame le vit sous l'aspect d'un ami inndèle, et il faudrait
entendre les deux. Peut-être sans l'abbé de Bernis M. de Machault serait-il
resté Le second ministre que Madame avait affectionné, est l'abbé de Bernis (i)
elle s'en dégoûta bien vite, lorsque l'abbé parut avoir perdu la tête.
Il en donna une preuve assez singulière, la surveiile de son renvoi. Il
avait prié plusieurs per,sonnes considérables à un nombreux festin qui devait
avoir lieu le même jour qu'il reçut sa lettre d'exil, et il avait mis dans les
billets d'invitation M. le comte de Lusace en sera. C'était le frère de madame
la dauphine, et cette phrase fut avec raison trouvée impertinente. Le roi dit
fort bien à cette occasion Lambert et Afo~erc en seront. Elle ne parla presque
jamais du cardinal depuis son
(i) François-Joachim de Pierre de Bernis fut nommé ministre des affaires
étrangères, en juin t~5y, place dont il se démit en novembre t~58, après avoir reçu
le chapeau de cardinal. Un de ses amis allant pour le complimenter sur cette
nouvelle dignité, mais ignorant qu'il allait être disgracié, M. de Bernis lui
dit, faisant allusion au chapeau C'est un parapluie que le roi a bien voulu me
procurer, pour me <e/
dre co/t~e le 7?!a'M('<!M ~e/MD~
dre contre le inaue,ais temps ( Note du premier )
~o/tz plus bas, page 20~, ta Notice sur le cardinal de Bernis. ( Note des
/!OM(~. eW/t. )
départ de la cour. Il était ridicule mais il était bon homme. Madame Infante
(i) était morte peu de temps auparavant, et, par parenthèse, réunissant tant de
maladies putrides et malignes, que ceux qui l'ensevelirent et des capucins
qu'on fit venir pour la porter, ne pouvaient soutenir l'infection. Ses papiers
n'avaient pas paru plus purs' aux yeux du roi. U vitquel'abbe de Bernis était en
intrigue avec elle, et qu'on l'avait joué pour le chapeau de cardinal qu'elle
avait fait accorder en abusant de son nom. Le roi avait été si indigné, qu'il
pensa lui refuser la barette, et il la lui remit, comme on jette un os à un
chien. M. l'abbé de Bernis avait toujours eu l'air d'un protégé chez Madame.
Elle l'avait vu dans la misère exactement: il n'en fut pas de même de M. de Choiseul; sa
naissance, son ton, ses manières le faisaient considérer, et il avait su
gagner'les bonnes grâces de Madame bien plus que tout autre. El le le regardait
comme un des plus grands seigneurs de la cour le plus grand ministre et l'homme
le plus aimable. M. de Choiseul avait une sœur et une femme qu'il avait
introduites chez Madame et qui l'entretenaieut dans ses bons sentimens pour
lui. Elle ne vit plus que par ses yeux, depuis que ce ministre (t) Marie-Louise-Elisabeth,
fille de Louis XV, née le <4 août i~ay; mariée, en i~Sg, à Philippe, infant
d'Espagne et duc de Parme; morte à Versailles, le 6 décembre 1~50. ( ~Vo~e du premier édit.
fut en place; il savait amuser Madame, et il avait des manières
très-aimables pour les femmes (i). Il y avait deux personnes, le lieutenant de
police et l'intendant des postes qui avaient grande part a la confiance
de Madame; mais ce dernier était devenu moins nécessaire, parce que le roi avait
fait communiquer à M. de Choiseul le secret de la poste, c'est-à-dire l'extrait des
lettres qu'on ouvrait ce que n'avait pas eu M. d'Argcnson malgré toute sa
faveur. J'ai entendu dire que M. de Choiseul en abusait, et racontait à ses
amis les histoires plaisantes, les intrigues amoureuses que contenaient souvent
les lettres qu'on décachetait. La méthode, à ce que j'ai entendu dire, était
fort simple. Six ou sept commis de l'hôtel des postes triaient les lettres
qu'il leur était prescrit de décacheter, et prenaient
l'empreinte du cachet avec
(1) Etienne-François de Stainville, né en i71g. Après avoir été ambassadeur
à Rome et a Vienne, il fut fait ministre des affaires étrangères en 1~58,
en iy5g créé duc et pair, ministre de la guerre le 16 janvier 1761 et de la
marine, la même année. Il conserva les deux derniers emplois, et fit donner la
place de ministre des àffaires étrangères à son cousin, le duc de Praslin. Il
reprit, en iy68,les affaires étrangères, et remit la marine à M. de Praslin. I) fut exilé à sa
terre de Chanteloup, en Touraine, le 24 décembre t~o, et mourut à Paris
en iy85 ( Note ~K premier édit. ) Voyez dans les Morceaux historiques, à la suite des
Mémoires Fartide écrit par M. de Meilhan sur M. le duc de Choiseul. (Lettre
C.) ( ~VnM ~M noKf. édit. )
une boule de mercure; ensuite, on mettait la lettre, du côté du cachet, sur
un gobelet d'eau chaude qui faisait fondre la cire sans rien gâter; on
l'ouvrait, on en faisait l'extrait, et ensuite on la recachetait, au moyen de
l'empreinte. Voilà comme j'ai entendu raconter la chose. L'intendant des postes
apportait les extraits au roi, le dimanche. On le voyait entrer et passer comme
les ministres, pour ce redoutable travail. Le docteur Quesnay, plusieurs fois
devant moi, s'est mis en fureur sur cet ï/7He ministère, comme il l'appelait,
et à tel point, que l'écume lui venait à la bouche. « Je ne dîM nerais pas plus
volontiers avec l'intendant des M postes, qu'avec le bourreau, disait
le docteur. M Il faut convenir que dans l'appartement de la maîtresse du roi, il
est étonnant d'entendre de pareils propos; et cela a duré vingt ans, sans qu'on
en ait parlé. C'était la probité qui parlait avec vivacité, )) disait M. de
Marigny, et non l'humeur ou la malM veillance qui s'exhalait.
M. le duc de Gontaut était beau-frère et ami de M. de Choiseul, et il ne
quittait pas Madame. La sœur de M. de Choiseul, madame de Grammont, et sa
femme étaient également assidues auprès d'elle (i). Qu'on juge d'après cela de
l'ascendant (i) La duchesse de Choiseul née <~C/'<M~), était citée 'comme
le modèle de toutes les vertus. Restée riche, à la mort du due de Choiseul,
elle se retira dans une maison religieuse, et voulut que son revenu fût
consacré tout entier au
de M. de Choiseul, que personne n'aurait osé attaquer. Cependant le hasard
me fit découvrir une correspondance secrète du roi, avec un particulier des
plus obscurs. Cet homme, qui avait un emploi aux fermes générales, de cinq à
six mille livres, était parent d'une demoiselle du Parc aux Cerfs (~), qui l'avait
recommandé aù roi. Il s'était lié aussiavec le comte de Broglie dans qui le roi
se confiait; mais las de voir que sa correspondance ne lui valait point
d'avancement, il prit le parti de m'écrire et de me demander un rendez-vous,
auquel paiement des. dettes de son mari. Le comité révolutionnaire de sa
section lui rendit hommage, en la laissant libre. (Note des nouv. )
(i) Le Parc aux Cerf's était appelé ainsi d'un quartier de Versailles,
fort éloigné. Bien peu de gens connaissaient cette maison; on n'en parlait que
très-vaguement, sans jamais rien spécifier. Aucune aventure, aucun fait ne
transpirait qui pût attirer l'attention. Un commissaire de la marine, nommé
Mercier, qui avait eu part à l'éducation de l'abbé de Bourbon avait plus de connaissances
qu'aucun autre sur cet établisse–ment et voici ce qu'il a dit A un de ses amis «
La maison était de très-peu d'apparence; il n'y avait en général qu'une seule
jeune personne; la femme d'un commis de bureau de la guerre lui tenait
compagnie, jouait avec elle, ou travaillait en tapisserie. Cette dame disait
que c'était sa nièce; elle la menait, pendant les voyages du roi, à la
campagne; quelque-fois on a changé de maison et d& quartier, mais
sans renoncer à l'ancienne maison. » Mercier ajoutait Jamais commerce n'a ~M
moins de publicité, et les ca~!CM/;e/ M'o/M de pelites
maisons OK ils e/!<e/;en/ie/;<~M~/<~ueme/~</e.f~ej/' v Note o~e/M/er e&~7.)
5
je consentis, après en avoir instruit Madame (i). Cet homme me dit, avec un ton de
franchise, après beaucoup de préambules, de politesses et de flatteries pour
moi: '< Pouvez-vous me donner votre parole et celle de madame de l'ompadour, qu'il ne sera
point parlé au roi, par elle, de ce que je vais vous dire ?-Je crois pouvoir
vous assurer, lui dis-je, qu'en demandant cette condition à Madame, si cela
n'est point contraire au service du roi, elle la tiendra. » Il me donna sa
parole que cela n'aurait aucun Inconvénient, et alors je
l'écoutai. Il me montra divers mémoires contre M. de Choiseul, qu'il
consentit a me remettre, et il me révéla plusieurs circonstances relatives aux
secrètes fonctions du comte de Broglie, mais qui portaient plutôt à
conjecturer, qu'à être assuré du rôle qu'il jouait auprès du roi. Enfin il me
montra plusieurs lettres de la main du roi. « Je demande, dit-il, que madame la
Marquise me fasse donner une place
(i ) Le comte de Broglie, frère du maréchal, eut, très-jeune, une mission
importante auprès de l'électeur de Saxe, roi de Pologne. De retour en France,
il rejoignit le corps de réserve que commandait son frère, à l'armée
d'Allemagne. Lieutenant-général en 1~60, il se signala par la défense df Cassel, etc. etc.
Politique éclairé,le comte deBroglicprésenta des plans
nombreux, qui furent presque toujours rejetés, parce qu'ils contrariaient les
vues d'un ministre puissant. Louis XV qui l'aimait l'exila, par faiblesse. Le
comte de Broglie mourut en 1~81.
( Note c~M no!<c. e< )
de receveur-général des finances; je l'instruirai de ce que je manderai au
roi j'écrirai d'après ses instructions, et lui remettrai les réponses. '< Respectant ce qui
venait du roi, je ne me chargeai que des mémoires. Madame m'ayant donné sa
parole, suivant les conventions que j'avais faites, je lui révélai le tout.
Elle remit les mémoires à M. de Choiseul qui les trouva bien malicieusement et
bien habilement écrits. Madame et M. le duc de Choiseul conférèrent long-temps
sur ce qu'il fal7lait répondre à la personne; et voici ce que je fus chargée de dire qu'une place de
receveur-général étaitpourlemomenttrop considérableetferait trop de sensation qu'il fallait se borner à une place de quinze à
vingt mille livres de produit; qu'on ne prétendait point pénétrer dans les
secrets du roi, et que sa correspondance ne devait être communiquée à
personne; qu'il .n~en était pas de même des mémoires qui pouvaient lui être remis, et qu'on
lui saurait gré d'en faire part, pour mettre a portée de parer dès
coups portés dans les ténèbres, et dirigés par la haine et l'imposture. La réponse
était honnête et respectueuse relativement au roi, mais était propre à déjouer
le comte de Broglic, en taisant connaître à M. de Choiseul ses
attaques et les armes dont il se servait. C'était le comte qui lui remettait
des mémoires sur la guerre et la marine, tandis qu'il se réservait les affaires
étrangères, qu'il traitait directement, disait-on. M. de Choiseul fit
recommander au contrôleur-général 5'.
sans paraître, l'homme qui m'avait parlé; il eut Fem' ploi convenu, en
espéra un plus considérable, et me confia la. correspondance du roi, dont je'
lui dis que je ne parlerais pas à Madame, d'après ses intentions. Il envoya
plusieurs mémoires à M. de Choiseul, adressés contre lui au roi; et cette
communication le mit à portée de les réfuter victorieusement. Le roi se
plaisait à avoir de petites correspondances particulières que Madame très
souvent ignorait; mais elle savait qu'il en avait: car, il passait une partie
de sa matinée à écrire à sa famille, au roi d~JEspagne, quelquefois au
cardinal de Tencin (1), à Fabbé de Broglie et aussi à des gens obscurs. C'est
avec des personnes comme cela, me dit -elle un jour, que le roi sans doute
apprend des termes dont je suis toute surprise; par exemple, il m'a dit hier,
en voyant passer un homme qui avait un vieil habit il a là un habit
(1) Ce fut M. de Tencin qui fit abjurer le calvinisme au trop fameux Law il
était aisé de persuader un homme qui devait être ministre, à ce prix, et qui le
fut en effet. Cardinal, en t~Sf), sur la nomination du roi Jacques, Tencin fut
nomme ministre d'État, en i~~ et pensa qu'il allait succéder à toute la
puissance du cardinal de Fleury désabusé plus tard, il se retira dans son
diocèse (il était archevêque de Lyon). De prélat courtisan qu'il avait été,
d'humble serviteur des circonstances, comme on l'appelait à la cour, il devint
un évêque xe)ë, charitable, exemplaire, et mourut en 1~58 regretté des gens
de bien et pleuré des pauvres. ( Note des /:ott~. e~t'f. )
bien e.aM:Me.Il m'a dit une fois, pour dire qu'une chose était
vraisemblable !?~ a gros. C'est un dicton du peuple, à ce que l'on m'a dit, qui est
comme a gros à parler. Je pris la liberté de dire à Madame Mais ne serait-ce
pas plutôt des demoiselles qui lui apprennent ces belles choses? Elle me dit en
riant vous avez raison, il y a gros. Le roi, au reste se servait de ces
expressions avec intention, et en riant (i).
Le roi savait beaucoup d'anecdotes, et il se trouvait assez de gens pour
lui en dire de mortifiantes pour l'amour-propre. Un ~our, il entra à Choisy,
dans une pièce où l'on travaillait à un meuble brodé, pour voir où l'on en
était; et ayant regardé à la fenêtre, il vit, au bout d'une grande allée, deux
hommes, en habit de Choisy. Il dit: [(Qui sont ,ces deux seigneurs? Madame prit
la lorgnette, et dit C'est le duc d'Aumont et *Ah' dit le roi, le
grand-père du duc d'Aumont serait bien étonné, s'il pouvait voir son
petit-fils, bras dessus, bras dessous, avec le petit-fils de son valet de
chambre L* en habit qu'on peut dire à bre(~(2).M Là-dessus, il raconta une
grande histoire à
(t) Les Mémoires de madame Campan rapportent plusieurs de ces expressions
populaires dont Louis XV aimait à se servir, et qu'il employait même pour
désigner les princesses ses filles.
( Note des ~(w. ~t't.)
(a) C'étaient des habits brodés magnifiquement d'or et d'argent sur toutes
les tailles, que Louis XIV donnait a quet-
Madame, qui prouvait la vérité de ce qu'il disait. Le roi sortit pour aller
à la figuerie avec Madame, et bientôt après entra Quesnay ensuite M. de
Marigny. Je parlai avec mépris de quelqu'un qui aimait beaucoup l'argent, et le
docteur s'étant mis à rire, dit « J'ai fait un drôle de rêve, cette nuit;
j'étais, dans le pays des anciens Germains; ma maison était vaste, et j'avais
des tas de Me, des bestiaux, des chevaux en grand nombre, et de grands tonneaux pleins de
cervoise; mais je souffrais d'un rhumatisme, et ne savais comment faire, pour
aller à cinquante lieues de là, à une fontaine dont l'eau me guérirait. Il
fallait passer chez un peuple étranger. Un enchanteur parut, et me dit Je suis
touché de ton embarras tiens, voilà un petit paquet de poudre de prelinpinpin
tous ceux à qui tu en donneras, te logeront, te nourriront, et te feront toutes
sortes de politesses. Je pris la poudre, et je le remerciai bien. Ah! comme
j'aimerais la poudre de prelinpinpin, lui dis-je'j'en voudrais avoir
plein mon armoire. Eh bien! dit le docteur, cette poudre, c'est l'argent que
vous méprisez. Dites-moi, de tous ceux qui viennent ici quel est celui qui fait
le plus d'effet? Je
qucs courtisans, et qui leur procuraient l'avantage d'être d<, tous ses
voyages on en voyait encore (melques-uns, il y a soixante uns. Le roi Louis XV
avait fait faire des habits pour Çhoisy, pour BeDcvue et pour
Fontainel))eau.
(./Vf)/ef/M~e/?);e;'(.v/)
n'en sais rien, lui dis-je. Eh bien !.c~estM. de Montmartel (1),
qui vient, quatre ou cinq fois l'an. Pourquoi est-il si considéré? Parce qu'il
a des coffres pleins de poudre de prelinpinpin. » Il tira quelques louis de sa
poche n Tout ce qui existe est renfermé dans ces petites pièces qui peuvent
vous conduire commodément au bout du monde. Tous les hommes obéissent à ceux
qui ont cette poudre, et s'empressent de les servir. C'est mépriser le bonheur,
la liberté, les jouissances de tout genre, que mépriser l'argent.)' Un cordon bleu
passa sous les fenêtres, et je dis Ce seigneur est bien plus content de son
cordon, que de mille et mille de vos pièces.–Quand je demande au roi
une pension, reprit Quesnay, c~est comme si je lui disais: Donnez-moi un moyen
d'avoirun meilleur dîné, d'avoir unhabitbien chaud, une voiture pourme-garantir de la pluie, et me
transporter sans fatigue. Mais celui qui lui demande ce beau ruban, s'il osait
(t) MM. Pâris étaient quatre frères que la fortune prit, pour ainsi dire,
par la main et qu'elle se plut à combler. Ils étaient fils d'un aubergiste de
Moras (en Dauphiné ). L'a!nc se nommait Antoine, le second, la T~oh~ne, le
troisième, DM~e?7:e~, le dernier, Montmartel. Ils furent employés tous les quatre, avec
plus ou moins d'importance. ~Mb~~Ma~e/qui était banquier de la cour, laissa
d'immense richesses au marquis de Brunoi son fils, dont la vie ne fut qu'un
tissu d'extravagances.
Voyez ~/t~<OHe de MM. Pâris, par Z.Kc/;ef.
(TVnfe des /toK~. e</f/. )
dire ce qu'il pense, dirait J'ai de la vanité, et je voudrais bien, quand
je passe, voir le peuple me regarder d'un ceil bêtement admirateur, se ranger
devant moi; je voudrais bien, quand j'entre dans'une chambre, produire un
effet, et fixer l'attention de gens qui se moqueront peut-être de moi, à mon
départ; je voudrais bien être appelé ~by:ïCMr par la multitude. Tout cela n'est-il
pas du vent ? Ce ruban ne lui servira de rien, dans presque tous les pays; il
ne lui donne aucune puissance: mais mes pièces me donnent partout les moyens
de secourir les malheureux. Vive la toute-puissante poudre de prelinpinpin! A
ces derniers mots, on entendit rire aux éclats dans la pièce d'à-côté, qui
n'était séparée que par une portière. La porte étant ouverte, le roi entra,
avec Madame et M. de Gontaut. Il dit Vive la poudre de prelinpinpin! docteur,
pourriez-vous m'en procurer? x Le roi était rentré, et il lui avait
pris fantaisie d'écouter ce que l'on disait. Madame fit de grandes amitiés au
docteur, et le roi, riant et parlant de la poudre avec éloge sortit. Je m'en
allai, et le docteur aussi. Je me mis à écrire aussitôt cette conversation. On
me dit depuis que M. Quesnay était fort instruit de certaines choses qui ont rapport aux
finances, et qu'il était un grand économiste; mais je ne sais pas trop ce que
c'est (i). Ce qu'il y a de certain c'est qu'il avait
(<) Quesnay mourut six ou sept mois après cc prince, et
beaucoup d'esprit; il était fort gai et fort plaisant, et très-habile
médecin.
On fut long-temps occupé à la cour de la maladie du petit duc de Bourgogne,
dont on vantait beaucoup l'esprit. On cherchait la cause de cette maladie, et
la méchanceté alla jusqu'à faire soupçonner sa nourrice, qui était fort bien
établie à Versailles, de lui avoir communiqué une vilaine maladie. Le roi
montrait à Madame les informations qu'il avait fait prendre, dans sa province,
sur sa conduite. Un sot évêque s'avisa de dire qu'elle avait été fort libertine,
dans sa jeunesse; la pauvre nourrice en fut instruite, et demanda qu'on
le fitexpliquer. L'évêque répondit qu'elle avait été plusieurs fois au bal dans sa
ville, et. qu'elle avait la gorge découverte. C'était, pour ce pauvre homme,
la mortfutpourluil'époqued'ùnegloire qu'iln'avaitni prévue, ni, jusqu'à
certain point, méritée. Il eut cela de commun avec Jansenius, qu'il devint le
patron d'une secte, sans s'en être douté. Les principes économiques qu'il avait
professés, donnèrent naissance à ces raisonneurs agraires qui reçurent ou
s'attribuèrent la dénomination d'économistes. Un grand personnage disait
plaisamment "Je crois toujours entendre nommer des chiens de chasse quand
on parle de ces économistes, Turgot, Baudeau, Roubaud, Mirabeau. Les économistes
ont eu d'aigres adversaires; mais aucun écrivain ne les a traités plus
injurieusement que Z:t<e/. Il présente leur système, comme une manière
philosophique de mourir de faim. Il est bien juste d'ajouter que le même
écrivain avait judicieusement accusé le pain d'être un poison. (Note des noK~.
édit.)
le comble du libertinage. Le roi qui avait été d'abord inquiet, ne put
s'empêcher de dire </Me~e ~e/Le duc, après avoir long-temps donné de
l'inquiétude à la cour, mourut Rien ne fait plus d'effet, chez les princes, que
leurs égaux mourans. Tout le monde en est occupé; mais aussi, dès qu'ils sont
morts, personne n'en parle plus. Le roi parlait souvent de la mort, et aussi
d'enterremens et de cimetières personne n'était né plus mélancolique (l). Madame m'a dit un
jour, qu'il éprouvait une sensation pénible, lorsqu'il était force a rire et
qu'il l'avait souvent priée de finir une histoire plaisante. Il souriait, et
voilà tout. En général, le roi avait les idées les plus tristes sur la plupart
des événemens. Quand il arrivait un nouveau ministre, il disait Il a <~t/c
sa marchandise comme un autre, et promet les plus belles choses du monde, dont
rien n'aura lieu. Il ne CO/Ma~p<M ce pars-ci, il verra. Quand on lui
parlait de projets pour renforcer la marine, il disait « Voilà vingt fois que
j'entends parler de cela. Jamais la France n'aura de marine, je crois. C'est M.
de Marigny qui m'a dit cela.
Je n'ai jamais vu Madame si joyeuse, qu'à la prise de Mahon. Le roi en
était bien aise; mais il ne
(t) Souvré, dit un jour Louis XV au commandeur de ce nom; vous vieillissez, où
voulez-vous qu'on vous entfrre Sire, aux pieds de votre majesté. Cette réponse
rendit le roi triste et rêveur.
( Note t/M no;< e</< ) ~)
pouvait cro/re au mérite de ses courtisans; et il regardait leurs succès
comme l'effet du hasard. Il n'y eut, à ce que l'on m'a dit, que le maréchal de
Saxe qui lui inspira une grande estime. Mais il ne l'avait guère vu dans ses
cabinets, ni figurer comme courtisan. M. d'Argenson chercha querelle a M. de Richelieu après
sa victoire pour son retour à Paris, afin de l'empêcher de venir jouir de son
triomphe. Il voulut rejeter la chose sur Madame qui en était enthousiasmée et
qui ne rappelait que le M~or~M~.
Le chevalier de Montaigu était menin de monseigneur le dauphin, et fort
aimé de lui, à cause de sa grande dévotion. Il tomba malade, et on lui fit une
opération qu'on appelle l'cM~c, et qui consiste à faire une
ouverture entre les côtes, pour faire sortir le pus elle fut faite en apparence
assez heureusement mais le malade empirait et ne pouvait respirer. On ne concevait pas
ce qm pouvait occasioner cet accident et retarder sa guérison. Il mourut
presque entre les bras de monseigneur le dauphin qui allait, tous les jours,
chez lui. La singularité de sa maladie détermina à l'ouvrir, et on trouva, dans
sa poitrine, une partie de la seringue de plomb avec laquelle suivant l'usage
on injectait des décoctions dans la partie qui avait été en suppuration. Le chirurgien ne
s'était point vanté de sa négligence et le malade en fut la victime. Cet
événement fit parler long-temps le roi qui l'a peut-être
raconté trente tbis, suivant sa coutume; mais ce qui fit parler encore
davantage du chevalier Montaigu, c'est une cassette trouvée auprès de son lit,
et qui contenait des haires des cilices et des martinets teints de sang. On
parla beaucoup,un jour, à souper. chez Madame de cette dernière circonstance et
il n'y avait personne parmi les convives qui fût tenté d'imiter le chevalier.
Huit ou dix jours après, on adressa au roi, à Madame, aux Baschi, 1 et au duc d'Ayen
(1), le conte que voici. Personne ne comprenait d'abord à quoi il pouvait se
rapporter ce fut le duc d'Ayen qui le premier, dit « Nous sommes bien bêtes
c'est en moquerie des austérités du chevalier de Montaigu (2)." Cela parut
évident, et doutant plus, qu'on en adressa des copies à monseigneur le dauphin,
à madame la dauphine, à l'abbé de Saint-Cyr, et au duc de la y* Ce dernier
passait pour un faux dévot, et on avait ajouté: ~0!M ne seriez pas assez f~M~e,
mon cher <~MC,~<w
(i) Depuis duc et maréchal de Noailles, mort à sa maison de
Saint-Germaiu-en-Laye en iya3. C'était un homme d'esprit, qui avait beaucoup de
piquant dans sa conversation et surtout dans ses reparties.
(Note du premier e<~t. )
(a) M. le duc d'Ayen était un homme d'esprit, vif et malin dans ses
propos. On montrait à Versailles un automate qui parlait. Duc d'Ayen, lui dit
un jour le roi, venez-votis de voir l'automate?-Sire, répondit-it,/e~or~ de chez M. le
chancelier. C'était M. Lamoignon de Blanc-Mesnil. ( Note des nouv. C~.)
<?/'<?/a~r; mais convenez que 'UOH~ seriez avec plaisir un des bons
moines qui /MC/!C/?jf une si ~'O~CM~f vie. On soupçonna le maréchal de
Richelieu d'avoir fait faire le conte par quelqu'un de ses complaisans. Le roi
en fut fort scandalisé, et donna ordre au lieutenant de police d'en rechercher
l'auteur mais il n'y put parvenir, ou on ne voulut pas le divulguer.
Conte japonais.
A trois lieues de la capitale du Japon, il y a un templecélebreparleconcoursdespersonnes de tout état, et
de l'un et l'autre sexe, qui s'y rendent en foule, pour adorer une idole qui
passe pour fairCt des miracles. Des religieux, au nombre de trois cents, et qui font
preuve d'une noblesse ancienne et illustre, desservent ce temple, et présentent
les offrandes qu'on y apporte, de toutes les provinces de l'empire, à l'idole.
Ils habitent dans un superbe et .vaste bâtiment qui tient au temple, et qui est
environné de jardins où l'art a été joint à la nature, pour en faire un séjour
enchanté. J'obtins la permission de voir le temple, et de me promener dans les
jardins. Un religieux; d'un âge avancé, mais encore plein de vigueur et de
vivacité, m'accompagna. Nous en vîmes plusieurs autres de tout âge qui s'y
promenaient. Mais ce qui me surprit, ce fut d'en voir un grand nombre se livrer
à divers exercices agréables et folâtres, avec de jeunes filles
élégamment vêtues, écouter leurs
chansons, ou danser avec elles. Le religieux qui
m':)ccompagnait,reponditavec bonté aux questions que je lui fis sur son ordre;
et voici exactement ce qu~il me dit, à plusieurs reprises, et à mesure que je
lui faisais des questions. «Le dieu Faraki, que nous adorons, est
ainsi nommé d'un mot qui veut dire /<~r/c~<?!t/ c'est lui qui a
fait tout ce que nous voyons, la terre, les astres, le soleil, etc. Il a donné
à l'homme des sens qui sont autant de sources de plaisir, et nous croyons que
la seule manière de reconnaître ses bienfaits est d'en user. Une telle opinion
vous paraîtra sans doute bien plus conforme à la raison, que celle de ces
fakirs de Ftnde qui passent leur vie à contrarier la nature, et qui se dévouent aux
plus tristes privations et à des son&rances cruelles. Dès que
le soleil paraît, nous nous rendons sur cette montagne que vous voyez, au bas
de laquelle coule e une rivière de l'eau la plus limpide, et qui fait différens circuits
dans cette prairie cmailléc des plus belles fleurs. Nous y cueillons les fleurs les plus
odorantes que nous allons porter sur Fautel avec divers fruits que nous tenons
de la bonté de Faraki. Ensuite nous chantons ses louanges, et nous exécutons
diverses danses qui expriment notre reconnaissance, et toutes les jouissances
que nous devons à ce dieu bienfaisant. La première de toutes est celle que procure
l'amour, et nous exprimons "notre ardeur à profiter
de cet inestimable bienfait de Faraki. Sortis du temple, nous
allons dans divers bosquets, où nous prenons un léger repas; ensuite
chacun s'occupe d'un travail "1 qui n'a rien de pénible; les uns
brodent, d'autres s'appliquent à la peinture, d'autres cultivent des fleurs ou
des arbres fruitiers, d'autres font de petits ouvrages au tour; et les produits
de ces occupations sont vendus au peuple qui les achète avec empressement.
C'est un de nos revenus, et assez considérable. Notre matinée est ainsi
consacrée à l'adoration de Dieu, et l'exercice du sens de la vue, qui commence
avec les premiers rayons du soleil. Le dîner est fait pour satisfaire le goût,
et nous y joignons la jouissance de l'odorat. Les mets les plus savbureux nous
sont servis dans des appartemens jonchés de,fleurs. La table en est ornée, et
les meilleurs vins nous sont présentés dans des coupes de cristal. Quand nous
avons gloriné Dieu, par l'usage agréable du palais et de l'odorat, nous allons
goûter, dans des bosquets d'orangers, de myrthe et de roses, un agréable
sommeil qui dure deux heures. Pleins d'une nouvelle vigueur et de gaieté, nous
retournons à nos occupations, afin d'entremêler le travail au plaisir, dont la
continuité émousserait les sens. Après ce travail, nous retournons au temple
remercier Dieu, et lui offrir de l'encens; delà, nous allons dansia plus agréable
partie du jardin, où se trouvent trois cents jeunes filles, qui forment des
danses vives, avec les plus jeunes de nos religieux, et les autres exécutent
des danses graves, qui n'exigent ni force ni agilité et
dont les pas ne font que répondre, par la cadence, au son des
instrumens. On cause, onr!t, avec ces aimables compagnes, vêtues d'une gaze
légère, et dont les cheveux sont ornés de fleurs; et l'on s'empresse de leur
offrir des sorbets exquis, et différemment préparés. L'heure du souper étant
arrivée, ou se rend dans des appartemens, brillans de l'éclat de mille bougies
préparées avec Pambre. Autour de trois immenses galeries où l'on soupe, sont
distribués des musiciens, dont les divers instrmnens portent la joie dans
l'esprit, et inspirent les plus douces émotions. Les jeunes filles sont assises
à table avec nous, et vers la fin du repas elles chantent des chansons qui sont
des hymnes en l'honneur du Dieu qui nous a accordé ces sens qui répandent tant
de charmes sur la vie et qui contiennent la promesse d'en user avec une ardeur, toujours nouvelle. Le repas
fini, on recommence les danses, et lorsque l'heure du repus est arrivée, on
tire une espèce de loterie, où chacun est sûr d'un lot, qui est une jeune fille
avec laquelle il passe la nuit. On les partage ainsi au hasard, afin d'éviter
la jalousie, et de prévenir les attachemens exclusif. C'est' ainsi que finit la
journée, pour faire place à une nuit de délices, qu'on sanctifie en goûtant le
plus doux des plaisirs, que Faraki a si sagement attaché à la reproduction des
êtres. Nous admirons en cela la sagesse et la bonté de Faraki, qui ayant voulu
assurer I:) population de l'univers, a donné
aux deux sexes un attrait invincible l'un pour l'autre, qui les rapproche
sans cesse. La fécondité e st le but qu'il s'est proposé, et il enivre de
délices ceux qui concourent à ces vues. Que dirait-on du favori d'un roi, à qui il aurait donné une
belle maison, des terres superbes, et qui se plairait à dégrader la maison à la
laisser tomber en ruine et qui abandonnerait la culture des terres
qui, entre ses mains, deviendraient stériles et couvertes de ronces? Telle est
la conduite des fakirs de l'Inde, qui se condamnent aux plus tristes
privations, aux plus cruelles souffrances. N'est-ce pas insulter Faraki, et lui
dire Je méprise vos bienfaits. N'est-ce pas le méconnaître, et dire: Vous êtes
méchant et cruel, et je sais que je ne puis vous plaire, qu'en vous offrant le
spectacle de mes maux. On dit, ajouta-t-il, que vous avez dans vos contrées des
fakirs, non moins fous et'non moins cruels pour eux-mêmes. Je pensai,' avec
raison, qu'il voulait parler des pères de la Trappe. Le récit du religieux me
donna beaucoup a réfléchir, et j'admirais comment la raison pervertie fait
enfanter d'étranges systèmes.
M. le duc de la Val* était un grand seigneur, fort riche. Il dit un jour au souper du roi
« Sa Majesté me fait la grâce de me traiter avec » bonté; je serais
inconsolable d'être dans sa disgrâce: mais si cela m'arrivait, je m'occupe6
rais, pour me distraire, du soin de très-belles H terres que j'ai dans
telle et telle province. u EL là-dessus, il fit la
description de deux ou trois châteaux superbes. Un mois peut-être après, au
sujet de la disgrâce d'un ministre, il dit devant le roi « J'espère que Votre
Majesté me conservera ses bontés; mais si j'avais le malheur de » les perdre,
je serais plus à plaindre qu'un autre; » car je n'ai pas d'asile où reposer ma
tête. Tous ceux qui avaient entendu la description des beaux châteaux, se
regardaient en riant; et le roi dit à Madame qui était à table à côté de lui On
a bien raison de dire qu'il faut <~u~ menteur ait bonne mémoire.
Un événement qui me fit trembler, ainsi que Madame me procura la
familiarité du roi. Au beau milieu de la nuit, Madame entra dans ma chambre,
tout près de la sienne, en chèmise, et se désespérant. « Venez, dit-elle, le
roi se meurt. » On peut juger de mon effroi. Je mis un jupon, et je trouvai le
roi, dans son lit, haletant. Comment faire? c'était une indigestion. Nous lui
jetâmes de l'eau; il revint. Je lui fis avaler des gouttes d'Holfman et il me dit Ne
faisons pas de bruit, allez seulement chez Quesnay,lui dire que c'est votre
maîtresse » qui se trouve mal, et dites à ses gens de ne pas M parler.)'Quesnayétaitlogétoutacôté;il vintaussitôt, et
fut fort étonné de voir le roi ainsi. Il lui tata le pouls et dit « La crise
est finie; mais si le roi avait soixante ans, cela aurait pu être sérieux. ')
il alla chercher chez lui quelque drogue; il revint bientôt après, et se
mit,à inonder le roi, d'eau de senteur. J'ai oublié le remède que lui fit
prendre le docteur Quesnay; mais l'effet en fut merveilleux: il me semble que
c'étaient des gouttes du général La Motte. Je réveillai une fille de
garde-robe, pour faire du thé, comme pour moi; le roi en prit trois tasses, mit
sa robe-de-chambre, ses bas, et gagna son appartement, appuyé sur le docteur.
Quel spectacle, que de nous voir tous les trois a moitié nus Madame
passa le plutôt possible une robe, ainsi que moi, et le roi se changea, dans
ses rideaux, fermés très-décemment. Il causa sur sa courte maladie, et témoigna
beaucoup de sensibilité pour les soins qu'on lui avait rendus. Plus d'une heure
après, j'éprouvais encore la plus grande terreur, en songeant que le roi
pouvait mourir au milieu de nous. Heureusement il revint tout de suite à lui,
et personne ne s'aperçut, dans le domestique, de ce qui était arrivé. Je dis
seulement à la fille de garde-robe de tout remettre en état, et elle crut que
Madame avait été malade. Le roi, le lendemain, remit secrètement à Quesnay, un
petit billet pour Madame, où il disait jMa chère amie doit avoir eugraizdpeur;
mais ~MW/e ~e tranquillise;je me ~o/ bien, et le </octeur vous le ccy~g/ Le
roi, depuis ce moment, s'habitua à moi; et touché de l'attachement que je lui
avais témoigné, il me faisait souvent des mines gracieuses, à sa manière, et de
petits présens; et
6*
toujours au jour de l'an, il me donnait pour vingt louis environ de
porcelaines. 11 me voyait dans l'appartement, disait-il à Madame, comme on y voit un
tableau, ou une statue muette, et ne se gênait pas pour moi. Combien de fois
nous avons dit, Madame et moi « Mais s'il fût mort, quel embar» ras! quel
scandale! Nous nous étions au reste, mises en règle, à tout événement, en
avertissant Quesnay; car, dit Madame, il n'est pas seulement mon médecin il est
encore premier médecin ordinaire du roi. C'est la seconde place de sa faculté." /) Il eut mille écus
de pension, pour ses soins et son silence, et la promesse d'une place, pour son
fils. Le roi me donna un acquit-patent sur le trésor royal, de quatre mille
francs, et Madame eut une très-belle pendule, et son portrait, dans une
tabatière.
Le roi était fort triste habituellement, et aimait toutes les choses qui
rappelaient l'idée de la mort, en la craignant cependant beaucoup. En voici un
exemple. Madame se rendant à Crécy, un écuyer du roi fit signe à son cocher
d'arrêter, et lui dit que la voiture du roi était cassée, et que sachant qu'elle
notait pas loin, il l'envoyait prier de l'attendre. II arriva bientôt après, se
mit dans la voiture de Madame,. où étaient, je crois, madame de Château-Renaud et madame de
Mirepoix (i). Les
(l) Madame la maréchale de Mirepoix mourut à Bruxelles en lygt très-âgée, mais conservant
son esprit et sa gaieté
seigneurs qui suivaient s~arrangërent dans d'autres voitures; j'étais
derrière, dans une chaise à deux, avec Gourbillon, valet de chambre de Madame,
et nous fûmes étonnés quand, peu de temps après, le roi fit arrêter la voiture celles qui
suivaient, s'arrêtèrent aussi. Le roi appela un écuyer, et lui dit: « Vous
voyez bien cette petite hauteur; il y a des croix, et c'est certainement un
cimetière; )' allez-y, et voyez s'il y a quelque fosse nouvelle» ment
faite. L~écuyer galopa, et s'y rendit; ensuite il revint dire au roi « II y en a
trois toutes » fraîchement faites. Madame, à ce qu'elle m'a dit, détourna la tête avec
horreur à ce récit, et la petite maréchale dit gaiement vérité, e'c~ ./N'/re
venir l'eau à la bouche. Madame, le soir, en se déshabillant, nous en parla.
Quel singulier plaisir, dit-elle, que de s'occuper de choses dont on devrait
éloigner ridée surtout quand on mène une vie aussi heureuse! mais le roi est comme
cela: il aime à parler de mort, et il a dit, il y a quelques jours, à M. de
Fontanieu à qui il a pris, à sou le-
jusqu'à la fin, Le jour de sa mort, après avoir été administrée, le médecin
lui dit qu'il trouvait beaucoup d'amélioration dans son état; elle. répondit
«Vous m'annoncez une fâcheuse nouvelle; ayant fait mes
paquets, j'aimerais mieux partir La maréchale de Mirepoix était sœur du prince
de Beauveau. Voici ce qu'en dit le prince de Ligne, dans une de ses lettres
imprimées « Elle avait cet esprit enchanteur qui fournit de quoi ptaire à o chacun. Vous
auriez juré qu'elle n'avait pensé qu'à vous.toute sa vie. a (Note des now. M&<. ) 1
ver, un saignement de nez '< Prenez-y garde, à » votre âge, c'est
un avant-coureur d'apoplexie. Le pauvre homme est .retourné chez lui tout
effraye et fort malade (i).
Jamais je n'ai vu le roi si troublé, que lors de la maladie de monseigneur
le dauphin~(a). Les médecins étaient sans cesse chez Madame, où le roi les
interrogeait. Il y en avait un de Paris, fort original, appelé Pousse, qui lui,
dit une fois « Vous êtes un bon papa; cela me fait plaisir. Mais vous savez que
nous sommes tous vos enfans, et nous partageons votre chagrin; au reste, ayez
bon courage, votre fils vous sera rendu (3)." Tout le monde
regardait M. le duc d~Orléans qui était
(i) Pierre Elisabeth Fontanieu remplaça son père dans l'emploi de
contrôleur des meubles de la couronne. En 1778, il publia l'art <~e/a;7'e
des cristaux co/oy~~ imitant les pierres précieuses. Il a laissé manuscrite une oeuvre
plus utile, sur ler couleurs e/t émail.
Fontanieu mourut en i?8~. No te des n o u v. é(.it.
( ~Vofc des nouv. e~. )
(2) En 1~52.
(3) C'était un homme éclairé, franc, mais grossier et sans usage. Au mois
d'août, 1~62 il fut appelé pour M. le dauphin attaqué de la petite vérole. Madame
la dauphine passait les jours et les nuits au chevet de son époux. Pousse qui
ne connaissait pas la cour, prit la princesse pour une mercenaireParbleu! dit-H, voilà la meilleure garde
que j'aie vue! comment vous appelle-t-on, ma bonne? Jamais peut-être on n'a
mieux fait l'éloge de la tendresse conjugale.
( Note des /!OMC. e<7. )
bien embarrassé de sa contenance. 11 serait devenu l'héritier de la
couronne la reine étant hors d'âge d'avoir des enfans. Madame de* me dit, un
jour que je lui témoignais ma surprise, de la grande douleur du roi It serait au
désespoir, d'avoir pour successeur désigné, un prince du sang. Il ne les aime
pas, et les regarde si loin de lui, qu'il en serait humilié. u Effectivement
quand son fils fut. rétabli, il dit: « Le roi d'Espagne aurait eu.beau jeu.)' En cela, l'on
prétend qu'il avait raison, et que c'était la justice; mais, que si le duc
d'Orléans avait eu un parti, il aurait pu prétendre à la couronne. C'est pour
effacer cette idée, qu'il donna, à SaintCloud, une fête superbe, quand le
dauphin fut toutà-fait rétabli. Madame dit à madame de Brancas, en parlant de
cette fête « Il veut faire oublier les » châteaux en Espagne qu'il a faits mais
en Espagne, ils en faisaient de plus solides." Le peuple ne
témoigna pas autant de joie, du rétablissement du dauphin. Il lejregardait comme un dévot qui
ne faisait que chanter des psaumes; et il aimait le duc d'Orléans, qui vivait
au milieu de la capitale, et qu'on appelait roi de Paris. C'était une injustice
que ces sentimens; et le dauphin n'avait chanté des psaumes que pour imiter la
voix d'un chantre de la chapelle. Le peuple ne tarda pas à revenir de son
erreur, et rendit justice à sa vertu () ). Le duc
(t) M. de Mcilhan a donné, dans un de ses ouvrages des détails curieux et
fort honorables sur l'esprit et le caractère
d'Orléans était le plus assidu courtisan de Madame pour la duchesse, elle
la détestait. Il peut se faire qu'on lui prêtât des mots auxquels la duchesse
n'avait jamais songé; souvent, elle en disait qui étaient sanglans. Le roi
l'aurait exilée, s'il avait suivi ce que lui dictait son ressentiment mais il
craignait l'éclat, et elle n'en serait devenue que plus méchante. Le duc
d'Orléans était, dans ce temps, d'une jalousie extrême envers le comte de Melfort;
et le lieutenant de police ayant dit au roi qu'il avait de fortes raisons de
croire que le duc était déterminé à tout, pour se défaire de cet amoureux, et
qu'il croyait devoir le prévenir, pour être sur ses gardes, le roi dit c Il n'oserait, mais
il y a quelque chose de mieux qu'il la fasse surprendre, et il me trouvera
disposé à faire enfermer sa maudite femme. Mais quand il se serait défait de
cet amant, il y en aura demain un autre, et même en ce moment, elle en a
d'autres, tels que le chevalier Colbert et le comte de l'Aigle. » Cependant,
Madame me dit que ces deux derniers n'étaient point avérés.
Il arriva en ce temps une aventure dont le-lieutenant de police rendit
compte au roi. La duchesse
de M. le dauphin, fils de Louis XV, et père de Louis XVI, du feu roi Louis
XVIII, et de S. M. Charles X. On trouvera ces détails dans les morceaux
historiques ainsi qu'une anecdote piquante sur la méchanceté des personnes dont
madame la dauphine était entourée.
( Note des nouv. édit.)
d~Orléanss~était amusée, un jour, à agacer au PalaisRoyal, à huit heures du soir, un
jeune Hollandais qu'elle avait trouvé joli. Le jeune homme voulut aller vite en
besogne, la prenant pour une fille, et elle en fut très-choquée. Elle appela un
suisse, et se fit connaître. On arrêta Fétranger qui s'excusa, en
disant qu'elle l'avait attaqué de propos trèslibres. Il fut relâché, et le duc
d'Orléans fit une sévère réprimande à sa femme.
'Le roi dit un jour à Madame devant moi, (car il ne se gênait pas pour
parler d'elle, tant il la haïssait) M Sa mère la connaissait bien; car
avant son » mariage, elle ne permettait pas qu'elle dît autre c chose que oui
et /!0/Savex-vous la plaisanterie » qu'elle a faite sur la nomination de Moras~ elle lui a envoyé faire son
compliment, et deux miM nutes après, elle a rappelé celui quelle
envoyait, )_' en disant, devant tout le monde ~a/ de lui parler, </<?ma/z au
suisse S'il- est encore en H place. )) Madame n'était pas
haineuse, et malgré les pro-' pos de madame la duchesse d'Orléans, elle
cherchait à excuser ses torts en conduite, et disait <f Le plus grand
nombre des femmes ont des a m'ans; M et elle n'a pas tous ceux qu'on lui prête mais ses ~)
manières libres et ses discours, qui n~ont point n de mesure, la
décrient dans toute la France. Ma camarade est venue toute enchantée,
il y a quelques jours, dans ma chambre, à la ville. Elle avait été chez M.
de Chenevières, premier commis
de la guerre, qui est en grande correspondance avec Voltaire, qu'elle
regarde comme un Dieu (i); par parenthèse, elle fut indignée, ces jours-ci, en
entendant un marchand d'estampes qui criait Voilà ~b~Hrc, Ce/N~HCM.2:M.M~ le UO~'M-'UOM.ya~C
son gros ~o~n~~f peau f~OMr~~ pour ~'e~o:<M ~/ro!d' sixsols le
fameux Prussien. Quelle profanation, disait-elle Je reviens à mon histoire. M.
de Chenevières lui avait montré des lettres de Voltaire, et M. Marmontel avait
lu une épître à sa bibliothèque (2).
M. Quesnay entra pour un petit moment; elle lui répéta tout cela;
et comme il n'avait pas l'air d'y prendre beaucoup de part, elle lui a demandé
s'il n'admirait pas les grands poëtes ? Comme de grands joueurs de bilboquet,
a-t-il répondu, avec ce ton qui rend plaisant tout ce qu'il dit. J'ai cependant
fait des vers, dit-il, et je vais vous en dire, c'est sur un M.Rodot, intendant de
la marine, qui se plaisait à dire du mal de la médecine et des médecins je ns
ces vers pour venger Esculape et Hippocrate.
(i) C'était un homme aimable et de bonne compagnie qui ue manquait pas
d'esprit. Il a fait imprimer, en ty6~, un recueil de poésies médiocres,
sous le titre de loisirs de M. f/e Ch
( Note des nouv. édit.)
(2) Elle est intitulée J~')!'<e à mes livres. Elle
obtint le prix à l'Académie française.
(~Vo<e~ttD!'eM~re~.)
Qu'en dites-vous, dit le docteur? Ma camarade les trouva très-jolis, et le
docteur me les donna, de sa main, en me priant de ne pas en laisser prendre des
copies.
Madame plaisantait ma camarade, sur son bel esprit; mais elle avait de la
confiance en elle quelquefois. Sachant qu'elle écrivait souvent, Madame lui
disait « Vous faites quelque roman qui paraîtra un jour, ou bien Je siècle de
Louis XV. Je me recommande à vous. » Je n'ai point à me plaindre d'elle. II m'importe. peu
qu'elle parle mieux que moi, de prose et de vers.-Elle ne m'a pas dit son
véritable nom; mais un jour, je lui fis cette malice '< Quetqu~un,IuI dis-je, soutènait
hier que la famille'de madame de Mar* était plus considérée que celle de
beaucoup de gentilshommes. EUe tient, dit-on le premier rang à Cadix elle a des
alliances très-honorables; et cependant elle n~a pas cru s'avilir, en étant
gouvernante chez Madame. Vous verrez un jour ses enfans ou ses neveux,
fermiers-généraux, et donner leurs nUes à des ducs. »
Antoine se médicina
En décriant la médecine,
Et de ses propres mains mina Les fondemens de sa machine; Très-rarement il
opina
Sans humeur bizarre ou chagrine Et l'esprit qui le domina
Etait amché sur sa mine.
J'avais remarqué que Madame, depuis plusieurs jours, se faisait servir du chocolat à
triple vanille et ambré, à son déjeuné; qu'elle mangeait des truffes et des
potages au céleri la trouvant fort échauffée, je lui fis un jour des
représentations sur son régime, qu'elle eut l'air de ne pas écouter. Alors, je crus en
devoir parler à son amie la duchesse de Brancas (1). « Je m'en suis aperçue, me
dit-elle, et je vais lui en parier devant vous. Effectivement après sa toilette,
madame de Brancas lui fit part de ses craintes, pour sa santé. Je viens de m'en
entretenir avec elle (en me montrant), dit la duchesse, et elle est de mon
avis. Madame témoigna un peu d'humeur, et puis se mit à fondre en larmes.
J'allai aussitôt faire fermer la porte, et révins écouter. Ma chère amie, dit
Madame à madame de Brancas je suis troublée de la crainte de perdre le cœur de
roi, en cessant de lui être agréable. Les hommes mettent, comme vous pouvez le
savoir, beaucoup de prix à certaines choses et j'ai le malheur d'être d'un
tempérament trèsfroid. J'ai imaginé de. prendre un régime un peu échauffant,
pour réparer ce défaut, et depuis deux jours, cet élixir, dit-elle, me fait
assez de bien, ou du moins, j'ai cru m'en apercevoir. ') La duchesse de Brancas
prit la drogue qui était sur la toilette,
(i) La duchesse de Brancas était dame d'honneur de madame la dauphine, et
avait vécu dans l'intimité de madame de Pompadour.
et après l'avoir sentie Fi! dit-elle, et elle la jeta dans la cheminée.
Madame la gronda, et dit Je n'aime pas être traitée comme un enfant; M elle pleura encore,
et dit « Vous ne savez pas ce qui m'est arrivé, il y a huit jours. Le roi, sous
prétexte qu'U faisait chaud, s'est mis sur mon canapé, et y a passé la moitié de la
nuit. Il se dégoûtera de moi, et en prendra une autre. -Vous ne l'éviterez pas,
répondit la duchesse, en suivant votre régime, et ce régime vous tuera; rendez
au roi votre société précieuse de plus en plus, par votre douceur; ne le
repoussez pas dans d'autres momens et laissez faire le tem'ps; tes chaînes de l'habitude vous
l'.attacheront pour toujours. u Ces dames s'embrassèrent. Madame
recommanda le secret à madame de Brancas et le régime fut abandonné. Peu de
temps après, elle me dit f< Le maître est plus content de'moi; et c'est depuis
que j'ai parlé à Quesnay, sans lui tout dire. Il m'a dit que, pour avoir ce que
je désire il fallait avoir soin de se bien porter, et tâchèr de bien digérer,
et faire de l'exercice pour y parvenir. Je crois que le docteur a raison et je
me sens tout autre. J'adore cet homme-là (le roi) je voudrais lui é!re agréable.
Mais hélas quelquefois il me trouve une macreuse (1) je sacrifierais ma vie
pour lui plaire. ')
Un jour, le maître entra tout échauRé.Je me re-
(<) Oiseau aquatique que l'on dit avoir le sang froid.
tirai mais j'écoutai dans mon poste. '< Qu'avez–vous, lui dit Madame?
Ces grandes robes et le c)ergé répondit-il, sont toujours aux couteaux tirés;
ils me désolent par leurs querelles. Maïs je déteste bien plus les grandes
robes. Mon clergé, au fond, m'est attaché et fidèle les autres voudraient me
mettre en tutelle.-La fermeté, lui dit Madame, peut seule les réduire.–Robert de Saint-Vincent
(1) est un boute-feu que je voudrais pouvoir exiler; mais ce sera un train
terrible. D'un autre côté, l'archevêque est une tête de
fer qui cherche querelle. Heureusement qu'il y en a quelques-uns dans le
parlement sur qui je puis compter, et qui font semblant d'être bien méchans
mais qui savent se radoucir propos.Il m'en coûte pour cela quelques abbayes,
quelques pensions secrètes. Il y a un certain V* qui me sert assez bien tout en
paraissant un enragé.– J'en sais des nouvelles Sire, dit Madame. Il m'a écrit hier,
prétendant avoir avec moi une parenté, etil m'a demandé un rendezvous.-Eh bien
dit le maître, voyez-le et laissez-le venir; ce sera un prétexte pour lui
accorder quelque chose, s'il se conduit bien. » M. de Gontaut entra, et voyant qu'on
parlait sérieusement, ne dit rien. Le roi se promenait agité; puis, tout d'un
coup, il dit « Le régent a eu bien tort de leur rendre le droit de faire des
remontrances ils finiront par perdre l'État. Ah Sire, dit M. de Gontaut, il est
bien
(i) Conseiller an padnment, et grand janséniste.
fort, pour que de petits robms puissent l'ébranler
<( Vous ne savez pas ce qu'ils font et ce qu'ils pen» sent, reprit le
roi c'est une assemblée de repu M blicains en voilà au reste assez;
les choses M comme eues sont, dureront autant que moi. Causez-en un peu, Madame, dimanche,
avec » M. Berrier. » Madame d'Amblimont et madame d'Esparbès entrèrent «
Ah voi)à mes petits chats, dit Madame.Tout ce qui nous occupe est du grec pour
elles; mais leur gaieté me rend le calme et me permet de reprendre ensuite les
choses sérieuses. Vous avez la chasse, Sire, qui vous distrait, et elles
m'en tiennentIieu."Leroi se mit alors à parler de )a chasse de la
journée, etdeLansmatte (1). Il fallait laisser parler le roi sur ces objets, et
quelquefois entendre trois ou quatre fois la même histoire, suivant qu'il
arrivait d'autres personnes. Jamais Madame ne témoignait d'ennui; e]ie t'engageait même quelquefois à
recommencer. Un jour, je dis à Madame «H me semble que Madame a un
redoublement d'amitié pour madame la comtesse d'AmMimont.–I! est bien fondé, me
dit-elle. C'est une personne unique peut-être, par sa fidélité a ses amis et par
son honnêteté. Ecoute, et n'en parle à qui que ce soit: il y a quatre jours
(t) Voy. les Mémoires de madame Campan, tom. III p. a~On raconte sur
Lansmatte, écuyer du roi, plusieurs traits d'une brusquerie originale et
piquante.
( Note des /:oK~. e</< )
que, passant pour aller à table, le roi s'est approché d'elle, en faisant
semblant de la chatouiller, et il lui a voulu remettre une petite lettre.
D'Amblimont, faisant la folle, a mis aussitôt ses deux mains derrière son dos,
et le roi a été obligé de ramasser le billet qui était tombé à terre. Gontaut a
vu seul tout cela, et, après soupé, s'étant approché de la petite dame, lui a
dit Vous êtes une bonne amie. –J'ai fait ce que je devais; et à ces mots, elle a mis
son doigt sur sa bouche, pour lui recommander le silence. Il m'a fait part
sur-le-champ de ce trait d'amitié de la petite héroïne qui ne m'en a pas parlé, u J'admirais la
vertu de la petite comtesse, et Madame me dit « Elle est étourdie,
/n<r/Mbrelu, mais elle a plus d'esprit et d'ame, que les prudes et les
dévotes. D'Esparbès n'en ferait pas autant; peut-être elle irait au-devant. Le
maître a paru déconcerté, mais il lui fait toujours des agaceries.Madame, sans
doute, lui dis-je, reconnaîtra une action aussi belle. -N'en doutez pas,
dit-elle; mais je ne veux pas qu'elle croie que j'en suis instruite. Le maître,
soit par une suite de son goût, soit par la suggestion de Madame, entra, un
matin à Choisy, je crois, chez madame d'Amblimont, etlui passa lui-même au cou un collier
d'émeraudes et de diamans, de soixante mille livres. Cela vint bien long-temps
après ce que j'ai raconté. Il y avait une grande ottomane dans une petite
pièce, auprès de la chambre de Madame, où je me tenais souvent. Un soir, vers
minuit, il entra
une chauve-souris dans l'appartement où tout le monde était. Aussitôt le
roi dit: n Où est Je général Crillon? (H était sorti pour le moment. ) C'est le
général contreles chauve-souris, dit-il. Cela donna lieu à répéter, <?:t ~a~ Crillon? et
aussitôt il entra, et on lui dit que l'ennemi était là. Il se mit en veste,
l'épée à la main, et poursuivit la chauvesouris, qui entra dans le cabinet où
j'étais profondément endormie. Je m'éveillai en sursaut, au bruit; et je vis le
roi près de moi, et toute sa société. Je santai vite en bas de l'ottomane, et
ce fut l'amusement de toute la soirée.
M. de Crillon était un très-brave homme, trèsaimable, mais il avait le tort
de se livrer à faire des facéties, qui partaient plutôt de sa gaieté naturelle,
que de bassesse de caractère. Il n'en était pas de même d'un très-grand
seigneur, chevalier de ]a Toison-d'or, que Madame aperçut un jour, donnant et
serrant la main à Gourbillon, son valet de chambre. Comme c'était t'homme de la cour le plus
vain, Madame ne put s'empêcher de le dire au roi, et comme il n'avait ni charge
ni emploi à la cour, le roi, depuis ce moment, ne le nommait presque jamais
pour souper.
J'avais une parente à Saint-Cyr, qui se maria. Elle était au désespoir
d'avoir une de ses parentes femme de chambre de Madame, et souvent elle me
faisait des scènes très-mortinantes pour moi. Madame le sut par Colin (1) son intendant, et elle en (i) Colin était un
procureur au Châtelet, qui fut mis la 7
parla au roi. Je ne m'en étonne pas, dit-il, voilà ) comme sont les
bégueules de Saint-Cyr. Madame )' de Maintenon s~est bien trompée avec d'excellentes intentions. Ces
filles sont élevées de ma). nière qu'il faudrait de toutes en faire des dames
». du palais, sans quoi elles sont malheureuses et ), impertinentes. x Quelque temps après, cette
pa-
rente se trouva chez moi, avec Colin, qui la connaissait sans en être
connu. Il se mit à dire Savez-vous que le prince de Chimay a fait une scène au
chevalier d'Henin, de ce qu'il est écuyer de madame la marquise? )) Ma
parente, a ces mots, ouvrit de grands yeux, et dit « N'a-t-il pas rai)) son? Je
n'entre pas là dedans, dit Colin, mais voici ce qu'il a dit Si vous n'étiez
qu'un simple gentilhomme, et pauvre, je ne blâmerais pas cela, et il s'en
trouvera cinq cents pour se disputer la place., comme des demoiselles pour être
auprès de votre maîtresse mais songez que vos parens sont princes de l'empire, et que vous
portez leur nom. Quoi! Monsieur, dit ma parente, l'écuyer de madame la marquise est
d'une maison de prince? De la maison de Chimay, dit-Il, i et ils prennent le
nom d'Alsace, témoin le cardinal de ce nom. )) Colin sortit, enchanté de ce qu'il
avait dit. Je ne reviens point, me dit ma patête des affaires de la favorite,
et qu'elle fit décorer de la croix de Saint-Louis, par une charge dans l'ordre.
(Note des /;ow. édit.)
rente, de ce que je viens d'entendre. Cela est cependant
bien vrai, ma cousine, lui dis-je vous pouvez voir le chevalier d'Henin ( c'est
le nom de la maison des princes de Chimay) porter le mantelet de Madame sur son
bras, et suivre à pied sa) chaise auprès de la portière, pour lui mettre son
mantelet sur les épaules, en sortant de sa chaise, et ensuite attendre dans
l'antichambre, sa sortie, s'il n'y a pas d'autre pièce. ') Depuis ce temps ma
cousine me laissa tranquille, et même eut recours à moi pour faire donner une
compagnie de cavalerie. à son mari, qui eut bien de la peine à venir me
remercier. Sa femme voulait qu'il remerciât Madame, mais la crainte qu'elle ne
lui dît que c'était à la considération de sa cousine la femme de chambre, qu'il
commandait une cinquantaine de chevaux, l'en empêcha. C'était au reste une
chose bien surprenante, qu'un homme de la maison de Chimay fût au service de
quelque dame que ce fût; et le commandeur d'Alsace revint de Malte exprès pour le
faire sortir de chez Madame. Il lui fit assigner cent louis de pension par sa
famille, et Madame lui fit accorder une compagnie de cavalerie (i). Le
chevalier d'Henin avait été page du maréchal de Luxembourg, et l'on ne conçoit
pas qu'il ait ainsi placé un homme qui était véritabte-
(i) On ne peut croire à cette histoire de M. d'Henin. (Note des /!OM~. édit.)
7'
ment son parent; parce que, presque toutes les grandes maisons se tiennent,
M. de Machault, garde-des-sceaux, avait dans le même temps un écuyer chevalier
de Saint-Louis et gentilhomme le chevalier de Puibusc, qui portait son portesfeuille, et marchait à côté
de sa chaise.
Soit ambition, soit tendresse, Madame avait pour sa fille (i).une acception
qui paraissait venir du plus profond de son cœur. Elle était élevée en
princesse, et on ne l'appelait, comme les personnes de cette élévation, que par
son nom de baptême. Les plus grands delacour songeaient à cette alliance; mais
Madame avait un projet qui était peut-être fort sensé. Le roi avait eu de
madame de Vintimille un fils qui lui ressemblait, et ,de figure, et de gestes
et de manières il s'appelait le comte du Madame le fit venir à Bellevue, et ce
fut Colin, son intendant, qui fut chargé de trouver quelque moyen pour engager
son gouverneur à l'y conduire. Ils goûtèrent chez le suisse; et Madame; se
promenant, eut l'air de les trouver par hasard. Elle demanda le nom de
l'enfant, et admira sa beauté. Sa fille arriva au même instant; et Madame les
conduisit dans une figuerie où elle savait que le roi devait venir, Il s'y
rendit, et demanda
(<) Fille de madame de Pompadour et de M. d'Étioles, son mari elle se nommait
Alexandrine.
(~Vo/c<7uM'ewM/'e~.)
quel était le nom de Tentant. On le lui dit, et le roi l'entendant eut
l'air embarrassé, et Madame dit, le montrant ainsi que sa fille « Ce serait un
beau couple. » Le roi s'amusa avec la demoiselle, sans avoir l'air de faire
attention au garçon qui, mangeant des figues et de la brioche qu'on avait
apportées de chez le suisse, eut des attitudes, et fit des gestes si semblables
à ceux du roi, que Madame en resta dans une surprise extrême. Ah ditelle, Sire
voyez. Eh quoi, dit-il? –Rien dit Madame, si ce n'est qu'on croit voir son
père. -Je ne savais pas, dit en souriant le roi, que vous connaissiez le
comte du L** si particulièrement. Vous devriez l'embrasser, dit-elle, car il est
fort joli. -Je commencerai donc par la demoiselle ,H dit le roi, et il les
embrassa très-froidement et avec un air contraint. J'étais présente; ayant
joint la gouvernante de Mademoiselle, je dis le soir à Madame, que le maître
n'avait pas paru fort vif dans ses embrassemens. «Il est comme cela, dit-elle;
mais n'est-ce pas que ces deux enfans ont l'air faits l'un pour Pautre? SI c~était Louis XIV, il
ferait du jeune enfant un duc du Maine je n'en demande pas tant une charge et
un brevet de duc pour son fils c'est bien peu, et c'est à cause que c'est son
fils que je le préfère, ma bonne, à tous les petits ducs de la cour. Mes petits;enfans
participeraient en ressemblance au grand-père et à la grand~mère, et ce mélange, que
j'ai l'espoir de voir, ferait mon bonheur un jour. )) Les larmes lui
vinrent aux yeux en disant ces paroles. Hélas hélas six mois s'écoutèrent, et sa fille
chérie, l'espoir de ses vieux jours l'objet des vœux les plus grands, mourut
presque subitement. Madame en fut inconsolable, et je dois cette justice à M.
de Marigni, qu'il en eut la plus vive douleur. La demoiselle était belle comme
un ange appelée à la plus haute fortune, et j'ai toujours pensé qu'il avait le
projet d'épouser sa nièce. Un brevet de duc lui aurait donné le rang, et cela,
joint à sa charge et aux richesses de sa mère en aurait fait un grand seigneur.
L'âge n'était pas assez distant pour faire un grand obstacle. On ne manqua pas
de dire que la jeune personne avait été empoisonnée, mais les morts imprévues de personnes qui
fixent l'attention publique font toujours naître ces bruits. Le roi marqua de
la sensibilité, mais plus au chagrin de Madame, que pour la perte en elle-même, quoique! eût bien des
fois caressé cet enfant et l'eût comblé de présens. Je dois encore la justice, de
dire que M. Marigni, héritier de toute la forlune de Madame, depuis cette mort,
était désolé toutes les fois qu'elle était sérieusement malade. Madame
commença, bientôtaprès, à faire des projets pour l'établissement de son frère. Il fut
question de demoiselles de la plus haute naissance, et peutêtre l'eût-on
fait duc; mais il avait une manière de penser qui l'étoignait du mariage et de
l'ambition. Dix fois il aurait pu être ministre, et n'y pensa jamais. <' C'est un homme, me
disait un jour Quesnay,
bien peu connu; personne ne parle de son esprit et de ses connaissances,
ni'de ce qu'il fait pour l'avancement des arts; aucun depuis'Colbert, n'a fait
autant dans sa place; il est d'ailleurs fort honnête homme, mais on ne veut le
voir que comme le frère de la fav orite et parce qu'il est gros, on le croit
lourd et épais d'esprit. Ce qu'il disait était très-vrai. M. de Marigni avait
voyagé avec d'habiles artistes en Italie, et avait acquis du goût et beaucoup
plus d'instruction que n'en avait eu aucun de ses prédécesseurs. Quant à son
air épais, il ne l'avait que depuis quelque temps qu'il était trop engraissé,
et sa figure auparavant était charmante. Il avait été aussi beau que sa sœur était belle
il ne faisait sa cour à personne n'avait aucune vanité, et il se bornait à des
sociétés où il était à son aise. Il devint un peu plus répandu à la cour,
lorsque le roi l'eut fait monter dans ses carosses, croyant qu'il était alors
de son devoir. de se montrer parmi les courtisans.
Madame me fit appeler un jour et entrer dans son cabinet où était le roi,
qui se promenait d'un air sérieux. « Il faut, me dit-elle, que vous alliez
passer quelques jours à l'avenue de Saint-Cloud, dans une maison où
je vous ferai conduire; vous trouverez là une jeune personne prête à accoucher.'
Le roi ne disait ~rien, ..et j'étais muette d'étonnement. <: Vous serez la maîtresse de la
maison, et présiderez, comme une déesse de la fable, à l'accouchement. On a
besoin de vous pour
que tout se passe suivant la volonté du roi, et secrètement. Vous
assisterez au baptême et indiquerez les noms du père et de la mère. » Le roi se
mit à rire, et dit « Le père est un très-honnête homme." Madame
ajouta '.< Aime de tout le monde, et adoré de tous ceux qui le connaissent. h Madame s'avança
vers une petite armoire, et en tira une petite boîte qu'elle ouvrit. Elle en
sortit une aigrette de diamans en disant au roi » Je n'ai pas voulu, et pour
cause, qu'elle fût plus belle. Elle l'est encore trop, u et il embrassa Madame
en disant: « Que vous êtes bonne M Elle pleura d'attendrissement, et mettant la
main sur le cœur du roi < C'est là que j'én veux, » dit-elle. Les larmes
vinrent aussi aux yeux du roi, et je me mis aussi à pleurer, sans trop savoir
pourquoi. Ensuite, il me dit « Guimard vous verra tous les jours pour vous
aider et vous conseiller; et au grand moment vous le ferez avertir de se rendre
auprès de vous. Mais nous ne parlons pas du parrain et de la marraine vous les
annoncerez comme devant arriver,, et, un moment après, vous aurez l'air de
recevoir une lettre qui vous apprendra qu'ils ne peuvent venir. Alors vous
ferez semblant d'être embarrassée, et Guimard dira Il n'y a qu'à prendre les
premiers venus; et vous prendrez la servante de la maison, et un pauvre ou un
porteur de chaises, et ne leur donnerez, que -douze francs pour ne pas attirer
l'attention. Un louis, ajouta Madame, pour ne pas faire d'effet dans un autre sens.-C'est
vous qui êtes cause de mon économie dans certaines circonstances, dit le
roi. Vous souvenezvous du fiacre? Je voulais lui donner un louis, et le duc
d'Ayen mp dit Vous nous ferez reconnaître, et je lui fis donner un écu de six
francs. H Il allait raconter l'histoire; Madame lui. fit signe de se taire, et
il eut bien de la peine. Elle m'a ditdepuis que le roi, dans le temps des fêtes
pour le mariage de monseigneur le dauphin avait été la voir à Paris en fiacre
chez sa mère. Le' cocher ne voulait pas avancer, et le roi lui voulait donner
un louis. La police en sera instruite demain dit le duc d'Ayen, et les espions
feront des recherches qui nous feront peut être connaître, a Guimard, dit le
roi, vous dira les noms du père et de la mère. Il assistera à la cérémonie
qui doit être le soir, et donnera les dragées. Il est bien juste que vous ayez les
vôtres, » et il tira cinquante louis qu'il me remit de cette mine. gracieuse
qu'il savait prendre dans l'occasion, et que n'avait personne autre que lui
dans son royaume. Je lui baisai la main en pleurant. « Vous aurez soin de
l'accouchée, n'est-ce pas? C'est une très-bonne enfant qui n'a pas inventé la
poudre, et je m'en fie à vous pour la discrétion mon chancelier vous dira le
reste, » dit-il en se tournant vers Madame, et il sortit. « Eh bien ? comment
trouvez-vous mon rôle, dit-elle ? D'une femme supérieure et d'une
excellente amie, lui dis-je. C'est à son cœur que j'en veux, me dit-elle,
et toutes ces petites filles
qui n'ont point d'éducation, ne me l'enlèveront pas. Je ne serais pas aussi
tranquille, si je voyais quelque jolie femme de la cour et de la ville tenter
sa conquête. Je demandai à Madame si la jeune personne savait que c'était le
roi qui était )epère. ( Je ne le crois pas, dit-elle, mais comme il a paru aimer celle-ci,
on a craint qu'on ne se soit trop empressé de le lui apprendre; sans cela, on
dit à elle et aux autres dit-elle en levant les épaules, que c'est un seigneur
polonais, parent de la reine, et qui a un appartement au château. Cela a été
imaginé à cause; du cordon bleu que le roi n'a pas souvent le temps de quitter,
parce qu'il faudrait changer d'habit, et pour donner une raison de ce qu'il a
un logement au château, si près' du roi. » C'étaient deux petites chambres du
côté de la chapelle, où le roi se rendait de son appartement f~ sans être vu que
d'une sentinelle qui avait ses ordres, et qui ne savait pas qui passait par cet
endroit. Le roi allait quelquefois au Parc-aux-Cerfs, ou recevait ces
demoiselles à l'appartement dont j'ai parlé.
Je m'arrête ici pour faire mention d'une singulière aventure qui n'est sue
que de six ou sept t personnes, maîtres ou valets. Dans le temps de l'assassinat du roi,
une jeune fille, qu'il avait vue plusieurs fois, et à qui il avait marqué plus
de tendresse qu'à une autre, se désespérait de cet affreux événement. La mère
abbesse car on peut appeler ainsi celle qui avait l'intendance du Parc-
aux-Cerfs, s'aperçut de la douleur extraordinaire qu'elle témoignait, et
fit si bien qu'elle lui fit avouer qu'elle savait que le seigneur polonais
était le roi de France. Elle avoua même qu'elle avait fouillé dans ses poches,
et qu'elle en avait tiré deux lettres, dont l'une était du roi d~Espagne, et l'autre de
l'abbé de Broglie. C'est ce que l'on a su .depuis, car ni elle, ni l'abbesse ne
savaient les noms. La jeune fille fut grondée, et on appela M. Lebel, premier
valet de chambre qui ordonnait de tout, et qui prit les lettres et les porta
au roi, qui fut fort embarrassé pour revoir une personne si bien instruite.
Celle dont je parle s'étant aperçue que le roi venait voir sa camarade
secrètement, tandis qu'elle était délaissée, guetta l'arrivée du roi, et, au moment
où il entrait, précédé de l'abbesse qui devait se retirer, elle entra
précipitamment et furieuse dans la chambre où était sa rivale. Elle se jeta
aussitôt aux genoux du roi. Oui, vous êtes le roi, criait-eUe, de tout le
royaume mais ce ne serait rien pour moi si vous ne l'étiez pas de mon cœur; ne
m'abandonnez pas, mon cher Sire, j'ai pensé devenir folle quand on a manqué .de vous tuer. »
L'abbesse criait « Vous l'êtes encore.)) Le roi Fembrassa et cela parut ia
calmer. On parvint à la faire sortir, et quelques jours après on conduisit
cette malheureuse dans une pension de folles, où elle fut traitée comme telle
pendant quelques jours. Mais elle savait bien qu'eue ne l'était pas, et que le roi
avait été bien
véritablement son amant. Ce lamentable accident m'a été raconté par
l'abbesse, lorsque j'ai eu quelque relation avec elle lors de l'accouchement
dont il est question, mais je n'en ai jamais eu ni avant, ni depuis.
Je reviens donc à mon histoire. Madame me dit: «Tenez compagnie à Faccouchée, pour empêcher
qu'aucun étranger ne lui parle, pas même les gens de la maison. Vous direz
toujours que c'est un seigneur polonais fort riche, et qui se cache à cause de
la reine, sa parente, qui est fort dévote. Vous trouverez, dans la maison, une nourrice à qui
l'enfant sera remis, et tout le reste regarde Guimard. Vous irez à Féglise comme témoin et il
faudra faire les choses comme le ferait un bon bourgeois. On croit que la
demoiselle accouchera dans cinq ou six jours; vous dînerez avec elle, et ne la
quitterez pas jusqu~au moment où elle sera en état de retourner au Parc-aux-Cerfs ce qui, je
suppose, sera dans une quinzaine de, jours sans qu'elle coure aucun risque. »
Je me rendis le soir même à l'avenue de Saint-Cloud, où je trouvai l'abbesse et
Guimard, garçon du château, mais sans son habit bleu. Il y avait de' plus une
garde, une nourrice deux vieux domestiques, et une fille moitié servante,
moitié femme de chambre. La jeune fille était de la plus jolie figure, mise
fort élégamment, mais sans. rien de trop marquant. Je soupai avec elle et avec
l'abbesse qui s'appelait madame Bertrand. J'avais re-
mis l'aigrette de Madame avant le souper, ce qui avait causé la plus grande
joie à.la demoiselle; et elle fut fort gaie. Madame Bertrand avait été femme de
charge chez M. Lehel, premier valet de chambre du roi, qui Rappelait Dominique, et elle
était son conndentissime.La demoiselle causa avec nous après le souper, et me
parut fort naïve. Le lendemain j'eus une conversation particulière, et elle
me.dit « Comment se porte M. le comte? M c'était le roi qu'elle appelait ainsi, Il sera bien fâché
de n'être pas auprès de moi, médit -elle, mais il a été obligé de faire un
assez long voyage. Je fus de son avis. cc C'est un bien bel homme me dit-elle, et il m'aime de
tout son cœur il m'a promis des rentes mais je l'aime sans intérêt, et s'il voulait
je le suivrais dans'sa Pologne. » Elle me parla ensuite de ses parens et de
M.Lebel, qu'elle connaissait sous le nom de Durand. '< Ma mère, me
dit-elle était une grosse épicièredroguisfe, et mon père n'était pas un homme
de rien,ajouta-t-elle, il était des six corps, et c'est, comme tout le monde le
sait, ce qu'il y a de mieux; enfin il avait pensé deux fois être échevin. » Sa
mère, avait après la mort de son père essuyé des banqueroutes; mais Af.~e comte était venu à
son secours, et lui avait donné un contrat de quinze cents livres de rente et
six mille francs d'argent comptant. Six jours après elle accoucha et on lui
dit, suivant mes instructions, que c'était une fille, quoique ce fût un garçon
et bientôt après on devait lui dire que son enfant était mort, pour qu'il ne res-
tât aucune trace de, son existence pendant un certain temps ensuite on le
remettrait à la mère. Le roi donnait dix ou douze mille livres de rente à
chacun de ses enfans. Ils héritaient les uns des autres à mesure qu'il en mourait, et il y
en avait déjà sept ou huit de morts. Je revins trouver Madame, à qui gavais
écrit tous les jours par Guimard. Le lendemain le roi ment dire d'entrer; il
ne me dit pas une parole sur ce que j'avais fait, mais me remit une tabatière
d'or, fort grande, où étaient deux roulèaux de vingt-cinq louis chaque. Je lui
fis ma révérence" et m'en allai Madame me fit beaucoup de questions sur la demoiselle, et riait beaucoup
de ses naïvetés et de tout ce qu'elle m'avait dit du seigneur; polonais. « Il est dégoûté de la princesse,
et je crois qu'il partira dans deux mois pour toujours pour sa Pologne. –Et la demoiselle, lui
dis-je? On la mariera, me dit-elle, en province, avec une dot de
quarante mille écus au plus, et quelques diamans.') Cette petite aventure
qui me mettait dans la confidence du roi, loin de me procurer plus de marques
de bonté de sa part, sembla le refroidir pour moi, parce qu'il était honteux
que je fusse instruite de ses amours obscurs. Il était aussi embarrassé des
services que lui rendait.Madame.
Outre ses petites maîtresses du Parc-aux-Cerfs le roi avait quelquefois des
aventures avec des dames de Paris ou de la cour qui lui écrivaient. Il y eut
une madame de M.elle, qui avait un mari
jeune et aimable, et deux cent mille livres de rente, et qui voulut
absolument être sa maîtresse. Elle parvint à le voir, et le roi, qui savait sa
fortune, était persuadé qu'elle était sincèrement amoureuse folle de
lui. On ne sait pas ce qui serait arrivé si elle ne fût morte. Madame en était
fort embarrassée, et se trouva, par sa mort, délivrée de ses craintes. Une
circonstance me valut un redoublement d'amitié de Madame. Un homme riche qui était dans les
sous-fermes, me vint trouver un jour en grand secret, et me dit qu'il avait
quelque chose à communiquer à madame la marquise, de trèsimportant mais qu'il
serait fort embarrassé de s'en expliquer avec elle; qu'il préférait de m'en
instruire. Je l'assurai de ma discrétion. « Je n'en doute pas me dit-il, et
c'est ce qui m'a fait adresser à vous. » Ensuite il m'apprit ce que je savais,
qu'il avait une très-belle femme, dont il était passionnément amoureux; que l'ayant aperçue un jour
baisant un petit porte-feuitle, il avait cherché à s'en emparer, s'imaginant bien qu'il y avait
quelque mystère qu'il l'avait guettée qu'un jour qu'elle était sortie
précipitamment pour aller chez sa soeur, .qui venait d'accoucher dans un
appartement au-dessus du sien, il avait eu le temps de trouver le secret du
porte-feuille; et que l'ayant ouvert, il avait été bien étonné d'y trouver un
portrait du roi, et que dans l'autre partie du portefeuille il y avait une
lettre très-tendre du roi; qu'il en avait pris copie, ainsi que d'une lettre
com-
mencée d~eUe, par laquelle sa femme demandait au roi instamment de lui ,procurer le
plaisir de le voir; qu'elle en avait trouvé le moyen, qui était de se rendre à
Versailles, où elle irait masquée à un bal de la ville; et que le roi pouvait
venir masqué. J'assurai M. de* que je me chargeais de faire part de cette
affaire à Madame, qui serait reconnaissante de sa confidence. Il s'empressa
d'ajouter « Dites à madame la marquise que ma femme a beaucoup d'esprit, et
qu'elle est très intrigante. Je l'adore, et je serais au désespoir qu'elle me fût
enlevée. )) Je ne perdis pas un instant à instruire Madame, et à lui remettre
la lettre, et je la prévins du rendez-vous demandé. Elle parut fort sérieuse et
pensive; et j'ai su depuis qu'elle avait consulté M. Berrier lieutenant de
police qui ,trouva uu moyen très-simple, mais très-habilement conçu, pour
écarter cette dame. Il demanda à parler au roi le soir même, qui était un
dimanche, jour où le lieutenant de police venait à Versailles et il dit au roi
qu'il croyait devoir le prévenir qu'il y avait une dame qui le compromettait
dans Paris; qu'on lui avait remis copie d'une lettre qu'on supposait écrite
par'sa majesté, et il.la remit au roi, qui la lut en rougissant, et la déchira
en fureur. M. Berrier ajouta que l'on répandait que cette dame devait avoir une
entrevue avec lui au bal de Versailles; et dans le moment même le hasard fit
qu'on remit au roi la lettre de la dame qui contenait cette demande. M. Berrier
en jugea ainsi
parce que le roi parut surpris en la lisant, et dit v « Il faut avouer
que M. le lieutenant de police est bien instruit. Je crois, ajouta M. Berrier,
devoir dire à Votre Majesté que cette dame passe pour fort intrigante. Je
crois, dit le roi, que ce n'est pas sans raison. » Cette aventure fut ainsi
coupée dans sa racine, sans que Madame parût y avoir part. Le roi ne redoutait
rien tant que les bavardages, et il crut que sa lettre courait tout Paris. M.
Berrier fit épier la dame, qui n'alla point à Versailles Madame me fit part de
ce qui s'était passé; le mari fut fait fermier-général deux ou trois ans après,
et elle me fit donner six mille francs sur sa place, à condition que je
ne la quitterais jamais.
Madame éprouvait beaucoup de tribulations au milieu de toutes ses
grandeurs. On lui écrivait souvent des lettres anonymes, où on la menaçait de
l'empoisonner et de l'assassiner; et ce qui l'affectait le plus c'était la
crainte d'être supplantée par une rivale. Je ne l'ai jamais vue dans un plus
grand chagrin qu'un soir, au retour du salon deMarly. Elle jeta en rentrant,
avec dépit, son manteau, son manchon, et se déshabilla avec une vivacité
extrême ensuite renvoyant ses autres femmes, elle me dit à leur sortie « Je ne
crois pas qu'il y ait rien de si insolent que cétte madame de Coislin je me
suis trouvée ce soir au jeu à uné table de brelan avec elle, et vous ne pouvez
vous imaginer ce que j'ai souffert. Les hommes et les femmes semblaient se
relayer pour nous examiner. Madame de Coaslin
a dit deux ou trois fois en me regardant, va tout, de la manière la plus
insultante; et j'ai cru me trouver mal, quand elle a dit d'un ton triomphant,
j'ai brelan de rois. Je voudrais que vous eussiez vu sa révérence en me
quittant. Et le roi, lui dis-je, lui a-t-il fait ses belles mines ?– Vous ne le
connaissez pas, la bonne s'il devait la mettre ce soir dans mon appartement, il
la traiterait froidement devant le monde et me traiterait avec la plus grande
amitié. Telle a été son éducation, car il est bon par lui-même et ouvert. » Les
alarmes de Madame durèrent quelques mois et Madame me dit un jour <' Cette superbe
marquise a manqué son coup; elle a effrayé le roi par ses grands airs, et n'a
cessé de lui demander de l'argent, et vous ne'savez. pas que le roi signerait
sans y songer, pour un million, et donnerait avec peine cent Jouis sur son
petit trésor. Lebet, qui m'aime mieux qu'une nouvelle à ma place, soit par hasard ou par
projet, a fait venir au Parc-aux-Cerfs une petite sultane charmante, qui a refroidi un
peu le roi pour l'altière ~eM~ en l'occupant vivement. On a donné à* des diamans, cent
mille francs, et un domaine. Jannette (i) m'a rendu dans cette circonstance de
grands services, en montrant au roi les extraits de la poste sur le bruit que
faisait la faveur de madame de Coastm. Le roi a été frappé d'une lettre
d'un vieux conseiller au parlement, du
(i) Intendant des postes.
parti du roi, qui mande à un de ses amis « Il est D juste que le maître
aitpne amie, une confidente, f comme tous tant que nous sommes, quand cela nous
convient; mais il est à désirer qu'il » garde celle qu'il a; eHe est douce, ne
fait de mal H à personne, et sa fortune est faite. Celle dont n on parle aura toute
la superbe que peut donner H une grande naissance. Il faudra lui
donner un )) million par an parce qu'elle est, à ce qu'on dit, )' très-dépensière,
et faire ducs, gouverneurs de province, maréchaux, ses parens, qui finiront ))
par environner le roi et faire tremb]er ses mi» nistres. Madame avait
l'extrait de cette lettre
que lui avait remis M. Jannette intendant des postes, qui avait toute la
confiance du roi.Hn~avait pas manqué d~examiner attentivement la mine que Je maître
avait faite en lisant cette lettre, et il vit t qu'il avait senti
la vérité des raisonnemens du conseiller qui notait point frondeur. Madame me
dit quelque temps après: «La fière marquise s'est conduite comme mademoiselle
Deschamps, et elle est éconduite (i)." Madame avait eu auparavant d'autres
alarmes. Une parente de madame d'Es(1) Courtisane célèbre par ses agrémens, et
surtout par un trait de patriotisme. Dans un moment où le trésor public était
épuisé, mademoiselle Deschamps envoya toute sa vaisselle à la Monnaie. Louis XV
vantait ce dévouement. Le due d'Agen dit à ce sujet un mot spirituel qui
n'ôtait rien au mérite de ce sacrifice.
Ce mot est un peu trop gai,pour que nous osions le citer.
o" 8'
trades, qui avait épouse ie marquis de C* avait fait au roi
des avances très-marquées, et il n'en fallait pas tant pour un homme qui se croyait le plus beau
du royaume avec raison, et qui était roi (<). Il était bien persuadé
que toutes les femmes céderaient au moindre désir qu'il daignerait
manifester. I) trouvait donc tout simple qu'on l'aimât. M. de Stainville (2)
contribua à empêcher le,succès de cette intrigue; et bientôt après !a marquise de c' qu; ses parens
faisaient garder les arrêts à Marly dans son appartement, s'étant échappée par
une garde-robe pour un rendez-vous, fut surprise avec un jeune homme dans un
corridor de Mar]y. Ce fut l'ambassadeur d~Es-
Ceux de nos lecteurs dont il exciterait la curiosité pourront le demander
aux hommes qui ont conservé les souvenirs de l'ancienne cour.
Note des nouv. )
(i) La comtesse d'Estrades, parente de M. Le Normand, et complaisante de
madame de Pompadour, qui l'avait attirée à la cour, était vendue secrètement au comte
d'Argenson. Ce ministre, qui ne dédaignait pas la /~t7/oM~ parce qu'il en
tirait des rcnseignemens utiles, connaissait par madame d'Estrades,tout ce qui
se passait à la cour de la favorite, et payait libéralement son ingratitude et
sa perfidie. ( Voy. les .MeyKO!ye.f de Marmontel, Liv. v, pag. 3o. )
( Note des nouv. e~. )
(2) Depuis duc de Choiseu).
pagne qui, sortant de chez lui avec des flambeaux, fut témoin de ce rendez
vous. Madame d'Estrades ne fit pas semblant d'avoir eu connaissance de cette
intrigue, et continua à vivre avec Madame qu'elle trahissait, comme si elle l'avait aimée
tendrement. Elle était l'espionne dè M. d'Argenson dans les cabinets et
chez Madame et quand elle né pouvait rien découvrir, elle inven.tait,-pour se
faire valoir auprès de son amant. Cette madame d'Estrades n'avait eu
d'existence que par les bontés de Madame; et 'toute laide quelle était, elle
avait tâché de lui enlever le roi. Un jour qu'il s'était un peu grisé à Choisi, la
seule fois je crois que cela lui était arrivé, il monta dans une grande et
jolie barque, où Madame ne put l'accompagner, étant malade d'une indigestion.
Madame d'Estrades guettait cette occasion.'Elle entra dans la barque, et au
retour, comme il faisait nuit, elle suivit le roi dans un cabinet secret, et
fit plus que des avances au roi qu'on croyait dormant sur un lit de repos. Elle
raconta le soir à Madame, qu'elle était entrée dans ce cabinet pour ses
affaires; que le roi l'y avait suivie, et qu'il avait voulu la violer. Elle
pouvait dire tout ce qu'elle voulait, car le roi ne savait ni ce qu'il avait
dit, ni ce qu'il avait fait. Je finirai cet article, par la courte histoire
d'une demoiselle. J'avais été un jour à la comédie de la ville à Compiègne, et
Madame m'ayant fait des questions sur la pièce me demanda s'il y avait beaucoup
de monde, et
si je n'avais pas vu une belle demoiselle. Je lui répondis qu'effectivement
dans la loge près de la mienne, il y avait une jeune personne qui était entourée de tous les jeunes
gens de la cour. Elle sourit, et me dit « C'est mademoiselle Dorothée elle a
été ce soir au souper du roi (1), et ira demain à la chasse. Vous êtes étonnée
de me voir si instruite, et j'en sais encore plus. Elle a été amenée ici par un
gascon qu'on appelle Dubarré ou Dubarri, qui est le plus mauvais sujet qu'il y
ait en France. Il fonde ses espérances sur les charmes de mademoiselle
Dorothée, auxquels il ne croit pas que puisse résister le roi. Elle est
effectivement très-belle. On me l'a fait voir dans mon petit jardin, où on
l'avait menée sous prétexte de~se promener. C'est la nlle d'un porteur
d'eau de Strasbourg, et son cher amant, pour début, demande d'être -ministre à
Cologne.-Est-ce que Madame aurait été inquiète d'une créature comme celle-là?
Tout est possible, dit-elle, mais je crois que le roi n'oserait donner un tel
scandale, et heureusement que Lebel, pour l'acquit de sa conscience, a dit au
roi que l'amant de la belle Dorothée était rongé d'un vilain mal, et il a
ajouté Votre Majesté ne guérit pas de cela comme des écrouelles. Il n'en a pas
tallu davantage pour écarter là demoiselle." Je vous plains
bien, Madame, lui dis-je un jour,
(t) Au grand couvert, le publie était admis à voir souper la famille
royale.
tandis que tout le monde vous envie.Ah! me répondit-elle, ma vie est comme
celle du chrétien, un combat perpétue! il n'en'était pas
ainsi des personnes qui avaient su gagner les bonnes grâces de Louis XIV.
Madame de La Vallière s'est. laissé tromper par madame de Montespan, mais c'est
sa faute, ou, pour mieux dire, le produit de sa bonté. Elle était sans
soupçon dans les premiers temps parce quelle ne pouvait croire son amie
perfide. Madame de Montespan a été ébranlée par madame de Fontanges, et
supplantée par madame de Maintenon mais sa hauteur, ses caprices avaient aliéné
le roi. Elle n'avait pas, au reste, des rivales comme les miennes mais aussi leur
bassesse fait ma sûreté,. et je n'ai en général à craindre que des infidélités,
et la dimculté de trouver des occasions pour savoir les rendre passagères. Le roi
aime le e changement, mais aussi il est retenu par l'habitude il craint les
éclats, et déteste les intrigantes. La petite maréchale (1) me disait un jour
C'est votre escalier que le roi aime, il est habitué à le monter et à le
descendre. Mais s'il trouvait une autre femme à qui il parlerait de sa chasse
et de ses affaires, cela lui serait égal au bout de trois jours. M
.récris au hasard, sans ordre ni date, comme je me souviens, et je vais vous
parler de M. l'abbé de Bernis, que j'aimais beaucoup parce qu'il était
(1) Madame la maréchal de Mirepoix.
bon, et qu'il me traitait avec amitié. Un jour Madame finissait de
s'habiller, et M. le comte de Noailles demanda à lui parler en particulier.
Je sortis.–M. le comte avait en entrant Pair trèseffaré, et j'entendis la
conversation n'y ayant que la portière entre nous. '< n vient de se
passer, Madame, lui dit-il, quelque chose dont je ne puis me dispenser de
rendre compte au roi, mais dont j'ai cru devoir vous prévenir, parce que cela
regarde un de vos amis que j'aime et considère infiniment. M. l'abbé de Bernis
a eu envie de chasser ce matin il est sorti avec trois ou quatre de ses gens
portant des fusils, et il a été chasser dans le petit parc, endroit où M. le
dauphin nuirait pas sans demander au roi la permission. Les gardes surpris
d'entendre tirer sont accourus, et ont été bien étonnés de voir M. de Bernis. Ils lui
ont très-respectueusement demandé sa permission, et étonnés de voir qu'il n'en
avait pas, ils l'ont prié de cesser, en disant que s'ils faisaient leur devoir,
ils devraient l'arrêter; mais qu'ils allaient m'en rendre compte aussitôt,
comme étant capitaine des chasses de Versailles. Ils ont ajouté que le roi
devait avoir entendu les coups de fusil, et qu'ils le priaient de se
retirer. M. Fabbé s'est excusé sur son ignorance, et a assuré que je le lui avais
permis. Monsieur le comte, ont-ils dit, n'a pu le permettre que pour des
endroits bien plus éloignés, et dans le grand parc. » M. le comte de Noailles
s'est beaucoup fait valoir sur son.empressement à prévenir Ma-
d:une qui lui a dit de lui laisser le soin d'e'n rendre compte au maître,
et quelle le priait de n'en pas parler.–M. de Marigni, qui
n'aimait pas M. Fabbé, me vint voir le soir, et j'eus l'air d'apprendre de lui cette
histoire « Il faut, disait-il, qu'il ait perdu la tête pour chasser sous les
fenêtres du roi, et il s'étendit beaucoup sur les airs qu'il se donnait. Madame
arrangea cela de son mieux, mais le roi fut très-choque; et vingt fois,
depuis la disgrâce de M. l'abbé de Bernis, se trouvant dans ce canton, il a dit
« Ce sont ici les plaisirs de M. Fabbe. Le roi ne l'a jamais goûté, et
Madame m~a dit après sa disgrâce, une nuit que je la gardais malade, qu'elle
avait vu au bout de huit jours de son ministère, qu'il n'était pas propre à sa
place. f< Si cet évêque cafard, ajoutait-elle en parIantdeFevéque de Mirepoix, n~eût pas empêché le roi de
lui donner une pension de deux mille écus qu'il m'avait promise, jamais il
n'aurait été ambassadeur, je lui aurais fait par les suites donner une vingtaine de mille livres
de rente, peut-être la place de maître de la chapelle, et il aurait été plus
heureux, et je n'aurais pas eu à le regretter. Je pris la liberté de lui dire
que je ne le croyais pas, et qu'il avait de bons restes qu'on ne lui
ôterait pas que son exil finirait, et qu~il se trouverait cardinal avec deux cent
mille livres de rente. Elle me dit Cela est vrai mais je songe au chagrin
qu'il a eu et à l'ambition qui le ronge enfin, je songe à moi qui aurais
joui de sa société, et vieilli avec un ancien et aimable
ami, s'il n'eût pas été! ministre."Le roi le renvoya
avec colère, -et fut tenté de ne pas lui donner le chapeau.-M. Quesnay me dit
quelques mois après, qu'il avait voulu se faire' premier ministre; qu'il avait
fait un mémoire pour représenter que, dans les temps dimciles il fallait qu'il y
eût, pour le bien des affaires, un point central ( c'est son mot ) où tout
aboutisse. Madame ne voulait pas se charger du mémoire il insista, malgré
qu'elle lui eût dit vous vous D~y'dëz. Le roi jeta les yeux dessus, répéta,
point central c'est à dire qu'il veut être premier ministre. Madame l'excusa,
et lui dit, que cela pouvait regarder le maréchal de Belle-Isle. «Ne va-t-il
pas être cardinal? dit le roi, et voilà une belle finesse il sait bien que
par sa dignité il forcera les ministres à s'assembler chez lui, et M. l'abbé
sera le-point cey~ra~. Quand il y a un cardinal au conseil, il finit par être
le chef. Louis XIV n'a jamais voulu, par cette raison, y faire entrer le
cardinal de Janson qu'il estimait beau-, coup. M. le cardinal de Fleury m'a dit
la même chose. Il avait eu quelque envie d'avoir pour successeur le cardinal
de Tencin; mais sa sœur était si intrigante, que le cardinal de Fleury me
conseilla de n'en rien faire, et je me conduisis de manière à lui ôter tout
espoir, et à désabuser les autres. M. d'Argenson m'a pénétré, et a fini par lui
ôter toute considération.M–Voilà ce que le roi avait dit, à ce que me confia mon ami Quesnay, qui
était, par parenthèse, un grand génie à ce que
tout le monde dit, et un homme fort gai. Il aimait :) causer avec moi de la
campagne; j'y avais été é evée, et il me faisait parler des herbages de
Normandie et du Poitou de la richesse des fermiers et de la manière de
cultiver. 'C~était le meilleur homme du monde, et qui était éloigné de la plus petite
intrigue. H était bien plus occupé à la cour, de la meilleure manière de cultiver
la terre, que de tout ce qui s'y passait. Innomme qu'il estimait le plus, était
M. de La Rivière, conseiller au parlement, qui a été intendant de la
Martinique; il le regardait comme l'homme du plus grand génie, et croyait'que
c'était le seul homme propre à administrer,les finances.
Madame la comtesse d'Estrades, qui devait tout ce qu'elle était à Madame
n'était occupée qu'à lui faire des tracasseries, dont elle était assez habile
pour dérober les preuves; mais elle ne pouvait empêcher qu'on ne la soupçonnât.
Sa liaison intime avec M. d'Argenson donnait de Fombrage à Madame, et depuis
quelque temps elle était plus réservée avec elle mais elle fit une chose qui
irrita Madame et le roi avec juste raison. Le roi, qui écrivait beaucoup lui
écrivit une assez longue lettre où il lui parlait d'une assemblée de chambres
au parlement; et II y avait joint une lettre de M. Berrier. Madame était malade et mit ces lettres
sur une petite table près de son lit. M; de Gontautentra, et parla de fadaises
comme à son 'ordinaire. Madame d'Amblimont vint aussi et resta très-peu
de temps. Comme j'allais reprendre une lecture qui avait été interrompue,
madame d'Estrades entra et se mit auprès du lit de Madame, à qui elle parla
quelque temps; ensuite elle sortit, et Madame m'ayant fait appeler, me demanda
l'heure qu'il était, et me dit Le roi va bientôt venir, faites fermer ma porte.
Je rentrai, et Madame me dit de lui donner la lettre du roi qui était, sur sa table avec
quelques papiers. Je les lui remis, et lui dis qu'il n'y avait rien autre
chose. Elle fut fort inquiète ne trouvant pas la lettre du roi; et après avoir compté les
personnes qui étaient entrées Ce n'est point la petite comtesse, ni Gontaut,
qui ont pris la lettre du roi, ce ne peut être que la comtesse d'Estrades et
cela est trop fbrt.M Le roi vint, il se mit en colère, à ce que me dit Madame, et. il exila,
deux jours après, madame d'Estrades, qui, certainement, avait pris la lettre,
parce que l'écriture du roi lui avait sans doute Inspiré de la curiosité.
Cet événement fit beaucoup de peine à M. d'Argenson qui lui était attaché par
amour pour l'intrigue à ce que disait Madame. Cela redoubla la haine de ce
ministre contre elle, et Madame lui attribua d'avoir favorisé la
publication d'un libelle, où elle était représentée comme une vieille maîtresse réduite au vilain
rôle de fournir de nouveaux objets à son amant. On la désignait comme
surintendante du Parc aux Cerfs qu'on disait coûter des millions. Madame a
cherché à couvrir quelques faiblesses du roi, et n'a jamais connu aucune des
sultanes de ce sérail. Il n'y en avait au reste que deux en général, et
très-souvent une seule. Lorsqu'elles se mariaient, on leur donnait des bijoux
et une centaine de mille francs. Quelquefois le Parc-aux-Cerfs était vacant cinq
ou six mois de suite.
J'étais surprise devoir depuis quelque temps là duchesse de
Luynes, dame d'honneur de la reine, venir en secret chez Madame. Ensuite elle y
vint sans se cacher; et un soir Madame s'étant mise au lit, m'appela et me dit
« Ma chère bonne, vous allez être bien contente, la reine me donne une place de
dame du palais; demain je lui serai présentée il faut me faire bien belle. M J'ai su que le roi
n'était pas aussi aise qu'elle; il craignait le scandale, et qu'on ne crût
qu'il avait forcé la reine à cette nomination. Mais il n'en était rien. On
représenta à cette princesse que c'était de sa part un acte héroïque d'oublier
le passé; que tout scandale serait effacé, quand on verrait Madame tenir à la
cour par une place honorable; et que ce serait la meilleure preuve qu'il n'y
avait plus que de l'amitié entre le roi et sa favorite. La reine la reçut
très-bien. Les dévots se flattèrent d'être protégés par Madame, et
chantèrent, pendant quelque temps, ses louanges. Plusieurs amis du dauphin
venaient en particulier voir Madame, excepté le chevalier Du Muy, et
quelques-uns obtinrent des grades. Le roi avait pour eux le plus grand mépris,
et ne leur accordait rien qu'en rechignant. Un
jour il dit d~un homme de grand nom qui voulait être capitaine des gardes
C'est un espion double, qui serait payé de deux côtés. Ce moment est
celui où j'ai vu Madame le. plus satisfaite. Les dévotes venaient chez. elle sans
scrupule, et ne s'oubliaient pas dans l'occasion; madame de Lu* avait donné
l'exemple. Le docteur riait de ce changement de décoration, et s'égayait aux
dépens des dévotes. Cependant, lui disais-je, elles sont conséquentes, et
peuvent être de bonne foi. Oui, disait-il, mais il ne faut pas qu'elles
demandent rien.
Un jour j'étais chez le docteur Quesnay pendant que Madame était à la
comédie. Le marquis de Mirabeau (i) y vint, et la conversation fut quelque
temps ennuyante pour moi, n'y étant question que du produit net; enfin, on
parla d'autres choses. (t) L'auteur de l'Ami des Hommes, un des coryphées de la
secte économique, elle père du célèbre Mirabeau. Après la mort de Quesnay, ce
g'ray:<Mt7re de l'ordre, tous les suffrages lui donnèrent le marquis de
Mirabeau pour successeur. Mirabeau rie manquait ni d'une certaine étendue dans
l'esprit, ni de connaissances, ni même de patriotisme; mais it écrit en
enthousiaste en homme plutôt illuminé qu'éclairé. Le phébus, le néologisme, les
tours bizarres sont les habitudes de son style; et lorsque son sujet paraît
exiger un ton au-dessus du simple document, Mirabeau s'élève au plus pompeux
galimatias. ( V. ~'jE7o~'e de Quesnay, </<M.f les Éphémérides du Citoyen, vol. de
janvier i~~S. )
L'~mt des Hommes fut l'ennemi de toute sa fami!ie. Il bat-
–Mirabeau dit J'ai trouvé mauvais visage au roi; il vieillit. Tant pis, mille fois
tant pis, dit Quesnay ce serait la plus grande perte pour la France s'il venait
à mourir; et il leva les yeux au ciel en soupirant profondément. Je ne doute
pas que vous n'aimiez le roi, et avec juste raison dit Mirabeau, et je l'aime
aussi mais je ne vous ai jamais vu si passionne. Ah! dit Quesnay, je songé à ce
qui s'en suivrait.–Eh bien le dauphin est vertueux. Oui, et plein de bonnes-intentions, et
il a de l'esprit; mais les cagots auront un empire absolu sur un prince qui les
regarde comme des oracles. Les jésuites gouverneront t l'Etat, comme sur
la fin de Louis XIV; et vous verrez le fanatique évêque de Verdun premier
ministre et La Vauguyon fout-puissant sous quelque autre titre. Les parlemens
alors n'auront qu'à se bien tenir ils ne seront pas mieux traités que mes amis les
philosophes. Mais ils vont trop loin aussi, dit Mirabeau, pourquoi attaquer
ouvertement la religion ? J'en conviens dit le
tait ses gens et ne les payait pas. Les pièces du procès qu'il, soutint
contre sa femme en ny5, prouvent que ce philosophe possédait au plus haut degré
toutes les qualités anticonjugales.
On lit dans un recueil d'anecdotes que Mirabeau, son fils aîné, écrivit
deux factums contradictoires, et se fit payer des deux parties. A supposer la
chose possible, c'eût été de sa part sans doute plutôt une plaisanterie qu'une
bassesse. ( -/Vo~ des nouv. ~!<. )
docteur; mais comment n'être pas indigné du fanatisme des autres, ne pas se
ressouvenir de tout le sang qui a coulé pendant deux cents ans? Il ne faut donc
pas les irriter de nouveau, et ne pas .amener en France le temps de Marie en
Angleterre.–Mais ce qui est fait est fait, et je les exhorte souvent à se.
modérer je voudrais qu'ils suivissent l'exemple de notre ami Duclos.–Vous avez
raison répondit Mirabeau il me disait il y a quelques jours Ces philosophes en
feront tant, qu'ils me forceront à aller à vêpres et à la grand'messe. Mais
enfin le dauphin est vertueux, instruit, et a de l'esprit. Ce sont les premiers
temps de son règne que je crains, dit Quesnay, où les imprudences de nos amis
lui seront présentées avec la plus grande force, où les jansénistes et les
molinistes feront cause commune, et seront appuyés fortement de la dauphine.
J'avais cru que M. Du Muy était modéré, qu'il tempérait la fougue des autres
mais je lui ai entendu dire que Voltaire méritait les derniers supplices. Soyez
persuadé, Monsieur, que les temps dé~Je~M Hus, de Jérôme 6~e Pr~Me, reviendront, mais
j'espère que je serai mort. J'approuve bien Voltaire de sa chasse aux
Pompignans le marquis bourgeois, sans le ridicule dont il l'a inondé, aurait
été précepteur des enfans de France; et joint à son frère George, ils auraient
tant fait qu'on anrait élevé des bûchers (1).
(i) Rien cependant n'est plus injuste que cette supposi-
Ce qui devrait vous rassurer sur le dauphin, dit Mirabeau, c'est que
malgré la dévotion de Pompignan, il le tourne en ridicule. Il y a quelque
temps que l'ayant rencontre, et trouvant qu'il avait Pair boum d'orgueil, il dit
à quelqu'un (i) qui me l'a redit .Zu; ~a7?H Pompignan pense c~g quelque chose.
Je mis par écrit cette conversation en rentrant chez moi.
Un jour.je trouvai Quesuay au désespoir. ff Mirabeau, me dit-il, est à
Vincennes pour son ouvrage sur l'impôt. Ce sont les fermiers-généraux qui l'ont
dénoncé, et qui l'ont fait arrêter; sa femme doit aller aujourd'hui se jeter
aux pieds de madame de Pompadour. Quelques momens après, j'entrai chez Madame
pour sa toilette, et le docteur y vint. Madame lui dit « Vous devez être amigé de la disgrâce de
voire ami Mirabeau, et j'en suis fâchée aussi, car j'aime son frère. Quesnay
répondit « Madame, je suis bien loin de lui j' croire de mauvaises intentions,
il aime le roi et H le peuple.– Oui, dit-eHe, son ~/7M des ~o/M/?!~ lui afait beaucoup d'honneur. '< En ce moment entra le lieutenant de
police, et Madame lui dit Avez-
tion. M. de Pompignan homme vertueux, charitable et anime, par ]e véritable
esprit de la religion était Incapable de toute espèce de persécution. 1
( Note <~M Dre/?iMy )
(t) C'était au président Hénaut, qui se trouva auprès du dauphin
lorsqu'il ]e dit.
( ~Vo~e f/M Bre/e/' e~. )
-)
vous vu le livre de M. de Mirabeau ? Oui, Madame, mais ce n'est pas moi qui
l'ai dénonce.–Qu~en pensez-vous, lui ditMadame ? -Je crois qu''il aurait pu dire une
grande partie de ce qu'il a dit en termes plus ménages il y a entre
autres deux phrases au commencement Votre Majesté a vingt millions d'hommesplus
ou moins, elle ne.peut en O~/M'y des services qu'à prix d'argent, et il n'y a
point d'argent pourpayer leurs services. Quoi il y a cela, docteur, dit Madame?
Cela est vrai, ce sont les premières lignes, et je conviens qu'elles sont imprudentes mais en
lisantl'ouvrage, on voit qu'il se plaint de ce que le patriotisme s~eteint dans
les cœurs, et qu'il voudrait le ranimer. "Le roi entra, nous sortîmes, et
j'écrivis sur la table de Quesnay ce que je venais d'entendre. Je revins
ensuite pour continuer la toilette, et Madame me dit « Le roi .est fort en
colère contre Mirabeau, mais j'ai tâché de l'adoucir, et le lieutenant de
police a fait de même. Cela va redoubler les craintes de Quesnay. Savez-vous ce
qu'il m'a dit un jour? Le roi lui parlant chez moi, et le docteur ayant Pair
tout trouble, après que le roi fut sorti, je lui dis Vous avexU'ajr embarrasse devant le roi, et cependant H est
si bon! Madame, m~a-t-il repondu, je suis sorti à quarante ans de mon village,
et j'ai bien peu d'expérience du monde, auquel je m'habitue difficilement.
Lorsque je suis dans une chambre avec le roi, je me dis Voilà un homme qui peut
me faire couper la tête et cette idée me trouble.
Mais la justice et la bonté du roi ne devraientelles pas vous rassurer ?
Cela est bon pour le raisonnement, dit-il, mais le sentiment est plus prompt
(i), et il m'inspire de la crainte avant que je me sois dit tout ce qui est
propre à Fécarter. » récrivis cela pour ne pas l'oublier, et me fis redire les mots.
0
Une lettre anonyme fut adressée au roi et à Madame, et comme Fauteur
n'avait pas envie qu'elle manquât son but, il en avait envoyé une copie au
lieutenant de police, cachetée, avec cette adresse pour le roi; une avec ces
mots madame de Pompadour, et une autre à M. de Maria ni. Cette lettre affecta
beaucoup Madame et le
o
roi, et plus encore je crois M. de Choiseul, qui en avait reçu une semblable. Je me suis mis aux
genoux de M. de, Marigni pour me la laisser l' copier, afin de la montrer au
docteur. La voici « Sire, c~est un serviteur zélé qui écrit à Votre
Majesté. La vérité est toujours àmère, surtout pour les rois. Habitués à la
flatterie, ils ne voient t les objets que revêtus de couleurs propres à
leur plaire. J'ai beaucoup réfléchi et lu, et voici ce que mes méditations me
portent à exposer à Votre
Ci) Ce sentiment si vif et si prompt peut avoir lieu chez les princes
asiatiques, maîtres de la vie et des Liens de leurs sujets; mais jamais chez uu
roi de France, qui ne pouvait ôter la vie à quelqu'un que par la voie
judiciaire.
( ~Vb~e du premier < )
9'
Majesté. On l'a accoutumée à être invisible, et on lui a inspiré une timidité
qui t'cmpëche~de parler ainsi toute communication directe est interrompue entre le
maître et ses sujets. Renfermé dans l'intérieur de votre palais, vous devenez
de jour en jour plus semblable aux empereurs d'Orient; mais voyez, Sire, leur
sort! « J'ai des troupes, dira Votre Majesté c'est aussi leur appui; mais quand
on .le tonde sur eues, quand on n'est en quelque sorte que le roi des soldats,
ils sentent leur force et en abusent. Vos finances sont dans le plus grand
désordre, et ta plupart des Etats ont péri par cette cause., L'esprit
patriotique soutenait les anciens Etats, et unissait toutes les classes pour
le; salut d'un pays. L'argent en tient lieu dans ce temps; il est devenu le
moteur universel, et vous en manquez. L'esprit de la finance infecte toutes les
parties, et domine à la cour; tout devient alors vénat, et tons les rangs
se confondent. Vos ministres sont sans génie'e~sans capacité, depuis
le renvoi de MM. d'Apg~hsôn et de Machault. Vous seul, en quelque"s'6rte, ne pouvez pas
juger de leur incapacité, parce qu~i!s vous apportent le travail de commis
habiles; qu'ils s'attribuent. On administre au jour le jour; mais il n'y a
point d'esprit de gouvernement. Les changemens qu'on fait dans la partie mititaire dégoûtent les troupes font retirer d'excellens
officiers; un feu séditieux s'attume dans le sein des parlemens; vous prenez le
parti de les corrompre, et le remède est pire que le mal. C'est
introduire le vice dans le sanctuaire de la justice, et gangrener les
parties nobles de l'État. Un parlement corrompu aurait-il bravé les
fureurs de la Ligue, pour conserver la couronne au légitime souverain? Oubliant les
maximes de Louis XIV, qui savait quel était le danger de confier le ministère à
de grands seigneurs, vous y avez élevé M. de Choiseul; mais c'est peu, vous lui
avez donné trois ministères ce qui est un plus grand fardeau que celui de la
place de premier-ministre, parce que celui-ci ne fait que surveiller, et que
les secrétaires d'État sont chargés de tous les détails. Le public a pénétré ce
ministre resplendissant. Ce n'est qu'un petit-maître sans talens et sans instruction,
qui a,un peu de phosphore dans l'esprit. Il est une chose encore bien digne de
remarque, Sire, c'est la guerre ouverte qu'on fait à la religion. Il ne peut
plus y avoir de nouvelles sectes, parce. que la croyance est en général trop
ébranlée, pour qu'on s'occupe de quelque dln'érence de sentimens sur
quelques-uns de ses articles. Mais les encyclopédistes, sous prétexte d~éclah'er les hommes, sapent
les fondemens de la religion. Tous les genres de liberté se tiennent; les
philosophes et les protestans tendent au républicanisme, ainsi que les
jansénistes. Les philosophes attaquent le tronc de Farbre, les autres
quelques branches; mais leurs efforts, sans être concertés, l'abattront un
jour. Joignez-leur les économistes qui ont pour objet la liberté politique,
comme les autres celle du culte,
et le gouvernement peut se trouver, dans vingt ou trente ans mine dans
toutes ses parties, et crouler avec fracas. Si Votre Majesté,
frappée de ce tableau trop vrai, me demanda le remède, je dirai qu'il faut ramener
le gouvernement à ses principes, et se presser avant tout de remédier à l'état
des finances, parce que les embarras dans lesquels se trouve un Etat eh dette,
entraînent de nouveaux impôts, qui, après avoirfoulé le peuple, Findisposent et
le portent au soulèvement. Je dirai qu'il serait nécessaire que Votre Majesté se rendît plus
populaire; qu'elle manifestât son contentement des services, ou son
mécontentement des fautes et des prévarications, et de l'oubli de ses devoirs;
qu'on sache enfin que 'les récompenses et les punitions, les choix et les
destitutions, émanent d'elle. Alors on lui saura gré des grâces, et on craindra
d'encourir ses reproches; alors on aura un sentiment personnel pour elle, au
lieu qu'on rapporte tout le bien et le mal à ses ministres. C'est une preuve
de la.confiance naturelle des peuples pour le roi, que cette exclamation -~A/ le roi
savait! ils aiment a croire qu'il remédierait à tout s'il était instruit. Mais d'un autre
côté, quelles idées se fontils des rois, faits pour être instruits de tout, et
pour surveiller tout ce qui se passe, qui cependant ignorent ce qu'il
leurimporte le plus de savoir, s'ils veulent remplir leurs fonctions? 7!c.E,
ro! ?'c~r<?, régir, 'conduire ces mots indiquent quels sont leurs devoirs. Que dirait-on d'un père
qui se déchargerait
du soin de ses encans comme d'un fardeau ? Un temps viendra Sire où les
peuples s'éclaireront, et ce temps peut-être approche. Reprenez les rênes de votre
État; tenez-les d'une main ferme, et faites qu'on ne dise pas de vous T~/K~a~
scorta volvit animo ~e~rMe~M~K.y~<KM /?M~ Il ne songe qu'à des femmes, des sociétés de libertins, et il croit
que c'est là ce que la royauté offre de plus précieux.
» Je continuerai, Sire, si je vois que mes avis sincères aient produit
quelque changement. J'entrerai dans de plus grands détails; sinon, je me
tairai. »
Je viens de parler d'une lettre anonyme au roi on ne peut se figurer
combien elles étaient fréquentes. On s'empressait, ou de dire des vérités
dures, on dés mensonges alarmans, enfin de nuire à d'autres personnes; en voici
un exemple concernant Voltaire, très-grand courtisan de Madame, quand il était
en France. Voici la lettre qu'on écrivit à son sujet, et qui est bien
postérieure à la première.
« Madame, ·
M. de Voltaire viettt de vous dédier sa tragédie de Tancrède ce devrait
être un hommage inspiré par le respect et la reconnaissance; mais c'est une
insulte, et vous en jugerez comme !e public si vous la lisez avec attention.
Vous verrez que ce grand écrivain sent apparemment que l'objet de ses
louanges n'en est pas digne, et qu'il cherche à s'en excuser aux yeux du
public. Voici ses termes J'ai M vu, dès votre enfance, les grâces c).
les talens se ') développer. J'ai reçu de vous dans tous les M temps des
témoignages d'une bonté toujours égaie. Si quelque ce/MeMroouC6tt< désapprouver M ~OM/na~e que je vous rends,
ce ne pourrait H ~g </M~/ï ca°M~ né ingrat. Je vous dois beaucoup, Madame, et je dois le dire. M
u Que signifient au fond ces phrases, si ce n'est
que Voltaire sent qu'on doit trouver extraordinaire qu'il dédie son ouvrage
à une femme que le public juge peu estimable; mais que le sentiment de la
reconnaissance doit lui servir d'excuse? Pourquoi supposer que cet hommage
trouvera des censeurs, tandis que l'on voit paraître chaque jour des épitres
dédicatoires adressées à des caillettes sans nom ni état, 'ou à des femmes
d'une conduite repréhensible, sans qu'on y fasse attention? M. de Marigni, et
Co)in, intendant de Madame, ainsi que Quesnay, trouvèrent que l'auteur anonyme
était très-méchant, qu'il blessait Madame, et voulait nuire a Voltaire; mais qu'au fond
il avait raison. Voltaire fut dès ce moment perdu dans l'esprit de Madame et
dans celui du roi, et il n'a certainement jamais pu en deviner la cause (i). Le
roi (t) On connaît les jolis vero dans !esnneis Voltaire, parlant de
Louis XV, dit à madame de Pompadour Soyez tous deux sans ennemis,
Et tous deux gardez vos conquête:.
qui admirait tout ce qui avait rapport au siècle de Louis XIV, se rappelant
que les Boileau, les Racine, avaient été accueillis par lui, et qu'on leur
attribuait une partie de réclat de ce règne, était flatté qu'il y eût sous le
sien un Voltaire mais il le craignait, et ne l'estimait,pas. Il ne,put
s'empêcherdedire « Au reste, je l'ai aussi bien traité que Louis XIV a traité
Racine et Boileau; je lui ai donné, comme Louis XIV à Racine, une charge de
gentilhomme ordinaire et des pensions; ce n'est pas ma faute s'il a fait des
sottises, et s'il a la pré-
Voltaire pouvait-il ignorer que ces vers avalent été juges inconvenans
même injurieux pour la majesté royale, et que les princesses, filles de Louis
XV, avaient déterminé leur père à s'en offenser? Madame du Hausset ignoraitelle
que, si madame de Pompadour ne piaida point pour l'exilé, c'est qu'elle en
voulait eUe-même à Voltaire pour une petite: témérité qu'il s'était permise et que voici
Voltaire était entouré d'hommes jaloux de l'amitié que lui témoignait la
favorite. Bien loin de les ménager, il s'amusait a leur déplaire. Aussi ne
manquait-on pas de relever, en son absence, des mots hardis ou familiers. Le
grand poëte assistait un jour au dîner de la marquise. Elle mangeait une caille
qu'elle trouvait ~-y<M.MMi7/~e. ce fut son expression. Voltaire s'approcha
d'elle, et lui dit assez haut pour être entendu '< Grassouillette,
entré nous me semble un peu caillette )) Je vous le dis' tout bas, belle
Pompadourette. »
Cette confidence un peu leste fut présentée par les courtisans comme une
impertinence et Voltaire s'aperçut, dès le lendemain d'un refroidissement
très-marqué.
Laujon était présent. L'auteur de cette note tient ce fait de lui-même. (
Note des MOK~. <7. )
tention d'être chambellan, d'avoir une croix et de souper avec un roi. Ce
n'est pas la mode en France; et commell y a un peu plus de beaux-esprits et
plus de grands seigneurs qu'en Prusse, il me faudrait une bien grande table
pour les reunir tous. Et puis il compta sur ses doigts Maupertuis, Fontenelle,
La Mothe, Voltaire, Piron, Destouches, Montesquieu, le cardinal de Polignac.
Votre Majesté oublie, lui dit-on d'Alembert et Clairaut. –Et Crébillon, dit-il, et la
Chaussée. Et Crébillon le fils, dit quelqu'un, il doit être plus aimable que
son père; et il y a encore l'abbé Prévôt, l'abbé d'Olivet. –Hé bien! dit le roi,
depuis vingt-cinq ans tout cela aurait diné ou soupé avec moi. Madame me
raconta cette conversation, que j'écrivis le soir. M. de Marigni m'en parla aussi,
et me dit « La fantaisie de Voltaire a toujours été d'être ambassadeur, et il a
fait ce qu'il a pu pour qu'on le crût chargé d'affaires politiques, quand il a
été pour la première fois en Prusse.
Le peuple apprit l'assassinat du roi avec des transports de fureur, et avec
le plus grand désespoir on l'entendait de l'appartement de Madame, crier sous
les fenêtres. Il y avait,des attroupemens, et Madame craignait le sort de
madame de Châteauroux. Ses amis venaient à chaque instant lui donner des
nouvelles. Son appartement était au reste comme une église où tout le monde
croyait avoir le droit d'entrer. On venait voir la mine qu'elle faisait, sous prétexte
d'intérêt; et Madame
ne faisait que pleurer et s'évanouir. Le docteur Quesnay ne !a quittait pas, ni
moi non plus. M. de Saint-Florentin vint la voir plusieurs fois et le contrôleur-générât, ainsi que M. Rouillé; mais M. de
Maclîauit n'y vint point. Madame la duchesse de Brancas était aussi
très-souvent chez nous. M. l'abbé de Bernis n'en sortait que pour aller chez le
roi, et avait les larmes aux yeux en regardant .t Madame. Le docteur
Quesnay voyait le roi cinq ou six fois par jour. '< H n'y a rien à
craindre, disait-il à Madame si c'était tout autre, il pourrait aller au
bal. M Mon fils.le lendemain, alla, comme la veille, voir ce qui se passait au château,
et il vint nous dire que le garde-des-sceaux était chez le roi. Je renvoyai
attendre ce qu'il ferait à la sortie. Il revint tout courant -au bout d'une
demi-heure me dire que le garde-des-sceaux était retourné chez lui, suivi d'une
foule de peuple. Madame, à qui je le dis, s'écria, fondant en larmes
Etc'est-là M/!a/?M'/ M. l'abbé deBernisluidit «Une faut pas se presser de le juger,
dans un moment comme celui-ci. Je retournai dans le salon une heure après,
lorsque M. le garde-des-sceaux entra. Je le vis passer avec
sa mine froide et sévère. Il me dit: Comment se porte madame Pompadour?. M Je lui répondis Hélas comme vous pouvez
l'imaginer )' et il entra
"Sans Je cabinet de Madame'. Tout le monde sortit, il y resta une
demi-heurè M. l'abbé revint, et Madame sonna j'entrai chez elle où il me
suivit. Elle était en larmes '< H faut que je m'en ai])e, dit-
elle, mon cher abbé. Je lui fis prendre de l'eau de fleur d'orange dans un
gobelet d'argent, parce que ses dents claquaient. Ensuite elle me dit d'appeler
son écuyer. il entra et elle lui donna assez tranquillement ses ordres, pour faire tout
préparer a son hôtel à Paris, et dire à tous ses gens d'être prêts a partir, et à ses
cochers de ne pas s'écarter. Elle s'enferma ensuite pour conférer avec l'abbé
de Bernis, qui sortit pour le conseil. Sa porte fut ensuite fermée, excepté
pour les dames de son intime société, M. de Soubise, M. de Guntaut, les
ministres et quelques autres; plusieurs dames venaient s'entretenir chez moi et
se désespéraient; elles comparaient la conduite de M. de Machault avec celle de
M. de Richelieu à Metz Madame leur en avait fait des détails qui faisaient
l'éloge du duc, et qui étaient autant de satires de la conduite du
garde-des-sceaux. «Il croit oufeintdecroire, disaitelle, que les prêtres exigeront mon
renvoi avec scandale mais Quesnay et tous les médecins disent qu'il n'y a
pasle plus petit danger. "Madame m'ayant fait appeler, je vis entrer chez
elle madame la maréchale de Mirepoix, qui, dès la porte, s'écria Qu'est-ce
donc, Madame, que toutes ces malles ? Vos gens disent que vous partez. –Hélas ma chère amie, le
maître le veut, à ce que m'a dit M. de Machault. Et son avis à lui, quel
est-il dit° la maréchale? Que je parte sans digérer. )' Pendant ce temps je déshabillais
seule Madame qui avait voulu être plus à son aise sur sa chaise
)ong'ue.– Il veut être le maître, dit la maréchale, votre garde-des-sceaux, et
il vous trahit: qui quitte la partie, la perd. )) Je sortis; M. de Soubise
entra, M. Fabbé ensuite, et M. de Marigni. Celui-ci, qui avait beaucoup de bontés
pour moi, vint dans ma chambre une heure après; j'étais seule. "E!te reste,.dit-il, mais 7~0~ (i); on fera
semblant 'qu'elle s'en va, pour ne pas animer ses ennemis. C'est Ja
petite maréchale qui l'a décidée, mais son garde (eue appelait ainsi M. de
Machault ) le paiera. M Quesnay entra, et avec son air de singe, ayant entendu
ce qu'on disait, récita une' fable d'un renard qui étant à manger avec
d'autres animaux, persuada à l'un que ses ennemis le cherchaient, pour hériter
de sa part en son absence. Je ne revis Madame que bien tard, au moment de son
coucher. Elle était plus calme; les choses aUèrent de mieux en mieux chaque jour, et le
Machauh, infidèle ami, fut renvoyé. Le roi revint à son ordinaire chez Madame.
J'appris par M. de Marigni que M. l'abbé avait été un jour chez M. d'Argenson, pour,
l'engager a vivre amicalement avec Madame, et qu'il en avait été reçu
trèsfroidement. c Il est ner, me dit-il, du renvoi de Machault, qui laisse le champ vide à celui
qui a le plus d'expérience et d'esprit; et je crains que ceia
(i) C'est un mot latin employé vulgairement pour signifer de garder !e
sitence, comme l'on dit aussi tacet. ( Note dit premiei, )
n~entraîne tin combat à mort. o Le lendemain Madame ayant demandé sa chaise, je
fus curieuse de savoir où elle allait, parce qu~eiïë sortait peu, si ce
n'était pour aller à Féglise, on chez des ministres. On me dit
qu'elle était allée chez M. d'Argenson. EUe rentra une heure au plus après, et
avait l'air de fort mauvaise humeur. Ensuite elle s'appuya devant la cheminée,
les yeux fixes, sur le chambranle. M. de Bernis entra. J'attendais
qu'elle ôtat son manteau et ses gants, ayant les mains dans son manchon. M. l'abbé
resta quelques minutes à la regarder, ensuite lui dit « Vous avez Pair d'un
mouton qui rêve. » Elle sortit de sa rêverie en jetant son manchon sur un
fauteuil, et dit C'estunloup qui fait rêver le mouton. » Je sortis te maître entra peu de temps
après, et entendis que Madame sanglotait. M. Fabbé entra chez moi, et
me dit d'apporter des gouttes d~HoSman; le roi arrangea lui-même la potion avec du sucre et la lui
présenta de Pair le plus gracieux. Elle finit par sourire, et baisa les mains
du roi. » Je sortis, et le surlendemain j'appris de grand matin l'exil de M.
d'Argenson. C'était bien sa faute, et c'est le plus grand acte de crédit que
Madame ait fait. Le roi aimait beaucoup M. d'Argenson, et la guerre sur mer et
sur terre exigeait que l'on ne renvoyât pas ces deux ministres. C'est ce que
tout le monde disait dans le moment.
Bien des gens parlent de la lettre du comte d~Argenson à madame d'Esparbès;
la voici suivant la
version la plus exacte « L'indécis est enfin décidé. Le garde-des-sceaux
est renvoyé. Vbus allez » revenir, ma chère comtesse, et nous serons les )' maîtres du tripot.
Ce qu'il y a de plus secret, c'est qu'on prétend' que c'est d'Arbonlin, que
Madame appeDe bou~ou, qui a donné de l'argent, le jour même du renvoi du
garde-des-sceaux, au courrier de confiance'du comte, et qu'i) lui a r~mis cette lettre Cela
est-il bien vrai ? Je n'en jurerais pas., mais on dit que cela est dans le
style du comte, et d'ailleurs qui aurait aussitôt inventé cette lettre? Ce
qu'il y a de. sûr, c'est que le roi a paru trop en colère pour n'avoir pas
d'autre sujet de mécontentement, que le refus du comte de se réconcilier avec
Madame. Personne n'ose marquer de l'attachement pour le ministre disgracié.
J'ai demandé a ces dames ce qu'elles savaient et à mes amis; ils ne savent rien, et je
conçois pourquoi Madame ne leur fait pas en ce moment ses conndehces,
mais avec le temps elle sera' moins réservée. Tout cela m'inquiète peu, parce qu'elle
se porte bien et qu'elle paraît contente.
Une chose qui fait honneur au roi, c'est ce qu'il a dit à un seigneur que
Madame n'a pas nommé. Il se''frottait les mains d'un air joyeux, en disant
Je viens de uo~~ar~r/e~ bagages de Af. ~rgenson. Ce seigneur était un courtisan assidu du comte,
et le roi l'entendant, s'approcha de Madame en levant les épaules, et dit
Et /<?eo<7 c/M'
C'est ce qui est, je crois dans l'Evangile quand Pierre renia
Notre Seigneur. J'avoue que cela m'a fait grand plaisir de la part du roi, et
montre bien qu'il n'est pas la dupe de ceux qui l'entourent, et qu'il hait la
trahison car c'en est une.
Madame me fit appeler hier à sept heures pour lui lire quelque chose, ces
dames étaient a Paris, et M. de Gontaut malade. « Le roi, me dit-elle restera ce soir
long-temps au°consefl, c'est encore pour les affaires du parlement. » M'ayant
fait cesser la lecture, je voulus sortir, elle me dit Restez. Elle se leva, on
lui apporta une lettre, et elle répondit avec un air d'impatience et de
mauvaise humeur. Enfin au bout de quelque temps elle s'ouvrit, ce qui ne lui arrivait
que lorsqu'elle était fort chagrine, et comme aucun des confidens n'était
là 1 elle me dit: « C'est de Monsieur mon frère qui n'aurait pas osé
me dire cela il me l'écrit. J'avais arrangé pour lui un mariage avec la fille
d'un homme titré, il paraissait s'y prêter, et je m'étais engagée. Aujourd'hui
il me mande qu'il a pris des informations que le père et la mère sont d'une
hauteur insupportable; que la fille est fort mal élevée; et qu'il sait à n'en
pas douter, qu'ayant eu quelque connaissance du mariage dont il est question,
elle s'était exprimée avec le dernier mépris; qu'il en est sûr et qu'on m'a
encore moins ménagée que lui ennn, qu'il me prie de rompre le mariage. Mais il
m'a laissé aller trop avant, et voilà des ennemis irréconciliables qu'il me
fait. Ce sont quel-
ques-uns de ses complaisans, qui lui ont mis cela dans la tête parce qu'ils
ne voudraient pas qu'il changeât de vie, et que la plupart ne seraient pas
admis chez sa femme. Je tâchai d'adoucir Madame, et je trouvai, sans le dire,
que son frère avait raison. Elle persista à dire que c'étaient des mensonges, et
traita, le dimanche suivant, son frère très-froidement. Il ne me dit rien alors
et il m'aurait fort embarrassée. Madame raccommoda tout, en facilitant par des
grâces le mariage de la demoiselle avec un homme de la cour. La conduite
qu'elle tint deux mois après son mariage, fit dire à Madame que son frère avait
bien eu raison. Je vis madame du Chiron mon amie, et elle me dit: «Pourquoi
madame la marquise est-elle si opposée aux Jésuites ? Je vous assure qu'elle a
tort,'et toute puissante qu'elle est, elle peut s'en trouver mal. Je lui
répondis que je n'en savais rien. « Cela est très-certain et elle ne sent pas
qu'un mot de plus ou de moins peut décider de son sort. Comment l'entendez-vous
.lui dis-je?-Eh bien! je vais m'ouvrir, répondit-elle. Vous savez ce qui est
arrivé à l'assassinat du roi on a voulu la faire sortir aussitôt du château.
Les Jésuites n'ont en vue que le salut de leurs pénitens mais ils sont hommes
et la haine sans qu'ils le sachent, peut agir dans leur cœur, et leur inspirer
une rigueur plus grande que les circonstances ne l'exigent absolument. Une
disposition- favorable peut au contraire engager le
confesseur à 'de grands ménagemens,' et le plus court intervalle suffit
pour sauver une favorite et surtout quand il peut se trouver quelque prétexte
honnête pour son séjour à la cour. x Je convins de tout ce qu'elle
disait; mais je lui dis que je n'oserais toucher cette corde. J'y ns s réflexion ensuite
et je vis par là combien les jésuites étaient intrigans ce que je savais déjà je
crus néanmoins, malgré ce que j'avais répondu, devoir eu faire part à Madame
sans aucune réflexion mais pour l'acquit de ma conscience. « Votre amie madame
du Chiron, me dit-elle, est affiliée, à ce que je vois aux jésuites, et ne vous
parle pas d'elle-même elle est détachée par quelque révérend père, et je saurai
par lequel. )' On mit des espions, à ce que je suppose, à ses trousses et on sut que
c'était un père de Saci, à ce que je crois, et surtout un père Frey, qui
gouvernaient ladite dame. Quel dommage, me dit Madame que l'abbé
Chauvelin ne puisse savoir cela; x c'était l'ennemi le plus redoutable des
révérends pères. Madame du Chiron m'a toujours regardée comme janséniste pour
n'avoir pas voulu épouser, comme elle, les intérêts des révérends pères (1).
Madame n'est occupée que de l'abbé de Bernis qu'elle croyait devoir suffire
à tout elle en parle (i) Voyez dans les morceaux historiques les détails
relatifs à la destruction des jésuites.
sans cesse. A propos de cet abbé il faut que je dise quelque chose de
singulier qui ferait croire aux sorciers. Un an on quinze mois avant sa
disgrâce, Madame étant à Fontainebleau elle se mit devant un petit
secrétaire pour écrire il y avait au-dessus un portrait du roi. En fermant le, secrétaire,
après avoir écrit, le portrait tomba, et frappa assez fortement sa tète. Les
personnes qui en furent témoins s'alarmèrent, et on envoya chercher M. Quesnay.
Il se fit expliquer la chose et ordonna des calmans et une saignée. Comme elle
venait d'être faite, entra madame de Brancas qui vit du trouble et du
mouvement, et Madame sur sa chaise longue. Eile demanda ce que c'était, et on
le lui dit. Après avoir témoigné à Madame ses regrets, et l'avoir
rassurée, elle lui dit Je demande en grâce à Madame et au roi, qui venait
d'entrer, d'envoyer aussitôt un courrier à M. Fabbé de Bernis, et que
madame la marquise veuille bien lui écrire une lettre dans laquelle, sans autre
détail, elle lui demandera de lui marquer ce que lui a dit sa sorcière, et
qu'il ne craigne pas de l'inquiéter. ') La chose fut faite, et ensuite madame
de Brancas dit que la Bontemps lui avait prédit dans du mare de café, où elle
voyait tout, que la tête de sa meilleure amie était menacée, mais qu'il n'en
arriverait rien de fâcheux. Le lendemain l'abbé écrivit que madame Bontemps lui
avait dit aussi « Vous étiez presque noir en venant au monde, » et que cela
était vrai, et qu'on a attribué 40'
cette couleur, qui avait duré quelque temps, a un tableau qui
était devant le lit de sa mère, et quelle regardait souvent ce tableau qui
représentait Oéopatre se tuant au moyen d'une piqûre d'aspic que lui apportait un Maure
dans des fleurs. Il dit encore qu'elle lui avait dit c Vous avez bien de l'argent avec vous
mais il ne vous appartient pas; qu'effectivement il avait deux cents louis pour
remettre au duc de la VaHière. Enfin il marquait que, regardant
dans la tasse, elle avait dit <~ Je vois une de vos amies, la meilleure, une
grande dame, menacée d'un accident, o Qu'il devait avouer, malgré sa
philosophie, qu'il avait pâli qu'elle s'en était aperçue, avait regardé de
nouveau, et avait dit u Sa tête sera un peu menacée, mais il n'y paraîtra pas
une demi-heure après. Il n'y avait pas moyen de douter du fait, et il parut fort étonnant
au roi qui fit prendre des informations sur la sorcière,-mais que Madame empêcha
d'être poursuivie parla police. IIvenaitsouvent, chez Madame, un homme qui
était bien aussi étonnant qu'une sorcière. C'est le comte de Saint-Germain qui
voulait faire croire qu'il vivait depuis plusieurs siècles (i). Un jour
(i) Saint-Germain était un adepte, digne prédécesseur de Cagliostro.
Celui-ci se promettait de vivre cinq cents ans. Le comte de Saint-Germain s'en
donnait déjà 2000, et selon lui ce n'était encore qu'un à-compte. H s'attribuait même
la faculté de transmettre le don d'une longue vie. Prenant un jour son do-
Madame lui dit devant moi, à la toilette Comment était fait François I" ? c'est un roi que
j'aurais aimé. -.Aussi était-il très-aimable,)' dit Saint-Germain;
et il dépeignit ensuite sa figure et toute sa personne, comme l'on fait d'un
homme qu'on a bien considéré. C'est dommage qu'il fût trop ardent. Je lui
aurais donné un bien bon conseil qui l'aurait garanti de tous ses malheurs.
mais il ne l'aurait pas suivi, car il semble qu'il y ait une fatalité pour les
princes qui ferment leurs oreilles, c'est-à-dire celles de leur esprit, aux
meilleurs avis, surtout dans les momens critiques.–Et le connétable, dit
Madame, qu'en dites-vous?–Je ne puis en dire trop de bien et trop de mal, répondit-il.–La cour de
François Frétait-elle fbrtbelle?–Très-belle,mais
mestique à témoin d'un fait qui remontaitassezhaut:" Je n'en ai pas
connaissance, répondit celui-ci; monsieurle comte oublie qu'il n'y a que cinq
cents ans que j'ai l'honneur de le servir." Saint-Germain,
ainsi que tous les charlatans de cette espèce, se parait d'une magnificence
théâtrale et d'une science encore plus trompeuse. La fantasmagorie le servait
au mieux et comme il évoquait, par des effets de catoptrique des ombres
demandées et presque toujours reconnues, sa correspondance avec l'autre monde
était une chose prouvée par beaucoup de gens. Il joua le même rôle à Londres, à
Venise en Hollande; mais il regretta constamment Paris, où jamais on ne chicana
ses miracles.
Saint-Germain passa ses derniers jours auprès du prince de Hesse-Cassel, et
mourut à Plewig en 178~, au milieu de ses enthousiastes étonnes qu'il eût subi la lui commune. (
~Vo~e des nou~. cf/t7. )
celte de ses petits-,fils la surpassait infiniment; et du temps de
Marie-Stuart, et de Marguerite de Valois, c'était un pays d'enchantement, le
temple des plaisirs; ceux de l'esprit s'y mêlaient. Les deux reines étaient
savantes, faisaient des vers, et c'était un plaisir de les entendre. » Madame
lui dit en riant '< Il semble que vous ayez vu tout cela.J'ai beaucoup de
mémoire, dit-il, et j'ai beaucoup lu l'histoire de France. Quelquefois je
m'amuse non pas a~z~ec/'o~, mais à laisser croire, que j'ai vécu dans les plus anciens
temps.-Mais enfin vous ne dites pas votre âge, et vous vous donnez pour fort
vieux. La comtesse de Gergy qui était, il y a cinquante ans, je crois
ambassadrice à Venise, dit vous y avoir'connu tel que vous êtes aujourd'hui.-Il est vrai, Madame,
que j'ai connu, il y a long-temps, madame de Gergy.–Mais, suivant ce qu'elle
dit, vous auriez plus de cent ans à présent?–Cela n'est pas
impossible, dit-il en riant; mais je conviens qu'il est encore plus possible
que cette dame, que je respecte, radote.Vous lui avez donné, dit-elle, un étixir surprenant par
ses eRets elle prétend qu'elle a Jongtemps paru n'avoir que vingt-quatre ans.
Pourquoi n'en donneriez-vous pas au roi ?-Ah! Madame, djt-ii avec une sorte
d'effroi, que je m'avise de donner au roi une drogue inconnue, il faudrait que
je fusse fou..» Je rentrai chez moi pour écrire cette conversation. Quelques
jours après, il fut question entre le roi, Madame, quelques sei-
gneurs, et le comte de Saint-Germain, du secret qu'il avait de faire
disparaître les taches des diamans. Le roi se fit apporter un diamant médiocre
en grosseur, qui avait une tache. On le fit peser, et le roi dit au comte:
« ïi est estimé six mille livres, mais il en vaudrait dix sans la tache.
Voulez-vous vous charger de me faire gagner quatre mille francs? M II l'examina bien, et
dit « Cela est possible, et dans un mois je le rapporterai à Votre Majesté. -Le
comte, un mois après, rapporta au roi le diamant sans tache; il était enveloppé
dans une toile d'amiante qu'il ôta. Le roi le fit peser, et à quelque petite chose
près, il était aussi pesant. Le roi l'envoya à son joaillier, sans lui rien
dire, par M. de Gontaut, qui rapporta neuf mille six cents livres; mais le roi
le fit redemander pour le garder par curiosité. Il ne revenait pas de sa
surprise, et il. disait que M. de Saint-Germain devait être riche à millions,
surtout s'il avait le secret de faire avec de petits diamans de gros diamans.
Il ne dit ni oui, ni non; mais il assura très-positivement qu'il savait faire
grossir les perles, et leur donner la plus belle eau. Le roi le traitait avec
considération, ainsi que Madame. C'est elle qui m'a raconté ce que je viens de
dire. M. Quesnay m'a dit, au sujet des perles C'est une maladie des huîtres, et
il est possible d'en savoir le principe. Ainsi M. de SaintGermain peut grossir
les perles; mais il n'en est pas moins un charlatan, puisqu'il a un élixir de
longue vie, et qu'il donne a entendre qu~il a plu-
sieurs siècles: le maitre au reste en est entêté, et en parle quelquefois
comme étant d'une illlustre naissance.
Je l'ai vu plusieurs fois, il paraissait avoir cinquante ans il n'était ni
gras, ni maigre avait l'air fin, spirituel, était mis très-simplement, mais
avec goût; il portait aux doigts de très-beaux diamans, ainsi qu'à sa tabatière
et à sa montre. Il vint, un jour où la cour était en magnificence, chez Madame,
avec des boucles de souliers et de jarretières de diamans fins, si belles, que
Madame dit qu'elle ne croyait pas que le roi en eût d'aussi belles. H passa dans
l'anti-chambre pour les défaire et les apporter pour les voir de
plus près; et en comparant les pierres à d'autres, M. de Gontaut. qui était là,
dit qu'elles valaient au moins deux cent mille francs. Il avait ce même jour
une tabatière d'un prix infini, et des boutons de manche de rubis qui étaient
étincelans. On ne savait pas d'où cet homme était si riche, si extraordinaire,
et le roi ne souffrait pas qu'on en parlât avec mépris et raillerie. On l'a dit
bâtard d'un roi de Portugal. Je sus par M. de Marigni que les parens de la
bonne petite maréchale (i) lui avaient fait une grande querelle sur la bassesse
prétendue de sa conduite avec Madame; elle recevait, disait-on, les noyaux de
cerises que'Madame mangeait quelquefois en voiture, dans ses belles petites
mains,
(') De Mirepoix.
et elle se mettait sur te devant de la voiture, Madame étant seule sur le
fond. La vérité est, qu'en allant à Crécy par une chaleur affreuse, chacune de
ces dames avait voulu être seule sur un côté de la voiture, et cela pour avoir
moins chaud et pour ce qui est des cerises, des villageoises en ayant apporté à
ces dames, eues en mangèrent pour se rafraîchir pendant qu'on changeait de
chevaux, et la maréchale ayant prête son mouchoir, qui leur servit à toutes
deux, elle jeta par la portière les noyaux qu'elles y avaient jetés en les
mangeant. Les gens qui relayaient en même temps, avaient arrangé cela à leur
manière.
J'avais, comme vous savez, un très-joli appartement à l'hôtel, où j'allais
presque toujours à couvert. J'avais reçu deux ou trois personnes de Paris, qui
m'avaient dit des nouvelles; et Madame m'ayant fait appeler, je me rendis
auprès d'elle, et la trouvai avec M. de Gontaut. Je ne pus m'empêcher de lui
dire en entrant Madame doit être fort contente de la belle action de M. le
marquis de o Madame me dit d'un ton sec « Taisez-vous, et écoutez ce que j'ai à
vous dire. Rentrée dans ma petite chambre je reçus la yisite de madame la comtesse
d'Amblimont, et je lui racontai la mauvaise réception que m'avait faite Madame.
Je vois ce que c'est, me dit-elle et cela n'a aucun rapport à vous; je vais
vous expliquer la chose. Le marquis Jg* a raconté à tout Paris, qu'il y a
quelques jours se rendant à pied et seul chez lui pendant la nuit, il
avait entendu des cris dans une rue sombre et voûtée à moitié, qu'on
appelle .FeroM; qu'il avait mis l'épée à la main, et était entré dans cette rue, où
il avait vu à la lueur de la lanterne une très-belle femme, et bien mise, à qui
l'on faisait violence; qu'il s'était approché, et que la femme lui avait dit:,
Soyez mon libérateur; x qu'il avait fondu sur les assassins, dont deux,
l'épée à la main, s'étaient battus contre lui, tandis qu'un autre tenait la
femme dont il s'efforçait de fermer la bouche; qu'il en avait blessé un au bras, et que
comme on entendit que des gens passaient au bout de la rue, et qu'on craignit
qu'ils n'y entrassent, ils s'étaient enfuis; qu'il s'était alors approché de la
dame qui lui avait dit que ce n'étaient pas des voleurs, mais de grands
scélérats, dont l'un était amoureux fou d'eUe; que la dame s'était confondue 'en
témoignages, de reconnaissance; qu'elle lui avait demandé de ne pas la suivre
après l'avoir conduite jusques à un fiacre; qu'elle n'avait pas voulu dire son
nom, mais qu'elle lui avait fait accepter une petite bague pour signe de souvenir, et
qu'eUe lui avait promis de le voir et de lui tout dire s'il voulait lui donner
son adresse; qu'il avait obéi a la darne qui est charmante, et qui l'avait
embrassé a plusieurs reprises dans l'effusion de sa reconnaissance.–Voilà qui est
très-beau, dit madame la comtesse d'Amblimont; mais écoute?, le reste. Le
marquis de* s'est présenté le lendemain par-'tout, avec un taffetas noir près
du poignet, ou il
dit avoir reçu une ~~f/t~~e. Il a raconté son histoire à tout le monde et
chacun a fait ses commentaires. I) a été au dîner de M. le Dauphin qui
lui a parlé de sa bravoure et de la belle inconnue, et lu: a dit en avoir fait
compliment à M. le duc de c* J'oubliais de vous dire que le soir même, me dit
madame d'Amblimont, il était entré chez madame d'Estillac, vieille joueuse, où
l'on ne se couche qu'a quatre heures du matin; qu'il avait surpris tout le
monde par le désordre où il était, sa bourse étant tombée, et ayant un pan de
son habit percé, et sa main droite étant en sang; qu'on s'était empressé d'y mettre
une compresse, et de lui faire prendre du vin de Rota. Il y a quatre jours que
M. le duc de C* a soupé chez le roi, et s'est trouvé auprès de M. de
Saint-Florentin. Il lui a parlé de l'aventure de son parent, et lui a demandé
s'il avait fait quelques perquisitions sur la dame. M. de Saint-Florentin a
répondu sèchement que non et M. de C* lui ayant fait encore quelques
questions, il a remarqué qu'il avait les yeux baissés sur son assiette, qu'il
répondait d'un air embarrassé et seulement par monosyllabes. Il lui en a
demandé la raison, et M. de Saint-Floren-.tin lui a dit qu'il souffrait de le
voir ainsi dans l'erreur. Comment, a répondu M. de (~ pouvez-vous le
savoir, si cela est?-Rien n'est plus aisé à vous prouver, dit M. de
Saint-,Florentin. Vous sentez bien que }'ai ordonné, aussitôt que j'ai été
instruit du combat de M. le marquis de* >
de faire des recherches; et il s'est trouvé que la nuit où s'est passe
dit-on, cet événement, il y avait dans cette petite rue une escouade du
guet en embuscade, pour attendre'un filou qui devait sortir d'un tripot;
qu'elle y a reste jusque près de quatre heures, et n'a pas entendu le moindre
bruit. M. de c* est devenu furieux en écoutant ce récit dont M. de Saint Florentin
avait dû rendre compte au roi. Il fera dire, on l'a déjà fait dire, à son
parent de se rendre à son département. Voyez, d'après cela ma chère bonne, si
vous avez dû être bien reçue, lorsque vous êtes venue ta gueule. enfarinée
faire votre compliment à madame la marquise. Cette aventure, me dit elle en
outre, a donné lieu au roi de raconter qu'il y a quinze ans environ M. le
comte d'E* étant ce qu'on appelle <?~/M/~ d'honneur auprès de M. le dauphin,
et âgé de quatorze ans environ, rentra un -soir sa bourse arrachée ses
manchettes déchirées, chez M. te dauphin et raconta qu'étant allé se promener
à la pièce d'eau des Suisses un peu tard, il avait été attaqué par deux voleurs;
qu'il n'avait rien voulu leur donner; qu'il s'était mis en défense l'épée à la
main que l'un avait une epee, l'autre un gros bâton, dont il avait reçu
plusieurs coups; mais qu'il en ~avait blessé un au bras; qu'en ce moment ils
avaient entendu du bruit et s'étaient enfuis. Mais malheureusement pour le
comte, on sut qu'il y avait eu du monde dans l'endroit, et à l'heure dont il
parlait,
c! qu'on n'avait rien entendu. On excusa le comte d'après son âge M. le
dauphin lui ayant fait avouer la venté, et on regarda cela comme une envie
d'enfant de faire parler de soi.
Le roi n'aimait pas le roi de Prusse, qu'il savait faire des plaisanteries
sur la vie qu'il menait, et sur sa maîtresse, Il n'aurait tenu qu'à ce prince,
à ce que j'ai entendu dire, que le. roi de France eût été son plus ferme allié
et son ami, autant que les souverains peuvent l'être entre eux; mais les
railleries de Frédéric l'avaient ulcéré, et furent cause du traité de
Versailles (1). Il entra un jour chez Madame, avec un papier à !a main, et lui
dit « Le roi de Prusse est certainement un 'grand homme, il aime les gensataiens,
et comme Louis XIV, il veut faire retentir l'Europe de ses bienfaits envers les
savans des pays étrangers. )' Madame, et M. de Marigni qui était
présent, attendaient. f Voici, dit-il, une lettre de lui, adressée à milord
Maréchal pour lui ordonner de faire part à un homme supérieur de mon royaume,
d'une pension qu'il lui accorde (2); etjetant les yeux sur la let-
(t) Mai ~58.
(2) George Keith plus connu sous le nom de Milord ~<?ec~a/j était le
fils ainé de William Keith, comte maréchal d'Ecosse. Partisan déclare des Stuarts, il ne
cessa de combattre pour eux que lorsque leur cause, tout-à-fnit désespérée,
faisait courir à leurs défenseurs des dangers inut!)cs. Chaises de leur patrie,
qui n'était plus la sienne, Milord Man'ch:~ habita tour à tour la France, la
Prusse, l'Espag'ue et. L'ItaHc, 1
tre, il tut ces mots ~( Vous saurez qu'il y un homme à Paris, du plus grand
mérite, qui ne )) jouit pas des avantages d'une fortune propor)' tionnée à ses
talens et à son caractère; je pour)' rais servir d'yeux à l'aveugle déesse, et
réparer au moins quelques-uns de ses torts; et je vous prie )) d~rir par cette considération. Je me flatte qu'il acceptera cette
pension en faveur du piaisir » que j'aurai d'avoir obligé un homme qui joint la
» beauté du caractère aux talens les plus ~M~m~ )' de l'esprit. » Le roi s'arrêta, et dans ce moment
arrivèrent MM. de Gontaut et d'Ayen auxquels il recommença la lettre; et il
ajouta, "elle m'a été remise par le ministre des affaires étrangères, à qui l'a
confiée milord Maréchal, pour que je per-
préférant à tous les pays les délicieuses campagnes et le ciel .de~alence.
Il connut J.-J. Rousseau, lui témoigna de l'affection, et tacha d'en être
aimé mais te philosophe, à la fois trop sensible et trop ombrageux,
pouvait-il aimer long-temps un homme qui le menaçait de ses bienfaits?
Milord Maréchal mourut au mois de mai de l'année '~yS C'était Milord
Maréchal qui disait à madame Geonrin, en parlant de son frère, feld-maréchal de
l'armée prussienne mort au champ d'honneur « Mon frère me laisse le plus bel »
héritage, II venait de mettre à contribution toute ta Bohême," et sa
succession ne s'élere pas à soixante-dix ducats. Il existe un éloge de A~/oy~ ~(!ec/M/ par d'Alembert
c'est de tous ses ouvrages celui que Linguet a le plus cruellement déchiré. (
Voy. Annales politiques, 1778. ) (Note des /!OM~. e</< )
mette an g'<°/<? sublime d'accepter ce bienfait. ( Mais, dit le roi,
à combien croyez-vous que ce monte ce bienfait ? » Les uns dirent, six, huit,
dix mille livres. ( Vous n'y êtes pas, dit le roi, à douze cents /w~. » Pour des talens
sublimes dit le duc d~Ayen, ce n'est pas beaucoup. Mais les beaux-esprits
feront retentir dans toute l'Europe cette lettre, et le roi de Prusse aura le
plaisir de faire du bruit à peu de frais. Le chevalier de Courten (i), qui
avait été en Prusse, entra, et entendant raconter cette histoire, il dit aj~ai
vu bien mieux; en passant par je ne sais quel village en Prusse, je suis
descendu à la poste, en attendant des chevaux; et le maître de la poste, qui
était un capitaine prussien, m'a montré plusieurs lettres de la main de
Frédéric, adressées à son oncle, homme de naissance, qu'il traitait de
son ami,-lui promettant d'avoir soin de ses neveux; et ce qu~il a accordé a Faîne cruellement
blessé, est la place de maître de poste qu'il occupait. o M. de~ Marigni raconta
cette histoire chez Quesnay, et il ajouta que l'homme de génie était
d'ALembert, et que le roi lui avait permis d'accepter.la pension. Sa sœur
avait, dit-il, insinué au roi de donner le double a d~Aiembert, et de lui défendre
d'accepter la pension. Mais il n'avait pas voulu, parc6 qu'il regar-
(i) Le chevalier de Courten était un ofricier suisse, homme d'esprit. t.
dait d'Alembert comme un impie. M. de Marigni prit copie de la lettre,
qu'il me conna. Un certain seigneur eut rai r, pendant un temps, de faire les yeux
doux madame Adélaïde qui ne ~cn apercevait pas~; mais comme il y a
des Argus à la cour, on ne manqua pas d'en faire rapport au roi qui crut s~èn
être aperçu. J'ai su qu'it entra un jour en colère chez Madame, et qu~il lui
dit:« Croiriez-vous qu'il y a dans ma cour un homme assez insolent pour oser
lever les yeux sur mes filles? » Jamais Madame ne l'avait vu si en colère, et
on fit donner l'avis a~ce grand seigneur de feindre qu'il avait besoin
d'aller dans ses terres où il resta deux mois. Madame a dit, long-temps après, qu'elle
pensait qu'il n'y avait point de supplices auxquels le roi n~eût condamné un
homme qui aurait séduit une de ses filles. Madame Adélaïde, à l'époque dont il
s'agit, était charmante, et joignait à la plus aimable figure une grâce infinie
et beaucoupdetalens.
Un courrier ayant apporté une lettre à Madame, elle fondit en larmes; c~était la nouvelle de
Rosbach, que lui mandait M. de Soubise, avec des détails. J'entendis Madame
dire au maréchal de Belie-ïsie, en s'essuyant les yeux « M. de Soubise est
inconsolable; il ne cherche point à s'excuser, il ne voit que le désastre qui
l'accable. Cependant, dit M.. de Belle-Isle, M. de Soubise aurait beaucoup de
choses à dire en sa faveur, et je l'ai dit an roi. -Il est bien beau à vous, M.
le maré-
chal, de ne pas taisser accabler un malheureux; le public est déchainé
contre lui, que lui a-t-il fait ? –U n'y a pas, dit M. de Bel!e-ïsle un
plus honnête homme et plus obligeant. Je ne fais que mon devoir en rendan't
justice à la vérité et à un homme pour qui j'ai la plus profonde estime. Le roi
vous expliquera, Madame, que M. de Soubise a été forcé de donner la bataille par
le prince de Saxe Hildbourgshausen (i) dont les troupes ont fui les premières
et entraîné les Français. ') Madame aurait embrassé le vieux maréchal, si elle l'eût
osé, tant elle était contente.
M. de Soubise ayant gagné une bataille (2), fut fait maréchal
de France; Madame était enchantée du succès de son ami. Mais soit qu'il ne fût
pas important, soit ressentiment de la part du public, personne n'en parlait,
si ce n'est les amis de Madame. On lui cacha cette défaveur; et à sa toilette
ayant dit. à Colin, son intendant <f N'êtcs-vous pas bien aise de la
victoire de M. de Soubise, qu'en dit-on dans le public ? Il a bien pris sa
revanche? Colin, embarrassé, ne savait que répondre; enfin elle le pressa, et
il dit qu'il avait été malade et n'avait vu personne depuis huit jours.
M. de Marigni entra un jour chez moi de mauvaise humeur; je lui en demandai
le sujet. « Je
(i) Feld-maréchal de't'armée de l'empire.–Novembre '757-
(2) Celle de Lutzelberg, en octobre t~58.
viens, dit-il, de faire des représentations à ma sœur pour qu'elle ne place
pas a la marine M. le Norm..md-de-Mezi. C'est amasser, lui ai-je dit, des
charbons de plus sur sa tète; une favorite ne doit point multiplier contre elle
les points d'attaque. Le docteur entra, il le lui répéta. « Vous v.dex, dit le docteur à
M. de Marigni votre pesant d'or pour le seus et la capacité dans votre place et
pour votre modération mais on ne vous rendra point justice. Votre avis est
excellent; il n'y aura pas un vaisseau de pris que Madame n'en soit responsable
au public, et vous êtes bien sage de ne pas songer au ministère pour vous-même.
Un jour que j'étais à Paris, j'allai dîner chez le docteur qui s'y trouvait
aussi; il avait assez de monde, contre, son ordinaire, et entre autres un jeune
maître des requêtes d'une belle figure, qui portait un nom de terre que je ne
me rappelle pas, mais qui était fils du prévôt des marchands, Turgot. On parla
beaucoup administration, ce qui d'abord ne m'amusa pas; ensuite il fut
question de l'amour des Français pour leur roi. M. Turgot' prit la, parole et dit
« Cet amour n'est point aveugle, c'est un sentiment profond et un souvenir
confus de grands bienfaits. La nation, et je dirai plus, l'Europe et
l'humanité, doivent à un roi de France ( j'ai oublié le nom ) (i) la liberté;
il a établi les communes et donné à une multi(i) Philippe-7le-Long.
tude immense (Thommes une existence civile. Je sais qu'on peut dire avec
raison qu'il a servi son intérêt en les affranchissant; qu'ils lui ont payé des
redevances et qu'enfin i) a voulu par là affaiblir la puissance. des grands et
de la noblesse mais qu'en résulte-t-il? que cette opération est à la fois
utile, politique et humaine. Des rois en général, on passa à Louis XV, et le
même M. Turgot dit que son règne serait à jamais célèbre pour l'avancement
des sciences, le progrès des lumières et de la philosophie. Il ajouta qu'il
manquait à Louis XV ce que Louis XIV avait de trop, une grande opinion de
lui-même; qu'il était instruit, que personne ne connaissait mieux~que lui la topographie
de la France; qu'au conseil, son avis était toujours le plus juste; qu'il était fâcheux
qu'il n'eût pas plus de confiance en lui-même, ou ne plaçât pas sa confiance
dans un premier ministre approuvé de la nation. Tout le monde fut de son avis.
Je prjai M. Quesnay d'écrire ce qu'avait dit lé jeune Turgot, et je le montrai
à Madame. Elle fit à ce sujet -l'éloge de ce maître des requêtes; cet en ayant parlé
au roi, il dit C'est une bonne race. u
Un jour que j'avais été me promener, je vis en revenant beaucoup de gens
aller et venir, se-parler en particulier; et il était aisé de juger qu'il s~était passé quelque
chose d'extraordinaire. Je demandai à quoiqu'un de ma connaissance
ce .que c'était. «Hélas me dit-illes larmes aux yeux, des
<t*
assassins, qui ont formé le projet de tuer le roi, ont blessé en plusieurs
endroits un garde-du-corps qui les a entendus dans un corridor obscur on l'a
porté à l'infirmerie;'ét comme, il a désigné la couleur de l'habit de ces deux
hommes, on les cherche partout, et on a arrêté des gens qui-sont vêtus de
cette couleur, u Je vis Madame avec M. de Gontaut, et je m'empressai d'entrer. Elle
trouva sa porte assiégée d'une multitude de gens, et fut effrayée mais en entrant
elle trouva chez elle M. le comte de Noailles. « Qu'est-ce donc lui dit-elle, 1 M. lé comte?'~11 lui dit qu'il
était venu pour lui parler et i)s entrèrent dans son cabinet. La
conférence ne fut pas longue; fêtais restée dans le salon avec l'écuyer de Madame, le
chevalier de Sosent, Gourbillon son valet de chambre, et quelques personnes
.étrangères. On raconta beaucoup de:(~fG6nstances; mais le genre de
blessures n~éfatit que des égratignures, quelques contradictions échappées au
garde-du-corps, faisaient croire que c'était un imposteur qui avait imaginé une
fable pour obtenir quelque grâce. La soirée ne se passa pas sans en avoir la
preuve, et, je crois, de son propre aveu. Le roi vint le soir chez Madame; il
parla de cet événement avec beaucoup de sang-froid, et dit: "Le monsieur qui a
voulu me tuer était un scélérat fou; celui-ci est un vil gueux. » Il n'appelait
jamais Damiens lorsqu'il en parlait, ce qui n'a duré que quelque temps pendant
son procès, que ce monsieur. J'ai entendu
dire qu'il avait proposé de renfermer dans un cachot mais que l'horreur du
forfait avait fait insister les juges à ce qu'il subît tous les tourmens de ses
pareils. Beaucoup de personnes et des femmes même, ont eu la curiosité barbare
d'assister à cette exécution, entre autres madame de p* femme d'un
fermier-général, et très-belle. Elle avait loué une croisée ou deux douze
louis, et l'on jouait dans la chambre en l'attendant. Cela fut raconté au roi
et il mit les deux mains sur ses yeux, en disant Fi la vilaine! On m'a dit qu'elle et
d'autres avalent cru faire leur cour par-là, et signaler leur attachement pour
la personne du roi. Deux choses me furent racontées par M. Duclos, lors de
l'assassinat du roi la première est la singulière arrivée de M. le comte de Sponheim
qui était le duc de Deux-Ponts, et héritier du Palatinat et de la Bavière. Il
passait pour être l'ami du roi, et faisait de longs séjours en France. Il
venait trèssouvent chez Madame le roi le traitait avec beaucoup de
considération et lui témoignait de l'amitié. M. Duclos nous raconta que le duc
de DeuxPonts, ayant appris à Deux-Ponts l'assassinat du roi, était aussitôt
monté en voiture pour se rendre à Versailles mais, dit-H admirez l'esprit de
courtisanerie d'un prince qui peut devenir demain électeur de Bavière et
du Palatinat: il ne trouve pss que ce soit assez, et à dix lieues de Paris, il
prend de grosses bottes, monte un cheval de poste, et arrive claquant son fouet
dans ~a cour du château. Si ce
n'était pas de la chartatauerie, et que ce fût une impatience
réelle, iF aurait monté à cheval à vingt lieues d'ici. « Je ne pense pas comme vous,
dit un monsieur que je ne connaissais pas; l'impatience prend souvent à la fin
d'une entreprise, et Fon emploie le moyen le plus prompt'qui est en notre
pouvoir. D'ailleurs, il se peut faire que M. le duc de Deux-Ponts ait voulu, en
se montrant ainsi à cheval, servir le roi qu'il aime, en taisant voir aux
Français combien le roi est aime et honoré dans les pays étrangers. Ductos reprit la parole,
et dit: «Et M.de C*savez-vous son histoire? Le premier jour que le roi a reçu
du monde, il s'est tant poussé, qu~it est entré un des premiers avec un assez
mauvais habit noir; et te roi Payant regardé s~est mis à rire et a dit « Voyez
donc C' qui à la moitié de la hasque de son habit emportée. ') M. de C* a regardé
comnie s'il n'en savait rien, et a dit: « Sire, il y a tant de monde qui
s'empresse de voir Votre Majesté, qu'il faut faire le coup de poing pour
avancer; et c'est sans doute là ce qui a fait déchirer mon habit. –Heureusement qu'il ne vaut pas grand~chose, a dit M. le
marquis de Sbuvré, et vous h~en auriez pas pu choisir un plus mauvais pour le
sacrifier. »
On avait donné à Madame un fort bon conseil, fêtait de faire envoyer
à Constahtinopte eh quatitétTambassadeur, M. te Normand, son mari. Cela aurait diminué une partie du scandale
qu'il y avait à voir Madame avec Je titre de marquise à ta
cour, et son mari, fermier-général à Paris. Mais il était teiïement
attaché à ta vie -de Paris ,a ses habitudes à rOpéra, qu~on ne put jamais le déterminer. Madame chargea un
M. d~Arboulin, qui avait été dé sa société avant qu'elle fût à la cour de négocter cette affaire. Il
s'adressa à une mademoiselle Rem qui avait été danseuse à FOpéra, et qui était là maitresse de M. le
Normand (i). Il fui nt lës-plus .belles promesses; mais elle était comm& lui, et préferait la vie de Paris. Elle
ne voulut point s'en mêler. Dans le temps qu'on jouait la comédie aux petits appartemens, j~obtins, par un singulier
moyen, une lieutenance de roi pour un de mes pat'ens;~ét cela prouve bien
le prix que mettent les plus grands aux plus petits accès à la cour.
Madame n~aimait rien demander à M. d~Argenson et pressée par ma famille qui ne pouvait
concevoir qui) 'me fût difficile, dans la position où j~étais~d~ obtenir pour un bon
militaire un petit commandement, je pris le parti d'aller trouver M. le comte
d'Argenson. Je lui exposai ma demande, et'lui remis un mé-~ moire. Il me reçut froidement, et me
dit des choses vagues. Je sortis, et M. le marquis de V* qui
(i) M. le Normand épousa cette demoisélle Rem, s'il faut en croire une
épigramme qui courut, et que voici Pourreparermttert'aM ..L. QuePompadôurjStaiaFraDce, Lé Normand, plein
de conscience,
Vient d'épouser remtmblicam. '(A~o<'e~e~nouf.e~<.) `
était dans son cabinet, et qui avait entendu ma demande, me suivit. '<
Vous désirez, me dit-il, un commandement; il y en a un de vacant, qui m'est
promis pour un de mes protèges; mais si vous voulez ~aire un échange de grâce, et m'en
faire obtenir une, je vous!e céderai. Je voudrais être exempt 6~~o~ce, et vous êtes à portée de me procurer
cette place. Je lui. dis', que je ne concevais pas 1~ plaisanterie qu'il
faisait. ;( Voici ce que c'est, dit-il; on va jouer le Tartuffe dans les
cabinets, il y.aunrôied?exemptqui.cons!Ste en très-peu de vers. Obtenez
de madame la marquise 'de me faire donner ce rôle, et le
comniandement est à vousy'M Je ne promis rien, mais je racontai l'histoire à
Madame, qui me promit. de s'en charger. La chose fut faite, j'obtins' mon commandement,. et M, jde .V* remercia Madame
comme si elle l'eût fait .faire duc. Le'roi.etatt souvent importuné par les
parlemens, et il tint à leur sujet un'bien étrange propos:, que répéta devant moi M. de GoDtaut au docteur Quesnay..K',Hier,le roi, di,t-il, se,
promenait dans le.salon ~Vec nh air. soucieux. Madame de Pompa' iiom'-lm-demanda-s~J-avait de I~tiquietude sur sa s~nte', parce,qu~iL'est dopui~ quelque temps, un
peu indispose; II a r~pondu~ Non, mais jë~suis bien ennuyé de toutes ces remontMnc~es, Que peut-il en
arriver, a dit Madame'~ qui doive inquiéter sérieusement Votre Majesté? N~cst-eUe pas le maître
des parlemens comme de tout son royaume ?
Cela est vrai, a dit le roi; mais sans ces conseillers et ces présidens,je n'aurais pas
été frappe par ce MO/MMMr (il appelait toujours ainsi son assassin).–Ah! Sire, s'est écriée madame de
Pompadour. -Lisez le procès, a-t-il dit, ce sont les propos de ces messieurs
qu'il nomme, qui ont bouleversé sa tête.–Mais, a dit Madame, j'ai
souvent songé que si on pouvait envoyer à Rome M.
l'acchevéque.(i)–Trouvez quelqu'un qui lasse cette affaire-là,
a-t-ildit, et je lui donnerai ce qu'il voudra.)) JI Quesnay dit que le
roi avait raison dans tout ce qu'il avait dit. L'archevêque fut exilé peu de
temps après, et le roi était sérieusement amigé d'avoir été réduit à prendre ce
parti. «Quel dommage disaitil souvent, qu'un aussi honnête homme sojt aussi opiniâtre !–Et
aussi borné, dit un jour quelqu'un. Taisez-vous n lui dit brusquement
le roi. M. l'archevêque était très-charitable, et d'une extrême libéralité, mais
souvent il faisait des pensions, sans discernement (a). Il en avait accordé
'(i)M.deBeaumont/ 0 (a)'Une surprise assez plaisante, faite à sa bonté naturelle, est, celle-ci.
Madame la Caille, qui jouait les. duègnes à l'~Opera-Comique lui fut adressée
comme une mère de farnIHe qui mëritai.t,.sa protection. Le prélat Im demanda ce qu'H jpouvait faire. Monseigneur, lu,i dit,l'actrice~ deux j'mots de votre~majn à M. je maréchal de
Richelieu, le por".teraient-~m'accorder une demi-part. D M. de Beaumont à
qui ]a.langue du theatr.e était peu familière pensa que ~<'m<~<:r< signifiait une portion p)us généreuse
dans tes ~aumônes
une de cent louis a une jolie femme très-pauvre et qui portait un
beau nom qui ne lui appartenait pas. La crainte quelle ne donnât dans le
vicel'avait engagé à lui faire une aumône aussi forte et la femme jouait
l'hypocrite à merveille; et sortie de ~archevêché en grandes
coiffes, elle se divertissait avec plus d'un amant. Les grands ont la mauvaise
habitude de parler devant leurs gens fort indiscrètement. M. de Gontaut dit un
jour ces mots couverts, à ce qu'il croyait, au duc de. '(Qu\m avait si bien pris
ses mesures qu~on viendrait à bout de persuader M. l'archevêque d'aller à Rome
avec le chapeau de cardinal et que s'il voulait on lui donnerait un
t'oadjutpur. x On avait trouvé un prétexte très-plausible pour amener cette
proposition, et là taire trouver flatteuse à l'archevêque et conforme à ses sentimens.t~atFaire avait été
adroitement entamée, et le succès paraissait certain. Le roi Savait pas Pair de rien savoir
vis-à-vis rarchevêque.-Le négociateur agissait comme d'après son idée, pour le bien des
affaires. Cétait un ami (deFarchevéque, et qui était sûr d~étre bien récompensé.
Un valet-de-chambre du duc de Gontaut
de M. te maréchal et le billet fut écrit de la manière ta plus pressante. Le
maréchal répondit Qu'il remerciait M. l'archevêque de son intérêt pour le Théâtre-Italien et
pour ta dame la Caille, sujet assez utile à ce spectacle que néanmoins, elle avait la~vuix fausse mais que
celle de M. l'archevêque la recommandait mieux ~qu'uh grand
talent, et que la demi-part était accordée." n (~Vo~f/M/tCt~
fort joli garçon avait parfaitement saisi le sens. de ce qu'il avait dit
mystérieusement. Il était un des amans de la dame aux cent louis à qui il
entendait parler quelquefois de l'archevêque, dont elle se disait parente. Il
crut bien faire de l'avertir qu'on travaillait auprès de lui, pour le déterminer à résider à Rome
uniquement pour l'éloigner de Paris. La dame ne manqua pas d'avertir
l'archevêque, craignant de perdre sa pension s'il partait. Cet avis cadrait si
bien avec la négociation entamée, que l'archevêque n'eut aucun doute sur sa
vérité. Il se refroidit peu à peu dans ses conversations avec le négociateur
qu'il regarda comme un traitre, et il finit par se hrouiJter avec lui. Ces
détails n'ont été sus que long-temps après. L'amant de ta dame ayant été mis
à Bicëtre on trouva dans ses papiers des lettres d'elle qui mirent sur la voie,
et on lui nt avouer le reste. Pour ne pas com- promettre le duc de Gontaut, il
fut dit au roi que le valet-de-chàmbre avait su Fan'aire par une lettré qu'il
avait prise dans l'habit de son maître. Le roi se donna le plaisir
d'humilier Parchevèque en conséquence des renseignemens qu'il avait pris sur la conduite de
la dame sa protégée. Elle fut trouvée coupable d'escroqueries faites de concert avec son
cher amant; mais'avant de la punir, le lieutenant de police fut chargé de voir
Monseigneur, et de lui rendre compte de là conduite de-sa-parente-et de sa-pensionnaire.'L~archcvéque n'eut aucune
objection à faire d'après les
preuves qu'on lui donna; il dit, sans s'émouvoir qu'elle n'était
point sa parente; et levant les mains au ciel « C'est une malheureuse, dit-il,
qui m'a ravi le bien des pauvres par ses Impostures. Mais Dieu sait qu'en lui
donnant une pension aussi forte, je n'ai point agi légèrement. J'avais dans ce
temps l'exempte d'une jeune femme qui m'avait demandé dix-huit cents francs me
promettant de vivre trèssagement, ce qu'elle avait fait jusque là je la
refusai, et elle me dit en sortant Je tournerai a gauche, ..Monseigneur,
puisque te chemin m'est fermé à droite. La malheureuse n'a que trop tenu
parole; elle a trouvé moyen d'avoir chez elle un pharaon qu'on tolère et à la plus
mauvaise conduite, elle joint l'infâme métier de corruptrice de la jeunesse; sa
maison est le repaire de tous les vices. Jugez, d'après cela, Monsieur, dit-il,
s'il n'était pas prudent à moi de faire à la femme dont il s'agit une pension
convenable à l'état où je la croyais née, ann d'empêcher que jeune, jolie, spirituelle,
elle n'abusât de ces dons, ne se perdît et n'en entraînât d'autres. "Le lieutenant de police dit au
roi qu'il avait été touché de la candeur et de la noble simplicité du prélat: 'fJe n'ai jamais douté, dit
le roi, de ses vertus, mais je voudrais qu'il se tint tranquille. Le mémearchevëquefaitune pension de douze
cents livres au plus mauvais sujet de Paris; c'est un :poëte (:) qui a fait des
poëmes abominables;
(<) Robbé de Beauveset, célèbre ou du moins connu par
la pension est donnée à condition que ses poëmès ne seront point imprimés. Je tiens ce fait
de M. de Marigni à qui H les a récités un jour qu'il soupait avec lui, et
quelques gens de la cour, pour leur débiter son horrible poëme. Il fit sonner
de l'or qui était dans sa poche '( C'est de mon bon archevêque, dit-il; je lui
tiens parole, mon poëme ne sera point imprimé pendant ma vie, mais je le lis.
puis il se mit à rire. '< Que dirait ce bon prélat s'il savait que j'eusse
partagé mon quartier avec une charmante, petite danseuse des Italiens? C'est
donc l'archevêque qui m'entretient? m'a-t-elle dit; que'cela est drôle. Le roi
le sut, et en fut scandalisé. f< On est bien embarrassé pour faire le.
bien » dit-il.
Le roi entra un jour chez Madame qui finissait de s'habiller; j'étais seule
avec elle. « II vient de m'arriver une singulière chose, dit-il; croiriezvous qu'en
rentrant dans ma chambre à coucher, sortant de ma garde-robe, j'ai trouvé un
monsieur *r face a face de moi?' Ah Dieu Sire dit Madame enrayée. Ce n'est rien,
reprit-.il; mais
_)
des vers impies ou licencieux. Sa vie crapuleuse répondait au cynisme de,
ses écrits. Il s'amenda, vers le milieu de sa vie, touché des représentations
du comte d'Autre personnage très-dévot qui cessa'de 1 être après qu'il eut
converti Robbé. « J'ai fait, pour mon salut, disait-Il, ce qu'on fait pour la
milice; j'ai mis un homme à ma place. » Robbé mourut, à Saint-Germain, en 1794- Ses poésies
salissent plusieurs recueils, mais n'ont jamais été rassemblées. ( TVo~e
des MOKt\ e~. )
j'avoue que j'ai eu une grande surprise cet homme a paru tout interdit. Que
faites-vous ici, lui ai-je dit d'un ton assez poli? Il s'est mis à genoux en me
disant Pardonnez moi Sire, et avant tout faites-moi fouiller. Il s'est hâte lui-même de vider
ses poches; il a ôté son -habit, tout troublé, égaré; enfin il m'a dit qu'il
était cuisinier de. et ami de Beccari qu'il était venu voir, et que s'étant
trompé d'escalier, et toutes les portes s'étant trouvées ouvertes, il étaifarrivé jusqu'à la chambre
où il était et dont il serait bien vite sorti. J'ai sonné, et Guimard est entré, et a été tort surpris de
mon tête-:)tête avec un homme en chemise. Il a prié Guimard de passer avec lui dans
une.autre pièce et. de le fouiller dans les endroits les plus secrets. Ennn le pauvre
diable est rentré et a remis son habit. Guimard me dit: C'est certainement un
honnête homme qui dit la vérité, et dont on peut, au reste, s'informer. Un
autre de mes garçons du .château est entré, et s'est trouvé le connaître. Je
réponds, m'a-t-il dit, de ce brave homme, qui fait d'ailleurs mieux que
personne du bœuf à Fécarlate. Voyant cet homme si interdit qu'il ne savait trouver la porte, ni se
tenir en place, j'ai tiré de mon bureau cinquante louis. Voila, Monsieur, pour
calmer vos alarmes. Il est sorti après s'être prosterné. Madame se récria
sur ce qu'on pouvait ainsi entrer dans la chambre du roi. Il parla d'une
manière trèscalme'de cette étrange apparition, mais on voyait qu'il se
contraignait, et que, comme de.raison il
avait été effraye. Madame approuva beaucoup la gratification; et elle avait
d'autant plus de raison, qùe cela notait nullement la coutume du roi. M. de
Marigni, me parlant de cette aventure que je lui avais racontée, me dit qu'il
aurait parié mille louis contre le don des cinquante louis, si tuut autre que
moi lui eût raconte ce trait. C'est une chose singulière, m'ajouta-t-il que
toute la race des Valois ait été libérai à l'excès; et il n'en est pas tout-à-fait de
même de celle des Bourbons, accusée d'être un peu avare. Henri IV a passé pour
être avare (i). H donnait à ses maîtresses, parce qu'il était faible avec elles, et il
jouait avec Fapretë d'un homme dont la fortune dépend du jeu. Louis XIV donnait
par faste. C~est une chose bien étonnante (me dit aussi M. de Marigni ) que
celte qui aurait pu malheureusement arriver. Le roi pouvait être assassiné dans
sa chambre saris que personne en eût eu connaissance, et sans qu~ on eût pu
savoir par qui. Madame fut plus de quinze jours affectée de cela. Elle eut, dans ce temps-là
à-peu près une querelle avec son frère, et tous deux avaient raison. On lui
offrait pour lui la fille d'un des plus
(i) On ne peut pas dire que Henri IV fut avare. Quant au jeu, l'on peut
dire que l'impatience, les regrets qu'on v montre, tiennent souvent à
l'amour-propre enfin à d'autres principes que l'avarice. On a vu des hommes qui
étaient ce qu'on appelle mauvais joueurs, montrer dans toutes les autres
occasions la plus grande libéralité. du premier édit.
( ~Vb~e ~ft~remter e~tf. )
grands seigneurs de la cour, et le roi consentait à le faire duc à brevet
et même héréditaire. Elle avait raison de vouloir élever son frère, mais
celui-ci disait qu'il aimait avant tout sa liberté, et qu'il n'en ferait le
sàcrifice que pour une personne qu'il aimerait. C'était un véritable philosophe
épicurien, qui était très-capable, à ce que disaient ceux qui le connaissaient
et qui en jugeaient sans envie. Il n'a tenu qu'à lui d'avoir la survivance de
M. de SaintFlorentin, et la marine à la retraite de M. de Machault il dit à sa
sœur à cette époque « Je vous épargne bien des chagrins, en vous privant d'une
petite satisfaction le public serait injuste envers moi,' quelque bien que je
fisse dans ma place. Quant à celle de M. de Saint-Florentin, il peut vivre
vingt cinq ans et cela ne m'avancerait de rien les maîtresses sont assez haïes
par elles-mémes, sans qu'elles s'attirent encore la haine qu'on porte aux
ministres. ') C'est M. Quesnay qui m'a raconté cette conversation.
Le roi eut encore une maîtresse qui inquiéta Madame c'était une femme de
qualité dont le mari était l'un des. courtisans les plus assidus. 11 était né
sans bien, et sa femme était peu riche. Un homme attaché au roi, et qui avait
occasion de visiter les habits qu'il quittait, me demanda un jour un
rendez-vous, et me dit qu'il était fort attaché à Madame, parce qu'elle était
bonne et utile au roi; que le roi ayant changé d'habit, comme il.le serrait, il
était tombé une lettre qu'il avait eu la cu-
riosité de la tire, et qu'elle était de la comtesse de. qui avait déjà
cédé à ses désirs; il me rapporta ensuite les termes dans lesquels elle
exigeait le renvoi de Madame dans quinze jours, et au moment cinquante mille,
écus d'argent comptant, un régiment pour nn de ses pareas un évéché pour un autre, etc. Je repondis,
à cette personne que j'en ferais part à Madame qui se conduisit avec une
grandeur d'ame singulière. Elle me dit = « Je devrais instruire le roi dela
trahison de son domestique, qui peut user des moyens qu'il a par sa place
pour dérober et abuser de secrets importans; mais il nie répugne d'être Fauteur de la
perte d'un homme cependant je ne puis le laisser auprès du roi et'voici ce que je vais faire.
Dites-lui qu'il y a un emploi de dix mille livres de rente vacant en province; qu~il le
demande au ministre des finances et qu'il emploie ses protections quelconques,
et qu'il lui sera accorde mais que s'il en parle, on instruira le roi de sa
conduite. Par ce moyen je crois avoir fait tout ce que mon attachement et mon
devoir me prescrivent je débarrasse le roi d'un serviteur infidèle sans le
perdre. C'est un hasard que je trouve heureux, ditelle, qui m'a fait le matin
être instruite de la vacance de cet emploi, et j'en dédommagerai celui qui
s'est adressé à moi pour l'obtenir. ') Je m'acquittai des ordres de Madame dont
j'admirai la délicatesse et l'adresse. Elle ne fut pas inquiète de la dame
quand .eHe vit ses prétentions. Elle va
trop vite, me dit-elle, et elle versera en chemin. » Ladamemourut.
M Voilà ce que c'est que la cour. Tout est corrompu, du grand au petit,
disais-je un jour à Madame qui me pariait de quelques faits qui étaient à ma
connaissance. Je t'en dirais bien d'autres me répondit elle, mais la petite
chambre où tu te tiens souvent t'ex apprend assez, )' C'était un petit
réduit près de la chambre de Madame où je ne recevais personne, et d'où l'on
entendait une partie de ce qui se disait. Le lieutenant de police entrait
quelquefois par cette chambre secrètement, et y attendait. Trois ou quatre
personnes considérables y passaient aussi dans le plus grand mystère, et
plusieurs dévots qui étaient, dans le fond, du parti opposé à Madame-.Mais ils ne se
contentaient pas de petits objets; l'un demandait un gouvernement,
celui-là Fentrée an conseil, un autre une place de capitaine des gardes; et celui-ci
l'aurait obtenue, si~la maréchale de Mireppix ne Feùt demandée pour son frère le prince de
Beauvau. Le chevalier du Muy notait pas du nombre de ces infidèles la charge de
connétable ne Faurait pas déterminé à faire une avance à Madame, encore moins à
trahir son maître le dauphin. Ce prince était d~une lassitude extrême
de son 'rôle importuné sans cesse par des ambitieux qui faisaient les Gâtons et
les dévots, il agissait quelquefois par prévention contre un ministre mais
bientôt il retombait dans l'inaction et daus l'ennui. Le roi disait
quelquefois « Mon fils est paresseux, et son caractère est polonais, vif et
changeant; il n'a aucun goût la chasse, les femmes la bonne :chère ne lui sont,
de rien il croit peut-être que s'il était à ma place, il serait heureux; dans
les premiers temps il changerait tout, aurait l'air de recréer tout, et bientôt
après il serait peut-être ennuyé de l'état de roi, comme il l'est du sien,;
il est fait pour vivre en philosophe avec des gens d'esprit. » Le roi
ajoutait « H aime le bien il est véritablement vertueux, et a des lumières. »
M. de Saint-Germain (l) dit un jour au r oi Pour estimer les hommes il ne
faut être ni confesseur, ni ministre, ni lieutenant de police; Le roi lui
dit <( Et roi.–Ah dit-il, Sire, vous avez vu le brouillard qu'il faisait il y a.
quelques jours, on ne voyait pas à quatre pas. Les rois, je parle en général,
sont environnés de brouillards encore plus épais que font naître autour d'eux les
intrigans, les ministres infidèles et tous s'accordent dans toutes les classes pour
lui taire voir les objets sous un aspect différent du véritable. )' J'ai entendu ceci
de la bouche du fameux comte de Saint-Germain étant auprès de Madame qui était
incommodée et dans son lit. Le roi y vint, et le comte, qui était trèsbien
venu, avait été reçu. Il y avait M. deGontaut, madame de Brancas
et l'abbé de Bernis. Je me souviens que le même jour, le comte étant sorti,
()) Le charlatan qui avait pris ce nom.
le roi tint un propos qui fit de la peine à Madame. Il était question du
roi de Prusse, et le roi dit ".C'est un fou qui risquera
le tout pour le tout, et qui peut gagner la partie, quoique sans religion sans mœurs et sans
principes. Il veut faire du bruit, et il en fera Julien-FApostaten a bien
fait.-Jamais dit Madame lorsqu'il fut sorti je ne Fai "vu si animé; mais
enfin la comparaison de Julienl'Apostat n'est pas mauvaise, vu l'irréligion du
roi de Prusse. S'il se tire d'affaire avec tous les ennemis qu'il a,il sera
dans l'histoire un grand homme. M M. de Bernis lui dit <f Madame est juste
dans ses jugemens, car elle n'a pas lieu, ni moi non plus qui l'approuve, de s'en louer.
»
Madame n'eut jamais tant de crédit, que'lorsque M. de Choiseul fut
entré dans le ministère. Du temps de l'abbé de Bernis, elle. s'occupait à !e
maintenir, et il ne se mêlait que des aNaires étrangères, dont il n'était pas
fort instruit, à ce que l'on disait. Madame avait fait le traité de Vienne,
dont, a la vérité, l'abbé lui avait donné la première idée. Le roi parlait souvent à
Madame sur cet objet, à ce que m'ont dit plusieurs personnes, mais je n'ai
jamais entendu rien par moi-méme à ce sujet, sinon que Madame donnait les plus
grands éloges à l'impératrice, et à M. le prince de Kaunitz qu'elle avait
beaucoup connu. Elle disait que c'était une tête carrée, une tête
ministérielle; et un jour qu'elle s'exprimait ainsi, quelqu'un chercha à donner
des ridicules au prince sur sa coiffure, et sur
les quatre valets de chambre qui, avec des soufflets, faisaient voler là
pondre dont Kaunilz ne recueillait en courant que la partie superfine. Madame
dit: « C'est Alcibiadequi fait couper la queue à son chien, pour donner à parler
aux Athéniens, et détourner leur attention des choses qu~il voulait leur
cacher. v
Jamais le public n'a été, plus déchaîné contre Madame, qu'après la nouvelle
de la bataille de Rosbach. C'était tous les jours des lettres, anonymes pleines
des plus grossières injures des vers sanglans, des menaces de poison.,
d'assassinat. Elle fut long-temps plongée dans~Ia plus vive douleur, et ne dormant
qu'avec des caïmans. La protection qu'elle accordait au prince de Soubise
excitait tout le mécontentement, et le liéutenant de police avait bien de la
peine à calmer les esprits sur son compte. Le roi prétendait que ce n'était pas
sa faute. M. du Verney (i) était l'homme de connance de Madame pour ce
qui concernaitia guerre, à laquelle on dit qu'il. s'entemdait parfaitement bien,
quoique n'étant pas militaire. Le vieux maréchal de Noailles Rappelait,
avec mépris le général des farines, et le maréchal de Saxe dit un jour à Madame que du Verney en
savait plus que ce vieux maréchal. Du Verney vint un jour chez Madame, où se
trouva le roi, le ministre de la guerre, et deux maréchaux; et il (i) Frère de
M. de Montmartei, homme de beam'oup de talcns.
donna un plan de campagne qui fut généraiement applaudi. Ce fut
lui qui fit nommer M. de Richelieu pour commander l'armée à la place du
maréchal d'Estrées. ,Il vint chez Quesnay deux jours après, et j'étais chez
lui. Le docteur se mita parler guerre, et je me souviens qu'il dit « Les
militaires font un grand mystère de leur art, mais pourquoi les jeunes princes
ont-ils tous de grands succès? c'est qu'ils ont l'activité et l'audace.
Pourquoi les souverains qui commandent leurs troupes, font-ils de grandes
choses? c'est qu'ils sont maîtres de hasarder. H Ce discours' me
fit impression.
Le premier médecin du roi vint un jour chez Madame il parla de fous et de folie. Le roi
y était, et tout ce qui concernait les maladies de tous genres l'intéressait.
Le premier médecin dit qu'il connaissait, six mois à l'avance les symptômes de
la folie. Le roi dit M Y. a-t-il des gens à la cour qui doivent devenir fous ?
J'en connais un qui sera imbéciile avant trois mois, dit-il. M Le roi
le pressa de le lui dire. Il s'en défendit quelque temps; enfin if dit « C'est
M. de SécheIIes, contrôleur-général. Vous lui en voulez, dit Madame, parce qu'il ne vous a pas accordé ce
que vous lui demandiez. Cela est vrai, dit-il; mais cela ne peut'm'engager qu'à
dire une vérité désagréable, et non pas à inventer. C'est affaiblissement;
il vent à son âge faire le galant, et je nie suis aperçu que la liaison de ses
idées lui échappe. H Le roi se mita rire; mais trois mois après il vintchez Madame, etIuidi<:f<Séchcnes
a radoté en plein conseil; il faut lui donner un successeur. »
Madame me raconta cette histoire en allant à Choisy. Quelque temps après,'le
premier médecin du roi vint voir Madame, et lui parla en particulier. Vous
aimez M. Berryer, lui dit-il, et je suis fâché d'être dans le cas d'avertir madame
la marquise, qu'il sera fou ou cataleptique avant peu. Ce matin je l'ai vu a la
chapelle où il s'était assis sur une de ces petites chaises qui sont très-basses, et qui ne
servent qu'à se mettre à genoux. Ses genoux lui touchaient au menton. J'ai été
chez lui au sortir de la messe; il avait les yeux égarés, et son secrétaire lui
ayant dit quelque chose, il dit du ton te plus emphatiquement ridicule
7c:Mez-~ouj,M/7ïe.~7~e/M/Me est faite pour écrire, non pour parler (i). Madame, qui
aimait le garde-des-sceaux, fut très-fâchée et pria le premier
médecin de ne point parler de ses découvertes. Quatre jours après il tomba en
catalepsie, après avoir déraisonné. C'est.une maladie dont je ne connais pas
même le nom que je me suis fait donner par écrit. On demeure. dans la position
où l'on est au moment de l'attaque; une jambe en l'air, si on l'a, et les yeux
ouverts, etc. Cette der-
e
(t) Le docteur pouvait se tromper, et le ministre avoir ratson car le mot ~/M/nB, apptiquë à un
secrétaire qui ne quitte jamais sa ptume se dit souvent par plaisanterie. (
Note ~M ~/e/Hte7' e<~t7. )
nière histoire, a la mort du ministre, fut connue de toute la cour.
Lorsque le fils du maréchal de Belle-Isle fut tué à Farmée, Madame engagea le
roi à aller voir le maréchal. Il eut quelque peine à s'y déterminer, et Madame
lui dit avec une espèce de colère, mêlée de douceur, et comme de plaisanterie
Barbare dont l'orgueil
Croit le sang d'un sujet trop payé d'un coup-d'œ Le roi se'mit à rire, et dit:
D~où sont ces beaux vers ? De Voltaire dit Madame. Je suis un
barbare, dit le roi, qui lui ai donné une charge de gentilhomme ordinaire, et
une pension. )) Le roi se rendit chez le maréchal, suivi de toute sa cour; et
il ne parut que; trop vrai que cette visite si solennelle, consolât le maréchal de la
perte de son fils, du seul héritier de son nom (l). Quand le maréchal mourut,
on le transporta sur une mauvaise civière, couvert d'une mauvaise couverture, à
son hôtel. Je le rencontrai; les porteurs riaient et chantaient. Je crus que
c'était quelque domestique, et ayant demandé qui c~était, je fus fort
surprise d'apprendre que c'était un homme comblé d'honneurs et de richesses.
Telle est la cour, les morts ont tort, ils ne sauraient trop tôt disparaître.
Le roi dit « Voi)à donc M. Fouquet mort. » Le duc d~Agen dit (f II notait plus Fouquet; Votre
Majesté lui avait permis
(i) Le maréchal fit le roi son héritier en partie.
de quitte:' ce nom dont cependant le plus beau de son nez était fait. »Le roi
leva les épaules. Il avait. effectivement obtenu des lettres-patentes
enregistrées, pour ne pas signer Fouquet, étant ministre. C'est ce que j'appris
à cette occasion. M..de Choiseul eut la guerre à sa mort; sa faveur allait en croissant de jour en
jour. Madame le considérait plus qu'elle n'avait fait d'aucun ministre, et ses
manières avec elle étaient les plus aimables du monde, respectueuses et
galantes. I! n'était pas un jour sans la voir. M. de Marigni ne pouvait pas
souNrir M. de Choiseul, mais il n'en parlait qu'avec ses amis intimes. Un jour il se
trouva chez Quesnay où j'arrivais; ils parlaient de M. de Choiseul. « Ce n'est
qu'un petit-maître, dit le docteur, et s'il était plus joli, fait pour être un
favori d~Henri III. u Le marquis de Mirabeau entra, et M. de la Rivière (i~. « Ce royaume,
dit Mirabeau, est bien mal; il n'y a ni sentimens énergiques, ni argent pour les
suppléer. H ne peut être régénéré (2),
(t) Mercier de la Rivière, conseiller au parlement, ancien intendant de la
Martinique, auteur d'un gros livre qui fit grand bruit en paraissant, et qui
porte pour titre De ~'O/re naturel et essentiel des sociétés politiques. (Note
des K0!ff. e~'<.)
(z) Ce royaume ne peut être régénéré, mots remarquables, surtout quand on
les rapproche de ceux qui suivent, et qui semblent tristement prophétiques /eDeHc/e/y'<Mpa~ K~' t)~ pas de main morte.
Note des Moue. e</t<. )
dit ta Rivière, que par une conquête comme à la Chine, ou par quelque grand
bouleversement intérieur mais malheur à ceux qui s'y trouveront le peuple
français n'y va pas de main morte. Ces paroles me firent trembler, et je
m'empressai de sortir. M. de Marigni en fit de même, sans avoir l'air d'être
affecté de ce qu'on disait. '( Vous avez entendu, me dit-il; mais
n'ayez pas peur, rien n'est répété de ce qui se dit chez le docteur ce sont
d'honnêtes gens, quoique un peu chimériques; ils ne savent pas s'arrêter,
cependant ils sont, je crois, dans la bonne voie. Le malheur est qu'Us passent
le but. J'écrivis cela en rentrant.
Le comte de Saint-Germain étant venu chez Madame qui était
incommodée, et qui restait sur sa chaise longue, lui fit voir une petite boîte
qui contenait des topazes, des rubis des émeraudes. Il paraît qu'il y en avait
pour des trésors. Madame m'avait appelée pour voir toutes ces belles choses. Je
les regardai avec ébahissement, mais je faisais signe par derrière à Madame que
je croyais tout cela faux. Le comte ayant cherché quelque chose dans un
porte-feuille, grand deux fois comme un étui à lunettes, il en tira deux ou
trois petits papiers qu'il déplia, fit voir un superbe rubis, et jeta de côté
sur la table avec dédain une petite croix de pierres blanches et vertes. Je la
regardai, et dis « Cela n'est pas tant à dédaigner. Je l'essayai, et j'eus
l'air de la trouver fort jolie. Le comte me pria aussitôt de l'accepter; je
refusai, H insista. Madame
refusait aussi pour moi. Enfin il pressa tantôt tant, que Madame, qui
voyait que cela ne pouvait guères valoir plus de quarante louis, me
fit signe d'accepter. Je pris la croix, fort contente des belles manières du
comte; et Madame, quelques jours après, lui fit présent d'une boite émaillée
sur laquelle était un portrait de je ne sais plus quel sage de la Grèce, pour
faire comparaison avec lui. Je 6s', au reste, voir la croix, qui valait
quinze cents francs. Il proposa à Madame de lui faire voir quelques portraits
en émail de Petitot, et Madame lui dit de revenir après dîner pendant la
chasse, Il montra ses portraits, et Madame lui dit: On parle d'une histoire
charmante que vous avez racontée il y a deux jours en soupant chez M. le
Premier, et dont vous avez été témoin il y a cinquante ou soixante ans. » Il
sourit, et dit: «Elle est un peu longue. Tant mieux, dit Madame, » et elle
parut charmée. M. de Gontaut et les dames arrivèrent, ~t on fit fermer la
porte. Ensuite Madame me fit signe de m'asseoir derrière un paravent. Le comte
fit beaucoup d'excuses sur ce que son histoire ennuierait peut-être. I) dit que quelquefois
on racontait passablement, et qu'une autre fois ce n'était plus la même chose.
« Le marquis de Saint-Gilles était au commencement de ce ~siècle, ambassadeur
d'Espagne à)a Haye, et il avait connu particulièrement dans sa jcitnesse le comte de Moncade;
grand d'Espagne et Fun des plus riches seigneurs de ce pays. Quel-
ques mois après son arrivée a la Haye, il reçut une lettre du comte qui, invoquant
son amitié, le priait de lui rendre le plus grand des services. « Vous
sa- < vez, lui disait-il, mou cher,marquis, le chagrin que gavais de ne pouvoir
perpétuer le nom de Moncade; il a plu au ciel, peu de temps après que je vous
eus quitté d'exaucer mes vœux et de m'accorder un fils; il a manifeste de bonne
heure des inclinations dignes d'un homme de sa naissance, mais le malheur a
fait qu'il est devenu ,amoureux à Tolède de la plus' fameuse actrice de la
troupe de comédiens de cette ville. J'ai fermé les yeux sur cet égarement d'un
jeune homme qui ne m'avait jusques-là donné que de la satisfaction. Mais ayant
appris que la passion le transportait au point de vouloir épouser cette fille, et
qu'il lui en avait fait la promesse par écrit, j'ai sollicité le roi pour la
faire enfermer. Mon fils instruit de mes démarches, en a prévenu l'effet, et
s'est enfui avec l'objet de sa passion. J'ignore depuis plus de six mois où il
a porté ses pas, mais j'ai quelque lieu de croire qu'il est à la Haye. » Le
comte conjurait ensuite le marquis, au nom de l'amitié, de faire les
perquisitions les plus exactes pour le découvrir et l'engager à revenir auprès
de lui. «D est juste,disait le comte, de faire un sort à la fille, si elle
consent à rendre le billet de mariage qu'elle s'est fait donner, et je vous
laisse le maître de stiputer ses intérêts ainsi que de fixer la somme
nécessaire à mon fils pour se rendre dans un état convenable à Ma-
drid. Je ne sais si vous êtes père, disait le comte en Ënissant; et si
vous Fêtes, vous pourrez vous faire une idée de mes inquiétudes. Le comte joignait
à cette lettre un signalement exact de son fils et de sa maîtresse. Le marquis
n'eut pas plutôt reçu cette lettre, qu'il envoya dans toutes les auberges d'Amsterdam,
de Rotterdam et de la Haye; mais ce fut en vain, il ne put r.ien découvrir. Il
commençait à désespérer de ses recherches lorsque Fidée lui,vint d'y
employer un jeune page français fort éveillé. Il lui promit une récompense s'il
réussissait à découvrir la personne qui l'intéressait si vivement, et il lui
donna son signalement. Le page parcourut plusieurs jours tous les lieux
publics .sans succès; enfin, un soir, à la comédie, il aperrut dans une loge un
jeune homme et une femme qu'il considéra attentivement et ayant remarqué que,
frappés de son attention le jeune homme et la femme se retiraient au fond de la
loge, le page ne douta pas du succès de- ses recherches. Il ne perdit pas de
vue la loge, considérant attentivement tous les. mouvemens qui s'y faisaient.
Au moment où la pièce finit, il se trouva sur le passage qui conduisait des
loges à la porte, et il remarqua que le jeune homme, en passant devant lui et
considérant sans doute l'habit qu~il portait, avait cherché à se cacher,
en mettant son mouchoir sur sa bouche. H le suivit sans aSectation jusques
à Faubergê appelée le /~tCo/K~ <~e YM/'e/~e, où il le-vit entrer avec la
femme et sûr d'avoir trouvé ce qu'il cherchait,
il courut bien vite rapprendra à ('ambassadeur. Le marquis de
Saint-Gi)le< se rendit aussitôt, couvert d'un manteau, et suivi de. son page
et de deux domestiques, au ~'co~~f/e y«y'e/M'. Arrivé i cette auberge, il
demanda au maître de la maison où était ta chambre d'un jeune homme et d'une
femme qui logeaient depuis quelque temps chez lui. Le maître de l'auberge fit
d'abord quelques dinicultés de l'en instruire, s'il ne les demandait pas par leur nom. Le page
lui dit de faire attention qu'il parlait a l'ambassadeur d'Espagne, qui avait
des raisons pour parler a ces personnes.. L'aubergiste dit qu'clles ne
voulaient point être connues, et qu'elles avaient défendu qu'on laissât entrer
chez elles ceux qui, en les demandant, ne les nommeraientpas; mais par
considération pour l'ambassadeur il indiqua la chambre, et le conduisit tout au
haut de )a maison dans une des plus vilaines chambres. Il frappa à la porte
qu'on tarda quelque temps a ouvrir; ennn après avoir frappé assez fort de
nou,veau, la porte s'ouvrit à moitié, et à l'aspect de l'ambassadeur et de sa
suite, celui qui avait entr'ouvert la porte, voulut la refermer, disant qu'on
se trompait. L'ambassadeur poussa fortement !a porte, entra et fit signe à ses
gens d'attendre en dehors, et resté seul dans la chambre, il vit un jeune
homme, d'une très-jolie ngure, dont les traits étaient parfaitement
semblables a ceux spécinés dans le signalement. Avec lui était une jeune femme, belle, très bien
faite, et également ressemblante par
la couleur de ses cheveux, la taille et le tour du visage, à cette qui lui
avait été décrite par son ami le comte de Moncade. Le jeune homme parla le
premier, et se plaignit de la violence qu'on avait employée pour entrer chez un
étranger qui est dans un pays libre et qui y vivait sous la protection des
lois. L'ambassadeur lui répondit, en s'avançant vers lui pour l'embras-. ser Il
n'est pas question ici de feindre, mon cher comte, je vous connais, et je ne
viens point ici pour vous faire de la peine, ni à cette jeune dame, .qui me paraît
fort intéressante. Le jeune homme répondit qu'on se trompait, qu'il n'était
pas'comte, mais fils d'un négociant de Cadix; que cette jeune dame était son épouse, et
qu'ils voyageaient pour leur plaisir. L'ambassadeur jetant les yeux sur la
chambre, fort mal meublée, dans laquelle était t un seul lit, et sur lè bagage
très-mesquin qui était <;à et là Est-ce ici, mon cher enfant, permettez-'
moi ce titre qu'autorise ma tendre amitié pour M. votre père, est-ce
ici que doit demeurer le fils du comie de Moncade? Le jeune homme se
défendait toujours de rien entendre à ce langage. Enfin, vaincu par les
instances de l'ambassadeur, il avoua en pleurant, qu'il était le fils de
Moncade, mais qu'il ne retournerait jamais auprès de son père, s'i) faUait
abandonner une jeune femme qu'il adorait. La femme, fondant en larmes, se jeta
aux genoux de l'ambassadeur, en lui disant qu'eue ne voulait pas être cause de la
perte du
comte de Moncade, et sa générosité ou plutôt son
amour triomphant de son propre intérêt, elle consentait, pour son bonheur,
disait-elle, à se séparer de lui. L'ambassadeur admire un si noble
désintéressement. Le jeune homme s'en désespère, fait des reproches à sa
maîtresse, et.ne veut point dit-il, l'abandonner, et faire tourner.contre
ellemême, contre une personne si estimable, la générosité sublime de son cœur. L'ambassadeur lui
dit que l'intention du comte de Moncade n'est point de la rendre malheureuse,
et il annonce qu'il est chargé de lui donner une somme convenable pour quelle
puisse retourner en Espagne, ou vivre dans tel endroit qu'elle voudra. La
noblesse de ses sentimens, et la vérité de sa tendresse, lui inspirent, dit-il,
le plus grand intérêt, et l'engagent à porter aussi haut qu'il soit possible,
pour le moment, la somme qu'il est autorisé à lui donner et, en conséquence, il
lui promet dix mille florins, environ trente mille francs, qui lui seront
comptés au moment quelle aura remis l'engagement de mariage qui lui a été
fait; et que le comte de Moncade aura pris un appartement chez Pambassadcur, et
promis de retourner en Espagne. La jeune femme a l'air de ne pas faire atten-
tion à la somme, ne songe qu'à son amant, à la douleur de le quitter;
qu~au sacrince cruel auquel la raison et son propre amour l'obligent de
souscrire..Tirant ensuite, d'un petit porte-feuille, la prômessede mariage
signée du comte «Je connais
trop son jCûeur, dit-elle, pour en avoir besoin M elle ia baise avec une espèce de transport
plusieurs fois, et la remet à l'ambassadeur qui reste surpris de tant de
grandeur d'âme. Il promet à la jeune femme de s'intéresser à jamais à son sort,
et assure le comte que son père lui pardonne. Il recevra à bras ouverts,
dit-il, l'enfant prodigue revenant au sein de sa famille désolée le cœur d'un
père est une mine inépuisable de tendresse. Quel sera le bonheur de son
ami, aniigé depuis si longtemps, quand il apprendra cette nouvelle, et combien,il
se trouve lui-même heureux d'être l'instrument de sa félicité! Tels sont en
partie les discours de l'ambassadeur, dont le jeune homme parait vivement touché.
L'ambassadeur craignant que l'amour ne reprenne, pendant la nuit, tout
son empire, et ne triomphe de la généreuse résolution de la dame, presse le
jeune comte de le suivre~ son hôtel. Les pleurs, les cris de douleur que cette cruelle
séparation occasione, sont difficiles à exprimer, et touchent sensiblement le
cœur de l'ambassadeur qui promet sa protection à la jeune dame. Le petit bagage
du comté ne fut pas embarrassant à porter et il se trouva installé, le soir,
dans le plus bel appartement de l'ambassadeur, comblé de joie d'avoir rendu à
l'illustre maison de Moncade, l'héritier de ses grandeurs, et de tant de
magnifiques domaines dont elle était en possession. Le lendemain de cette
heureuse journée, le jeune comte voit arriver, à son lever, tailleurs, mari3
chands d'étoffés, de dentelles, etc., et il n'a qu'à choisir. Deux. valets
de chambre et trois laquais sont dans sohj antichambre,, et choisis par
l'ambassadeur parmi ce qu'il y a de .plus intelligent et de plus honnête dans
cette- classe; ils se présentent pour être à son service. L'ambassadeur montre
au jeune comte la lettre qu'il vient d'écrire à son père, dans laquelle il le
félicite d'avoir un fils dont les sentimens et les qualités répondent à la
noblesse de son sang', et il lui annonce son prompt retour. La jeune dame n'est
point oubliée II avoue devoir en partie à sa générosité la soumission de son
amant, et ne doute pas que le. comte n'approuve le don qu'il lui a fait de dix
mille florins. Cette somme fut remise le même jour à cette noble et
intéressante-personne qui ne tarda pas à partir. » Les préparatifs pour le voyage
du comte étaient faits, une garde-robe magnifique, une excellente voiture
furent embarquées à Rotterdam, sur un vaisseau faisant voile pour la France, et
sur lequel fut arrêté le passage du comte qui, de ce pays, devait se rendre en
Espagne. On remit au jeune comte une assez grosse somme d'argent à son départ, et des
lettres de change considérables sur Paris, et'les adieux de l'ambassadeur et de
ce jeune seigneur furent des plus touchans. L'ambassadeur attendait avec
impatience la réponse du comte de Moncade.etse mettant a sa place, jouissait du
plaisir de son ami. Au bout de quatre mois il reçut cette réponse si vi-
vement attendue, et l'on essaierait vainement de peindre la surprise de
l'ambassadeur en lisant ces parles u Le ciel ne m'a jamais, mon cher
marquis, accordé la satisfaction d'être père, et comble de biens et
d'honneurs, le chagrin de n'avoir pas d'héritiers, et de voir finir en moi une
race illustre, a répandu la plus grande amertume sur ma vie. Je vois avec une
peine extrême que vous avez été trompé par un jeune aventurier qui a abusé de
la. connaissance qu'il a eue de notre ancienne amitié.. Mais votre excellence
n'en doit pas être la dupe. C'est bien véritablement le comte de Moncade que
vous avez voulu obliger, il doit acquitter ce que votre généreuse amitié s'est
empressée d'avancer pour lui procurer un bonheur qu'il aurait senti bien
vivement. J'espère donc ,M. le marquis, que votre excellence ne fera nulle dimculté d'accepter la
remise contenue dans cette lettre, de trois mille louis de France dont elle m'a
envoyé la note. x La manière dont le comte de SaintGermain faisait parler le jeune
aventurier, sa maîtresse et l'ambassadeur firent pleurer et l'ire tour à tour.
L'histoire est vraie dans tous les points, et l'aventurier surpasse en adresse
Gusman d'Alfarache, à ce que dirent les personnes qui l'écoutèrcnt. Madame eut
l'idée d'en faire faire une comédie, et le comte, lui envoya- l'histoire. par écrit, telle que je
l'ai copiée ici.
M. Duclos allait chez le docteur, et pérorait avec sa chaleur ordinaire. Je
t'entendis qui disait à <3'
deux ou trois personnes c On est injuste envers les grands, les ministres
et les princes; rien de plus ordinaire, par exemple, que de parler mal de leur
esprit; j'ai bien surpris il 'y a quelques jours, un de ces petits messieurs de
la brigade des infaillibles, en lui disant que je lui prouverais qu'il y a eu plus
de gens d'esprit dans la maison de Bourbon, depuis cent ans, que dans toute
autre. Vous avez prouvé cela? dit quelqu'un en ricanant ? Oui, dit Duclos, et
je vais vous le répéter. Le Grand Condé n'était pas un sot à votre avis et la
duchesse de Longueville est cité comme une des femmes les plus spirituelles. M.
le régent est un homme qui avait peu d'égaux en tout genre d'esprit et. de
connaissances; le prince dé Conti, qui fut étu roi de Pologne, était célèbre par
son esprit et ses vers valent ceux de La Fare et de Saint-Aulaire; M. le duc de
Bourgogne était instruit et très-éclairé. Madame la duchesse, fille de Louis
XIV, avait infiniment d'esprit faisait des épigrammes et des couplets. M. le
duc du Maine n'est connu généralement que par sa faiblesse, mais personne
n'avait plus d'agrément dans l'esprit. Sa femme était une folle, mais qui
aimait les lettres, se connaissait en poésie, et dont l'imagination était
brillante et inépuisable. En voilà assez, je crois, dit-il; et comme je ne suis
point flatteur, et que je crains tout ce qui en a l'apparence, je ne parle
point des vivans."0n fut étonné de cette énumération, et chacun convint de la vérité de ce
qu'il
avait dit. Il ajouta: '< Ne dit-on pas tou'slesjours d'Argenson la bête
(1), parce qu'il a un air de bonhomie et un ton bourgeois? Mais je ne crois pas
qu'il y ait eu beaucoup de ministres aussi instruits et aussi éclaires; Je pris une plume
sur la table du docteur, et je demandai àM. Duclosdeme dictertous les noms
qu'il avait cités, et le petit éloge qu~il en avait .fait. « Si vous montrez
cela à madame la marquise, dites-lui bien comment cela est venu, et que je
nel'ai pas dit pour que cela lui revienne et aille peut-être ailleurs. Je suis
historiographe, et je rendrai justice, mais aussi je )a/e/YH souvent.–J~en
serai garant, dit le docteur, et notre maître sera peint tel qu'il est. Louis
XIV a aimé les vers,protégé les poëtes cela était peut-être bon dans son temps
parce qu'il faut commencer par quelque chose ;,mais ce
(1) Il s'agit ici de René -Louis d'Argenson qui fut ministre des
affaires étrangères. René-Louis est auteur des .Considérations sur
le gouvernement; et de plusieurs autres écrits où bien des publicistes puisent,
à tout moment, ce qu'ils croient avoir pensé. Cet homme, plein d'idées, et qui savait
les exprimer, n'en était pas moins surnommé d'~yc/o/! la bête. Mais on a
prétendu qu'il affectait cet air simple et même un peu niais, a Ce n'est pas
toujours une bêtise que d'avoir l'air bête <Ht Walter Scott dans les
Puritains.
Si, comme nous l'espérons, nous pouvons publier un jour les Mémoires
inédits qu'a laissés René d'Argenson, ils justifieront bien l'opinion de
Duclos, sur ce ministre, et sur la contre-vérité qu'exprimait son surnom.
( ~Vo/e des nouv. e~<. )
siècle-ci sera bien, plus grand; et il faut convenir que Louis XV envoyant
au Mexique et au Pérou des astronomes pour mesurer la terre, présente quelque
chose de plus imposant que d'ordonner des opéra. H a ouvert les
barrières à la philosophie, malgré les criailleries des dévots, et FEncyclopédie honorera son
règne. » Duclos, pendant ce temps hochait de la tête. Je m'en allai, et je
tâchai d'écrire tout chaud ce que j'avais entendu. Je fis copier, par un valet
de chambre qui avait une belle main ce qui concernait les princes, et je le
remis à Madame. Mais elle me dit: « Quoi! vous voyez Duclos ? est-ce que vous
voulez faire le bel esprit, ma chère bonne? cela ne vous va pas. Aussi en
suis-je bien éloignée; » et je lui dis comment je l'avais trouvé par hasard
chez le docteur où il allait passer une heure quand il venait à Versailles.
Elle me dit: « Le roi sait que c'est un honnête homme. »
Madame était malade, et le roi venait la voir plusieurs fois par jour; je
sortais lorsqu'il entrait, mais étant restée pendant quelques minutes,
pour lui donner un verre d'eau de chicorée, j'entendis le roi qui parlait de
madame d'Egmont, et Madame leva les yeux au ciel en disant « Ce nom me rappellera
toujours une chose bien triste et bien barbare, mais ce n'est pas ma faute. »
Ces mots me restèrent dans l'esprit, et surtout le ton dont ils avaient été
prononcés. Comme je restai auprès de Madame, jusque trois heures après
minuit, à lui lire une
partie de ce temps il me fut aisé de tâcher à satisfaire ma curiosité. Je
pris le moment où la lecture était interrompue, pour lui dire « Madame avait un air
consterné quand le roi a prononcé le nom d'Egmont. Elle leva aces mots les yeux au
ciel, et dit 'f Vous penseriez bien comme moi, si vous saviez ce dont il's'agit. Il
faut donc que cela soit bien touchant, répondis-je, car je ne crois pas que
cela regarde Madame. Non, dit-elle, mais après tout, comme je ne suis pas la
seule au fait de cette histoire, et que je vous connais discrète, je vais s vous la raconter.
Le dernier comte d'Egmont avait épousé la fille du duc de Villars, mais la
duchesse n'avait jamais habité avec son mari, et la comtesse d'Egmont est fille du
chevalier d~OrIéans(i). A la mort de son mari, jeune, belle, aimable, et héritière d'une
immense fortune, elle était Fobjet des voeux de tout ce qu'il y avait de plus distingué a la cour. Le
directeur de la mère de la comtesse d'Egmont entra un jour chez elle, et lui
demanda un entretien particulier alors il lui révéla qu'elle était le fruit d'un
adultère, dont sa mère faisait depuis vingt-cinq ans pénitence. Elle ne
pouvait, dit le directeur, s'opposer à votre premier mariage dont elle a gémi
Dieu n~a pas. permis que vous ayez eu des encans mais si vous vous remariez,
vous courez, Madame, le hasard dé faire passer dans une famille étrangère des biens
immenses qm
(i) Fils légitimé du régent, grand-prieur de France.
ne vous appartiennent pas, et qui sont le produit du crime. Madame d'Egmont
écouta ce détail avec terreur. Sa mère entra au même instant, fondant en
larmes, et demanda à genoux à sa fille de supposer à sa damnation éternelle.
Madame d'Egmont tâchait de rassurer sa mère et elle-même, et lui dit: « Que
faire? n Ledirecteurlui répondit: "Vous consacrer
entièrement à Dieu, et effacer ainsi le péché de votre mère. La comtesse, qui
était tout effrayée, promit ce qu'on exigeait, et forma le projet d'entrer aux
Carmélites. J'en fus instruite, et je parlai au roi de la barbarie que la
duchesse et le directeur exerçaient sur cette malheureuse femme mais on ne
savait comment l'empêcher. Le roi, plein de bonté, engagea la reine à lui
offrir une place de dame du palais, fit parler fort adroitement à la duchesse
par ses amis, pour qu'elle détournât sa fille d'entrer aux Carmélites. Tout fut
inutile, et la malheureuse victime fut sacrifiée. » Madame avait la fantaisie
de consulter une sorcière appelée madame Bontemps, qui avait prédit à M. l'abbé
de Bernis sa fortune, comme je l'ai écrit, et qui lui avait dit des choses
surprenantes. M. de Choiseul, à qui elle en parla, lui dit qu'elle lui avait
aussi prédit de belles choses. « Je le sais, dit Madame, et vous lui avez en
revanche promis un carrosse; mais elle marche toujours à pied, ta pauvre
sorcière. Voilà ce que Madame me dit, en me demandant comment elle pourrait se
déguiser pour la voir sans être connue. Je n'osai lui rien
proposer, crainte de ne pas réussir; mais je parlai deux jours après à son
chirurgien, de l'art qu'avaient les pauvres de faire paraître des ulcères et de
changer leurs traits. Il me dit que cela était facile. Je laissai tomber la
chose, et quelques momens après je lui dis « Si l'on pouvait changer ses
traits, on se divertirait bien au bal de repéra. Qu'est-ce qu'il faudrait changer,
dans moi, pour me rendre méconnaissable?–D'abord, me dit-il, la couleur de vos
cheveux, ensuite le nez, et puis mettre une tache dans quelque endroit du
visage, ou un petit porre au et quelques poils. "Je me mis à rire, et
je lui dis: « Faites-moi arranger tout cela pour le bal prochain; II y a vingt
ans que je n'y ai été; mais je meurs d'envie d'embarrasser quelqu'un, et de lui
dire des choses qu'il n'y a que moi qui puisse lui dire. Un quart-d'heure
après, je reviendrai me coucher. Il faut, me dit-il, qu'on prenne la mesure de
votre nez ? ou bien prenez-la avec de la cire, et on fera le nez et vous avez
le temps de faire arranger une petite perruque blonde ou brune. Je rendis
compte à Madame de ce que m'avait dit le chirurgien elle en fut enchantée. Je
pris la mesure de son nez et du mien, et je les portai au chirurgien, qui, deux
jours après me 'donna les deux nez, avec une verrue pour Madame, pour mettre
sous l'œil gauche, et de quoi peindre les.sourcils. Les nez. étaient très-délicatement faits, d'une
vessie, je crois, et cela, avec le reste, rendait la
figure méconnaissable sans qu'il y eût rien de choquant. Tout cela fait, il
ne s'agissait plus que de faire avertir la sorcière, et l'on attendit un petit
voyage à Paris que Madame devait faire pour voir sa maison. Ensuite, je fis
parler, par une personne avec qui je n'avais aucun rapport, à une femme de
chambre de la duchesse de RuSèc, pour qu'elle obtînt un rendez-vous de la
sorcière. Elle fit des difficultés, à cause de la police on lui promit le
secret, et on lui indiqua l'endroit où elle devait se rendre. Rien n'était plus
opposé au caractère de Madame, qui était très-timide, que de pareilles
choses. Mais sa curiosité était portée a l'extrême, et d'ailleurs tout fut
arrangé pour qu'il n'y eût pas le moindre risque. Madame avait mis M. de
Gontaut dans sa confidence ainsi que son valet de chambre. Cet homme louait
près de son hôtel deux chambres pour sa nièce, alors malade à Versailles. Nous
sortîmes le soir suivies du valet de chambre, homme sûr, et du duc, à pied; il
n'y avait tout au plus que deux cents pas de chemin. Nous trouvâmes en arrivant
deux petites pièces où il y avait du feu les deux hommes. se tinrent dans l'une
et nous dans l'autre. Madame s'était mise sur une chaise longue, avec un bonnet
de nuit qui lui cachait sans affectation la moitié du visage, et moi j'étais
auprès du feu, appuyée sur une table sur laquelle étaient deux chandelles.
Auprès étaient sur des chaises des hardes de peu de valeur. Madame la sorcière
sonna, et ce fut
une petite servante qui lui ouvrit, et qui alla attendre avec ces
messieurs. On avait préparé des tasses à café et .une cafetière; et
j'avais eu soin de faire mettre sur un petit buffet de petits gâteaux et du vin
de Malaga, parce que je savais que madame Bontemps s'en aidait. Sa figure
d'ailleurs l'indiquait. Cette dame-là est donc malade? ') dit-elle en voyant
Madame languissamment couchée. Je lui dis que cela ne durerait pas; mais qu'il
y avait huit jours qu'elle gardait sa chambre. Elle fit chauffer un peu Je
café, et prépara les deux tasses qu'elle essuya bien, en disant que rien
d'impur ne devait se mêler à son opération. J'eus l'air d'être bien aise de
boire un coup pour donner un prétexte à notre oracle de se désaltérer, ce
qu'elle fit sans qu'on la priât beaucoup. Quand elle eut bu deux ou trois
petits,verres, car j'avais eu soin de n'en pas" avoir de grands elle
versa son café. dans une des deux grandes tasses. « Voilà la vôtre, me dit-elle et
voici celle de votre amie laissonsles reposer. M Ensuite elle jeta
un coup-d'œil sur nos mains, et nous envisagea puis elle tira de sa poche un
miroir, et nous y fit regarder, et nous regarda dedans. Après cela, elle prit
un verre de vin de-là elle entra en enthousiasme en regardant ma tasse et tous
les linéamens que faisait le marc du café qu'elle avait versé. Elle dit d'abord
Cela est bien du bien-être. mais voici du noir, des chagrins. Un homme devient
un grand conso~CM/ Voyez dans ce coin des amis qui. VOM~
or~<?M< de /pM: Eh quel est celui-là qui les poursuit ?. Mais le
bon droit l'emporte; i~r~ la pluiele beau temps. Grand voyage heureux.
Tenez, vorez-vous ces espèces de petits sacs? C'est de l'argent qui a été
compté;' et en voilà qui le sera aussi, à vous s'entend. Bien bien. ~O~-CZ-~OM~ ce bras ? Qui, C~
un bras fort qui soutient quelque chose une femme ~Oi:7c<?, je la vois, c'est
vous. connais tout cela moi, c'est comme une langue que j'entends. On ne~OM~
attaque plus. je le vois parce qu'il n'y a plus de nuages-là ditelle en
montrant un endroit plus clair. Mais, mais, je vois de petites lignes qui
parlent de ~Cyïdroit prMC~<ï/. Ce sont des fils filles, neveux et e~~ cpMC!,
coMca. Elle eut l'air d'être accablée d'un effort, et dit Voilà tout. ~OM~ avez
eu du bien d'a~Oref, ensuite du mal. ~OM~ avez eu un ami qui a tant fait qdzl
vous en a tiré. ~OM~ avez eu des procès enfin la fortune s'est raccommodée avec
vous et cela ne changera plus. Elle but un coup à vous, dit-elle Madame et elle
fit les mêmes cérémonies pour la tasse. Ensuite elle dit Ni beau, ni ~<~r~OM
là un ciel serein; et puis toutes ces choses qui semblent monter, ces lignes
qui s'é~e/ï<, ce sont des <~p/aM~M~6/Kc/ /~0!e~ un homme ~'r<~e qui
étend les bras, ~o~z-~OM~ regar~ez Z'eM. Cela est vrai, dit Madame avec
surprise) (parce que cela avait cette,apparence ). Il /HO/~rc un cfïrre c'est
un grand co~re-~r~ ouvert. Beau temps. Mais voilà des nuages dorés d'azur, qui vous
environnent. ~0~z-~ou~ceMaM~eaMC/Me mer? Comme le vent est favorable Vous êtes
dessus, et vous ~rrwez dans un pays superbe dont vous de~z la reine. que
vois-je! ~~My'~z'M/~ vilain homme tortu bossu qui vous' poursuit. mais il en sera pour un
pied de nez. J'en vois M~ très grand qui vous soutient dans ses bras.
Tenez, regardez, c'est une espèce e~~<M/!< ~bz7<2 bien <~ l'or,
de l'argent, quelques /!H~r-C!~ar-/a. Mais vous ~a~~z rien à craindre.
Ze vaisseau sera -quelquefois agité, mais ne périra pas. Dixi. Madame dit '< Quand est-ce quel je
mourrai, et de quelle maladie? .7c ne parle jamais de cela, dit-elle
voyez plutôt. le ~ï ne le veut pas. etje vais vous faire voir qu'il brouille
tout, en lui montrant plusieurs tas de marc de café confus. <'A la bonne heure pour
l'époque, dit Madame, mais le genre de mort ? » La sorcière regarda et
dit ~OM~ aurez le temps de vous reconnaître. Je donnai seulement deux louis,
afin de ne rien faire de remarquable. La sorcière nous quitta après nous avoir
recommandé le secret, et nous rejoignîmes M. de Gontaut, à qui nous racontâmes
tout. Il rit beaucoup et dit « C'est comme les nuages, on peut y'lire tout ce
qu'on veut. »
II y avait dans mon horoscope quelque chose de frappant pour moi, c'était le consolateur,
parce qu'un de mes oncles avait pris soin de moi, et nous avait rendu les plus
grands services. Ensuite j'a-.vais eu un grand procès; et enfin Fargent qui
m'était arrive par la protection et les bienfaits de Madame. Quant àMadame, son mari était
assez bien dépeint avec le coffre fort; ensuite le pays dont elle devient
la'reine, paraissait indiquer son état à la cour; mais ce qu'il y avait de plus
remarquable, c'était l'homme tortu et bossu dans lequel Madame crut reconnaître
M. le duc de la y* qui était très-mal fait. Madame était enchantée de son équipée, et de
son horoscope, qu'elle trouvait trèsjuste. Elle envoya chercher le surtendemain M. de
Saint-Florentin à qui elle recommanda la sorcière, pour qu'il ne lui fût pas
fait de mal. Il lui répondit qu'il savait pourquoi elle lui faisait cette
recommandation, et se mit à rire. Madame lui ayant demandé la raison, il lui
raconta son voyage avec une singulière exactitude (i); mais il ne savait rien
de ce qui s'était dit, ou du moins il en fit semblant. Il promit à Madame que
pourvu, qu'elle ne fit rien dont on eût à se plaindre, on ne la poursuivrait
pas pour son métier, surtout si elle l'exerçait fort secrètement. Il ajouta «Je
la connais, et j'ai eu, comme un autre, la curiosité de la consulter. C'est la
femme d'un soldat aux gardes, qui a un certain esprit et le défaut de
s'enivrer; il y a quatre ou cinq ans qu'elle s'est emparée de l'esprit de madame
la duchesse de Ruffec à qui elle a persuadé qu'èlle lui procurerait un élixir
de beauté pour la remet-
(i) li était ministre de Paris et le lieutenant de police lui rendait
compte.
tre comme elle était à vingt-cinq ans. Les drogues nécessaires pour le
composer coûtent fort cher à la duchesse; et tantôt elles sont mal choisies,
tantôt le soleil, auquel elles ont. été exposées, n~était-pas assez fort; tantôt
il fallait une certaine constellation qui n'a pas eu lieu. Quelquefois aussi elle prétend démontrer à la duchesse
qu'elle est embellie, et elle se laisse aller à le croire. Mais ce qu'il y a de
plus singulier, c'est l'histoire de la fille de la sorcière, qui était belle
comme un ange, et que la duchesse a élevée chez elle. La Bontemps prédit à sa
fille, en présence de la duchesse, qu'elle épouserait un homme qui aurait
soixante mille livres de rente. Cela, notait guère vraisemblable pour la fille
d'un soldat aux gardes, et cependant cela est arrivé. Là petite Bontemps a
épousé un fou appelé le président Beaudouin mais ce qu'il y a de tragique c'est
qu'elle avait ajouté qu'elle mourrait en couches de son premier enfant, et
qu'elle est réellement morte en couches à dix-neuf ans,ft'appée sans doute vivement de
la prédiction de sa mère, à laquelle l'événement si extraordinaire de son
mariage donnait toute confiance. Madame dit au roi la curiosité qu'elle avait eue,.et
il en rit, en disant qu'il aurait voulu que la police l'eût fait arrêter; mais
il ajouta une.chose très-sensée cc Il faudrait, dit-il, pour bien juger de la
vérité ou de la fausseté de pareilles prédictions en rassembler
une cinquantaine on verrait que ce sont presque toujours les mêmes phrases, qui tantôt
manquent leur appli-
cation, et tantôt se rapportent à l'objet; mais que des premières on n'en
parlait pas, et qu'on parlait beaucoup des autres.»
Je l'ai entendu dire et il est certain que M. de Bridge a vécu dans la
société intime de Madame, quand elle était madame d'Étioles. Il montait à
cheval avec elle, et comme c'est un si bel homme, qu'il en a conservé le nom de bel
homme, il était fort simple qu'on le crût l'amant d'une très belle femme. J'ai
entendu dire quelque chose de plus fort c'est que le roi avait dit à M. de
Bridge «Convenez-en avec moi, que vous avez été son amant; elle me l'a avoué, et j'exige
cette preuve de votre sincérité. M. de Bridge a répondu au roi que madame la
marquise était la maîtresse de dire, pour s'amuser sans doute, ou pour tout
autre motif, ce qu'il lui plairait, mais que lui ne pouvait pas mentir; qu'il
avait été son ami, qu'elle était charmante, et avait beaucoup de talens; qu'iFse plaisait dans sa
société, et qu'il n'y avait rien par-delà l'amitié, dans le commerce qu'il
avait eu avec elle. Il ajouta que son mari était de toutes les parties qu'il
avait les yeux d'un jaloux, et qu'il n'aurait pas souffert qu'il eût été si
souvent avec elle, s'il eût eu quelque soupçon. Leroi persista, et lui ditqu'il
avait tort de cacher une chose dont il était sùr.Onaprétendu aussi que l'abbé
de Bernis avait été l'amant favorisé. Il est un peu fat ledit abbé; il était
d'une belle figure, et poëte; Madame était l'objet de ses vers galans, et
l'abbé recevait quelquefois avec un
sourire, qui laissait à penser quoiqu'il niât la chose, les complimens de
ses amis sur sa bonne fortune (i). On a dit quelque temps à la cour qu'elle
aimait le prince de Beauvau; c'est un homme fort galant, qui a grand air, qui
joue gros jeu au salon; il est le frère de la petite JMaréchaIe; et tout cela fait
que Madame le traite bien, mais sans rien de marqué. Elle sait d'ailleurs qu'il
aime une femme très-aimable.
Il est bien simple qu~on parle de'M. de Ghoiseul. Madame l'aime plus que
tous ceux que je viens de citer; mais il n'est point son amant. Une dame que je
connais bien, et que je n'ai pas voulu dénoncer à Madame, a fait un conte de
toute fausseté à ce sujet. Elle a prétendu, ou du moins j'ai lieu de le croire,
qu'un jour ayant entendu le roi qui arrivait, j'avais couru à la porte du
cabinet de Madame; que j~a vais toussé d~une certaine manière, et que le roi
s'étant heureusement amuse à causer avec quelques dames un moment, on avait eu
le temps de tout rajuster; et que Madame était sortie avec moi et avec M. de
Choiseul, comme si nous avions été tous les trois ensemble. Il est très-vrai
que j'entrai très-naturellement pour remettre quelque chose à Madame, sans
savoir si le roi arrivait;
(i) Voyez un article biographique sur le.cardinal de Bernis, lettre (/~).
Ce morceau inédit est d'autant plus curieux, qu'il es~écrit par M. Loméniode Brienne,
archevêque de Toulouse et ministre sous Louis XVI. ( Note des y:oMf. édit. ) <4
qu'elle sortit avec M. de Choiseul qui avait un papier à la main; et que je
sortis quelques minutes après. Le roi demanda à M. de Choiseul ce que c'était
que le papier qu'il tenait, et il dit que c'étaient' des remontrances du
parlement. Trois ou quatre dames ont vu ce que je dis; et comme, à l'exception
d'une très-méchante, les deux.ou trois autres étaient honnêtes et
dévouées à Madame, mon soupçon n~a pu tomber que sur celle que j'indique, et que je veux
bien ne pas nommer, parce que son frère m'a toujours bien traitée. Madame avait
la tête vive et le cœur sensible; mais elle était froide à l'excès pour
l'amour. D'ailleurs il lui aurait été bien dimcile, à la manière dont elle
était entourée, d'avoir un commerce intime avec quelqu'un. Il est vrai que cela
était.bien moins difficile avec un ministre tout-puissant, qui avait à chaque
instant à l'entretenir secrètement. Mais je dirai une chose plus décisive; M. de
Choiseul avait une maîtresse charmante, la princesse de R* et Madame lui en
parlait souvent. Il avait, en outre, un reste d'inclination pour la princesse
de Kinski qui l'avait suivi de Vienne. Il est vrai qu'il la trouva bientôt
après ridicule. Tout cela était bien fait pour éloigner Madame d'un commerce
amoureux avec le duc; mais ses talens la séduisaient, ainsi que son amabilité.
Il n'était pas beau, mais il avait des manières à lui, une vivacité agréable,
une gaieté charmante; c'est ainsi qu'on en parlait généralement. Il aimait
beaucoup Madame, et si cela put
ci~'ë d'abord par intérêt, bientôt après il acquit assez de forces pour se
soutenir par lui-même, et cependant il n'en fut pas moins dévoué à Madame, et
pas moins assidu. Il savait Famitié de Madame pour moi, et me dit un
jour de l'air le plus sensible « Je crains, ma chère dame, qu'elle ne se laisse
gagner par la mélancolie, et ne meure de chagrin; tâchez de la distraire. Je me
dis en moi-même: quel triste sort pour la favorite du plus grand roi! Un jour
Madame, avait passé dans son cabinet avec M. Berryer; et madame d'Amblimont
était restée avec madame de Gontaut qui m'appela pour me parler de mon fils. Un
instant après, M. de Contaut qui venait d'entrer, dit « D~Amblimont, à qui donnes-tu
les Suisses ? Attendez un moment, dit-elle, que j'assemble mon conseil. à M.
de Choiseul. Cela n'est pas'si bête, dit M. de Gontaut mais je t'assure que tu es
la première qui y ait songé, x II nous quitta aussitôt, et madame d'Amblimont
me dit « Je parie qu'il va faire part de mon idée à M. de Choiseul.
Il revint peu de temps après, et M. Berryer étant sorti, il dit à Madame « Il
est venu une idée singulière à d'Amblimont. Quelque folie! dit Madame. Pas trop
folie, dit-il; elle prétend que les Suisses doivent être donnés à M. de
Choiseul; èt si les engagemens du roi avec M. de Soubise ne sont pas trop
positifs, je ne verrais rien de mieux. -Le roi n'a rien promis, dit Madame, et
c'est moi qui lui ai donné des espérances plus que vagues, en lui disant que
cela
se pourrait. Mais quoique j'aime M. de Soubise, je ne crois pas qu'il
puisse être mis en comparaison avec M. de Choiseul pour le mérite. M Le roi étant entré, Madame, sans doute, lui fit
part de cette idée, et un quart-d'heure après étant venu à parler à Madame,
j'entendis le roi qui disait: «Vous verrez que parce que le duc du Maine et ses
enfans ont eu cette place, il croit devoir l'obtenir comme étant prince
(Soubise); mais le maréchal de Bassompierre ne l'était pas, et savez-vous que
M. de Choisèulest son petit-neveu ? Votre Majesté sait l'histoire de France
mieux que personne," n répondit Madame. Deux jours après madame de me dit dans ma chambre « J'ai deux
grandes joies, M. de Soubise n'aura pas les Suisses, et madame de Marsan en
crèvera de rage, voilà la première et M. de Choiseul les a, voilà la plus vive.
), Tout le monde parlait d'une jeune demoiselle (i), dont le roi était épris,
autant qu'il pouvait l'être. Elle s'appelait Romans, et était charmante. Madame
savait que le roi la voyait, et ses confidentes lui en faisaient des rapports
alarmans. La seule maréchale de Mirepoix, la meilleure tête de son consei), lui
donnait du courage. « Je ne vous dirai pas qu'il vous aime mieux qu'elle, et si
par un coup de baguette elle pouvait être transportée ici, qu'on lui donnât ce
soir a souper, et qu'on fut au cou-
(i) Cet article était en entier d'une autre écriture. (Note du
premier c~'<.)
t'ant de ses goûts, il y aurait pour vous peut-être de quoi
trembler.,Mais les princes sont, avant tout, des gens d~habitude Famitié du roi pour vous est
la même que pour votre appartement, vos'entours; vous êtes faite à ses manières, à ses histoires;
il ne se gène pas, ne craint pas de vous ennuyer; comment voulez-vous qu'il ait
le courage de déraciner tout cela' en 'un jour, de former un autre
établissement, et de se donner en spectacle au public, par un changement aussi
grand de décoration ? ') La. demoiselle devint grosse, les propos du
public, de la cour même, alarmaient Madame innniment. On prétendait que le roi
légitimerait son fils, donnerait un rang à la mère. « Tout cela, dit la
maréchale, est du Louis XIV; ce sont de grandes manières qui ne sont pas celles de
notre maître. Les indiscrétions, les jactances de mademoiselle Romans, la
perdirent dans l'esprit du roi. Il y eut même des violences exercées contre
elle, dont Madame est fort innocente. On fit des perquisitions chez elle, on
prit ses papiers; mais les plus importans, qui constataient la paternité du
roi, avaient été soustraits. Enfin la demoiselle accoucha, et fit baptiser son
fils sous le nom de j!?OM/<?/z, fils de Charles de Bourbon, capitaine de
cavalerie. La mère croyait fixer les yeux de toute la France, et voyait dans
son fils un duc du Maine. Elle le nourrissait, et allait au bois de Boulogne
toute chamarrée des plus belles dentelles, ainsi que son fils qu~eUe portait
dans une espèce de corbeille. Elle
s'asseyait sur l'herbe, dans un endroit solitaire, mais qui fut bientôt
connu, et là donnait à téter à son royal enfant. Madame eut la curiosité de la
voir, et se rendit un jour à la manufacture de Sèvres, avec moi, sans me rien
dire. Quand elle eut acheté quelques tasses, elle me dit Il faut que j'aille me
promener au bois de Boulogne, ') et donna l'ordre pour arrêter à
l'endroit où elle voulait mettre pied a terre. Elle était très-bien instruite,
et quand elle approcha du lieu elle me donna le bras se cac.ha dans ses
coiffes, et mit son mouchoir sur le bas de son visage. Nous nous promenâmes
quelques momens dans un sentier, d'où nous pouvions voir la dame allaitant son
enfant. Ses cheveux, d'un noir de jais, étaient retroussés avec un peigne orné
de quelques diamant. Elle nous regarda fixement, et Madame la salua et me
poussant par le coude, me dit: « Parlez-lui. Je m'avançai, et lui dis « Voilà
un bien bel enfant.Oui, me dit-elle, je peux en convenir, quoique je sois sa mère. » Madame,
qui me tenait sous ie bras, tremblait, et je n~étais pas trop assurée.
Mademoiselle Romans me dit': «Etesvous des environs? Oui, Madame, lui dis-je,
je demeure à Auteuil, avec cette dame qui souffre en ce moment d'un mal de
dents cruel. Je la plains fort, car je connais ce mal qui m'a souvent bien
tourmentée. » Je regardais de tous côtés dans la crainte qu'ilne vînt quelqu~un qui nous reconnût.
Je m'enhardis à lui demander si le père était un bel homme. Il Très-beau, me
dit-elle, et si je
vous le nommais, vous diriez, comme moi. –J~ai donc l'honneur de le connaître, Madame? Cela est très-vraisemblable.. M Madame craignant,
comme moi, quelque rencontre, balbutia quelques mots d'excuses de l'avoir
interrompue, et nous prîmes congé. Nous regardâmes derrière nous a plusieurs reprises
pour voir si l'on ne nous suivait pas, et nous regagnâmes la voiture sans être
aperçues. « Il faut convenir que la mère et l'enfant sont de belles créatures,
dit Madame, sans oublier le père l'enfant a ses yeux. Si le roi était venu
pendant que nous étions là, croyez-vous qu'il nous eût reconnues? -Je n'en
doute pas, Madame, et dans quel. embarras j'aurais été, et quelle scène pour
les assistans de nous voir toutes deux mais quelle surprise pour elle! H Le soir Madame fit
présent au roi des tasses qu'elle avait achetées, et ne dit pas quelle s'était
promenée, dans la crainte ,que le roi, en voyant mademoiselle Romans, ne lui
dit que des dames de sa connaissance étaient venues tel jour. Madame de
Mirepoix dit à Madame « Soyez persuadée que le roi se soucie fort peu d~ehfans il en a
assez, et ne voudrait pas s'embarrasser de la mère et du fils. Voyez comme
il s'ocèupe du comte de I/* qui lui ressemble d~une manière frappante ? Il n'en parle jamais,
et je suis sûre qu'il ne fera rien pour lui. Encore une fois, nous ne sommes
pas sous Louis le XIVe. » C'est ainsi que s'expriment les Anglais elle avait cté ambassadrice à
Londres.
On avait fait des cbangemens dans l'appartement, et je n'avais plus comme
auparavant une espèce de niche, où Fou m'avait permis de me tenir, pour
entendre autrefois Caffarelli et depuis mademoiselle Fel et Jeliotte. J'avais
donc plus fréquemment à mon logement de la ville; c'est là où je recevais le
plus souvent des .visites, et j'y allais surtout quand Madame allait à son
petit ermitage, où M. de Gontaut ordinairement l'accompagnait. Madame du Chiron
femme d'un'premier commis de la guerre, vint me voir, et me dit cc Je suis bien
embarrassée de vous parler d'une chose qui vous embarrassera peut-être aussi. Voici le
fait. Une femme très-pauvre et que j'oblige quelquefois, prétend être parente
de madame la marquise. Elle sait que je vous connais, et me persécute pour que
.je vous parle d'elle, et que vous en parliez à madame la marquise. Voici son
placet. Je le lus, et je lui dis que le mieux était qu'elle écrivît directement
à Madame; que je connaissais sa bonté, et que j'étais sûre qu'elle serait
satisfaite, si elle disait vrai. Elle suivit mon conseil. La femme écrivit.
Elle était dans le dernier degré de misère, et j'appris que Madame avait
commencé par lui faire donner six louis, en attendant des éclaircissemens.
Colin fut chargé de les prendre, et s'adressa à M. dé Malvoisin, parent de Madame
et officier estimé. Le fait était vrai. Madame alors lui envoya cent louis et
lui assura une pension de quinze cents francs. Tout cela fut fait
très-promptement, et Madame
reçut les remerciemens de sa parente quand elle se fut fait habiller un peu
proprement. Le jour quelle fit ses remerciemens, le roi, qui ne 'venait pas à
cette heure, vit sortir cette dame, et demanda qui c'était « C'est une
de mes parentes fort pauvre, dit Madame. Elle venait donc pour vous demander
? –Non, dit-elle. Et pourquoi donc? Pour me remercier d'un petit service
que je lui ai rendu, dit Madame en rougissant de crainte d'avoir l'air de se
vanter. Eh bien! dit le roi, puisque c'est votre parente, permettez-moi aussi
de l'obliger ;'je lui donne cinquante louis sur ma cassette, et vous savez
qu'elle peut envoyer toucher la première année demain, Madame fondit en larmes,
et baisa à plusieurs reprises la main du roi. C'est elle qui m'a raconté cela trois jours
après, pendant une nuit qu'elle avait un peu de fièvre. Je me mis aussi à
,pleurer de la bonté,du roi. J'allai trouver le lendemain madame du Chiron à
qui je racontai la bonne fortune de sa protégée. J'oublie de dire que je fis
part à Madame, après son récit, de la connaissance que, j'avais de cette anaire. Elle approuva ma
conduite, et me permit d'apprendre à cette dame la bonté du roi dont le
mouvement, honnête pour elle et sensible, la toucha davantage que cinquante
mille livres de rente que; le roi lui eût accordées.. Madame avait des
battemens de cœur terribles; il semblait que son cœur sautait. Elle consulta
beaucoup de médecins, et je me souviens que l'un d'eux la fit promener dans sa
chambre, lui ut soulever un poids, et l'obligea de marcher vite. Elle
était surprise il lui dit « C'est le moyen de savoir si cela vient de l'organe,
parce qu'alors le mouvement accélère les battemens sinon, cela vient des
,nerfs. M Je citai le médecin qui n'était pas fort connu de mon oracle,
Quesnay, qui me dit que cette conduite était d'un habile homme. Le médecin
s'appelait Renard, et n'était presque connu qu'au Marais. Madame avait des
suffocations soupirait souvent et un jour je fis semblant de remettre à M. de
Choiseul qui sortait, un placet en lui disant tout bas que je voudrais bien lui
parler pendant quelques momens, par intérêt pour ma maîtresse. Il me permit de venir
aussitôt que je le voudrais, et qu'on me laisserait entrer. Je lui dis que
Madame était triste et abattue; qu'elle se livrait à des idées fâcheuses que
j'ignorais; qu'un jour elle m'avait dit La sorcière a dit quej'aurais le temps
de me reconnaître avant de mourir; je le crois, car je ne périrai que de
chagrins. » M. de Choiseul parut très-touché, loua mon zèle, et me dit qu'il
s'était déjà aperçu de quelque chose de conforme à ce que je lui apprenais;
qu'il ne parlerait pas de moi, mais qu'il tâcherait de l'engager à s'expliquer.
Je ne sais ce qu'il lui a dit, mais Madame eut depuis l'air beaucoup plus
calme. Un jour, mais long-temps après, Madame dit à M. de
6ontaut On me croit bien du crédit, mais sans Familie deTM. de Choiseul, je
n'obtiendrais pas une croix de Saint-Louis.))
Le roi avait une grande considération, ainsi que Madame, pour madame de
Choiseul; et Madame disait « Elle dit toujours la chose qui convient. M Madame de Grammont
ne leur était pas aussi agréable, et je crois que cela tenait'au son de sa voix
et à un ton brusque; car on dit qu'elle avait beaucoup d'esprit, et qu'elle
aimait le roi el Madame'avec passion (t).On a prétendu qu'elle faisait des
agaceries au roi, et qu'elle voulait supplanter Madame; et rien n'est plus
faux, ni plus bêtement imaginé. Madame voyait beaucoup ces deux damès qui
avaient de grandes complaisances pour elle. Un jour Madame disait à M. le
duc d'Agen (2), que M. de Choiseul aimait beaucoup sa sœur..« Je le sais dit-il,
Madame, et cela fait du bien à beaucoup de soeurs. » Elle lui demanda ce que
cela voulait dire, et il répondit « Diaprés M. de Choiseul on croit du bon air
d'aimer sa sœur; et je connais de sottes bêtes dont le frère n'avait pas fait
jusqu'ici le moindre cas, qui sont aujourd'hui aimées à la folie. Elles n'ont
pas sitôt mal au bout du doigt, que le frère est en l'air pour faire venir des
médecins de tous les coins de Paris. Ils
(t) Parmi les morceaux historiques, s'en trouve un qui concerne madame de
Grammont. Voyez Lèttre (e). (a) Depuis maréchal de Noailles.
se persuadent que l'on dira chez. M. de Choiseul Il faut convenir que M.
de. aime bien sa soeur, il ne lui survivrait pas s'il avait le malheur de la
perdre. n Madame raconta cela à son frère devant moi, en ajoutant qu'elle ne
pouvait pas rendre le ton comique du duc. M. de Marigni lui dit.: « Je les ai
devancés sans faire tant de bruit, et ma petite sœur sait que je l'aimais
tendrement avant l'arrivée de madame de Grammont de son chapitre.
Cependant, dit-il, je crois que le,duc d'Agen n'a pas tort, et cela est plaisamment
observé à sa manière~ et vrai en partie.-J'oubliais, repartit Madame, que M. le duc d'Agen
avait dit Je voudrais bien être à la mode, mais quelle sœur prendrais -je ?
Madame de Caumont est un diable incarné madame de Villars une sœur du pot;
madame d'Armagnac une ennuyeuse madame de La Marck une folle. -Voilà de beaux
portraits de famille, M. le duc, disait Madame. M Le duc de Gontaut riait aux
éclats pendant ce temps là. C'était un jour que Madame gardait son lit, qu'elle
raconta cette histoire et M. de G* se mit aussi à parler de sa sœur madame du
Roure, je crois du moins que c'est le nom qu'il a dit. Il était fort gai, et
passait pour faire de la gaieté; c'était, disait quelqu'un,. un meuble
excellent pour une favorite il la fait rire, il ne demande rien, ni pour lui.,
ni pour les autres; il ne peut exciter de jalousie, et ne se mêle de. rien. On
l'appelait l'eunuque blanc. La maladie de Madame augmenta,' et si prompte-
ment, qu'on eut beaucoup d'inquiétudes mais une saignée
du pied la rétablit comme par miracle. Le roi lui témoigna un grand intérêt, et
je ne sais si cela ne fit pas autant d'effet que la saignée. M. de ChoiseuL s'aperçut quelques
jours après que Madame paraissait plus gaie, et me le dit; je lui répondis ce
que je viens de dire à propos de la saignée.
Les quatre lettres suivantes adressées à M. de Marigni se trouvèrent avec
les cahiers du Journal de madame du Hausset.
« Je me suis acquitté, mon cher marquis, de vos ordres, et j'ai prié l'amie
de milord Albemarte de lui demander s'il avait la le libelle dont on vous a
parlé et s'il croyait qu'il fût écrit en français originairement, et
traduit de cette langue en anglais. Il lui a répondu qu'il n'y avait pas de doute que
l'ouvrage ne fût traduit du français; que d'ailleurs les Anglais ne s'occupent
que des affaires de leur pays et que ceux qui font des satires les dirigent
contre les gens en place ou autres qui intéressent les Anglais. Il a lu l'ouvrage,
et il m'a dit qu'il ne pouvait faire quelque impression que sur la canaille, et
qu'il ne valait pas la peine qu'on s'en occupât. Tout cela est.très-vrai car
vous sentez bien que milord n'a rien à refuser à sa charmante amie, que les
étoiles qu'il ne peut
lui donner. C'est au reste une aimable personne, qui a le meilleur ton
beaucoup d'esprit et un grand désintéressement. Adieu, mon cher marquis, je
suis de l'avis de milord, et ne parlerai pas de la démarche que vous m'avez.
engagé de faire l'on vous a trompé; il n'est pas question de vous dans l'ouvrage.
~M<re lettre.
« Madame de Vieux-Maison est une des plus grandes suivantes de Cupidon, et
ce qui pis est, l'une des plus méchantes femmes qu'on puisse voir. C'est elle
qui a fait les Mémoires secrets coMr de ~'cr~c (i) mais l'ouvrage dont il est
question,- est trop mal écrit pour être d'elle. Je ne sais où elle a pris
l'anecdote du Masque de Fer; mais,c'est elle qui en a parlé la première. Elle
est petite-fille par son mari du fameux Jacquier, l'homme de confiance de M. de
Turenne et de plusieurs généraux pour les subsistances. Il avait eu des
rapports avec beaucoup de gens considérables et c'est peut-être dans ses
papiers, ou par tradition qu'il a appris quelque chose de ce'
(t) S'il est vrai que madame de Vieux-Maison soit l'auteur des A/e/KOtrM
secrets de la cour de .Pey.fe, c'est donc elle aussi qui est l'auteur des
Amours de Leokenisul, roi des J~o~fa/M ( Louis XV, roi des Français ), car
c'est absolument le même style. Cependant on a toujours attribué ces deux
ouvrages la Beaumelle.
fameux personnage que M. d'Argenson prétend être fort peu de chose en
réalité. Il dit que c'était l'opinion de M. le régent. Madame de VieuxMaison
est sœur de madame de Vauvrai, très-belle femme que le duc
d'Agen a aimée en amant romanesquie,'ce qui ne lui ressemble guère. Il s~était t fait passer pour
maître de musique, lui a donné des leçons; et un beau jour à Saint-Roch, elle a
vu son maître de musique en habit superbe avec deux queues, et suivi de valets.
Je crois que c'était plus pour se divertir, que par grand sentiment, qu'il a
joué ce rôle.
~<t<re.
« J~ai vu Vernage, et ai fait tomber la conversation fort naturellement sur
la mort de madame de Châteauroux. Quand je lui ai parlé de poison, il a levé les
épaules et m'a dit « Personne ne peut mieux vous parler de cela que moi je l'ai
vue à son retour de Metz, et l'ai engagée à suivre un régime rafraîchissant, à
se distraire, à faire de l'exercice; mais eue ne m'a pas voulu croire, et
n,'a.fait que songer à ce qui lui est arrivé à Metz, et à s'occuper avec une
agitation extrême de Pavenir. Quinze jours environ avant sa mort, j'eus une
grande conversation avec elle sur sa santé, à la prière de ses amis, et je lui
dis Madame, vous ne dormez pas, vous êtes sans appétit, et votre pouls annonce
des vapeurs noires, vos yeux ont presque l'air égaré;
quand vous dormez quelques momens, vous vous réveillez en.sursaut. Cet état
ne peut durer ou vous deviendrez folle par l'agitation de votre esprit, ou il
se fera quelque engorgement au cerveau, ou l'amas des matières corrompues vous
occasioneï-a une fièvre putride. Je la pressai de se faire saigner, de prendre
quelques légers purgatifs,et cela pendant plusieurs jours.
Ellemepromitetàsesamis, et M. de Richelieu le sait bien, de suivre mon
ordonnance. Son rappel à la cour est venu, et la révolution de la joie, jointe
à tout ce qui avait précédé, a fait fermenter les humeurs; et elle est morte
d'une fièvre putride avec le transport au cerveau. M Tout cela est bien long,
mais je me conforme à vos désirs. Vernage m'a répété dix fois que sa maladie
n'avait rien d'extraordinaire. M. de Richelieu m'a dit la même chose, ainsi que
le bailli de Grille, intime ami de madame de Châteauroux. M Autre.
La querelle de la présidente p* avec la Vieux-Maison, est très-vraie, et je
puis vous en dire les circonstances. Elles ont été très-amies, mais elles
étaient en froid pour un amant qu'elles se disputaient. Il y a quelques jours
que chez madame de. elles se sont querellées, et la présidente a reproché à
l'autre de courir après les hommes. C'est bien à vous, dit-elle, qui avez couru
après le roi, et avez été attrapée par un de ses domesti-
ques qui a fait de vous tout cp q~u'il a voulu,; et. aussitôt, sans
qu'on pût t'Interrompre, elle q commencé l'histoire. Madame p* s'en est aUee furieuse,
sans entendre le reste qu'o.n a sans peine engagé ]a Vieux-Maison à raconter. «
Au bal, pour le mariage du. dauphin, plusieurs femmes cherchaient à faire la
conquête du roi; et la présidente, dit-elle, n'était pas'la moins empressée. Le
roi s'était déguisé en ainsi que trois ou quatre de ses courtisans il s'amusa
quelque temps au bal et ensuite, fatigué de son habillement, il rentra chez lui
par une porte de derrière et l'on porta sa mascarade chez son premier valet de chambre qui a un
petit appartement dans l'antichambre du roi. M. de Bridge, écuyer du roi, était
son ami; il te pria de le lui prêter, ainsi que la clef de l'appartement. II
s'habilla en if, parut dans la salle, et bientôt fut fortement agacé par la
présidente qui le prit pour le roi. Il ne fut pas cruel, et proposa à la dame
de le suivre chez son premier valet de chambre. La présidente s'y rendit. Il n'y
avait point de lumière, parce qu'il avait eu la précaution de l'éteindré.
L'écuyer prodigua les promesses à la présidente, la pressa vivement, et elle
crut a~oir rendu lé roi heureux. En sortant, elle vit le roi qui
traversait FœH-de-boeuf, vêtu à l'ordinaire, et P~ qui donnait le bras à la présidente, la
quitta et s'évada. Elle vit qu'elle avait été trompée, et devint furieuse;
long-temps après, par quelques indiscrétions, elle sut, ainsi que moi, le nom
de i5
celui qui avait si bien joué le rôle du roi. C'est, i au reste, un
très-bel homme.-Dans toute cette histoire, il ne fut pas fait
mention de madame votre sœur, dont on n'a pas prononcé le nom. M
MORCEAUX HISTORIQUES
SERVANT D'ECLAIMISSEMENS
POUR LES MÉMOIRES
DE MADAME DU HAUSSET.
i5*
M'SPECTACLES DES
PETITS CABINETS DE LOUIS XV.
COMME Fépoque de ces spectacles est éloignée de la nôtre comme tout ce qui a trait
à ces différens amusemens est très-peu connu, j'ai cru qu'on pourrait en voir
avec plaisir les détails. Ce fut dans les derniers mois de l'année i~y que se réunirent
les auteurs qui composèrent la troupe (car c'est le nom technique que l'on
donne à ces réunions d'acteurs de société ), jalouse de produire ses talons sous
les yeux du roi. Louis XV avait entendu citer très-souvent, et toujours avec
éloge, les talens de madame la marquise de Pompadour pour la comédie. pour le chant, et
qui s'était rendue célèbre à Étioles (t) sur
(1) C'était dans la société des gens de lettres et d'artistes distingués
que rassemblait à Étioles M. de Tournehem, riche, fastueux et passionné pour
les art~ c'était-Ià dis-je que sa nièce, en formant son goût, apprit à,aimer les
talens.Le premier usage qu'elle fit de son crédit fut de procurer à l'oncle qui
les lui avait fait connaître et apprécier, la place de leur surintendant.
( Note de L<!M/o/~ auteur de ce morceau. )
le théâtre de M. de -Tournehem, son oncle, et sur celui de madame de Villemur
( dont elle était l'amie particulière) à Chantemerle. Plusieurs courtisans de
Sa Majesté, et entre autres M. le maréchal de Richelieu y avaient assisté; M.
le duc de Nivernais et M. le duc de Duras y avaient été acteurs en fallait-il
davantage pour exciter la curiosité du roi et pour seconder madame de Pompadour
dans le désir qu'elle avait de développer à ses yeux tous ses moyens de plaire?
désir que partageaient avec elle les deux acteurs que je viens de citer.
Quand on a des talens, on juge aisément de leur prix par la peine que l'on
s'est donnée pour les acquérir aussi son ardeur à les obliger
s'est-elle rarement démentie.
On choisit le cabinet des médailles pour le théâtre. A peine était-il
construit, que le choix des acteurs fut fait.
La troupe n'avait pas tardé à se compléter quoique pour s'y voir admis il
fallût avoir joué précédemment avec quelque succès sur des théâtres de société.
Voici les noms des acteurs choisis par celle-ci MM. LE DUC D'ORLÉANS, LE
DUC D'ÂGEN, LE DUC DE NIVERNAIS, LE DUC DE DURAS, LE COMTE DE MAILLEBOIS, LE
MARQUIS DE CoURTENVAUX,LE DUC DE COIGNY, LE MARQUIS D'ENTRAIGUES.
Mesdames LA DUCHESSEDEBRAKCAS,LA MARQUISE
DE POMPADOUR, LA COMTESSE D'ESTRADES, DE MAR~CHAIS (l).
Telle fut la première composition de la troupe avant quelle se permît de
jouer l'opéra. Dans sa première assemblée, on choisit pour directeur M. LE DUC
DE LA VALLtÈRE.
Pour secrétaire et souffleur, l'ABBÉ DE LA GARDE, secrétaire de madame de
Pompadour et son bibliothécaire.
Ensuite on s'occupa des statuts.
Statuts.
ï* Relatif à l'admission. Pour être admis comme sociétaire, il faudra prouver
que ce n'est pas la première fois que Fon a joué la comédie, pour ne pas faire
son noviciat dans la troupe.
II". Chacun y désignera son emploi.
tir. On ne pourra, sans avoir obtenu le consentement de tous les
sociétaires prendre un emploi différent de celui pour lequel on a été agréé.
IV. On ne pourra, en cas d'absence, se choisir un double (droit expressément
réservé à la société, qui le nommera à la majorité absolue). V". A son
retour, le remplacé reprendra son emploi.
VI*. Chaque sociétaire ne pourra refuser un rôle affecté à son emploi,
sous prétexte que le rôle (i) Parente de madame de Pompadour, depuis comtesse d'Angivillers.
est peu favorable à son jeu, ou qu'il est trop fatigant.
Ces six premiers articles sont communs aux actrices comme aux acteurs.
Vir. Les actrices seules jouiront du droit de choisir les ouvrages que la
troupe doit représenter. Vtir. Elles auront pareillement le droit d'indiquer le jour de
la r~re-o~, de fixer le nombre des répétitions, et d'en désigner le jour et Fheure.
IX°. Chaque acteur sera tenu de se trouver à l'heure très-précise désignée
pour. la répétition, sous peine d'une amende que les actrices seules fixeront
entre elles.
X°. L'on accorde aux actrices seules la demiheure de grâce, passé laquelle
l'amende qu'elles auront encourue sera décidée par elles seules. Copie de ces statuts sera donnée à
chaque sociétaire, ainsi qu'au directeur et au secrétaire qui sera tenu de les
apporter a chaque répétition. On voit par ces statuts arrêtés unanimement, que
le projet était de donner quelque suite à ces spectacles. C'était beaucoup,
pour madame de Pompadour, de se procurer la facilité de retrouver et de suivre
ses amusemens les plus chers, de les faire adopter dans cette société nouvelle.
Les sociétaires qui s'y trouvaient réunis, moins habitués .) ce genre de talens,_et par conséquent
plus timides, ne pouvaient offrir de rivalité dangereuse. Madame de Pômpadour, annoncée par dès
ta-
lens tant de fois éprouvés en avait acquis plus de confiance mais les
succès précédons n'avaient natte que sa vanité, et ceux auxquels elle aspirait étaient bien
plus attrayans. Ils intéressaient son cœur; c'était peu pour elle de plaire au plus
grand nombre des spectateurs le suffrage d'un seul suffisait à son ambition:
Elle ne devait qu'aux charmes de sa figure une conquête dont chaque jour lui
faisait sentir le prix; elle n'attendait, que doses talens, le bonheur de la
fixer.
En justifiant aux yeux du roi le goût qu'elle avait toujours eu pour les
talens, elle se ménageait lé droit désintéresser en leur faveur, et
s'en occupait. Le-sou venir agréable qu'elle avait conservé des auteurs dont la célébrité
répandait plus d'éclat dans la société de M. de Tournchem, était encore
trop récent pour être enaçé dé sa mémoire; son orgueil avait été flatté d'y
compter tour à tour pour habitués Voltaire, Crébillon (qu'on y voyait plus
assiduement par la précaution qu'on avait prise d'éviter qu'ils s'y trouvassent
ensemble), et presque toujours Gresset, alors dans toute la force de son
talent. La nièce n'était pas moins impatiente que l'oncle de leur -prouver sa
reconnaissance CrébiHan, leur ami, fut le premier qui s'en ressentit (i).
(t) Madame de Pompadour obtint de faire imprimer aux dépens du roi, par
l'imprimerie royale, les OEuvres dramatiques de Crébillon.
( ~Vo/e de Z<?<OH. )
Voltaire était devenu plus difficile à obliger; il avait contre lui toute
la famille royale la lutte était dangereuse pour madame de Pompadour, mais elle
osa la tenter.
Jalouse de s'attacher les talens elle ne pouvait en donner de preuves
plus éclatantes qu'en obligeant un auteur célèbre.à tant de titres. Elle
n'avait qu'un moyen de faire cesser sa disgrâce, et le saisit même à son insu.
Voltaire ne s'était annoncé dans la comédie que par celle de l'Enfant Prodigue, sur laquelle les
suffrages de la cour lui avaient été favorables ce fut cette pièce que madame
de Pompadour proposa et fit agréer pour début à la nouvelle troupe. L'auteur de
la pièce n'en apprit le succès que quelques jours après la première
représentation parce que les acteurs n'appelaient pas aux représentations les
auteurs des ouvrages qui avaient déjà paru sur des théâtres publics.
On crut cependant qu'il était juste de procurer aux auteurs la satisfaction
et l'honneur de~ paraître devant le roi, quand leur ouvrage aurait contribué à
ses plaisirs. Madame de Pompadour qui avait eu cette idée qu'on avait adoptée,
y ajouta celle de donner ses entrées à chacun des spectacles, aux auteurs dont
les ouvrages auraient été donnés, ou léseraient par la suite. Cette proposition
ne dépendait pas seulement de la troupe; il fallait que le roi y donnât son
consentement. Madame de Pompadour l'obtint, et se pressa de
l'annoncer à Voltaire,
qui ne manqua pas de se trouver à sa seconde représentation, et qui sentit
bien qu'il devait à madame de Pompadour non-seulement la satisfaction devoir eu
son ouvrage représenté le premier devant Sa Majesté/mais encore la facilité d'être plus
souvent sous ses yeux.
Il avait donc appris à la fois son succès et les suites heureuses qui
pouvaient le lui rendre plus précieux.
C'était le seul théâtre où l'on se fût permis de témoigner par battemens de
mains la satisfaction que procuraient les ouvrages dramatiques donnés devant le
roi (i). La comédie de l'Enfant Prodigue était donc la première que l'on eût
honorée de cette faveur éclatante (2).
La lettre qui en informa Voltaire fut pour lui
(i) Madame de Pompadour jouait dans la pièce et n'est-ce donc
qu'à la cour qu'un amant ait découragé plutôt vingt auteurs que d'oser une
seule fois décourager sa maîtresse? ( Note de ZcM/oy:. )
(2) L'amour avait fait à Louis XV une loi de se débarrasser de l'étiquette
ennuyeuse que lui prescrivait sa"grandeur; et il le prouvait
par ses applaudissemens qui servaient de signal au petit nombre de spectateurs
qu'il avait admis à jouir de ce spectacle, et qui se disputaient d'empressement
pour l'imiter. Lui seul donnait la permission d'y assister. Il s'en était
réservé le droit à l'exclusion des auteurs, et même des acteurs, qui ne
pouvaient y faire entrer leurs parens sans avoir obtenu son consentement. Les
femmes en étaient absolument exclues pendant les deux premières années. ( ~Vo~e
du premier e</t~. )
l'annonce d'une jouissance dont tout jusque-là s~était réuni pour le
priver. Laissons-le un moment se reposer sur cette nouvelle agréable, et préparer les remerciemens
qu'il doit à celle qui les lui procure il aura le temps d'y refléchir. Sa' bienfaitrice,
pour fournir des alimens nouveaux -à la curiosité du roi, avait senti la
nécessité de ne lui donner jamais deux fois de suite le même spectacle. Elle
profita donc de l'intervalle de la première représentation de r.E/ï/<x/ï~ Prodigue à la
seconde, pour s'occuper de Gresset. Sa comédie du 7)f<°c/M! disputait encore
son succès. Cette pièce qu'elle choisit pour second spectacle eut le succès le
plus complet. M. le duc de Nivernais excella dans le rôle de Valère. Dans la
première scène (qui avait pour objet d'annoncer l'adresse habituelle du méchant
toujours occupé de séduire) le ton ingénu que M. de Nivernais prêtait à Valère,
sa promptitude à céder sans réflexion à Fhomme dont l'esprit lui paraissait
bien supérieur au sien, Forgueil de se rapprocher de lui, présenté
avec une franchise faite pour rendre Valère intéressant, en offrant en lui plus
de faiblesse que de penchant pour le vice voilà ce qui avait échappé à Facteur
qui, le premier, jouait ce rôle sur le Théâtre-Français. L'effet que produisit
cet ouvrage sur le petit théâtre fut tel que madame de Pompadour, occupée
d~obliger Gresset, obtint du roi de faire venir à la'seconde représentation
Rosali, qui, surpris de voir tout le
parti que tirait de ce rôle M. de Nivernais, en profita, et se modela si
bien sur lui, qu'à Paris l'ouvrage dut à cet heureux changement tout le succès
qu'on a depuis cessé de lui disputer.
Les chasses de Louis XV, et d'autres circonstances pareilles, décidaient de
l'intervalle que l'on mettait d'une représentation à l'autre.
On avait commence par jouer la comédie, on s'occupait d'y joindre des actes
d'opéra. L'orchestre avait ,été formé dès Je début de là troupe, et
il était composé d'un tiers d'amateurs et de deux tiers d'artistes de la
musique du roi. En voici la liste, dans laquelle on distinguera les amateurs
par ce signe
Clavecin. M. Ferrand (i).
Violoncelles. MM. Jéiiotte, t'abbéi'Aine, Chrétien, Picot,
Dupont,Antonio, Dubuisson. Bassons. MM. Le.Prince de Dombes Marlière, Biaise.
Hautbois. MM. Desseller, Desjardins.
Fioles. MM. Le comte Dampierre le marquis de Sourches
~z'o/o~~ premiers a~.MKj. MM. Mondonviiïe, Lalande, Le Roux,
De Courtomer *,Mayer. ~:o~o~M seconds dessus. MM. Guillemain, Caraffe raîné Marchand Fauchet Bellev'ille
(i) Parent de madame de Pompadour, et qui fit représenter l'année d'après,
sur ce théâtre, l'acte de Zétie, dont il avait fait ta musique, et dont
M. Curis avait fait les paroles. (~Vo<e~Hp7'e/?:!e~'e~.)
TVo/M~ M. Caraffe cadet.
Cor-~g-c~e. M. Caraffe troisième.
Quand il fut question de jouer des actes d'opéra, Dehesse, acteur de la
Comédie-Italienne et son maître de ballet, fut choisi pour celui de la troupe.
La danse, dont il était chargé de choisir les sujets, était composée de jeunes
personnes des deux sexes, depuis l'âge de neuf à dix ans jusqu'à celui de douze
inclusivement. Passé cet âge, ils se retiraient et jouissaient du droit d'être
placés selon leurs talens, mais sans autre début, soit à l'Opéra, soit dans les
ballets du Théâtre-Français ou Italien. Voici les noms de celles et de ceux qui ont
joui de cet avantage.
MM. La Rivière. Béat.
Il n'y avait de danseurs seuls que les sociétaires
designés ci-après.
i" année. M. LE MARQUIS DE COURTENVAUX, premier danseur; M. LE coMTEDH LANGERON, en
double et deuxième danseur.
jF~Mra~M..
Gougis.
Rousseau.
Berteron.
Lepy.
Caillau.
Figurantes.
Mmes. Pnvigne. DorfeuiUe.
Marquise.
Chevrier.
Astraudi.
Durand.
Foulquier.
Camille.
2° <<?. M. LE DUC DE BEUVRON, M. LE COMTE DE
MELFORT.
La 3<= année, la troupe renonça à jouer la comédie pour composer son
spectacle entier d'opéras et de ballets. =
Les représentations se faisaient chez madame de Pompadour, et commençaient
pendant le voyage de Fontainebleau on disposait à, Versailles le théâtre sur
lequel on taisait en arrivant les représentations générales.
Les spectacles continuaient jusqu'au carnaval inclusivement.
La troupe n'offrit, dans ses premiers débuts lyriques, de
ressources en acteurs pour le chant 7 que madame la duchesse de Brancas,
madame de Pompadour et M. le duc d~Agen.
Ainsi tous les actes ne devaient réunir que ce même nombre de personnages.
Le premier acte qu'on joua sur ce petit théâtre était intitulé
Bacchus'et jEr~'o~e, delaBruère et BIamont. 0
Le second, Ismène, dé Moncrif et Rebel.
Le troisième -Eg~e, de la Garde (t) et de moi. Dans ce seul genre d'ouvrages, on
n'admettait aux répétitions que les auteurs des paroles et de'
(i) Auteur d'un recueil très-acerédité de duos et de la
charmante cantate d'~n~e et Z):</on, par M. le duc de Nivernais. (
Note ~M~re~;er e<
la musique; en leur absence, ils étaient remplacés, savoir: celui des
paroles, par le soumeur; celui de la musique, par Rebel.
Chaque auteur de la musique avait (e droit de battre la mesure dans
l'orchestre quand on jouait son ouvrage.
Il est peu de ces auteurs qui cédassent ce droit; mais s'il
survenait quelque obstacle qui les empêchât d'en user, Rebel était chargé de
remplacer les absens.
Sur le théâtre, Bury était chargé de la conduite du spectacle chantant et de la surveitlanee des chœurs, dont
voici la composition en hommes et en femmes, et choisis dans tous les différens
artistes de la musique du roi et dé la reine. L'ancienneté avait la
préférence pour éviter toute jalousie sur la prééminence des talens, on.ne
consultait que la date de leur réception.
Dc~u~. M" De Selles, Godonesche, Canavas Francisque.
Dessus. MM. Camus, Gérôme, Fatco, Francisque. Hautes-contre. MM. Lebègue
Poirier, Baxire Dugué.
Tailles. MM. Daigremont, Richer, Cardonne, Traversier.
Basses. MM. Benoît, Ducros, Godonesche, Dupuis, Joguet, Dubourg.
De la totalité de ceux et celles qui complétaient ces chœurs, il n'en
paraissait sur le théâtre que deux.temmes et deux hommes de
chaque côté;
les autres chanteurs', en dehors du théâtre en bordaient.les coulisses.
Les acteurs, soit qu'ils jouassent ou ne jouassent point dans la pièce,
avaient leur entrée dans la salle, et la conservèrent tant que ces petites
fêtes particulières'eurent lieu. J'ai dit que les femmes n'y étaient pas admises; mais les,
actrices qui ne jouaient pas étaient placées dans une loge située le long des
coulisses, et dans laquelle madame de Pompadour s'était résérvé deux places,
dont l'une était toujours remplie par madame la maréchale de Mirepoix amie
du roi.
Les comédies que je viens de citer, furent les seules qu'on joua sur ce
petit théâtre. En les choisissant de préférence sur nombre d'autres pièces, le
but de madame de Pompadour avait été de saisir le seul' moyen qu'elle avait
d'obliger Voltaire et Gresset. 1
A la suite de la seconde représentation de
l'En~M~.Proe~M~, à laquelle Voltaire eut la permission d'assister, et qui lui assurait à l'avenir
ses entrées à tous les spectacles qu'on y représenterait, on donna l'acte
lyrique de Bacchus et jEj'~o/M. Madame de Pompadour jouait le rôle
d'Erigone, pour lequel elle avait marqué quelque répugnance. Enfin, soit qu'il
ne fût pas favorable à sa voix, soit que l'ouvrage lui déplût, ce fut le seul
qui n''y fût joué qu'une fois. La Bruère, auteur des paroles, alors secrétaire
de l'ambassade de M. de Nivernais, eût pu sans doute réconcilier madame de
Pompadour
<G G
avec ce rôle, s'il eût assisté a ses représentations mais il était parti
pour retourner à son poste.
A cette époque les actes d'opéra n'étaient point imprimés; M. le duc de la
Vallière comme directeur, présentait au roi l'auteur des paroles, qui les
remettait manuscrites a S. M. On dit que l'acte d'Erigone fut cause qu'on ne
les imprima pas; et ceux qui devaient y être joués, y furent soumis à l'examen
du directeur et de ce qui composait la troupe. On les imprimâtes autres années, après
avoir subi cette espèce de censure.
Le désagrément qu'avait éprouvél'acte d'Erigone procura donc à Voltaire la
satisfaction d'être le seul auteur dont l'ouvrage eût contribué au succès de la
représentation, et soutenu l'honneur de la troupe; aussi adressa-t-il à madame
de Pompadour les vers suivans dont elle fut enchantée, et qu'elle se hâta de
faire circuler, ne présumant pas assurément qu'ils pussent jamais devenir
funestes a l'auteur.
Ainsi donc vous réunissez
Tous les arts, tous les dons de plaire,
Pompadour! Vous embellissez
La cour, le Parnasse et Cythère.
Charme de tous les yeux, trésor d'un seul mortel Que votre amour soit éternel
Que tous vos jours soient marqués par des fêtes Que de nouveaux
succès marquent ceux de Louis 1 Vivez tous deux sans ennemis!
Et gardez tous deux vos conquêtes
Ces vers parvinrent bientôt dans les sociétés les plus brillantes de la
cour et les plus animées contre Voltaire. Celle de madame la duchesse de Taiard, où la reine
passait ses soirées, les sociétés de MESDAMES, ses nlles, avaient eu presqu'en
même temps copie de ces vers contre lesquels on ne pouvait, disatent-elles,
trop tôt sévir, puisque l'auteur, qui venait d'obtenir ses entrées au théâtre
où cette faveur était si marquante et si difficile :) se procurer, n'avait
cherché qu~un titre nouveau pour se les assurer, et pour reproduire avec plus
d'avantage ses talens sous les yeux du roi.
Ces sociétés anti-voltairiennes s'étaient donc réunies les frondeurs les
plus habituels d'une célébrité qui les désolait, s'étaient pressés de s'y
rendre; c'était qui citerait le premier dans ses vers des idées plus captieuses
et plus malignes, leur prêterait des applications plus scandaleuses, fixerait
sur elles toute l'attention de Fassemblée, et se
montrerait ennn le plus jaloux de publier et d'accréditer leurs critiquas. Ce fut en
effet par eux que l'on sut que '(. le vœu forme par Fauteur pour la constance
perpétuelle des deux amans, avait été regardé généralement dans ce comité
comme M le comble de la témérité et de Faudace; qu~dn )' avait été indigné dela
comparaison des conquêtes du roi dans ses premières ~c~mpagnes avec la conquête
du cœur de sa maîtresse que Mes') dames avaient regardé comme attentatoire a H l'honneur de leur
père cette parité de gloire t6*
M qu'on attachait à ces deux succès; que c'était )' enfin un crime
Impardonnable.
Elles avaient conservé du crédit sur le cœur de leur père qui les avait habituées
aux mêmes égards, à la même tendresse. Et dès le lendemain de l'assemblée que
je viens de citer, quand le roi, selon son usage journalier, vint recevoir
leurs embrassemens, elles l'entourèrent, redoublèrent de caresses, et prontèrent de ces épanchemens
mutuels pour l'amener à sentir la nécessite d'éloigner de lui un auteur
qui venait d'ajouter aux premiers torts qu'elles lui connaissaient, en
se permettant des vers scandaleux que S. M. ne pouvait laisser impunis, sans
prouver que la gloire était moins intéressante pour sa personne que sa
maîtresse. Le roi était faible; l'exil de Voltaire fut signé avant
que madame de Pompadour pût le savoir. Elle l'apprit avec quelque surprise;
mais elle avait trop d'esprit pour ne pas sentir le danger de s'opposer à cette
disgrâce. Quoique sa faveur parût assurée, elle n'ignorait pas qu'elle lui
avait fait beaucoup d'ennemies, et c'eût été le moyen sûr d'aigrir les plus
dangereuses. Elle dissimula donc le chagrin qu'elle ressentait intérieurement
de la disgrâce de son protégé; elle s'accusa même d'en être la cause par la
publicité qu'elle avait donnée à des vers que leur auteur n'avait destinés qu'à
être lus par elle ce qui fit que la reine et la famille royale, qui craignaient qu'elle
n'opposât son crédit au leur, lui surent gré de n'y avoir pas mis d'obstacle,
et
le dirent publiquement. Le roi avait paru trop flatte de l'empressement de
sa favorite à s'entourer des talens célèbres, pour se dissimuler la peine qu'il
venait de lui causer; et pour consoler l'anligée, il la nomma,
quelque temps après, surintendante de la maison dé !a reine, qui ne s'en
plaignit pas. Que la surintendante ait eu l'adresse d'allier les intérêts de
son amour avec les soins et les égards pour sa respectable maîtresse, qu'elle
ait trouvé'le secret dé les lui rendre agréables en lui ménageant un peu de
crédit auprès du roi c'est, je crois ce qu'il importe peu de savoir. Ce qui
doit intéresser beaucoup plus lé lecteur, c'est la position fâcheuse dans laquelle se
trouve un auteur pour avoir trop exalté sa bienfaitrice afin de lui donner les
preuves les plus marquées de sa reconnaissance. Je reviens donc à Voltaire.11. avait cru dé si
bonne foi ne pas avoir excédé les licences qu'autorise la poésie que, pour laisser
lé temps' d'examiner et mieux saisir tout le mérite de Son hommage, il l'avait
adressé un jour avant de venir s'assurèr de la sensation qu'il avait produite.
Il voulait par là se ménager la double jouissance, et d'en recevoir des
remerciemens, et de profiter, pour la prèmière fois des entrées qu'il devait au
succès de son Enfant Prodigue. Il n'arriva de Paris-que le même jour où le
jugement qu'on avait fait de ses vers ne s'était pas encore répandu. J'étais à
dîner chez M. de Tournehem qui ne savait rien du motif qui lui ame-
nait ce nouveau convive. « Vite, dit notre amphitrion, le dînep de M. de
Voltaire.! » On ne le fit pas attendre, et, ce qui me parut singulier, son
dîner se bornait à sept à huit tasses de café à l'eau et deux petits pains. Cela
né l'empêcha pas de défrayer la société par nombre de saillies piquantes. Je me
rappelle qu'on vint à parler de l'impôt qu'on venait d'établir sur les cartes,
qu'il approuvait trèsfort, et qui lai donna lieu de citer nombre de projets sur
le luxe, tous, disait-il, plus importans l'un que l'autre, et faits pour fixer
l'attention du gouvernement ce qui annonçait une tête ardente et féconde, à
laquelle nul objet et de poétique et d'administration n'était étranger~ Après être sorti
de table, il était entouré de convives qui ne se lassaient pas de lui faire
questions sur questions je regrettais de ne pouvoir être du nombre; mais c'était le
jour de la première représentation d'e, j'étais obligé de rejoindre mon
musicien, et de me rendre chez M. le duc de La Vallière, pour qu'il m'indiquât
le moment où je remettrais au roi le manuscrit de mon ouvrage.
(Extrait des OEM~'c~ choisies de ~f..P. Z~M/<w p pages 71 à go.)
(b) DE LA DESTRUCTION
DES
JÉSUITES, EN FRANCE
ON suppose généralement que les Jésuites, presque dès leur institution,
surveillèrent les hommes que leur naissance ou des circonstances quelconques
appelaient à des emplois importans; qu'ils tâchaient de pénétrer leurs
sentimens pour l'Ordre, et faisaient en temps et lieu usage de ce qu'ils
apprenaient. Le comte de Stainville, depuis duc de Choiseul, étant ambassadeur
à Rome, alla un jour rendre visite au général des Jésuites nommé Viscomti. La
conversation tomba sur les ennemis de la joc~ et M. de Stainville s'empressa de
dire qu~il était bien éloigné d'être de ce nombre et fit son éloge. Le général,
homme plus pieux que prudent, lui répondit « M. l'ambassadeur n'a pas »
toujours pensé ainsi, et je suis fort aise de voir qu'il soit désabusé de ses
préventions. ') M. de (i) Le volume In-~° publié par M. Crauford sous le titre
de Mélanges d'histoire et de littérature contenait ce morceau ëcrit avec impartialité.
On le croit de M. Sénac de Meilban. ( Note des nouv. <~t'f.)
Stainville sedé~endit d'avoir eu d'autres sentimens. Le général alors lui cita quelques
expressions dont il s'était servi touchant les Jésuites, et laissa tomber la
conversation. M.'de Stainville fort surpris se rappela que, dans un soupé, à
Paris, peu de jours avant son départ pour Rome, où l'on parlait à table des
ouvrages du père Berruyer (i), que le parlement se disposait à censurer,
il s~était, en effet, exprimé très-fortement contre les Jésuites. Un témoin de ce discours le
rapporta aux Jésuites et le recteur de la maison professe écrivit sur-lechamp à Rome~ en
priant le général de garder, avec le nouvel ambassadeur de France, les mesures les
plus prudentes; ce que ce général ne nt pas certainement, puisqu'il lui çqmmun)qua ce qu'on vient de
raconter (2).
La destruction de cette fameuse société produisit la plus grande
sensation. Voici comment cet événement arriva en France: onsuivitTexemple donné en Portugal
et en Espagne..
(l) Joseph-Isaac Berruyer, né à Rouen en 1681, mourut à Paris en 1~58. L'ouvrage condamné
est son Histoire du ~'e~~e -DteH~ ~r~e des ~e~~ Z<~):e~ saints, livre à la
vérité assez extraordinaire, écrit dans un style qu'on peut appeler
romanesque. li fut condamné sous Benoît XIV par un bref du i~ février <~58, et sous Clément
XIII, par un bref du a décembre de la même année. Les Jésuites avaient déjà désavoué
l'ouvrage, et obtenu de l'auteur un acte de soumission lu en Sorhonne en, iy54. ( ~Vo(e ~M.MMT; e~f.) (2) Je tiens cette
anecdote d'un ancien Jésuite~. · ( ~Vo~e du premier ec~. )
Le père La Vallette, supérieur des Jésuites de la Martinique, avait des
relations commerciales avec des négocians français. Pendant la guerre,
terminée parte traité de 1762, quelques vaisseaux sur lesquels ]es Jésuites a valent des
effets, furent pris par les Anglais. Le père La Vallette, comptant surFarnvée des cargaisons,
avait contracté des engagemens payables à certaines époques par le père Sacy,
procureur-général des missions, et demeurant à la maison professe, a Paris, rue
Saint-Antoine. A Féchéance des paiemens, ce père déclara ne pouvoir y satisfaire, et demanda du
temps. La maison de Lioncy et Jouffres de Marseille, intéressée pour cette affaire, se
pourvut à la juridiction consulaire de cette ville, et les Jésuites
furent condamnes solidairement à remplir les engagemens contractés par La
Vallette et Sacy. Les Jésuites réclamèrent contre ce jugement, et en appetèrent'à une juridiction
supérieure. Leur cause était, comme celtes de. tous les réguliers, attribuée
au grand ~conseil; et une attribution étant dans ce cas un privilège, on pouvait s'en
prévaloir ou le décliner. Il y avait, à cette époque, dans la maison
professe, à Paris, un Jésuite appelé le père Frey, frère du prédicateur Neuville, et ce père passait pour une
des meilleures têtes politiques de l'ordre., Les principaux Jésuites, indécis sur la
conduite qu'ils tiendraient, s~assembièrent, et le père Frey,
après avoir écouté tous les avis,. ouvrit celui de- porter Fanaire au parlement) et
de décliner la'juridiction dh'grand-
conseil. Beaucoup de ceux qui composent le grand banc, aussi bien que
celuidu grand-conseil, ditFrey, sont nos étèves;Ie parlement connaît
nos droits, et il sera sensible à la confiance que nous lui marquerons, en nous
soumettant à sa juridiction. Enfin, si nous gagnons notre procès, comme je n'en
doute pas, le jugement aura d'autant plus d'authenticité, que l'on est persuadé
dans le public que le parlement nous est contraire. Cet avis parut fondé, et
fut adopté, tandis qu'il n'y en avait pas véritablement de plus fatal pour les
Jésuites. Le grand conseil, qui devait son importance à l'attribution des
affaires des ecclésiastiques, avait des égards pour eux; et lorsqu'il prévoyait
une mauvaise issue à une affaire majeure, il engageait quelquefois les parties
à s'accommoder. Celle de la maison de Lioncy et Jouffres était si évidemment
mauvaise, que le grand-conseil serait certainement parvenu à faire renoncer les
Jésuites à la soutenir, et elle aurait été assoupie sans éclat. Le grand
conseil ne se serait jamais immiscé dans l'examen de l'institut des Jésuites;
il se serait borné à prononcer sur la question qui consistait à savoir si la
société était solidaire pour des engagemens contractés par ses dé-légués, question simple,
et qui ne pouvait présenter aucun doute. L'affaire fut donc portée au
parlement.
Les Jésuites soutenaient qu'ils n'étaient point solidaires, et le parlement
demanda à voir l'institut sur lequel ils fondaient cette assertion. H ne se
borna pas à l'article relatif au procès;. H examina en entier leurs
constitutions, et le 8 mai 1~61, un arrêt du parlement condamna les
Jésuites à payer les sommes dues par La Vallette et Sacy, outre cinquante mille
livres de dommages et intérêts. Pendant qu'on plaidait cette cause, lés ennemis
des Jésuites excitaient contre eux des clameurs dans les lieux publics et dans
les sociétés. La doctrine régicide de Buxenbaùm, et d'autres
écrivains de cette compagnie, ainsi que le supplice de Guignard (t), furent
rappelés; les jansénistes fortinèrent de tous les moyens de l'esprit de parti les dispositions
défavorables du parlement; et l'aveuglement des Jésuites à ne pas avoir recours
au
(i) Jean Guignard, natif de Chartres, était bibliothécaire du collège de Clermont (
nommé ainsi du nom du fondateur Guillaume Duprat, évoque de Clermont),lors
de l'attentat à iavIedeHenrIÏV,eni5a4, par Jean Châtel qui le frappa d'un coup de
couteau à la bouche. Plusieurs fanatiques dans ce temps-là avaient imaginé
d'assassiner ce grand roi. Châtel assura qu'il avait entendu dire chez les
Jésuites qu'il était permis de tuer un prince hérétique. Le parlement envoya
des commissaires pour' visiter leurs papiers. Le seul dans lequel
`
on trouva des rapports avec une pareille idée, était un écrit de la main de
Guignard, dans lequel il disait Ni Henri III, ni Henri 7~, ni la reine .EVt'.M~e~ nt le roi de Suède,
ni l'électeur de Saxe, ne sont de véritables souverains. Henri 777 est MM Sardanapale,
/e Béarnais un renard, Élisabeth une louve, le roi de Suède un ~'r<yon~ l'électeur de Saxe
Mn~orc' y~c~KM Clément a fait un acte héroïque inspiré par le
Saint<&?j'. oK~cM~ guerroyer le ~<?ayv<af~~ qu'on le guerroye.
grand-conseil, acheva ce que depuis long-temps leurs ennemis avaient si
ardemment souhaité. 1 Le paiement enregistra le 6 août 1~61, un arrêt qui enjoignait aux
supérieurs des différentes maisons de Jésuites, de remettre au greffe les
titres dé leur établissement en France. Une commission chargée d'examiner leur
institut, désirant prendre l'avis du clergé de France, douze évêques furent
nommés pour répondre à ces quatre questions: 1°. De quelje utilité sont les Jésuites
en France relativement aux fonctions auxquelles ils sont employés ? Quel
est leur enseignement sur les points de doctrine qui leur sont imputés, te
régicide, les opinions ultramontaines, les libertés de l'Église gallicane, et
les quatre articles publiés dans l'assemblée du clergé de 1682? 3°. Quelle est
Une telle rapsodie annonce un esprit aliéné sans quoi on ne conçoit pas que
Guignard eût négligé de la brûler lorsqu'il apprit l'assassinat du roi et
l'arrestation de l'assassin. Guignard fut condamné à être pendu et son corps
brûlé, ce qui fut exécuté le y janvier i5o5. Quoique rien ne portât à soupçonner
les Jésuites de complicité avec Cbâtel, ni qu'ils eussent connaissance de
l'écrit de Guignard le parlement lança contre eux un arrêt de bannissement,
leur ordonnant de vider dans trois jours leurs maisons et colléges, et dans
quinze tout le royaume. Cet arrêt du parlement de Paris n'eut point d'exécution dans le ressort
des parlemens de Bordeaux et de Toulouse et dix ans après les Jésuites furent
rappelés a Paris. Tel étaijL l'esprit de parti lors de l'attentat de Cbâtel, que quelques ligueurs
l'érigèrent en martyr.
( Note du premier <;</tf. )
leur conduite dans rintér!eur de leurs maisons, et quel usage
font-ils de leurs priviléges envers les évêques et les curés?. 4°' Comment on peut
remédier aux incon venions de l'autorité excessive que le général, résidant à Rome, exerce sur
les membres de cette société? Le résultat de l'examen fait par les douze
évêques fut la nécessité, sinon d'éteindre, au moins de modifier le
régime des Jésuites en France.
Le dauphin, père de Louis XVI, soutenait seul, dit-on, les Jésuites à
la.cour; mais en supposant qu'il s'y intéressât réellement, son crédit était
trop faible pour l'emporter sur celui de M. de Choiseul soutenu par l'influence
de madame de Pompadour. On assure que M. de Choiseul s'entendit avec les
principaux membres du parlement, et les encouragea à procéder contre les
Jésuites. Quoiqu'on publiât que le père Sacy avait refusé d'être le confesseur
de madame de Pompadour à moins qu'elle ne quittât la cour, il paraît qu'elle
n'agissait par aucun motif de haine, mais uniquement d'après les conseils de M.
de Choiseul.
Cependant le roi cédant, dit-on, aux instances du dauphin, et choqué de
l'autorité et de la violence que le parlement déployait, voulut à là fin
interposer son autorité, et attirer l'affaire à lui. On, dressa un plan de réforme qui fut
envoyé au pape et au général des Jésuites;.mais celui-ci le rejeta; disant
Sint ut sunt, aut non sint. D'après cette réponse, le roi, pressé par son
ministre et solli-
cité par sa maîtresse, abandonna entièrement les Jésuites à leur sort. On
leur enjoignit de fermer leurs colléges le ter avril 1762. Le parlement, par un
arrêt du vendredi 6 août suivant, fit défense aux Jésuites de porter l'habit de
leur société, de vivre sous l'obéissance du générât on autre supérieur de l'ordre et
d'entretenir aucune correspondance avec eux, leur prescrivant de vider leurs
maisons, de s'abstenir de toute communication entre eux, ou de se rassembler en
communauté, se réservant d'accorder à chacun d'eux sur leur requête, des
pensions alimentaires. On leur ôtait en même temps la faculté de posséder
aucun bénénce, charge ou emploi, à moins que de prêter, préalablement le serment
indiqué par l'arrêt. 'Un autre arrêt, duaa février i764< ordonne que les
Jésuites qui voudraient rester en France fissent serment d'abjurer leur
institut. Enfin le roi, par un édit du mois de novembre 176~, supprima la
société des Jésuites en France. Lorsqu'on pense à l'extrême jalousie que le roi avait
de son pouvoir, et aux soupçons que lui inspiraient depuis long-témps les
parlemens, soupçons qui à la fin le décidèrent à les détruire, on est étonné de sa conduite dans
cette occasion c'était une inconséquence aussi étrange que l'aveuglement dont les Jésuites
eux-mêmes paraissent avoir été frappés; et il est à remarqner que de semblables
imprévoyances ont précédé presque tous les grands changemens arrivés en Eurooe
depuis un demi-siècle. On disait en France depuis long temps que pour
empêcher des troubles peut-être même un bouleversement total du gouvernement, certaines réformes
étaient absolument indispensables on disait en Angleterre que les colonies de
l'Amérique se rendraient indépendantes. Ceux qui parlaient de réformes en
France étaient regardés comme ennemis de la royauté et lorsqu'en Angleterre le
doyen Tucker eut la sagesse de proposer au gouvernement d'offrir aux Américains
leur indépendance, en prenant avec eux des arrangemens fondés sur les Intérêts réciproques des
hominès d'ailleurs doués de talens distingués traitèrent le doyen d'insensé, et
le gouvernement le considéra comme un personnage dangereux. Si je reviens sur l'idée
des maux qui nrrivent par défaut de prévoyance, c'est que je suis frappé de sa
vérité; mais pour,bien lire dans l'avenir et juger de ce qui est probable, il
faut commencer par se dépouiller de toutes préventions.
On raconte'un incident fort singulier, qui, diton, hâta la destruction des
Jésuites. Il y avait alors à Paris un vieux médecin assez célèbre, nommé Camille
Falconet. Il était en relation intime avec les hommes de lettres les plus
distingués. On lui apporta un jour, de chez le pâtissier, enveloppé dans une feuille
manuscrite un biscuit qu'il avait demandé et avant de manger son biscuit il lut
ce papier. Sa surprise fut extrême en
voyant que c'était nn fragment de lettre de la main du p.ère Le Tellier,
confesseur de Louis XIV, dans laquelle il disait Enfin'je suis parvenu à abattre
l'hydre ce/z~~M renaissante. Ty~gra avant peu arr~e et conduit à Rome sous bonne et
~Mr~ escorte. -~f. ~Me~eaM sera exilé;,et j'ai lieu de croire que vous serez chargé de ses
fonctions. Cette lettre (<), d'abord conservée dans le cabinet du
président de Meynières fut alors remise à l'abbé de Chauvelin, rapporteur du
procès contre les Jésuites, et violemment imbu des maximes jansénistes. On
peut s'imaginer !e parti qu'il tira de la lettre,d'un Jésuite convenant
lui-même qu'il allait faire arrêter le cardinal de Noailles, archevêque de
Paris,.et exiler le procureur-général du parlement et combien il lui fut facile
d'enflammer les esprits contre un Ordre aussi dangereux. Les liaisons de
Falconet avec Diderot et. autres ennemis des Jésuites sumsent pour répandre des
doutes. sur ~authenticité de la lettre; cependant le caractère impétueux et imprudent de
Le Tellier permet de supposer qu'elle était véritable. Le général
des Jésuites, sentant l'odieux,de la conduite de Le Tellier, Texhortait à la
prudence, à la modération; mais comme il jouissait de la confiance entière de
Louis XIV,. en matière de conscience et de religion, il fallait que le général
le ménageât.
(t) On la supposa adressée à l'avocat-général. ( Note ~[t~remt'er c~t'f. )
Il est possible que si les jésuites eussent existé au commencement des
troubles qui amenèrent la révolution, le roi eût trouvé en eux un puissant
secours les jésuites avaient plusieurs congrégations différentes, des écoliers,
des artisans et ouvriers, etc., dont ils dirigeaient les consciences; instruits
de ce qui se tramait, ils en auraient prévenu le gouvernement, et
vraisemblablement empéchéjes écoliers, les artisans et tous ceux qu'ils confessaient, de s'armer contre le
souverain.Récit de la mort de Laurent Ricci, dernier général des Jésuites, avec
K/!C déclaration écrite et signée de sa main (l).
Laurent Ricci, né à Florence le 2 août 1703, d'une famille. illustre, entra
dans l'ordre des jésuites en 1~20, et en fut fait général le 21
mai ï~58. Après la destruction de cette société, on l'envoya prisonnier au
château de ,Saint-Ange, le 22 septembre 1773, où la mort mit un terme à ses
peines.
Sa, dernière maladie ne dura, que huit jours. Aflàibli par. Fàge, abreuvé
d'amertumes, fatigué d'une.longue réclusion, il succomba à une fièvre
inflammatoire..
-Les premiers symptômes de la maladie se décla(i) Ce récit, ainsi que la
déclaration, furent envoyés de Rome en différens pays peu après la mort-de Ricci. ( ~Vofe ~n j~'eMie;' t~. )
rèrent le jeudi soir <6 novembre 17~5. En rentrant dans sa chambre,
après s'être promené, selon sa coutume sur la terrasse du château il fut saisi
d'un violent frisson. Les secours que le pape lui procura, en chargeant son
propre médecin, Salicetti, de ne rien négliger pour sa guérieon, furent vains la
saignée et les vésicatoires restèrent sans effet. Le samedi soir on jugea sa
vie en danger; et le vendredi suivant, 24 novembre, un peu après midi, il
expira doucement, à Pâge de soixante douze ans, trois mois et vingt trois
jours. Il avait demandé que le crucifix qu'il portait toujours sur lui, fût
remis à son neveu; que sa modeste garde-robe fut distribuée ,.a titre de
récompense, à ceux qui l'avaient servi, et qu'on l'enterrât dans la maison
professe des Jésuites.
Il conserva sa raison jusqu'à la fin, et supporta, avec autant de patience
que de résignation, les souffrances de sa maladie; il avait soutenu de même les
afflictions de corps et d'esprit qu'avaient dû produire les événemens fâcheux
arrives à son ordre et à lui-même.
Avant de recevoir les sacremens de l'Église, qu'il avait demandés, il jugea
nécessaire, pour sa propre justification et celle d'un institut qu'il avait
gouverné pendant quinze ans, 'de déclarer en présence du vice-gouverneur du château
de SaintAnge, de son secrétaire, don Giovanni, de l'abbé Orlandi, d'un sergent
et d'un caporal du château, de l'apothicaire, des domestiques du gouverneur
et de neuf soldats, qui' tous avaient accompagne le Saint-Sacrement dans sa
chambre ~M't7 pardonnait .MMC~/MC~ tous ceux qui <a!< été les iristrumens de
la destruction de la société; qu'il M~ manqué de prier particulièrement
pour CëM~ qui l'avaient re~M~ à cet état d'infirmité et de ~OM~r6t7ï< et ~M~~Orcr~70M/'
eux les bénédictions du ciel. Élevant alors la voix, il dit d'un ton ferme ~~eTÏ présence de
Dieu, qu'il adorait dans son <XM~'M~~ sacrement, et au tribunal duquel il a/
bientôt paraître, il déclarait au monde entier <~YZ était absolument
innocent de tout ce dont 0/Z 7~Ca'A accusé, et'de tout ce qui pouvait
avoir contribué à la destruotion de la société confiée à ses ~<?/ ou à
l'emprisonnement de sa personne; qu'il remerciait Dieu de le retirer de ce /MO/
et désirait que sa mort procurât quelque adoucissement à ceux qui ~oM~r~/z~ avec lui pour la
même c~M~c. Durant sa maladie, plusieurs cardinaux envoyèrent fréquemment savoir de ses nouvelles
et le pape, en lui envoyant sa bénédiction apostolique, y joignit les
expressions les plus tendres .et les plus paternelles.
Tous ceux qui assistèrent aux derniers momens de ce général des jésuites, conçurent pour sa
mémoire une extrême vénération. Le docteur Salicetti déclara qu'il avait vu
mourir beaucoup d'individus renommés pour leur piété et leur vertu, mais qu'il
n'avait jamais été témoin de sentimens pareils à ceux de Ricci.
17-
Le pape chargea de ses funérailles le cardinal Corsini Sa Sainteté voulut
en outre que tout fut fait selon la qualité du défunt, et que son corps fût
déposé dans le caveau de l'église des Jésuites, près des autres généraux de la
société, ses prédécesseurs. L'église de Florence fut en conséquence tendue de
noir, et le samedi 26 novembre, deux heures après le coucher du soleil, le
corps y fut conduit dans un char environné de torches. Le défunt, revêtu de ses habits
sacerdotaux, fut, le matin du jour suivant, exposé sur un lit de parade,
entouré de cierges allumés. Durant cette matinée, il y eut à l'église une affluence
extraordinaire de gens de toutes classes. On ne cessa, jusqu'à midi de dire la messe à tous
les autels. Le service funèbre fut célébré avec pompe par le clergé desservant
cette paroisse. La foule était prodigieuse; et quoiqu'elle fût sans doute le
résultat de la curiosité du plus grand nombre, on en vit beaucoup réellement animés
du plus profond respect. Entre autres preuves, on ne doit point passer sous
silence la conduite remarquable de l'évoque de Comacchio. Ce prélat, également
renommé par sa piété et ses lumières, le même qui dernièrement entra dans Rome
pieds nus à la tête d'une grande partie de son clergé, vint à l'église
Florentine, et s'étant agenouillé près du catafalque, dit d'une voix assez
élevée pour être entendue, qu'x'e~<?~~c/:u e~a/M l'intention
de jo~e?' ~OK?' l'ame du ~/<?/M/~ /~M ~our sollidter l'intercession e~e cet
/:<Hmc
librement juste, ~K'!? 7'6'ar~~ comme un py'e~e~~'Me et un ~Mr~-r.
Beaucoup parurent penser de même, sans oser le déclarer aussi ouvertement.
En rapportant cette circonstance, je n'ai, en vue .que de prouver la haute estime qu'inspiraient les vertus de Ricci,
et les hommages qu'on leur reridit. Vers le milieu du jour l'église fut fermée, et le
corps porté dans la sacristie où personne n'entra. Vers minuit on le.
transféra à l'église des Jésuites où tout était prêt pour l'inhumation. Le président de la
maison, dit les prières de l'église sur le corps qui ensuite fut mis dans le
cercueil qu'on plaça à côté de ses prédécesseurs Centurioni et Visconti. On
attacha au cercueil une bande de parchemin portant son. nom son âge, la date et
le lieu de sa mort,' ainsi que le nombre des années qu'il avait été général de son ordre.
Telle fut la fin de ce dix-huitième et dernier général des jésuites.
Quelque temps avant sa mort il eut la précaution d'écrire et de signer de sa
main une déclaration contenant sa justification et celle de sa société, de
crainte. que sa dernière maladie ne Fcmpéchat de la faire verbalement et il
confia cette déclaration à l'un des soldats du château sur la fidélité duquel
il crut pouvoir compter. On conserve soigneusement l'original de cette
pièce dont on fit une copie italienne qui a servi aux traductions française et
anglaise. On ne peut guère douter de Pauthcnticitéde la déclaration,, car récriture et la signature de
Ricci, d'ailleurs très con-
nues, peuvent se confronter avec ses lettres, dont plusieurs existent
encore,
Protestation de Laurent 7!cc!
« L'incertitude du moment où il plaira à Dieu tout-puissant de m'appeler
lui, et la certitude que ce moment n'est pas fort éloigné ( en considérant mon
âge, la multitude, la longue durée et le poids de mes souffrances;), m'avertissent de
remplir d'avance un devoir que je crois indispensable pour moi. Cette
précaution est d'autant plus nécessaire, qu'il peut arriver que ma
dernière maladie ne me laisse pas la faculté de le faire au moment de ma mort.
H C'est pourquoi, me considérant dans cet instant comme allant paraître
devant le tribunal de l'infaillible vérité et justice, tel qu'est le tribunal
de Dieu; après de longues et mûres réflexions, et avoir humblement prié mon
très-redoutable, mais miséricordieux juge et sauveur, de ne pas
permettre, surtout dans le présent et dernier acte de ma vie, que je me laisse
emporter ou influencer par la haine ou par quelque ressentiment de cœur ou
d'ame, ou par tout autre but ou motif répréhensible je crois de mon devoir de
rendre hommage à la vérité et à l'innocence; je fais donc les deux déclarations
et protestations suivantes a Premièrement, je déclare et proteste
que la société de Jésus actuellement éteinte n'a fourni aucun motif pour sa
suppression. Je le déclare et
le proteste avec cette certitude morale que peut avoir un supérieur bien
instruit de ce qui se passe dans son ordre.
M Secondement, je déclare et proteste que je n'ai pas donne le moindre
prétexte à mon emprisonnement personnel. Je le déclare et le proteste avec
cetteparfaite certitude et évidence que chacun a par la connaissance de ses
propres actions. Je n'ai d'autre motif de faire cette seconde protestation, que
parce que je la crois nécessaire pour la réputation de la société de Jésus dont
j'étais. général.
~) Mais mon intention n'est pas, qu'en conséquence de ces deux
protestations aucun de ceux qui ont attiré ces malheurs sur la société et sur moi-même,
soit trouvé- coupable. devant Dieu je. m'abstiendrai religieusement de porter de
semblables jugemens.. Les vues de l'ame de l'homme,, et les affections
de son cœur sont connues de Dieu. Lui seul voit les erreurs de l'esprit
humain, et discerne jusqu'à quel point elles sont excusables lui seul pénètre les causes qui
mettent l'homme en action, et l'esprit avec lequel il agit; les affections et
inclinations du cœur qui accompagnent l'action, et de quoi dépend la droiture
ou le crime; par conséquent, je laisse tout jugement a celui qui examinera
les CSM~r~ des hommes C~/OM/V~rù! leurs pensées. ( Livre de la Sagesse,
chap. VI, vers. 4. ) Et pour ne pas manquer à mon devoir comme chrétien je
proteste que, avec l'assistance divine,.
j'ai toujours pardonne et pardonne sincèrement à cette heure, à tous ceux
qui m~oht persécute, d'abord par la persécution qu'ils ont exercée contre la société de
Jésus et les duretés qu'ils ont fait éprouvera des individus
ci-devant sous mon obéissance, ensuite par la suppression et l'extinction de
Fordre et par ce qui bientôt après suivit mon emprisonnement avec toutes
les souSrances qui Font accompagné, et par les outrages faits à ma réputation; ce sont des
faits connus du monde entier. Je prie le Seigneur, par.sa pure bonté, et par les infinis
mérites de J.-C. son' fils, premièrement de. me pardonner mes,innombrables péchés,
ensuite de, pardonner aux auteurs et instrumens des vexations que j'ai essuyées
personnellement, et des souffrances que j'ai partagées avec tout le corps dont jetais le
chef, et je désire mourir avec cette.prière et ces sentimens dans le cœur. M
Enfin, je prie et supplie tous ceux entre les mains de qui la présente
déclaration et protestation pourra tomber, de la rendre aussi publique qu'il
sera possible. Je requiers l'accomplissement de cette demande, par tous les
droits de la bienveillance humaine, de la justice et de la charité chrétienne. Un droit fondé sur
de semblables titres ne peut qu'engager un chacun à. satisfaire à ma présente
volonté et à mon ardent désir. » Signé LAUtiENT RICCL M
M EXTRAIT
D~UN
ARTICLE ECRIT PAR M. DE MEILHAN
SUR
M. LE DUC DE CHOISEUL (~.
LE duc de Choiseul fut connu dans sa jeunesse sous le nom de comte de
Stainville; il eut longtemps une sorte de célébrité dans le monde, par son
esprit, son ton léger et sa gaieté. Le talent du persifflage et quelques
tracasseries qu'on lui attribua, mais qui étaient cependant plutôt de la malice que
de la méchanceté, avaient faussement fait supposer que Gresset l'avait eu en
vue dans sa comédie du Méchant. Il eut beaucoup de succès auprès des femmes,
quoique son extérieur n'eût rien de séduisant. Il était d'une taille médiocre,
avec des cheveux presque roux et une figure qu'on peut dire laide ornais l'expression de
ses yeux l'animait, et des manières nobles, polies, et quelquefois audacieuses,
donnaient à toute sa personne un caractère qui la faisait distinguer et qui en
dérobait les défauts. Des propos inconsidérés lui avaient (i) Ce morceau
faisait également partie des Mélanges d'histoire et de littérature.
( Note des nouv. c~.)
attiré la haine de madame de Pompadour, et il s'en vantait. Il s'appelait
le chevalier de Maurepas (1), pour exprimer qu'il était le second dans l'ordre
des ressentimens de la maîtresse; mais bientôt il sentit que l'animosité d'une
femme aussi puissante ,était pour lui un obstacle à tout avancement. Une
circonstance imprévue lui fournit l'occasion de faire oublier ses torts. Une
jeune femme, la comtesse de C* (2), venait de paraître à la cour; elle était de
la plus charmante figure et n'avait pas moins de coquetterie que dé grâces,
Elle fit au roi des agaceries auxquelles il parut n'être pas insensible. Le
roi, naturellement timide, s'enhardit par les avances de la comtesse de C* et lui fit une
déclaration par écrit. La réponse était embarrassante pour une femme qui,
prétendant être mai–. tresse en titre, comme autrefois les maîtresses de Louis XIV, ne
voulait pas céder trop promptement, et cependant ne pas faire entrevoir de trop
grands obstacles. Le comte de Stainville lui paraît l'homme propre à la
conseiller dans une circonstance aussi délicate. Elle le prie de passer chez
elle, lui confie sa position, lui communique la lettre du roi, et lui demande
un projet de réponse. M. de Stainville demande jusqu'au lendemain pour
(t) M. de Maurepas avait été renvoyé du ministère et <xitc par FinSuence de
madame de Pompadour.
( Note du premier édit. )
(2) Mademoiselle de R'
réfléchir, et emporte la lettre. II n'eut pas plutôt cette pièce entre
les mains, qu'il se rend chez madame de Pompadour. Introduit auprès d'elle, il
commence par lui avouer, qu'ayant eu à s'en plaindre, il s'est permis contre
elle des propos qui ont dû la choquer; qu'il ne vient point pour se justifier
et feindre des sentimens que peut-être il n'a pas, mais qu'on peut estimer les
individus sans avoir pour eux de l'affection; qu'il est
convaincu qu'elle est utile au roi par ses conseils, et quelle veut le bien
de l'Etat que ces considérations l'engagent à lui faire la confidence d'une
intrigue ourdie contre elle, et qu'il est intéressant de déjouer au plutôt.
Alors il lui montre la lettre du roi, et ne cache pas qu'il aurait un grand
chagrin de voir une femme à laquelle il était allié, acquérir un crédit dont le
mauvais usage serait une tache pour sa famille. Madame de Pompadour passait de
l'étonnement à la crainte, et ensuite à l'admiration d'un si généreux caractère
quelle magnanimité ne déployait pas à ses yeux un homme que jusqu'à ce moment
elle avait eu le tort de haïr ? Ils concertèrent ensemble les moyens de faire
avorter les projets de la comtesse de C* Madame de Pompadour prodigua à M. de
Stainville les expressions de son estime et de sa reconnaissance, et celui-ci
lui répéta plusieurs fois qu'il ne prétendait avoir aucun droit à sa
reconnaissance qu'on n~en devait point à l'estime, et qu'il n'avait eu en
vue que le repos du roi et le bien de l'État. M. de Stainville
ne s~empressa point ensuite auprès de madame de Pompadour, mais se présenta pour souper avec
le roi, et fut nommé, ce qui ne lui était pas arrivé depuis long-temps (i).
Le comte de Stainville, depuis ce moment, protégé par madame de Pompa'dour, fut
nomme ambassadeur à Rome, ensuite à Vienne; mais l'éloignement ne l'empêcha pas
de cultiver Pamitié de madame de Pompadour. Dégoûtée de l'abbé de Bernis, en iy58, elle le laissa
exiler, et fit revenir de Vienne le comte de Stainville pour lui succéder comme
ministre des aSaires étrangères. Devenu ministre, on le vit bientôt duc et pair
(2). Son ascendant sur la favorite ne put- qu'augmenter son crédit. Il fit
uonnner ministre et secrétaire d'État son cousin le comte de Choiseul, qu'il
fit créer quelque temps après (3) duc et pair, sous le nom de duc de Praslin.
M. de Choiseul ne se contenta pas d'un département à la mort du
maréchal de Be~ie-ïsie, en janvier 1761, il obtint celui de la guerre, et y joignit celui de
la marine, en remettant à son cousin celui des affaires étrangères; mais
(t) II faut cependant convenir que tout homme qui a connu la Gfrtë de M. de Choiseul, sera porté à
croire qu'il fut choqué de l'idée de voir la comtesse de C*" publiquement
mattresse du roi et que cette crainte a pu influer sur sa démarche auprès de
madame de Pompadonr.
( Note </u~reM<c<' ef/i/. )
(a) En i~ao.
(3) En octobre )~G2 époque de la paix avec l'Angleterre.
il reprit ensuite ce département, et remit la marine à M. de Praslin. H fut fait colonel-général
des Suisses, gouverneur de Touraine, grand bailli d'Haguenau. Ces diverses
places réunies lui formaient un revenu de sept cent mille livres au moins,
et.en comptant le bien de sa femme, il aurait dû jouir d'un million de rente;
mais cette somme ne suffisait pas à ses prodigieuses dépenses en. tout genre.
Le duc de Choiseul eut l'habileté de se soutenir dans tout son' éclat après
la mort de madame de Pompadour; et il aurait encore pu se maintenir long-temps,
s'il eût daigné avoir pour madame Du Barry les moindres ménagemens; mais il
crut être assez fort pour lutter contre l'influence d'une maitresse de ce
genre, et fut renvoyé (i). Sa disgrâce arrivée en décembre 1770, au moment où
les parlemens étaient menacés de-leur destruction, le public imagina des
rapports de sentimecs et d'opinion entre eux et'M. de Choiseul; il supposa aussi que
c~était par des principes de décence qu'il
(1) Quelqu'un que j'ai connu fut chargé de dire au duc de Choiseul que
madame Du Barry désirait vivre en bonne in-'telligence avec lui, e~ que
~~7'uou/a:~ se rapprocher d'elle, elle ferait la moitié du chemin. Ce furent
les propres paroles de madame Du Barry. Le négociateur représenta que les
maîtresses avaient quelquefois chassé les ministres, et que les ministres
n'avaient jamais chassé les maîtresses; mais M. de Choiseul fut inébranlable
dans sa résolution.
(~Vb<e</M~em!efe(/;y.~
était opposé à madame Du Barry; enfin le duc de Choiseul devint l'idole des
magistrats et de leurs nombreux partisans. Les rues furent pendant vingtquatre
heures obstruées par la multitude des carrosses qui se' rendaient à sa porte.
Arrivé à son château de Chanteloup, lieu de son exil, il y vit affluer les
personnes les plus marquantes, les courtisans les plus distingués. Toutes les classes
de la société, à Paris, cherchèrent à se signaler en manifestant leur
attachement pour le ministre disgracié (1). Cet enthousiasme forma un véritable
parti d'opposition, empressé à exalter le duc de Choiseul, et à décrier la
cour. On s'attendait, à Fépoque du nouveau règne, qu'il serait fait
premier ministre. La reine, dont il avait fait le mariage, semblait devoir
employer son crédit pour son rétablissement mais les préventions inspirées à
Louis XVI dès son enfance contre M. de Choiseul, lui donnèrent toujours
l'éloignement le plus marqué pour lui. Il obtint seulement la permission de revenir
à Paris où sa société composée d'hommes et de femmes distingués par leur
naissance, ou considérés dans le monde, de magistrats, de gens de lettres, de
mécontens, forma un parti nombreux et
(i) Le chevalier de ~ot~e~ a dit gaiement, dans une chanson à propos de
cette affluence
Hfat!)ttqu'onierappe):'t,
Pour que Paris se repeuplât.
( Note des nouv. et/t~. )
imposant. Il mourut en mai 1~85, et son parti se dissipa; mais cette
multitude d'individus habitués a censurer la cour et les ministres, continua à s'occuper des
opérations du gouvernement et à les blâmer.~
Je ne m~étendrai pas sur le caractère du duc de Choiseul, ni sur ses opérations; je
dirai seulement, en peu de mots, qu'avec des moyens faits pour briller dans la
société une ame noble et généreuse, et quelques grandes qualités comme
ministre, il était comme homme d'État au-dessous de l'idée qu'on s'en était
formée et que ses ~emoires, qui ont été imprimés depuis sa mort, paraissent ne
laisser aucun doute à cet égard (i). Le bonheur qui avait souvent favorisé le
duc, voulut aussi qu'il fût disgracié au moment de la chute des parlemens, et
peu de temps après rinstallation demadame Du Barry; dix-huit mois plus tôt, le
public aurait applaudi à son renvoi, et n'eût vu en lui qu'un.ministre
inappliqué et dissipateur. Ce qu~ii y a de singulier cependant, et qui prouve
combien il est difficile de se faire une idée juste de ceux qui occupent un
grand emploi, c'est que le duc de Choiseul, prodigue dans ses
dépenses pcr-
(t) Les prétendus Mémoires du duc de Choiseul ne se composent que de pièces
prises sans choix dans ses cartons. M. de Meilhan ne connaissait pas ces
Mémoires, puisqu'il les cite comme une autorité.
( Note </e.' n.-)M~. édit. )
sonnelles, est, depuis Sully, le ministre qui a fait les plus grandes
économies pour l'Etat; il supprima pour vingt millions de subsides annuels, accordés par un
ancien et absurde abus à divers princes ou puissances de l'Europe et il réussit
à opérer cette réforme sans perdre un allié. Il économisa ainsi, de calcul
fait, deux cent cinquante millions pendant onze ans de ministère, et
cela compense bien des gratifications ou des pensions accordées quelquefois
assez légèrement, ét que lui arrachait sa générosité naturelle.
( Nous croyons devoir joindre à l'article qu'on vient de lire l'anecdote
suivante qui avait été racontée au second éditeur, M. Craufurd, par M. de
Meilhan lui-même. C'est M. de Meilhan qui parle.) » Je me promenais un jour au Luxembourg et
M. N. vint m'aborder. Après avoir parlé quelques instans de choses
indifférentes <' Vous aimez, me dit-il, M. de Choiseul, et par conséquent
vous seriez bien aise de lui rendre un grand service. u J'en convins. « Eh bien,
reprit-il, je vous en donnerai les moyens si vous le voulez, mais à condition
que, dans aucune circonstance, vous ne me nommerez. » Je lui en donnai ma
parole, en ajoutant Vous n'aimez pas M. de Choiseul, comment se fait-il que
vous soyez si empressé de le servir ? La chose est fort simple me dit-il je ne
Faime pas, mais j'aime encore moins M. de La V. qui sera peut-être pour jamais
écarté, si vous savez 'profiter de la confidence que je vais
vous faire. Je suis fort Hé avec le vieil abbé de Broglic
qui, depuis l'enfance du roi, a conservé une grande familiarité avec lui, qui
est en posses-
~ion de lui écrire et qui en recoit des r'éponses.
sion de lui écrire, et qui en reçoit des réponses. Lui et ses neveux sont à la tête de la cabale
antiChoiseul, et ils me croient du même parti. J'ai ttîné aujourd'hui chez
l'abbé avec ses neveux, M. de Boynes et quelques autres affidés; et après dîner
il nous a lu une lettre qu'il a reçue hier du roi, et la réponse qu'il y a
faite ce matin, et qu'il croit avec raison propre' à déterminer le roi au
renvoi de M: de Choiseul. J'ai applaudi à cette réponse, et en témoignant la
plus forte persuasion de son succès, c'est-à dire de la perte des Choiseul, j'ai
demandé à la lire.Vous savez que j'aiunebonne mémoire, et vous ne serez pas
surpris que je l'aie retenue mot à mot. Je demeure près d'ici venez chez moi
,je vous la dicterai. » Je le suivis, et il me dicta cette lettre rédigée avec le plus grand
artifice, mais dont un article pouvait compromettre le duc de La V. auprès du
roi, et devait singulièrement animer le duc de Choiseul. Voici une phrase
remarquable de cette lettre,: Le duc de M Choiseul ( disait l'abbé ) est
intimement uni avec le parlement contre Votre Majesté; et s'il est Il une fois
discrédité auprès de ce corps il perd )) l'ascendant qu'il a dans le public
c'est Antée .qui, enlevé de terre perdait ses forces et les Il reprenait en y touchaRfo~ette union du duc
de Choiseul avec te parlement était une fable; 18
mais elle était accréditée et. surtout dans l'esprit du roi. Le chancelier
Maupeou, quatre ans après s'en servit pour perdre M. de Choiseul, et réussit.
Cette lettre était, au reste singulièrement terminée. Je baise
disait l'abbé votre petite pate royale. Je remerciai M. N., et portai le soir
la lettre à madame la duchesse de Grammont qui en sentit d'autant plus l'importance,
quelle savait que le roi traitait plus froidement son frère depuis quelques
jours, et que de tous côtés il lui revenait qu'il allait être disgracié. Elle
m'assura de sa reconnaissance et de celle de son frère mais je la priai de ne
pas lui dire que c'était de moi qu'elle tenait la lettre. "Je suis engagé, lui
dis-je, par ma )) parole d'honneur à ne pas dire de qui elle me )) vient, et par quel
singulier hasard elle .m'a été ? transmise. Le silence que je suis
forcé de garder M fera croire à M. votre frère que j'ai dés liaisons H dans le parti ennemi, et
que je mets, comme » on dit vulgairement, mon pied dans tous les M souliers. Il
résulterait donc d'une marque de' M zèle à laquelle je n'attache d'autre
prix que son » succès, que j'élèverais des soupçons contre moi » dans l'esprit
de M. de Choiseul. Elle me promit le secret, et me donna sa parole de copier la
lettre pour l'envoyer le lendemain à Versailles, et de me remettre celle qui
était de ma main. En rêvant la nuit à cette affaire, j'imaginai un moyen de
tirer le plus grand parti de l'indiscrétion de l'abbé, et de le discréditer
entièrement; et en
conséquence j'écrivis le lendemain, à madame la duchesse de Grammont, que mon
attachement pour elle et pour M. de Choiseul m'ayant fait beaucoup réfléchir
sur la lettre de l'abbé de Broglie, sur lés circonstances et les bruits
publics, il m'était venu en pensée que M. de Choiseul, à la fin du prochain
conseil, devait faire dire au roi par le contrôleur-général l'Averdy, devant
tous les ministres, que les bruits qui se, répandaient faisaient croire au
public qu'il était mécontent des services de MM. de Choiseul, et qu'il en
résultait un grand discrédit pour les affaires. Le roi, disais-je, ne manquera pas
de répondre qu'il faut mépriser de pareils bruits alors M. de Choiseul prendra la
parole, et dira Qu'il n'imaginerait pas de lui en parler, s'ils n'étaient
accrédités parle roi lui-même,.par des lettres, de sa main écrites à
l'abbé dé Broglie, et par les réponses de l'abbé notamment par celle adressée à Sa Majesté deux
jours auparavant, qui contenait les plus odieuses imputations contre lui,
contre lè duc de Prasiin et contre M. de l'Averdy; que ce serait alors le cas de.supplier Sa
Majesté de vouloir bien s'expliquer; parce que si leurs services ne lui étaient
plus agréables, ils étaient prêts à se retirer; que si au contraire, elle.
croyait leur travail et leur zèle utiles à son service, ils la suppliaient très-humblement, pou) le bien des
affaires que 1.'incertitude des événemens mettait en souffrance, de leur en
donner la flatteuse assnrance; que le roi, facile à embarrasser, et hon-
teux de l'Indiscrétion de l'abbé de Broglie ne manquerait pas de dire
qu'il était .très content de leurs services. M. de Choiseul suivit littéralement le
parti que gavais proposé, et le roi dit que l'abbé était un bavard et un vieux fou, et
qu'il était très-content de ses ministres. J'appris ce qui s'était passé au conseil.,
sans me vanter d'y avoir aucune part, et M. de Choiseul me traita comme à
l'ordinaire, sans me rien dire qui eut rapport à cette affaire,
Il fut exilé quelques années apr.ès, et je l'allai voir à Chanteloup. Il
avait coutume, lorsque les parties étaient finies, après souper, de raconter
des histoires et des anecdotes relatives à son ministère et aux Intrigues de
son temps; les femmes et les hommes se rassemblaient autour de lui et
l'écoutaient avec. le plus grand intérêt. Il tomba un soir sur l'abbé de
Broglie et raconta l'histoire de la lettre, dont je viens de parler. C'est., dit-il, une pièce
curieuse; et je vais la chercher pour vous la montrer. En même temps il se
retourna pour entrer dans sa chambre, et passant devant moi, il s'arrêta et dit
Il est inutile que j'aille chercher la lettre, voilà quelqu'un qui sait
mieux que moi toute cette affaire. Je pris alors la parole, et exposai le
contenu de' la lettre mot pour mot.
M SUR LE DAUPHIN,
FILS DE LOUIS XV.
( Cet article est tiré en partie d'un écrit de M. de Meilhan. )
CE prince avait naturellement de l'esprit il s'exprimait avec facilité et
surtout avec éloquence lorsqu'il était animé.
Marié, en premières noces, à une infante d'Espagne dont il n'eut point d'enfant,
il épousa, en février 1~7 Marie-Joséphine de Saxe qu'il aima tendrement
dès-lors il se concentra dans son intérieur. Tous ceux qui crurent avoir à se
plaindre de la cour s'attachèrent au Dauphin les dévots s'empressèrent de le
capter, et il se trouva ainsi, sans en avoir formé le projet, et même sans le
savoir, chef d'un parti de Frondeurs qui le représentaient comme le protecteur
des mœurs et le zélé défenseur de la religion. Le roi voyant dans son fils des
dispositions qui semblaient devoir l'éloigner de lui, le traita avec froideur
et le Dauphin a passé vingt ans de sa vie à ne voir le roi que pendant quelques
momens et comme courtisan. On a remarqué une singularité dans les rapports
entre le père et le fils, c'est que jamais celuici n'appelait le roi ni sire,
ni /?ïo~r<?/ il trouvait
le moyen d'éviter par des périphrases toute expression nominative, et ne
faisait au roi que de courtes réponses, et d'un air embarrasse. Renfermé dans
ses appartemens le Dauphin s'appliquait à la lecture et avait des entretiens
avec quelques hommes instruits. Mais sa répugnance connue pour ce qu'on
appelait les philosophes, ne permettait pas que beaucoup de gens d'un
grandmérite eussent accès auprès de lui. L'évêque de Verdun, Nicolaï, et le
comte; depuis maréchal duMuy, qui tous deux avaient de l'esprit et de
l'instruction, l'abbé de Saint-Cyr, homme érudit, mais superstitieux et peu
éclairé, formaient, avec le duc de Là Vauguypn, la société du Dauphin. Ce
prince avait acquis des connaissances et l'Instruction était jointe en
lui à des principes de vertu qui n'étaient combattus par aucune passion.
Dans sa première jeunesse, il.s'était plu à chanter des psaumes parce qu'il
avait une de ces voix fortes et étendues, appelées basse-taille. Il
contrefaisait, pour s'amuser, les basses-tailles de la chapelle du roi, et ceux
qui l'entendirent par hasard, publièrent que c'était un vrai bigot qui ne
s'occupait qu'à chanter vêpres. Cette impression, une fois donnée
dans le public, resta; mais si le Dauphin était dévot, il n'était rien moins
qu'intolérant, et j'en vais donner une preuve choisie parmi beaucoup d'autres.
Il avait témoigné des bontés et s'entretenait quelquefois avec un jeune homme
réputé spirituel et instruit, auquel il demanda un
jour « Connaissez-vous M. de Silhouette (i)? II répondit, qu'i) le connaissait de
réputation et par ses écrits. « Il prétend, ajouta M. le dauphin, que lorsqu'on sait bien )e droit
naturel, on en déduit très-aisément tout le droit civil. x Comme le jeune
homme avait envie de.brilkr à quelque prix que ce fut, il répliqua qu'it n'y avait d'autre
droit naturel que celui de la force, et que le droit civil était purement
conventionnel. « Et la. religion ? x demanda le Dauphin. <( Les religions,
répondit le jeune homme, se ressemblent toutes par l'excellence de la morale, et
par conséquent cela ne prouve rien pour aucune. » Il n'eut pas plutôt prononcé ces mots,
qu'il sentit son imprudènce, et se tut quelques momens. « Eh bien,
reprit le dauphin, vous ne dites plus rien, et j'en vois la raison on vous. a dit que
j'étais très-dévot, et vous croyez m'avoir scandalisé il est vrai que vous vous
êtes fort aventuré, mais tâchez, de soutenir votre thèse, ajouta-t-il en riant, et je soutiendrai la
mienne. M Un jour le dauphin était appuyé sur le grand balcon du château
de Belle vue, les yeux. fixés sur Paris un homme qui le voyait familièrement,
s'approcha de lui, et lui dit: « M. le dauphin a Pair bien pensif–Je songeais, répondit
ce prince,aux délices que doit éprouver un souverain,.en faisant le bonheur de
tant d'hommes, u
(i) Il venait de se démettre du contrôle générât des finances.
S~entretenant avec le maréchal de Richelieu, il lui dit Monsieur le maréchal, vous avez la
réputation de faire très-bien des portraits, faites le mien. H Le maréchal
s'en défendit mais le dauphin le pressa si vivement, qu'il fallut céder. « Je vais,
dit le maréchal, vous obéir;, mais je suis vrai, et il pourra
m'échapper des choses qui déplairont peut-être. Je ne m'en fâcherai pas, dit le
dauphin )) et le maréchal répliqua « Les princes sont comme les chats qui font la
patte de velours, mais la-griffe est dessous et paraît bien vite. Le Dauphin insista, et le maréchal lui dit f( Puisque
M. le dauphin l'ordonne, voici son portrait: Quand je vois M. le
dauphin, je crois être dans le magasin de l~Opéra. a Le prince se mit à rire, et le
maréchal continua: « On voit, reprit-il, dans le magasin de t'Opéra, le costume d'un
grand-prêtre, d'un guerrier, d'un philosophe, d'arlequin, d'un berger et tout
cela se trouve dans M. le dauphin. a Quoique cette comparaison peignît
l'incertitude présumée des idées du dauphin, et le présentât sous un aspect peu
flatteur, il ne s'en offensa point, et continua de plaisanter.
Le Dauphin paraissait fatigué de sa position; il était sans crédit, et ne
faisait rien pour en obtenir; il n'avait aucun des goûts qui, en donnant des
occupations agréables, excluent l'ennui. Le roi était encore jeune il pouvait
vivre long-temps et c'étaient autant d'années de langueur pour le dauphin. Le
dégoût de la vie s'empara de lui, et con-
trihua peut-être abréger ses jours. J'entrerai dans quelques détails sur sa mort,
parce qu'une partie de l'Europe à été persuadée qu'il avait été empoisonne.
Le dauphin, triste, ennuyé, et n'ayant pas la force de chercher à se
distraire, était tombé dans une méfancolle qui altérait sa santé.
Dans le même temps, une dartre lui survint au-dessous du nez; et voulant
la faire disparaître, il usa secrètement d'une drogue de charlatan. La
dauphine en fut instruite et'comme elle en connaissait le danger, elle s'empara
de la drogue et la jeta. Le dauphin se fâcha, se fit rapporter de la même
drogue, et continua de s'en servir. La dartre disparut, mais l'humeur passa
dans le sang, et se jeta sur la poitrine. Bientôt après, le dauphin commença à
tousser, et sa mélancolie lui fit rejeter tout conseil. Il partit pourCompiègne
dans cet état, en juillet 1~65. Le régiment dauphin-dragoris y vint, et le
dauphin s'empressa de le faire manœuvrer tant à pied qu'à
cheval. Un jour qu'après s'être échauffé, il assistait à une manœuvre à pied
dans un pré trèshumide, il se mouilla les pieds et comme l'heure du conseil le
pressait, il s'y rendit en voiture sans prendre le temps de changer de linge et
de chaussure. Le lendemain, il eut un gros rhume, ne voulut rien faire pour le
guérir, et continua de se livrer avec excès à la fatigue, au chaud et au froid, tout
le temps que son régiment resta à Compiègne. Revenu à Versailles sa poitrine parut
attaquée; le
roi chargea son premier médecin Senac (1), pour: qui le dauphin avait de l'amitié, de
le voir et de lui parler de son état et de la nécessité d'un régime suivi. Le
dauphin lui dit Je serai toujours fort aise de vous voir, pour causer de
littérature et d'histoire avec vous; mais mon appartement vous sera fermé, si
vous me parlez de ma santé, Il insista, et le dauphin lui dit avec vivacité
de s'en aller. L'humeur dartreuse-rentrcé et le rhume négligé altérèrent de
plus en plus sa poitrine. Le roi, alarmé fit encore parler à son fils par son
premier médecin, qui, se rappelant les ordres de M. le dauphin, fit semblant de
s'adresser à un personnage de la tapisserie, et se. mit à lui prédire tout ce
qui arriverait d'un mal de poitrine négligé. Le dauphin lui dit "Je vous ai défendu de
me parler de ma santé.– C'est à Alexandre que je parle u dit Senac. Le dauphin rit de ce
détour inspiré par l'attachement, 'et Senac finit en disant qu'il ne serait plus temps dans deux mois,
et qu'Alexandre mourrait. La cour alla à Fontainebleau au mois d'octobre 1766,
et la maladie avait lait de si grands progrès, qu'il n'y eut bientôt plus
d'espoir (2). Le
(i)PèredëM.deMeituan.
(2) On lit dans les Mémoires de Cotlé les détails suivans a Depuis que M.
le dauphin a été convaincu que sa maladie était mortelle, il ne s'est occupé
que des services qu'il pouvait rendre à ceux qu'il aimait. Il a fait donner à
un page qu'il affectionnait une compagnie; et comme M. de Choiseul l'avait
remis plusieurs fois, il l'a fait revenir, et lui a dit
dauphin alors voyant la mort s'approcher, se soumit à tous les remèdes
qu'on lui proposait; mais il était trop tard, et le 20 décembre il mourut
comme tous ceux qui ont le même genre de maladie, et par les mêmes gradations. Enfin
l'ouverture de son corps prouva incontestablement qu'il était mort d'un ulcère au
poumon.
Une personne digne de foi, qui était à portée de voir ces détails de près, m'a assuré qu'elle
avait vu souvent ce ~rMce pendant qu'il était malade qu'elle a~~ entendu lés
CO/yCC~Mr~ des y?M<~C! qu'elle afa!< vu tous les progrès du /Maf, et ~M'~7 /ï~<X~</g calomnie, ye ne t/~i'~aj
seulement ~/M~~atM~e,/7Z~!M~~a~My~, que l'imputation faite ait e~MC de Choiseul
de /'a~o~/a'~ e/M~OMOnner. Elle a été fort répandue cependant, et on prétend même que cette fâcheuse
idée fut la cause de l'éloignement de Louis XVI pour ce ministre, éloignement qui
n'avait d'autre principe qu'une discus-
Afo/M!eHy,ye veux que ce jeune Ao/K/)te ~0!~ c~ac~~ey:</a/ que e vis, on
~'OM~era<e/! vite quand je serais mort. Comme depuis qu'il est au lit il n'a
dit que des choses obligeantes à tous ceux qui l'environnaient, et même ses
plus bas domestiques, M. le maréchal de Richelieu le louait de ce courage, de
héros avec lequel il s'oubliait lui-même pour ne songer qu'aux autres, ce
vertueux prince lui répondit Eh! monsieur le maréèhal, ne ~o~-y'c pas exprimer ma
plus twe recoy:~<M.M<Mce à tous ceux OM< ~<e/'Mje~< à /y:o: et mériter le
regret qu'ils ont de 77:eDe/'<~e.
( Note des nouv. ~t't. )
sion dans laquelle il manqua de respect au dauphin. Louis XVI dit un jour,
en parlant de M. de Choiseul Je dois à la mémoire de mon père de ne jamais
<~0/'<?C~C/' de ma personne un Ao/?!/Ke qui lui avait manqué, ~~M!
s'était déclaré insolemment l'ennemi ~M~~ de son souverain.
Le dauphin avait pris pour modèle le duc de Bourgogne; et dirigé par les
intentions les plus louables, on croit qu'il aurait fait dans le gouvernement
des changemens essentiels. On pense d'ailleurs qu'investi du pouvoir suprême,
ce prince aurait senti la nécessité d'une marche, suivie et constante. Les
dévots auraient. eu peut-être un certain empire sur lui, par l'habitude qu'il
avait prise de les écouter; mais les affaires, les circonstances auraient sans
doute approché de lui des hommes éclairés; et sa justice naturelle ainsi que la
bonté de son caractère, lui auraient inspiré de l'indulgence pour ceux
qu'aurait entraînés l'erreur de leur esprit. Sa réponse au jeune homme dont il
est question plus haut, semble autoriser cette opinion.
~TM'co~o~ sur la Z)cnt~A:'nc, mère de Louis XVI. Quelque temps après mon
arrivée en Bretagne, ~je reçus une lettre de la comtesse de attachée à la maison de madame
la Dauphine, et dans laquelle cette princesse était peinte d'une manière
très-peu favorable. Ma surprise fut extrême, en
recevant, par la poste une lettre qui contenait des expressions aussi
téméraires, et je me gardai bien d'y répondre. Quatre ou cinq mois après, je
revins à Paris, et je parlai à madame de de son imprudente lettre; et voici
l'explication qu'elle m'en donna. « On craignait, me dit-elle, après la mort du
dauphin, que madame la dauphine ne prît du crédit sur le roi qui paraissait
touché de l'extrême douleur quelle éprouvait. » Il était intéressant de faire connaître au roi
l'ambition de madame la Dauphine, mais rien de plus difficile que d'y réussir.
« II m'est venu dans l'idée, ajouta madame de~ que vos lettres seraient ouvertes et
leur contenu montré au roi. D'après cela, je suis convenu avec M. de Choiseul de vous
écrire, sur madame la dauphine, les détails que je désirais qui fussent connus
du roi; et je crus que ces détails mandés confidentiellement 'par une personne
qui était auprès d'elle, feraient plus d'effet sur le roi que des propos
directs qu'on hasarderait. Je ne me suis pas trompée jusqu'à un certain point
dans nies conjectures le roi à qui l'on a porté un extrait de ma lettre, l'a
remis à M. de Choiseul; mais suivant toutes les apparences il n'a pas ajouté
foi à ce que je mandais; car il a écrit de sa main au bas de l'extrait Voilà
une /MecAa/ïi'e/c/M/MC. Je priai madame de de choisir dans de semblables circonstances
d'autres confidens parce que sa lettre aurait pn me mettre dans
l'embarras, et m'avait long-temps inspiré la crainte d'être recherché pour
cette cor-
respondance. Cinq mois s'étant écoutes, je croyais n'avoir plus rien à
craindre; mais un jour le marquis de Saint-M* m'ayant abordé, me dit Je suis chargé
de vous parler de la part. de madame la Dauphine d'une affaire très-sérieuse,
et qui lui tient fort à cœur. Elle sait que vous avez reçu une lettre où elle
est fort maltraitée, et elle prétend voir cette lettre, ou du moins en savoir
exactement le contenu. Vous connaissez madame laDauphine, elle est entière dans
ses volontés ainsi vous ne devez point balancer à lui donner satisfaction. )' Je réfléchissais
pendan't que M. de Saint-M* me parlait, et il me parut évident que madame la Dauphine n'avait qu'une
notion imparfaite de la lettre qui m'avait été écrite, et d'après cela
j'arrangeai ma réponse.
Je pourrais, dis-je, vous répondre que je brûie mes lettres, mais je serai
plus sincère avec vous et je vous avouerai que j'ai toutes les lettres que m'a
écrites madame de* Il y a quelque fondement à ce que dit madame la Dauphine, mais il s'en faut bien que
la lettre contienne des choses aussi graves. Je vous la montrerai demain, et
vous pourrez en rendre un compte fidèle. Il convint de venir le lendemain chez
moi à dix heures du matin, et je m'empressai d'y rentrer pour relire la lettre de madame de*
Après avoir réfléchi sur ce qu'elle contenait, je pensai qu'il était
possible de donner le change au marquis de Saint-M* en refaisant la lettre, et en
laissant subsister une
partie des imputations, mais avec des correctifs tels, qu'il devenait
évident que la personne qui. écrivait, rapportait Ics~ faits sans y
ajouter foi. J'envoyai aussitôt un courrier à madame de" qui était à Versailles et
après lui avoir fait part de ce qui s'était passé entre M. de Saint-M* et moi,
je rengageai à m'écrire aussitôt deux ou trois lettres datées de l'époque dé mon séjour en
,province, et d'y insérer une partie des choses qu'eDc m'avait écrites contre
madame la Daùphine, avec les correctifs dont je viens de parler. Le danger était plus
grand pour elle que pour moi .aussi eUe se mit sans délai à écrire les
lettres, qu'elletourna avec beaucoup d'adresse suivant le sens que je lui avais
indiqué. Je reçus'le jour suivant ces lettres à cinq heures du m~ftin et les
jetai dans un grand carton pêle-mêle avec d'autres papiers. Le marquis fut
exact au rendez-vous, et je l'atténdis dans mon lit, afin de lui paraître peu
occupé d'une affaire qui me semblait devoir être facilement éclaircie. Je lui
fis mes excuses de ce qu'il me trouvait encore couché; j'allai ensuite chercher
le carton, et j'en tirai plusieurs papiers et lettres qui étant tous mêlés et
confondus, donnaient à penser que je ne m'étais pas empressé de rechercher la
pièce dont il s'agissait. Après avoir parcouru la date de plusieurs lettres, je
trouvai enfin celles qui m'avaient été envoyées le. matin .et les donnant à
lire au marquis, je le priai; au cas qu'il y eut quelque chose d'indiscret et
de hasardé,
de donner à son rapport ia tournure la plus favorable. Il lut les lettres
et fut complètement dupe. Il me promit de rendre u~ compte fidèle de
ce qui avait excité Finquiétude de madame la Dauphine, et nous nous séparâmes. Mais comment
madame la Dauphine avait-elle été instruite? Voilà ce que ne pouvait
concevoir madame de* M. de Choiseul avait ce qu~on appelle le secret de la poste,
c'est-à-dire que le roi lui remettait les extraits que l'intendant des postes
lui apportait, et il n~avait parlé à personne de la lettre de
madame de* L'intendant des postes, habitué au plus profond secret, n'en avait
certainement rien dit. Le mystère fut éclairci après la mort de madame la
Dauphine. M'étant trouvé avec le marquis de SaintM* je lui parlai de la
lettre, et'lui avouai la ruse dont je m'étais servi pour mettre en défaut les
recherches de madame la Dauphine. Mais lui ayant témoigné mon étonnement de ce
qu'elle avait été instruite de cette lettre, il me dit Vous ne savez pas et M. de Choiseul
lui-même a ignoré que le roi, depuis la mort du Dauphin allait assez
fréquemment chez madame la Dauphine, dont l'appartement communiquait au sien
par un petit escalier. Habitué à la voir il avait insensiblement pris confiance
en elle, et son crédit, dont elle faisait un mystère, augmentait de jour
en jour. Lorsqu'on vous eut écrit la lettre où elle était si mal traitée, le
roi lui dit « II y a ~ne dame )' qui a écrit de belles choses de vous
a M. de* »
Il lui nomma la dame, èt n'entra dans aucun autre détail mais il en avait
assez dit pour exciter vivement sa curiosité; et dès quelle sut votre arrivée,
elle me chargea de vous voir et de savoir de vous le contenu de la lettre à
quelque prix que ce fût.
(e) SUR MADAME
LA DUCHESSE DE GRAMMONT.
( Article de M. de Meithan. )
MADAME la duchesse de Grammont était restée à Remiremont jusque Pâge de
vingt-huit ans, et n'avait pu acquérir dans un chapitre une Idée juste de la méchanceté
des hommes, de l'art des calomniateurs, et de la facilité avec laquelle on
ajoute foi aux calomnies. Elle acquit en peu de temps le plus grand ascendant
sur le duc de Choiseul, son frère; et ceux qui jugent des autres d'après
euxmêmes, sachant qu'elle était sans fortune, ne doutèrent pas qu'elle ne
s'empressât de fa'ire ce qu'on appelait des affaires. C'était connaître bien mal la
duchesse de Grammont, qui avait l'ame la plus élevée. M. de Choiseul passa un
marché pour les fourrages, et le bruit se répandit que les entrepreneurs
avaient donné à madame dé Grammont cent mille écus de pot de vin. Elle en fut
instruite, alla trouver son frère, et lui conta l'imputation injurieuse dont on
voulait la souiller. Le duc tâcha de l'apaiser; tous ses eHbrts furcnt vains;
elle n'avait aucune idée des formes, et croyant, ce qui était à peu près vrai,
que rien n'était impossible à son frère, elle lui demande de casser le marché.
Son frère lui représente qu'il est signé du roi. Madame
de Gtammont, entière et absolue, n'est point arrêtée par cet obstacle, et
insiste. Le duc lui objecte alors que le moyen qu'elle veut employer pour
confondre la calomnie ne servira qu'à lui donner de la consistance, et elle se
rend /avec bien de la peine à cette raison.
Quelque temps après, M. de Lally, arrivé depuis peu de l'Inde, se rend à
Fontainebleau où se trouvait la cour. L'acharnement du public, provoqué par les
libelles que répandaient avec profusion les nombreux ennemis de cet infortuné
général, était à son comble. L'on répand qu'il a donné des diamans d'un grand
prix à la duchesse de Grammont et l'on impute à la certitude qu'avait le comte
de Lally de sa protection l'assurance que lui donne son innocence. La duchesse,
instruite de ce bruit, s'indigne d'être soupçonnée de ce trafic infàme de la
faveur de son frère les ennemis de Lally profitent de ces dispositions, et lui
persuadent qu'un si grand criminel n'est point à ménager, et que sa réputation
et celle de son frère seront éternellement compromises, si elle ne manifeste
pas aux yeux du public qu'elle ne prend aucun intérêt au coupable. On propose
au. conseil de faire arrêter Lally; le duc de Choiseul, par faiblesse pour sa
sœur, ne s'y oppose pas; mais en sortant du conseil il envoie chercher le comte
d'Estaing qui avait servi sous Lally dans l'fnde, et lui dit ~~t~ez-~OM~ qu'on
arrêter.M. de Lally, et le conduire à la Bastille? M. d'Estaing com-
~9'
prend ce que cela veut dire, et part pour Paris où il trouve Lally, lui
raconte ce qu'il vient d'apprendre, et lui conseille de s'évader, au moins pour
laisser passer l'orage. Lally se met en fureur, refuse de partir ou de se
cacher; et vingt-quatre heures après il est arrêté. La part qu'on peut dire que
madame de Gràmmont'eut ainsi à la malheureuse catastrophe de Lally lui causait
le souvenir le plus amer (i).
La duchesse de Grammont, par sa conduite mesuréè, sa prévoyante sagesse,
jointes à un certain ton à de certaines manières, avait, sans se
donner de mouvement, un ascendant marqué dans la société; jamais personne n'a
joui d'une plus grande considération, et à la mort de son frère elle n'a point
diminué, ce qui prouve qu'elle était indépendante des circonstances. Elle'
avait un talent rare dans l'esprit pour exposer une affaire et la présenter
sous le jour le plus favorable. Durant le
()) J'étais un soir chez madame la duchesse de Grammont où se trouvait
aussi madame la maréchale de Beauvau. M. de Choiseul entre par une petite
porte, avec un air triste et un papier à la main. Qu'avez-vous, mon frère? lui
demande la duchesse.–VoDà l'arrêt de Lally que je porte au roi; et il se met en devoir de lire;
puis me regardant C'est de votre compétence ceci, Monsieur, me dit-il;
voulez-vous bien lire et nous dire votre avis. Je lis et quand je suis à ces
paroles, aMew< et convaincu ~'<!fo<y trahi les M~e~ du roi, de l'État et
</e la compagnie, je demeure surpris et indigné. Eh bien, dit M. de
Choiseul, continuez. Je n'ai pas besoin, répliquai-je, M. le duc, d'aller plus
loin pour voir que cet
ministère de son frère elle savait justifier sa conduite, la faire valoir,
lui ramener, par ses attendons et par des prévenances de la plus
gracieuse simplicité, ceux que la légèreté de son caractère, et ses propos,
quelquefois indiscrets, aliénaient. Ses récits étaient attachans, son
style simple et naturel. Jamais elle ne montra de prétentions à l'esprit;
renfermée dans la sphère du sien, elle n'en franchissait point les limites.
N'allant pas à là cour depuis le renvoi de son frère, les gens qui étaient dans la plus
grande faveur lui rendaient des devoirs empressés, et ambitionnaient
son suffrage. Personne n~a été plus fidèle en amitié, et plus dévoué à ses
amis. On ne vantait point son esprit, on ne citait point ce qu'elle disait mais
on recourait à son conseil, on était flatté de-son approbation, et on avait la
plus grande confiance dans ses lumières. Sa discrétion reconnue lui procurait
une foule de confidences importantes, et
arrêt est la plus atroce des iniquités. On peut trahir les intérêts du'roi
par un excès de zèle, ignorance ou impéritie. Une phrase aussi équivoque montre
l'embarras des juges qui n'ont pu le convaincre de <r<tMO/ S'ils en avaient
eu la preuve, ils se seraient exprimes positivement. Tout homme qui entre en
contrebande une perdrix ou une bouteille de vin, trahit les intérêts du roi,
ceux de l'Etat et ceux de la compagnie des Fermes. Suivant l'horrible
dispositif de cet arrêt, il mérite donc la mort?-Mon avis fit quelque
impression. M. de Choiseul monta chez le roi, tâcha de le fléchir, mais le
trouva trop fortement prévenu contre l'infortuné Lally pour obtenir sa grâce. (
Note de M. ~e Meilhan. )
personne dans Paris n'était aussi exactement instruit de. ce qui se passait
de plus secret à la cour. Sa chambre était un centre où tout aboutissait depuis
trente années, et jamais un homme d'une réputation équivoque n'y fut admis. La
fierté de son caractère se soutint dans sa prison elle montra à sa mort le plus
grand courage, et un dévoue"ment héroïque pour son amie la duchesse
Du Châtelet. Interrogée au tribunal révolutionnaire, elle n'essaya pas de se
justifier. Il serait inutile, dit-elle aux juges, que je parlasse de moi; mais
je dois à la vérité de dire que, l'on ne peut rien imputer à /M<z~/MeZ)M
Châtelet, qui n'ajamais pris part aux affaires publiques, qui n'a jamais connu
Z~~r~ de parti, ni participé à aucune intrigue. Il y a des gens aussi ï~~oce/
qu'elle, mais il n'y en a pas que leur c~rac~re, leur manière de vivre rendent
moins ~M~C~T'/M d'accusation et même de soup- çon. Madame de Grammont avait
engagé son amie à revenir en France, et se reprochant sa mort avec désespoir,
elle fut insensible à la sienne (i).
(1) Ajoutons à ce récit un trait qui prouve !.a force de son ame et t'ëtéva4ion de son caractère.
Madame de Grammont fut traduite au tribunal deFoutruier-TinviMe. « N'as-tu pas,
lui dit-on, envoyé de l'argent à des émigrës?–J'altais dire que
non., répondit-ette, mais ma vie ne vaut pas un mensonge. D.
( Note des nouv. e<f<<. ) >.
NOTICE
SUR
LE CARDINAL DE BERNIS.~).
LE cardinal de Bernis-'n'est pas encore personnellement bien connu.
Sa naissance était beaucoup plus distinguée qu'on ne croit communément.
Dans mes recher-.ches aux archives 'de Rome, j'ai rencontré des pièces
authentiques, des lettres du papeInnocentXI, qui prouvent que, dès le
commencement du douzième siècle, sa famille, déjà très-illustre,.posséda le château de
Gange, ~~n~CM~. Altié aux plus grandes maisons, aux Montmorenci, etc., etc., etc., il était le
troisième de son nom qui eût siégé à Albi. Il avait, dans sa jeunesse, étudié
plus qu'on ne croyait aussi.
Il a eu, pendant toute sa vie, à~ l'exception peut être de ses
dernières années un avantage singulier et précieux celui d'avoir besoin de très peu de
sommeil pour se bien porter.
(i) Cette Notice curieuse est, comme on l'a vu, pag. 6i, de M. Loménie de
Brienne, d'abord archevêque de Toulouse, puis ministre, puis archevêque de Sens
et cardinal. Le manuscrit.. qui contient ce morceau est tout entier de sa main.
Je puis certiner que, jusqu'en 1786, il ne restais guère plus de cinq
heures au lit. Et qu'on ne dise pas qu'on l'a vu à Rome, bien des années se
dédommager amplement le jour du sommeil qu'il ne prenait pas la nuit. La vérité
constante, est qu'il n~a dormi ainsi le jour que quand, à la fin, l'occupation
et la distraction lui ont manqué totalement. Dans le temps où il a dû suivre la
négociation du traité de Versailles, négociation qui lui a coûté plus de
travail qu'on ne pense et que l'on affecte de le. dire communément, il passait
toute la journée à la cour, toutes les soirées en compagnie, et même au jeu (
quoiqu'il ne Faimàt en aucune manière mais seulement alors pour dérouter
l'espionnage des ministres en place qui ne l'aimaient pas, et ne savaient
nullement ce'que le roi lui avait conné à cet égard ) ensuite il travaillait
toute la nuit. Cela a duré bien des mois. Ze~/a~ est ~Mr. A ce propos, il
faut dire que le traité de Versailles n'a point été, comme on l'a cru, un pur
effet des intrigues de la marquise de Pompadour. A peine.la paix de, 1~8 avait-elle été
signée, que Marie-Thérèse, qui avait machinalement et Inté~rieurement conçu une
inclination singulière pour Louis. XV (lefaitest encore ~Mr), avait projeté et
suivi Fidée de se lier étroitement avec lui. Le marquis de Puysieux, alors secrétaire .d~Etat des àffaires étrangères, et ensuite assez
long-temps ministre d~Etat, ainsi que son ami et créature le comte de
Saint-Séverin, traitaient de radotage ce que le
ministre de France à Vienne, immédiatement après la paix d'Aix-la-Chapelle,
écrivait périodiquement, à ce sujet, dans ses dépêches, et les assurances qu'il
répétait du désir ardent de Marie-Thérèse de s'unir avec le
roi. Ce ministre était Blondel, oncle de mon père, qui, au retour
dAix-la-Chapelle, où on Pavait envoyé un peu tard, lorsque M. de SaInt-SéverIn avait déjà fait
bien des sottises, avait demandé au marquis de Puysieux, comme récompense
personnelle, de placer là son oncle. Je sais tout cela de science certaine. Le
cardinal de Bernis m~a dit ensuite, de lui-même, qu'il avait retrouvé et
reconnu toute cette correspondance, en compulsant le dépôt des àffaires étrangères, pour se préparer
au traité de 1756.
Je puis affirmer que son avis n'eût pas été de prendre cette marche
politique. Il pensait que la France n'avait pas besoin d~/z'<M. Le roi
voulut s~unir avec Marie-Thérèse, et désira qu'il se chargeât de la négociation. Alors il souhaita
plaire au roi, et Fon peut le dire à parler impartialement, qu'il rédigea
très-bien un traité, très-mauvais, dans le fond; encore y aurait-il bien des
choses à dire à ce dernier égard.
Le cardinal de Bernis faisait tout par lul-métne; Ses secrétaires
ri'ont jamais été que ses- copistes, je puis le certifier; même Fabbé Des 77aM. son ami intime, ne
fut, comme eux, que son copiste, en fait d'affaires politiques; il ne le
laissait agir que pour ses affaires e~o/Ke~'yM~.
Même dans le temps où il s'adonnait le plus'au plaisir et à la
paresse épicurienne, à la bonne compagnie, aux vers agréables, il avait la conscience de
la facilité qu'il trouverait à faire .&M~e son chemin, dès qu'il le voudrait sérieusement~ Ses camarades de
séminaire, devenus ensuite amis de société, les Montaz.et, archevêque de Lyon
La Rochefoucauld, depuis cardinal, et autres dont le nom m'échappe, qui furent
placés, et dans la grande route bien avant lui, voulurent quelquefois l'engager
à songer à faire son chemin, comme eux; à prendre sérieusement l'état
ecclésiastique. Il% leur répondit, et bien des fois J'ignore quand je prendrai
ma résolution de me mettre en chemin mais ce que je sais est que dès que je
l'aurai prise, et que je commencerai à marcher, je me trouverai devant ~o~/ et cela s'est
vérifié.
Il disait que long-temps il n'avait rien fait pour mériter; mais que jamais
il n'avait rien fait qui pût ~c/Mc/'t~r.
Sa liaison avec madame de Pompadour n'a pas été ce qu'on croit. Il la
connaissait peu avant qu'elle eût été arrangée avec le roi. Je dis arrangée, et
j'ai raison; car cette affaire d'amour a été menée singulièrement. Il était
convenu, décidé, comme pour un mariage entre potentats, qu'elle serait màîtresse du roi, bien des mois
avant que le roi la prît; et le cardinal de Bernis était resté presque persuadé
que le.roi n'avait encore rien obtenu, lorsqu'il partit pour l'armée. Lorsqu'il
partit, on
agita dans son conseil privé (pour ce genre (T affaires), quelle société on
donnerait à la future maitresse, pendant l'absence de son amant, et quelles
personnes, en petit nombre, on lui permettrait de voir. Le roi voulut
personnellement que l'abbé de Bernis alors devînt sa société intime; et il fut
arrêté que ce serait lui qu'elle verrait le plus. C'est de cette époque que
data la confiance intérieure e~c/arce du roi dans l'abbé de Bernis. Cette
confiance intérieure n'a pas cessé une minute depuis pas même lorsque le roi
l'exila. Voici quelle en était la source,. Louis XV, comme on sait, épiait les
correspondances de tous les gens de la cour et en place. Un grand nombre d'eux
correspondaient avec l'abbé de Bernis depuis bien des années. Le roi avait lu
toutes leurs lettres, dans lesquelles ils laissaient échapper bien des
libertés, bien des imprudences. Il avait pareillement .lu toutes les
réponses de l'abbé; et, pendant près de six ans, plus ou moins, il n'avait pas
trouvé, dans une seule de ses réponses, la moindre phrase imprudente ou
irréfléchie, pas un mot qui pût le faire soupçonner de la moindre malignité, de
la moindre méchanceté, du moindre mécontentement, quoiqu'il parût parler
à cœur ouvert, et avec autant de franchise que d'esprit. Le cardinal m'a
répété cela vingt fois tête-à-tête, sans qu'il pût avoir le moindre in, térêt à
me le dire. D'ailleurs il ne y~e~a~ pas. Quoique Louis XV eût été singutièrement content de son
préceptorat auprès de la marquise peu"
dant la campagne, et celle-ci fort contente de sa direction, les deux amans
ne se sont décides que long-temps après à lui faire faire un grand chemin.
Son début fut l'ambassade de Venise. Machault et d'Argenson, qui le
craignaient mirent tout en œuvre pour le faire échouer. Ils lui demandèrent
comme une preuve de ses talens qu'ils vantaient avec exaltation, comme un
signalé service à rendre à FEtat de découvrir à son passage à Turin,
et d'envoyer à la cour la copie du traité que le roi de Sardaigne venait de
conclure avec l'Espagne si secrètement, que ni à Madrid, ni à Turin, les
ambassadeurs de France n'en avaient rien pu connaître. L'abbé de Bernis
sentit le piège, et crut bien qu'il ne pouvait éviter de se faire dire peu
habile et peu adroit, et même aussi fort h< car comment découvrir un traité secret dans
une cour étrangère où il ne devait rester que trois jours? Après y avoir
réfléchi mûrement et pendant toute la route, voici le parti qu'il prit. Il employa
une première visite auprès du ministre Osorio à gagner sa bienveillance
personnelle ce qui lui fut facile, attendu les grâces et le charme qu'il
portait dans la société et la conversation. Sûr de lui avoir plu, il lui dit
que sa fortune dorénavant pouvait être due à ce que lui ( Osorio) voudrait bien
faire en sa faveur; Il lui expliqua ensuite combien. il trouverait d'avantages sur ses
rivaux et ennemis auprès du roi et dans les con-
seils,s'il parvenait à remplir la commission, presque impossible à
exécuter, qui lui avait été donnée à son départ, de faire parvenir à la cour de
France une copie de ce traité alarmant, à cause'du
mystère. Il lui fit sentir en même temps que ce mystère, ne pouvant pas être
bien long, il n'y avait rien a perdre à le faire cesser quelques
jours plus tôt. Osorio sentit qu'il y avait de la vérité, ouvrit son tiroir, y prit et
lui remit une copie exacte du traité, et en trois jours, il parvint à
faire connaître ce qu~on ignorait depuis. plusieurs mois. Machault et d'Argenson furent
confondus et comme ils ignoraient combien le succès avait été facile, ils ne
pouvaient contredire les éloges que ce succès inattendu fit donner au négociateur par le conseil et
par la marquise de Pompadour, le roi et les amis de Fabbé.
A Venisè où ses rivaux l'avaient fait placer de préférence/comme dans un
cul-de-sac, en' comparaison des autres ambassades, il fut encore servi par un
hasard des plus favorables. Là, les ministres étrangers, réduits à vivre entre
eux, see~'oM~o/nent plus aisément et plus Involontairement. Lié avec
l'ambassadeur' dEspagne. qui avait été 'l'amant de la maîtresse actuelle du
premier ministre la Ensenada, il eut par celui-ci une connaissance
très-anticipée dé la marche progressive du discrédit de/a Ensenada, sa
maîtresse écrivant périodiquement a son ancien amant, et lui confiant toutes
les preuves que le premier ministre rece-
vait tous les jours des dispositions du roi à son égard preuves secrètes, et que le premier
ministre cachait avec un soin extrême, et tellement que l'ambassadeur de
France, alors le duc de Duras, ne cessait d'écrire et d'assurer que la Ensenada était
mieux ancré que jamais. L'abbé de Bernis, bien mieux instruit, écrivait et
assurait périodiquement le contraire avec une espèce de ton prophétique. Il fut
en état, peu à peu, d'indiquer d'avance le mois et presque la semaine où la
chute du premier ministre aurait lieu. Fondés sur les dépêches du duc de Duras,
les ministres à Versailles tournaient en ridicule celles de l'abbé qui, du fond
de ses lagunes à Venise, avait la ` sotte vanité de se croire instruit
de ce qui se passait derrière les rideaux du roi d'Espagne à Madrid, mieux que
les ministres les plus clairvoyans, à cette cour même. La prophétie vérifiée on
sent quel étonnement frappa le conseil. L'abbé fut dèslors unanimement
proclamé, même par ses ennemis, comme un homme d'un talent vraiment supérieur
en fait de négociations et de coup-d'œil politique, etc. Ces détails sont
exacts. L'abbé de Bernis se trouva à l'apogée de-sa faveur et de sa
considération à la cour par une circonstance qui fait infiniment d'honneur à sa
probité, à son bon cœur et à sa vraie philosophie. Ce fut sa conduite au moment
de l'assassinat de Louis XV, conduite dictée par ce qu'on appelle au plus juste
titre des sentimens û~AoM/ï~ et galant homme et
d'Ao/M/He raisonnable qui le soutint là quand tous les intrigans
foncièrement vils firent naufrage avec turpitude.
Le roi étant blessé, on le crut aisément en péri!. Tous les ministres du
moment, même les.plus habiles, ou du moins réputés tels, perdirent la tête, ou
ne s'occupèrent que d'intrigues basses, parce que leur unique objet était de
conserver leur place, eri cas d'un nouvel événement, ou de se servir de
celui-là pour chasser la maîtresse, leur Z'M~/&~ce originairement, ou
leur idole forcément. L'abbé de Bernis, réfléchissant sur luimême, et sentant
que ce qui lui était absolument nécessaire pour vivre heureux, était, non de
conserver sa place ministérielle ( il était alors ce qu'on appelait simplement
~MM~re d'Etat ) 1 non, à plus forte raison, d'aller encore au-delà, dans la carrière de
l'ambition et des honneurs ainsi que des richesses, mais bien de rester content
de lui-même, et de ne point se déshonorer en sa propre conscience, encore plus
qu'aux yeux des honnêtes gens qui l'avaient connu à fond, se dit que, dans une
pareille occasion, il fallait. oublier absolument ce qui pourrait arriver de
lui par la suite, comme ministre, et ne songer qu'à remplir tous ses devoirs envers le
roi blessé, M. le dauphin, qui devait veiller sur l'État, la maîtresse du roi à
qui il avait de grandes obligations, et la chose publique dont il était chargé comme ministre. En
conséquence, uniquement occupé de ces din'érens
devoirs, oubliant totalement ce qui pouvait résulter du côté des intrigues, il eut seul la
tête nette et libre. Lui seul donna des conseils d'ami fidèle et sûr à sa
bienfaitrice qu'il encouragea à rester à la cour, au péril de ce qui pouvait en
arriver, péril que tous les autres ministres exagéraient pour s'en débarrasser
à tout événement, jusqu'à ce que le roi, à qui elle devait tout, lui fît
connaître sa volonté. Lui seul pressa M. le dauphin d'assembler. le conseil,
sans ordre, et de se montrer d'une manière digne de lui; ce à quoi les autres
ministres ne s'enhardissaient nullement. Lui seul, le conseil assemblé, osa
ouvrir des avis qui ne manquèrent pas d'être suivis, chacun ayant soin de bien
mettre en tête de son assentiment, qu'on ne pouvait rien ajouter à ce que
monsieur l'abbé proposait et soutenait être à propos. Lui seul pensa à
consoler, à rassurer tour à tour les enfans et la maîtresse. Lui seul, ne
cherchant point à intriguailler et à écrire, cette nuit-là, à Paris, eut le
temps et le loisir d'examiner ce qui se passait dans l'antichambre du roi. Plus
à portée qu'un autre, par-là, il put, par un hasard naturel, voir le premier le
roi blessé, et s'assurer de l'absence de tout danger pour sa vie. De-là, il put
lui rendre compte de tout ce qu'il avait fait et dit. Louis XV, naturellement
juste, raisonnable, et même, on peut le dire, naturellement ami de l'honnêteté
et de la vertu auxquelles il n'aimait pas qu'on manquât, et ne manquait
luimême, quoiqu'ehtraîné par ses faiblesses, approuva
tout~ parce qu'en effet, dans tout ce que l'abbé avait fait et dit, il
avait suivi, sinon le stoïcisme d'une haute vertu, du moins les sentimens de la
vertu le plus à la portée de l'humanité, et peut-être, au
fait, de la meilleure philosophie. D'autre part, le dauphin et ses sœurs lui
surent gré du rôle qu'il leur avait fait jouer. D'ailleurs, on ne put s'empêcher de sentir et
d'avouer qu'il avait montré plus de tête et d'attention pour la conduite des
affaires, et comme ministre, qu'aucun autre membre du conseil. En un mot, il
m'a dit cent fois que jamais il ne s'était cru plus en droit de s'estimer
lui-même que dans cette occasion importante qu'il croyait de bonne foi n'avoir
en ce moment manqué à aucun des devoirs que pouvait lui imposer la conscience
d'un honnête homme et qu'il devait cette satisfaction de Famé, et le grand
succès qui en résulta pour sa fortune ( puisqu'il réussit à tout après ), uniquement à ce
que, s'étant bien in- terrogé lui-même, il s'était assuré de n'avoir nulle.ment
besoin de cette même fortune pour vivre heureux, mais bien de pouvoir continuer
à s'estimer lui-même le reste de sa vie.
L'amour propre et la vanité du cardinal de Bernis (on peut, peut-être même
doit-on dire qu'en effet il en avait ) n'était pas ce qu'on pouvait croire. Il
savait très-bien se rendre justice, et apprécier ce qu'il avait fait.
Certainement on ne saurait dire qu'il n'aimât pas à raconter, même en quelque
sorte à vanter, ses opérations personnelles
comme ministre mais je puis certifier qu'il savait mieux que personne, et
qu'il reconnaissait trèsbien que le hasard aurait eu la meilleure part à tout
ce qui l'aurait pu rendre plus célèbre. Au moment où il paraissait toucher au
faîte de sa gloire (je parle de l'instant où le maréchal de Richelieu, par des
succès inouis, ayant acculé l'armée des alliés, semblait prêt à terminer la guerre
d'une manière qui aurait couronné tous les projets politiques formés et suivis
durant le ministère de l'abbé de Bcrnis ), le jour même où II s'attendait t d'heure en
heure a recevoir la nouvelle officielle de l'entier désarmement et de la
dispersion de l'armée ennemie il passa plus d'une heure à se promener seul dans
son cabinet, en réfléchissant à ce que l'histoire dirait de tous ces événemens
qui avaient signalé les premières années après la conclusion du traité de
Versailles Mahon pris, la victoire d'Hastenbeck, la conquête de l'Allemagne, la destruction de
l'armée hanovrienne, etc., etc. Puis, repassant en lui-même par quels moyens
toutes ces choses avaient été exécutées, par quels personnages elles avaient
été conduites, de quelles têtes la plupart des projets étaient éclos, toutes
les intrigues qui avaient eu lieu, tout ce que le hasard seul le plus imprévu
avait fait, tout ce qu'il avait eu lui-même d'obstacles à vaincre, de peines à
dévorer, il se disait « Pauvre postérité, que saurastu ? Et comme la vérité
exacte:, au fond, pourrait se moquer de to.i etc., etc. II me l'a répété
vingt fois; telles étaient les idées qui l'occupaient à l'instant où
l'officier qui apportait la nouvelle de la convention de Closter-Seven
fit claquer son fouet à sa porte. Il le voit monter chez lui il Quvre e la dépêche, lit la
teneur du traité comprend à l'instant quelle en doit être la'suite inévitable.
Sa première idée fut de se dire: « Le rêve est fini. ') Ah parbleu, la
postérité n'est pas si à plaindre; elle ne sera pas dans le cas de s'étonner si mal
à propos.
La disgrâce du cardinal de Bernis n'a point été ce qu'on croit communément,
quant à la cause, ni quant aux effets pour lui.
Je suis certain, et je ne pourrai jamais croireenaucun temps ni sous aucun
aspect, que la cause de cette disgrâce ait été lé projet d'éloigner la marquise
de Pompadour, et d'être premier ministre en titre. Personne ne connaissait
mieux que lui l'impossibilité absolue de déterminer jamais Louis XV à prendre à
proprement parler un premier ministre. Personne n'était plus incapable que lui
d'ingratitude envers madame de Pompadour. La vérité est que ce fameux mémoire
dont on a tant parlé, et que si peu de gens ont lu, est peut-être ce qui fait le
plus d'honneur au cœur et à l'ame du cardinal de Bernis, lequel
très-positivement était un excellent patriote et un
honnête citoyen. Le mémoire avait pour objet, i° de démontrer la
nécessité de faire la paix attendu que le roi n'avait plus.ni argent, ni
généraux, ni vaisseaux, 20'
et de s'en tenir, si la cour de Vienne ne voulait pas nnir en même temps,
au secours porté dans le traité de Versailles 2° la nécessité de
ne plus laisser chaque ministre dans son département maître d'en faire monter
les dépenses au degré qu'il lui plaisait, et de démontrer au roi les
inconvéniens de cette espèce de politique de sa part, qui lui faisait faire
quatre ou cinq rois particuliers et despotes des quatre ou cinq ministres qui
se partageaient le gouvernement.
La marquise aurait accepté peut être la deuxième partie du mémoire; mais la
première n'était pas de son goût. Elle était séduite par les avances de Marie-Thérèse. Le
duc de Choiseul, ambassadeur à Vienne, la servait en cela selon son goût, lui
persuadait qu'il saurait bien continuer la guerre, etc.,
etc. Le cardinal pouvait arranger tout, s'il ne fût pas resté persuadé que la
paix seule pouvait sauver la France, et s'il n'eût pas été déterminé à quitter
le ministère, plutôt qu'à y rester pour continuer une guerre désastreuse. La
marquise, ne pouvant ni ne voulant de son côté renoncer à son idée favorite que
soutenait le duc auquel elle était alors entièrement livrée, détermina enfin le
roi à sacrifier totalement le cardinal.
Le cardinal était assuré de son sort. Il avait plus d'une fois causé tranquillement
sur ce point avec la marquise. Il savait qu'il serait exilé, et même il le lui
avait dit. Un jour il lui avait dit de
sang-froid, et comme causant de choses indifférentes Nousséparer, à la
bonne heure, rien de plus simple et de ~o~K~ /Ï!C!/c. Mais pourquoi porter la
chose à l'extrême; pourquoi un coup de ~o:~?!<ïr~? Elle n'avait rien
répondu.
Il avait prévu, fixé le jour même où il comptait recevoir l'ordre. Il était
certain que ce serait immédiatement après que, par un dernier effort de
son ,grand crédit auprès du parlement de Paris, il aurait fait passer
l'enregistrement. d'un emprunt de quarante millions qui souffrit beaucoup
de dimcultés. Il ne se trompa que de deux jours, et cela à cause que te roi partant pour
Choisy lui avait demandé quel jour il lui convenait ~nieux de s~y rendre pour le
conseil? A quoi il avait repondu Puisque c'est moi qui dispose du temos de
Votre Majesté ce sera ~OMr tel jour. après demain vu que demain j'ai dû
donner rendez-vous à Af. de ~A~y'e/M&e/<< Eh » bien! avait
répliqué le roi, à après-demain, ? donc? a Le lendemain, le cardinal étant en
conférence avec M. de Stharemberg, reçut l'ordre de se rendre à Vic-sur-AIsne; il ne s'y
attendait que pour le lendemain du conseil prochain. J'oubliais de dire que ces
faits, le départ pour Choisy, la demande du roi, findication du conseil pour le
troisième jour avaient eu lieu à l'issue de la conférence dans laquelle il
venait de rendre compte que l'affaire de l'enregistrement de l'emprunt avait
été finie, ou la veille pu le matin même.
Ce que )~ai dit de Fimpossibilité que le cardinal faisait valoir dans son mémoire de continuer la guerre
sans argent, sans généraux, sans vaisseaux, est si vrai et si exact, que, comme
il me l'a raconté souvent, lorsqu'il fut rendu à Vic-sur-Aisne, le duc de
Choiseul, chaque fois qu'il voyait ou le neveu du cardinal, ou son ami l'abbé Des
Haisses, et il les voyait souvent (tout cela se passant comme une af~faire
d~arrangement de société, et non comme une brouillerie ou une inimitié) il leur
disait toujours Dites au cardinal que nous n'avons ni argent, ni ~MCy'ÛM~ ni
vaisseaux, mais que cependant nous faisons et ferons encore la guerre. Cela, il
le répéta nombre de fois. A la fin, le cardinal, un peu ennuyé, dit
expressément à FabLé Des Haisses, un jour qu'il'le renvoyait de nouveau parler au duc pour
je ne sais quelle affaire «Si le duc vous J) tient encore le même propos, répondez-lui )' Ma foi, M. le duc, s'il faut
vous le dire, Son Em., » la dernière fois, m'a dit à ce propos qu'elle savait M
tout comme vous, que sans argent, sans généIl raux, sans vaisseaux,
l'on pouvait faire la M guerre, mais non la ~e~rë. M
Le cardinal était si bien préparé à sa disgrâce, et en fut si peu aSecté, que la première
nuit, à Vie-sur--Aisne il dormit deux heures de plus que de coutume, et qu'à
son lever il fut chasser, dans son parc; aux oiseaux.
Le cardinal dé Berhis est certainement l'homme que Louis XV a le plus constamment, et
vraiment
estimé, et celui dans lequel il a en le plus de confiance réelle.
C'était surtout à l'égard des affaires' parlementaires, que Louis XV s'est
le plus servi du cardinal de Bernis; et celui-ci a toujours eu un très-grand
crédit dans le parlement de Paris.
Louis XV était singulièrement occupé des affaires parlementaires. Ce prince
n'était pas insouciant, à beaucoup près autant qu'on a voulu le croire ou
le (aire croire. Ses entretiens et ses visites à la marquise de Pompadour
n'étaient pas si vides d'affaires et d'idées de gouvernement qu'on se l'est
imaginé. Au contraire, il en était extrêmement occupé. Le cardinal m'a parlé
cent fois de la quantité d'heures qu'il avait passées en tiers avec eux à
combiner, à raisonner sur les progrès et l'issue que pouvaient et devaient
naturellement avoir les débats de la cour avec les'parlemens. Le roi en était
terriblement effrayé. Comme il avait un esprit droit et même pénétrant,
il pressentait avec justesse tous les effets et les résultats que cette lutte
devait avoir ou un peu plus tôt ou un peu plus tard. Il envisageait avec effroi
le déchet inévitable de son pouvoir et de son autorité. Il sentait que tout cela pouvait
le mener à n'être plus rien. Il fallait toute la raison et la fermeté du
cardinal pour le rassurer. Celui-ci lui mettait sous les yeux tous les moyens
nombreux et faciles qui restaient encore alors pour arrêter tout court les
entreprises parlementaires et tous ceux qui restaient a l'au-
torité royale, pour se maintenir dans toute sa force. Le roi finissait par
sentir la vérité de ses discours, et presque toujours des conversations de ce
genre qui se prolongeaient extrêmement, se terminaient par cette phrase de la
part du roi Eh bien, OMï/ vous avez raison. Je crois bien que tant que je
vrai, je resterai toujours à peu près le maître de faire ce ~M~/g ~OMC~YH\;
mais, M<a!J~ après MO! Ttf. le duc de Bourgogne n'a qu'à se bien tenir. Le cardinal avait
calculé le temps que durerait son exil, etl'avait calculé juste. Plusieurs
personnes de ses amis lui avaient~ demandé, à diverses reprises, s'il
croyait redevenir libre, et quand? H avait toujours répondu: Oui, JeM.x"M après la paix; et
cela s'est trouvé juste.
Un fait qu~on ignore et qui est certain est que Fidéc de rélever au cardinalat, et
la négociation qui l'y mena, partirent entièrement du duc de Choiseul qui
comptait bien que le roi ne s'y opposerait pas, mais en demeurerait eHarouché, et ne se
refuserait plus à expulser du conseil un ministre que la dignité de cardinal
rendait par ellemême forcément un premier m!M~, quoiqu'il n'en eût pas le titre
formel.
( Soit que M. l'archevêque de Sens en fût demeuré là ~o~ que le reste
ait e~pe~t~ l'on n'a trouvé que ce j6~7ne/~ dans ses papiers. Nous avons cru
devoir y <OM~r quelques lignes pour faire connaître comment se termina la carrière
du cardinal de Fcr~M. )
Après un exil de six ans qu'il soutint avec dignité, le cardinal fut nommé
par Louis XV ambassadeur de France à Rome, et protecteur des églises de France
dans cette cour. I) y fixa sa résidence. En 1791, il reçut dans son palais les
princesses, tantes de Louis XVI, qui cherchaient un asile contre la tempête
révolutionnaire. Jusque-la le cardinal avait fait les honneurs de son pays avec
une grande magnificence, et surtout avec une grâce, une. politesse, une aménité rares.
Dépouillé tout-a-coup de ses abbayes par des décrets, et de son archevêché par
le refus de prêterun serment que sa conscience ne lui permettait pas, il perdit
400,000 livres de rente et le noble plaisir d'en donner la moitié. D'une si
haute fortune, M. de Bernis tomba dans un état voisin de l'indigence, et s'y
résigna sans murmure. Mais, à la demande de son ami, le chevalier Azzara, la
cour d'Espagne lui nt une forte pension qui satisnt a tous ses besoins,
et même au plus pressant de tous au besoin d'aider les malheureux. Le cardinal
de Bernis mourut à Rome le 2 novembre lyo~) âgé de soixante-dix-neuf ans.
FUS.